Soeur Bibiane Cattin, religieuse des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique   (Photo:  Jacques Berset)
Suisse

Sœur Bibiane: Permettre aux femmes violées de redresser la tête

«Au début, elles baissaient la tête, elles pleuraient. Après l’accueil et l’entretien, elles redressaient la tête et pouvaient me regarder dans les yeux…», témoigne Sœur Bibiane Cattin, qui a travaillé, à l’extrémité orientale de la République démocratique du Congo, avec des femmes violées par des hommes armés.

Dans l’archidiocèse de Bukavu, au Sud Kivu, la «Sœur Blanche» jurassienne, sollicitée par Mathilde Muhindo, directrice du Centre de promotion féminine Olame, a mis sur pied avec Marie-Noëlle Cikuru, assistante sociale congolaise, le  Service d’Écoute et d’accompagnement des Femmes traumatisées (SEAFET) fin 2002.

3’700 victimes aidées par le Centre Olame

En deux ans et demi, Sœur Bibiane a reçu dans son bureau plus de deux mille mamans et jeunes filles violées par les différents groupes armés congolais ou étrangers qui écument la région et pillent ses richesses. Cette sœur missionnaire de Notre-Dame d’Afrique bénéficiait d’une solide formation d’assistante sociale, ce qui l’a beaucoup aidé dans sa tâche.

Soeur Bibiane Cattin au Point d’Ancrage, centre d’accueil des personnes migrantes et requérants d’asile, à Fribourg (Photo: Jacques Berset)

En tout, le Centre Olame a reçu durant cette période plus de 3’700 femmes et jeunes filles violées, dont nombre d’entre elles avaient été emmenées dans la forêt et transformées en esclaves sexuelles par les miliciens.

Restaurer les forces vitales humaines après des expériences traumatiques

Pour se préparer à cet accueil spécifique, qui demande beaucoup de sensibilité, de doigté et de recul, elle a étudié, de 1999 de 2002, à l’Institut de formation humaine intégrale de Montréal (IFHIM) où elle a été formée à l’Actualisation et à la Restauration des forces vitales humaines dans l’expérience traumatique.

Elle raconte son expérience poignante dans son livre «Pour que la vie l’emporte !», confié à la maison d’édition à compte d’auteur Carte blanche, à Montréal.  Tiré à 1’500 exemplaires, dont près de la moitié seront distribués dès le 27 avril prochain par l’IFHIM à Montréal, les 840 exemplaires du livre en Suisse sont déjà presque tous épuisés.

Les victimes se sentent coupables

Dans son ouvrage, Sœur Bibiane veut partager son expérience: «Cela peut aider certaines personnes à s’en sortir, le message est que l’on peut relever la tête, si on est aidé…» Pour venir en aide à ces personnes blessées au plus profond d’elles-mêmes, dans certains cas rejetées par leur propre famille, qui se sentent souillées par la violence qu’elles ont subie, qui parfois ne veulent même plus vivre, la religieuse a utilisé l’approche de la «restauration des forces vitales humaines», apprise à l’IFHIM.

«Même si elles n’y peuvent rien, si elles ont résisté à un agresseur qui était plus fort qu’elles, les victimes se sentent coupables, comme cette femme mariée qui demande pardon à son mari d’avoir été violée… En lui demandant pardon, elle s’attribue les actions de son agresseur. Mon travail consistait à remettre à l’agresseur la responsabilité de son acte, et de permettre à la victime de prendre une distance, d’arrêter de retourner la colère contre elle-même, de se libérer».

«Il y a eu de nombreuses Maria Goretti»

Et la religieuse jurassienne de relever que ces filles brutalement agressées, si elles tenaient à la vie, n’avaient pas d’autre choix que de se soumettre. «Mais il y a eu de nombreuses Maria Goretti – cette jeune sainte italienne qui perdit la vie en résistant à son agresseur qui voulait la violer – qui ont résisté jusqu’au bout, et qui ont été tuées par ces bandes armées», confie-t-elle à cath.ch.

