Rencontre avec Mgr Ratko Peric, évêque de Mostar, en Herzégovine

Bosnie-Herzégovine: Dans le diocèse de Mostar, la rébellion de quelques franciscains «confine au schisme»

Mostar, 15 août 2011 (Apic) «Nous avons dans notre diocèse 9 ex-franciscains suspens a divinis qui exercent leur ministère alors qu’ils ont été expulsés de leur ordre… Dans 5 paroisses, ils se sont emparés de l’église et des registres paroissiaux; quelque 10 à 15’000 paroissiens les suivent!» Mgr Ratko Peric, l’évêque de Mostar, qui nous reçoit dans sa résidence épiscopale de la rue Nadbiskupa Cule, en face de la cathédrale Sainte-Marie, est contrarié. Il attend une réaction de Rome qui, à ses yeux, n’a que trop tardé!

Le conflit qui dure depuis des années dans le diocèse de Mostar-Duvno, entre une poignée de franciscains dissidents et le diocèse catholique du sud de la Bosnie-Herzégovine confine à un «schisme», peut-on lire sur le site de ce diocèse qui fait frontière avec la Croatie. Mgr Peric, 67 ans, est à la tête de l’Eglise locale depuis 1993. Outre ses préoccupations concernant le phénomène des «apparitions de Medjugorje» (*), à quelque 20 kilomètres au sud-ouest de Mostar, Mgr Peric doit faire face depuis une bonne dizaine d’années à la rébellion d’une poignée de franciscains qui n’obéissent ni à l’évêque diocésain, ni au Saint-Siège, ni à la Curie générale de l’ordre des franciscains à Rome. Ce long conflit, dont on ne voit pas la fin, est désigné depuis des années sous le vocable d’»Affaire d’Herzégovine». (**)

Ils se disent persécutés par l’évêque et par Rome

«Ces franciscains rebelles n’ont plus aucun contact avec la maison provinciale à Mostar et l’ordre à Rome. Le Vatican connaît la situation, mais n’a pris encore aucune mesure concrète… Rome espère que les prêtres saisissent leur chance de rester au sein de l’Eglise!», lâche Mgr Peric. Qui constate que même s’ils se font réduire à l’état laïc, ces dissidents vont rester et continuer leur œuvre de division au sein du diocèse: «Ces rebelles et leurs fidèles ignorent l’évêque. Ils agissent dans au moins 6 localités du diocèse. Ils sont comme une secte, ils disent que Rome est mal informée, qu’ils sont persécutés par l’évêque, par le Vatican!»

A Capljina, non loin de la frontière croate, deux franciscains, Frères Petar Barbaric et Bozo Rados, ont refusé en 1996 de quitter leur paroisse. Ils ont été par la suite expulsés de leur congrégation. Dans cette paroisse de quelque 6’000 âmes, les dissidents ont fait main basse sur les registres et les archives. Le prêtre désigné par l’évêque ne peut pénétrer dans l’église paroissiale, les franciscains dissidents l’en empêchent par la force.

Une stratégie de reconquête

L’évêque, dans une stratégie de reconquête, a envoyé un prêtre pour «reprendre» la paroisse, mais il a dû louer un appartement pour le loger et installer des bureaux, la maison paroissiale lui étant interdite d’accès. Ce prêtre a déjà béni cette année quelque 600 maisons et les familles qui les habitent. 400 enfants se sont déjà inscrits pour la catéchèse. Les confirmands reviennent chez le prêtre «légal», mais l’évêque est forcé de célébrer la confirmation dans une autre paroisse. La guérilla continue: pour éviter que les fidèles doivent se déplacer trop loin, le diocèse a acheté un terrain pour construire un centre pastoral et des locaux pour la Caritas, mais les ex-franciscains sont intervenus auprès de la Commune, par avocats interposés, pour empêcher les travaux…

L’évêque nous confie qu’il ne pourra pas, avec ses propres ressources, construire ce centre pastoral et les locaux de la Caritas. Il compte pour ce faire sur des aides extérieures, en mentionnant l’œuvre d’entraide catholique internationale «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), «Renovabis», la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (USCCB).

