Thérèse de Lisieux, son itinéraire spirituel présenté par Véronique Gay-Crosier | © Ed. Artège
Suisse

Thérèse de Lisieux a popularisé la «sainteté pour tous»

La ‘Petite Thérèse’ (1873–1897) a révolutionné la conception de la sainteté. C’est ce que Véronique Gay-Crosier expose dans son récent ouvrage «Thérèse de Lisieux… Sainte» (éd. Artège), qui retrace l’itinéraire spirituel de la plus célèbre sainte des temps modernes.

L’année 2023 est résolument ‘thérésienne’: sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est née Thérèse Martin il y a 150 ans, elle a été béatifiée il y a 100 ans, et elle est célébrée par l’UNESCO comme une des personnalités mondiales de l’année. Véronique Gay-Crosier voit un clin d’œil de la providence dans la sortie de son ouvrage «Thérèse de Lisieux… Sainte» l’année même de ce double anniversaire.

«Thérèse est ma deuxième bible»

«Thérèse est ma deuxième bible, témoigne Véronique Gay-Crosier. Beaucoup de phrases d’elle m’habitent. Avec le temps, je réalise qu’il y a plusieurs degrés de lecture. On va de mystères en mystères. C’est grâce à elle que j’ai appris à parler à Jésus quotidiennement».

«Croyez-moi, n’attendez jamais au lendemain pour commencer à devenir sainte.»

Thérèse de Lisieux

«Croyez-moi, n’attendez jamais au lendemain pour commencer à devenir sainte.» Cette injonction de Thérèse, l’auteure la retient volontiers comme sous-titre de sa publication. Il s’agit du message principal de son livre et elle l’utilise comme fil rouge de son histoire, pour raconter la vie de cette religieuse emportée par la tuberculose à l’âge de 24 ans.

Véronique Gay-Crosier a étudié la pensée de Thérèse de Lisieux pendant près de vingt ans, entre Rome et Fribourg | © Grégory Roth

Durant ses études romaines à l’Université du Latran, Véronique Gay-Crosier découvre Thérèse de Lisieux et ses écrits un peu par hasard. «Comme je trouvais parfois ardu de faire de la théologie en tant que femme, dans un milieu assez masculin et clérical, le Père François-Marie Lethel, que je connaissais, m’a proposé d’écrire ma thèse sur le thème de la souffrance chez Thérèse».

Un a priori négatif sur l’œuvre de Thérèse

L’auteure avoue avoir même éprouvé quelques réticences au départ. «J’avais un a priori négatif sur l’œuvre de Thérèse. Je ne sais pas d’où cela me venait: j’avais des idées peu favorables à propos d’elle. Et cela s’est confirmé en première lecture: je trouvais son langage assez mièvre, un peu enfantin. Mais comme elle parlait beaucoup de souffrance, il n’était pas question de changer d’auteur».

Deux ans plus tard, alors qu’elle est assistante en théologie morale à l’Université de Fribourg, Véronique Gay-Crosier entame son travail de doctorat sur la sainteté et la perfection chez sainte Thérèse. «À partir de là, je me suis penché méticuleusement sur ses œuvres complètes – 1’500 pages –, que j’ai lues cinq fois… et je l’ai mieux comprise. Depuis toute petite, j’ai beaucoup raisonné, j’ai toujours essayé de rechercher la vérité et surtout, je n’aime pas les questions sans réponse».

«La sainteté n’est pas dans telle ou telle pratique, elle consiste en une disposition du cœur»

Thérèse de Lisieux

Aujourd’hui, son livre reprend l’idée de départ de sa thèse publiée en 2008, mais avec de nouveaux acquis. Et surtout «un immense travail de simplification de la pensée de Thérèse et de simplicité de l’écriture», précise-t-elle. Le livre est articulé autour de trois questions: En quoi consiste la sainteté chez Thérèse? Pourquoi a-t-elle voulu devenir sainte? Et qu’a-t-elle fait pour l’être?

«J’ai toujours désiré d’être une sainte»

Amoureuse de Dieu, Thérèse le dit elle-même: «J’ai toujours désiré d’être une sainte». Une célèbre phrase tirée de ses manuscrits :

«Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une sainte, mais hélas! J’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants. Au lieu de me décourager, je me suis dit: le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté…» (Manuscrit C, 2v°)

«Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté…»

Thérèse de Lisieux

Et Thérèse donne sa vision ou définition de la sainteté à ses consœurs: «La sainteté n’est pas dans telle ou telle pratique, elle consiste en une disposition du cœur qui nous rend humbles et petits entre les bras de Dieu, conscients de notre faiblesse, et confiants jusqu’à l’audace en sa bonté de Père». (Carnet Jaune 3.8.2)

Véronique Gay-Crosier, titulaire d’un doctorat en théologie morale à l’Université de Fribourg | © Grégory Roth

Une progression dans la pensée de Thérèse

Véronique Gay-Crosier se défend de présenter une énième biographie de sainte Thérèse. «Mon livre est une étude avec, pour angle d’approche, la sainteté dans sa vie, et dans ses écrits, sous l’action de Dieu. Je respecte la chronologie des événements, pour bien montrer qu’il y a une évolution et une progression dans ses prises de conscience. Il y a des partages écrits ou des rencontres qui la feront parfois réviser certaines de ses convictions».

Pour illustrer cette progression, l’auteure rappelle l’exemple du ‘chapelet de pratique’. Quand Thérèse était petite, elle exerçait le chapelet de pratique qui consistait à égrainer chaque bonne action en vue de son Salut personnel. Mais avec le temps, elle fera ses bonnes actions pour sauver les âmes et par amour pour les autres. «Je joue à la banque de l’amour […] Je ne m’occupe pas des coups de bourse, c’est Jésus qui les fait pour moi, je ne sais si je suis riche ou pauvre, plus tard, je le verrai et on verra ce que cela rapportera – dit Thérèse à sa sœur Céline».

«A la banque de l’amour, je ne m’occupe pas des coups de bourse, c’est Jésus qui les fait pour moi»

Thérèse de Lisieux

«La développement de l’ouvrage met également en évidence l’enseignement de Thérèse qui est autobiographique. Sa doctrine est incarnée, car ce qu’elle écrit, elle l’a vécu. Même si elle n’a pas eu de visions extraordinaires, Thérèse est une mystique. Dans le sens où elle a été intimement liée à Dieu tout au long de sa vie: le Christ vivait en elle. Et c’est aussi cela la sainteté», relève la théologienne basée en Suisse.

Le livre «invite le lecteur à entrer dans cette démarche de la sainteté, qui n’est pas du tout dépassée», car elle fait écho à l’exhortation apostolique de 2018 du pape François: Gaudete et Exsultate, un appel à la sainteté dans le monde actuel.

GAY-CROSIER Véronique,
Thérèse de Lisieux… