Juan Carlos Navarro Vega, directeur de Caritas à Puerto Maldonado, attend le pape avec impatience | ©Jean-Claude Gerez
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Pérou: En Amazonie, les peuples indigènes attendent le pape

Lors de sa visite au Pérou, du 18 au 21 janvier, le pape François se rendra à Puerto Maldonado, en Amazonie péruvienne. L’occasion de rencontrer des représentants de peuples indigène et de mesurer les ravages sociaux et environnementaux de l’exploitation aurifère illégale.  

Wilson Saavedra Lizardo, président de la communauté des indiens Yiné de Santa Teresita, à une heure de pirogue de Puerto Maldonado, au cœur de l’Amazonie péruvienne, ouvre avec précaution une enveloppe un peu gonflée par l’humidité. Le document qu’il en extrait porte l’en-tête du Projet Mercure Amazonie écosystème Carnegie (CAMEP). «C’est le résultat d’une analyse réalisée en 2012 par cette ONG américaine pour mesurer la présence de mercure dans l’organisme de mon père, à partir d’un échantillon de ses cheveux», explique cet homme de 38 ans. Alors que la limite maximale recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est de 1 part par million (ppm), le courrier indique le chiffre 2,43 ppm, correspondant à un niveau «haut», noté en rouge.

«Et nous attendons du pape qu’il nous aide à faire entendre notre voix»

«Le mercure provient des exploitations de mines d’or illégales qui se trouvent à quelques heures de pirogue, en amont, précise Wilson. Il est déversé dans la rivière Las Pedras qui borde notre communauté et contamine l’eau». Le problème, c’est que les Yiné n’ont pas d’autres sources d’eau à disposition et sont donc obligés de consommer celle de la rivière. «On ne peut pas non plus pêcher, ajoute Wilson. Et comme notre territoire est limité à 75 hectares pour 31 familles, nous ne pouvons pas vraiment vivre de l’agriculture, ni de la chasse». Déjà obligés, dans les années 2000 de fuir leur territoire ancestral à cause des violences perpétrées par les guérilleros du Sentier Lumineux, les Yiné sont aujourd’hui victimes de ceux qui détruisent la forêt pour l’or ou le bois. «C’est de tout cela que nous voulons parler au pape François, clame Wilson. Et nous attendons de lui qu’il nous aide à faire entendre notre voix et connaître nos difficultés».

Le père de Wilson a été contaminé par le mercure | © Jean-Claude Gerez

Le pape, comme «Apaktone»

Le 19 janvier, le pape François se rendra à Puerto Maldonado, au sud-est du Pérou. Dans la capitale du département de Madre de Dios, il participera à une «rencontre socio-culturelle fraternelle et solidaire» avec les représentants de peuples natifs venus de plusieurs régions de l’Amazonie péruvienne, ainsi que du Brésil, de la Bolivie et de l’Équateur. «Cette rencontre aura lieu dans un premier temps au Colisée de la ville, explique Juan Carlos Navarro Vega, responsable de Caritas à Puerto Maldonado et coordinateur général de la rencontre entre le pape et les peuples indigènes. Elle regroupera près de 3500 leaders de communautés».

«Ensuite, sur l’esplanade, située en face de ce bâtiment, le pape s’exprimera face à plus de 140’000 personnes, catholiques, pèlerins, hommes et femmes de bonne volonté qui souhaitent le voir et le saluer. Une partie de l’assemblée sera également composée de citoyens de peuples natifs d’Amazonie», précise le responsable qui sillonne la région depuis la mi-août pour aller dans les communautés expliquer aux responsables le sens de la venue du pape. «La plupart d’entre eux  connaissent peu ou pas la figure du Saint-Père comme chef de l’Église catholique, souligne Juan Carlos Navarro Vega. Nous leur expliquons donc que François est un peu comme le Père José Álvarez Fernández, connu comme «Apaktone», (qui se traduit par «Papa Sage Ancien»), un missionnaire catholique dominicain venu évangéliser en 1917, dans cette région de Madre de Dios où il est resté 53 ans».

«Le pape vient d’abord en pasteur, pour écouter la sagesse propre aux peuples d’Amazonie»

Les ravages de l’or illégal

«La visite du pape constitue une grande motivation pour améliorer l’image que les peuples indigènes ont d’eux-mêmes alors qu’ils se sentent souvent marginalisés. L’objectif est qu’ils se perçoivent comme sujets de l’Histoire, qu’ils ont toute leur place à la table de discussion lorsqu’il s’agit évoquer la «Maison Commune», et qu’ils ont des choses à apporter et beaucoup à dire, explique Mgr David Martinez Aguirré de Guinéa, dominicain, évêque du vicariat apostolique de Puerto Maldonado. Le pape vient donc d’abord en pasteur, pour écouter la sagesse propre aux peuples d’Amazonie, leurs traditions et leurs connaissances de la forêt. Je crois que la présence de François est essentielle dans cette région du monde, l’Amazonie, qui cristallise les regards de nombreuses personnes. Surtout des regards intéressés, qui la mettent en danger».