Soeur Bibiane Cattin au Point d’Ancrage, avec une famille de requérants d’asile (Photo: Jacques Berset)

Dans ce contexte régional, où le machisme est très présent, même dans les milieux d’Église, les femmes sont très vulnérables. Les hommes ont de plus la peur de contracter le sida quand leur épouse a été enlevée et violée par des hommes armés. Mais dans d’autres cas, insiste Sœur Bibiane, des groupes chrétiens, au lieu de rejeter les victimes, organisent au contraire des temps de prière collective interconfessionnelle et proposent des rituels d’accueil des victimes de violences sexuelles vécus en communauté et en famille, suivis d’un repas partagé. C’est une lueur d’espoir dans cette région du Sud Kivu.

Le viol, une arme de guerre

«Avant la guerre dans la région, il y avait bien des viols, mais jamais dans une telle ampleur: le viol est là utilisé comme arme de guerre, pour déstabiliser toute la société, qui est basée sur la famille. Ces actes détruisent la communauté, c’est voulu!», déplore la religieuse. Qui dénonce une insécurité installée à dessein par les groupes armés, qui utilisent la population civile pour extraire les matières premières destinées aux pays industrialisés.

«Pour un salaire de misère, des hommes, des femmes et même des enfants sont obligés de travailler sous leur commandement. Des minerais comme la cassitérite, l’or, le cuivre, le coltan, sont acheminés clandestinement par avion, via les pays voisins, grâce à l’insécurité provoquée par les groupes armés. L’argent ainsi gagné permet à ces groupes de se procurer des armes et de poursuivre la guerre…»  Sœur Bibiane, sans citer de nom, pointe du doigt certaines multinationales suisses qui tirent profit de ce trafic mortifère qui permet la poursuite d’une guerre sans fin à l’Est du Congo, et dont les victimes sont en premier lieu les femmes.


Une Jurassienne des Franches-Montagnes

Bibiane Cattin est née en 1940 dans la commune des Bois, dans les Franches-Montagnes. Elle perd son père très jeune, puis, à l’âge de 12 ans, sa mère, qui lui avait appris à se débrouiller toute seule. Cette expérience de la vie, apprise dès l’enfance, l’a beaucoup servie, notamment pour faire face aux difficultés rencontrées en République Démocratique du Congo (RDC).

A 23 ans, elle quitte le pays pour un séjour de trois ans en Guinée, où elle part en tant que missionnaire laïque. C’est là qu’elle rencontre les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique et qu’elle décide de les rejoindre. Après sa formation religieuse, elle est envoyée au Zaïre, d’abord à Moba, dans le Sud-Est du pays, où elle travaille dans un foyer de jeunes filles. Elle donne la catéchèse pour les enfants. A l’école des catéchistes, elle participe à la formation de leurs épouses. De retour en Europe, elle étudie à Louvain-La-Neuve, en Belgique, et devient assistante sociale.

Au service des requérants d’asile, à Point d’Ancrage

Cette formation lui permet de travailler dans le centre des personnes handicapées de Goma, à l’Est du Zaïre. Une nouvelle nomination la conduit dans la forêt du Maniema, au cœur du pays. Elle y forme les responsables des groupes des femmes qui, à leur tour, vont enseigner aux femmes de leur village.

Après son passage au Centre Olame, elle répond dès 2005 aux demandes d’hôpitaux, d’associations et d’ONG pour une formation spécifique: acquérir des outils afin de pouvoir accompagner les personnes traumatisées. En tout, elle a vécu au Congo RDC pendant trente-cinq ans en tant que religieuse.

Depuis son retour en Suisse en 2010, Sœur Bibiane met chaque mercredi ses connaissances et sa précieuse expérience au service des requérants d’asile, des réfugiés et des sans-papiers à Point d’Ancrage, sis dans les locaux de l’Africanum, à Fribourg. (cath.ch/be)

On peut commander le témoignage de Sœur Bibiane Cattin, «Pour que la vie l’emporte !», par courriel: cattinbibiane@yahoo.fr, ou Bibiane Cattin, Chemin des Kybourg 20, 1700 Fribourg.

 

Soeur Bibiane Cattin, religieuse des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique
23 février 2017 | 02:02
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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