Depuis 11 ans, le diocèse a rétabli les registres confisqués, et les paroissiens qui désirent se marier à l’Eglise doivent «refaire» leur confirmation s’ils ont été confirmés de façon illicite et invalide par des «dissidents». Les franciscains rebelles avaient ainsi invité un «évêque anonyme» en octobre 1997 pour confirmer plus de 400 enfants! Il s’était avéré qu’un franciscain s’était alors présenté de «façon blasphématoire» comme un évêque: il a été finalement expulsé de l’ordre des franciscaines, poursuit Mgr Peric.

Scandale des confirmations illicites

«Un scandale encore pire est arrivé en 2001 quand des Franciscains – certains déjà suspendus de la congrégation et d’autres pas encore suspendus – ont invité Srecko Franjo Novak, un diacre de l’Eglise vieille catholique s’identifiant lui-même comme un ’archevêque’. Plus de 700 jeunes avaient alors été ’confirmés’ dans des paroisses occupées. Toutes ces confirmations sont invalides et sacrilèges». Mgr Peric sort alors de ses dossiers divers documents explosifs: ses demandes adressées à Berne à Mgr Hans Gerny, à l’époque évêque de l’Eglise catholique-chrétienne de Suisse, pour savoir si Novak était effectivement un évêque croate. Avant de rejoindre l’Eglise catholique, Novak avait été exclu d’un séminaire catholique.

Mgr Gerny confirme que Novak a bien étudié à la Faculté de théologie catholique-chrétienne de Berne et qu’il a été ordonné diacre par Mgr Léon Gauthier, mais que l’ordination sacerdotale lui a été refusée. «Il a depuis lors plus rien à faire avec l’Eglise catholique-chrétienne ou une autre des Eglises vieilles-catholiques de l’Union d’Utrecht. Il n’a jamais été ordonné évêque vieux-catholique», écrit dans son courriel du 23 mai 2001 Mgr Hans Gerny, qui était alors également secrétaire de la Conférence internationale des évêques vieux-catholiques.

Tentative auprès de Mgr Gerny d’obtenir l’ordination d’un évêque clandestin

Cinq jours après, toujours en mai 2001, arrive également la réponse de Mgr Gerny concernant la demande de deux ex-franciscains qui s’étaient rendus à Berne pour obtenir de Mgr Gerny qu’il ordonne un de ces dissidents évêque «sub secreto». Dans une conférence de presse à Capljina, l’ex-frère franciscain Boniface Petar Barbaric avait déclaré le 27 mai 2001 que durant le communisme en Tchécoslovaquie et dans d’autres pays, la pratique existait d’ordonner en secret des évêques et des prêtres. «Qui sait si, parmi nous, il n’y avait pas quelque évêque ordonné secrètement ?», avait-il lancé.

Le lendemain, Mgr Gerny répond que deux franciscains du diocèse de Mostar se sont bien rendus à Berne et qu’il les a reçus, pensant qu’ils venaient demander de l’aide humanitaire. Ils ont déclaré à l’évêque catholique-chrétien de Suisse que l’évêque de Mostar voulait faire quitter les paroisses aux franciscains qui y avaient travaillé durant des siècles. Comme l’évêque ne veut pas ordonner de nouveaux franciscains, ont-ils dit, ils devaient subvenir eux-mêmes à la relève, raison pour laquelle ils ont demandé que Mgr Gerny ordonne pour eux un «évêque clandestin». «Evidemment, j’ai tout de suite refusé cette demande et mis un terme à l’entretien», écrit-il. Mgr Gerny ne voulait en aucun cas se prêter à une telle mascarade, qui aurait été de toute façon un schisme.

«A Capljina, notamment, nous essayons d’être flexibles, afin d’éviter les conflits, car les familles sont divisées», souligne Mgr Peric, qui déplore que les rebelles bénéficient de soutiens de missionnaires franciscains croates à l’étranger.

«Nous bénéficions du soutien du Saint-Siège, qui nous a donné raison, mais sur le terrain, dans la pratique, rien ne change. Les fidèles finissent par se demander si le Vatican est si faible qu’il ne peut rien faire pour résoudre ce conflit», regrette l’évêque de Mostar-Duvno. Pour Mgr Peric, «c’est cependant une question de génération, car les jeunes diacres et prêtres franciscains sont actuellement ordonnés par l’évêque de Mostar». Signe d’espoir que ce long conflit va un jour prendre fin: les relations entre l’évêque et le provincialat des franciscains à Mostar sont désormais qualifiées de bonnes. JB