L’exploitation illégale de l’or à Puerto Maldonado menace l’environnement | ©Jean-Claude Gerez

 

L’évêque sait de quoi il parle. À la tête d’un vicariat grand comme 3,5 fois la Suisse (149’552 km2), l’évêque constate chaque jour les conséquences de l’exploitation irrationnelle des ressources naturelles. «Il y a d’abord les conséquences sur l’environnement -contamination des sols, de l’air et de l’eau- de la croissance exponentielle de l’exploitation minière illégale et informelle, principalement d’or.» D’après le propre Ministère de l’Industrie et des Mines, en 2011, pas loin de 100% de l’or extrait dans le département de Madre de Dios était illégal. «Mais l’une des conséquences les plus terribles restent les problèmes sociaux, et notamment la traite des êtres humains, en grande majorité des femmes, qui sont entraînées dans la prostitution par des réseaux maffieux locaux.

Le dilemme entre pauvreté et environnement

Tout cela, Maria José le sait bien. Elle qui vend des beignets près du marché José Aldamiz, à Puerto Maldonado, connaît des jeunes femmes qui n’ont pas beaucoup d’autres alternatives que de se prostituer. «Tout ça, c’est à cause de la mine. Mais que faire ? La plupart des gens ici survivent parce que quelqu’un de leur famille a cette activité.» D’où une réticence palpable de la part de nombreux habitants lorsqu’on aborde le motif de la visite du pape. «Si c’est pour nous bénir, c’est parfait, car c’est le chef de l’Église catholique, précise Emilio, moto taxi. Mais si c’est pour l’entendre dire qu’il faut fermer les mines, là je ne suis pas d’accord. Parce que si l’armée vient fermer les mines après la venue du pape, comme on l’entend dire, la plupart des gens ici vont mourir de faim !»

«Les gens qui viennent affronter l’enfer dans les mines illégales ne le font pas par plaisir»

Sauver la Maison Commune ou être au côté des plus pauvre ? La situation est souvent présentée comme un dilemme pour l’Église catholique et le pape dans ce coin de l’Amazonie. «Il n’y a pas deux crises, l’une environnementale et l’autre sociale, répond Mgr David Martinez Aguirré de Guinéa. Il n’ y a qu’une seule crise socio-environnementale. C’est d’ailleurs cette vision globale qui est développée dans l’encyclique du pape François, Laudato Si’». Et de rajouter. «Il ne faut pas oublier que les gens qui viennent affronter l’enfer dans les mines illégales ne le font pas par plaisir, mais pour fuir un autre enfer, généralement celui de la pauvreté des hauts plateaux andins».

Mgr David Martinez, évêque de Puerto Maldonado | ©Jean-Claude Gerez

Derniers préparatifs

En attendant, les organisateurs s’activent à Puerto Maldonado pour offrir au pape un accueil de qualité. Si les affiches ont tardé à fleurir sur les murs, une entreprise de camions frigorifiques a, à titre gracieux, décoré dès la mi-décembre ses véhicules avec de grands posters du Saint-Père. Un peu partout dans la ville, les travaux pour goudronner les routes avancent malgré les trombes de pluies régulières. Peu à peu l’aménagement de l’esplanade et du Colisée prennent forme. D’ici quelques jours, grâce au financement en partie par l’État péruvien, (à hauteur de 210’000 CHF) de leur voyage, les représentants des peuples natifs de l’Amazonie prendront le chemin de Puerto Maldonado, avec pour certains jusqu’à deux jours de périple. À Santa Teresita aussi, on se prépare pour le 19 janvier. Le président Wilson a déjà désigné une trentaine de personnes qui l’accompagneront pour participer à la rencontre avec le pape. «Si j’ai l’occasion de lui parler, je lui dirai de nous aider et de ne pas nous oublier lorsqu’il sera reparti.» (cath.ch/jcg/mp)

Juan Carlos Navarro Vega, directeur de Caritas à Puerto Maldonado, attend le pape avec impatience | ©Jean-Claude Gerez
12 janvier 2018 | 08:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 6 min.
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