encadré

#Encadré

Lorsque la Bosnie-Herzégovine tomba entre les mains des Turcs, les franciscains réussirent, en 1463, à obtenir du Sultan Mehmed II des garanties concernant leur liberté d’action. C’est au début du XVIIe siècle que commencèrent les persécutions des catholiques en Bosnie-Herzégovine. Les religieux entrèrent alors dans la clandestinité. Travaillant secrètement auprès de la population, on les appelait «oncles», pour cacher le fait qu’ils étaient des prêtres. Les persécutions durèrent jusqu’en 1878, date à laquelle la Bosnie fut occupée par l’Autriche-Hongrie, qui l’annexa.

Les nouvelles autorités austro-hongroises exigèrent l’établissement d’une hiérarchie ecclésiastique catholique. Le pape Léon XIII, d’abord réticent et reconnaissant envers l’immense travail des franciscains dans cette région sous l’Empire ottoman, rétablit les diocèses en 1881 et la question du partage des paroisses fut résolue par un accord entre les franciscains et l’évêque local. Mais les franciscains ont toujours été réticents face au rétablissement d’un diocèse de Mostar-Duvno, car jusqu’en 1881, ils avaient eu pendant des siècles toute la responsabilité pastorale.

Etant donné que le clergé séculier était restreint, les franciscains durent desservir des paroisses qui, selon l’accord, ne leur revenaient pas. Mgr Cule, nommé en 1942 sur le siège de Mostar, fut le premier évêque non franciscain. Alors que la Yougoslavie vivait sous régime communiste et que l’Eglise était persécutée, l’évêque diocésain, en 1958, remit à l’ordre du jour le partage des paroisses entre le diocèse et les Franciscains, auxquels les fidèles étaient très attachés depuis les siècles de l’occupation ottomane. De leur côté, les religieux, forts de ces liens ancestraux, acceptèrent mal cette séparation.

Dans certaines paroisses, dont les franciscains se retiraient par obéissance, les fidèles commencèrent dès lors à résister à la venue du clergé séculier. Ces fidèles furent accusés d’insoumission et les franciscains de désobéissance. Les fidèles continuèrent de solliciter l’assistance pastorale des franciscains et de fréquenter les paroisses franciscaines. C’est de là que naît ce profond contentieux entre les franciscains et l’évêque sur la répartition des paroisses, que l’on appelle «l’affaire d’Herzégovine» ou «le cas d’Herzégovine», et qui dure depuis des années. JB

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(*) La Commission internationale d’enquête sur les apparitions supposées de la Vierge à Medjugorje, nommée par Benoît XVI au début de l’an 2010 et présidée par le cardinal Camillo Ruini, vicaire émérite du pape pour le diocèse de Rome, est «encore loin» de pouvoir publier une première évaluation. C’est le cardinal Camillo Ruini qui l’a déclaré à la presse le 14 juin 2011.

Pour Mgr Peric, depuis le début jusqu’à ce jour, l’Eglise de Mostar a répété clairement et de façon constante: «Non constat de supernaturalitate»! (L’origine surnaturelle des faits n’est pas reconnue). Répétant la déclaration de Zadar du 10 avril 1991 (La Conférence des évêques de l’ex-Yougoslavie déclarait alors que sur la base des investigations effectuées jusqu’ici il n’était pas possible d’affirmer qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelles), Mgr Peric relève par conséquent qu’il ne doit pas y avoir de pèlerinages qui chercheraient à attribuer un caractère surnaturel aux apparitions, et qu’il n’y a pas de messages ni de révélations authentiques et encore moins de vraies visions.

(**) Selon un accord du 1er mars 2005 entre le ministre général des frères mineurs à Rome, le Père José Rodriguez Carballo, et la province de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie en Herzégovine, les paroisses contestées (Capljina, Blagaj, Crnac, Grude, Jablanica, Mostarski Gradac, Nevesinje et Ploce-Tepcici) mentionnées dans le décret du pape Paul VI «Romanis Pontificibus» du 6 juin 1975, sont mises à disposition de l’évêque diocésain. JB

Des photos (prix CHFR 80.– pour la première, CHFR 60.– pour les suivantes) peuvent être commandées auprès de l’Apic: apic@kipa-apic.ch, Tél. 026 426 48 11 (apic/be)

15 août 2011 | 09:34
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 8 min.
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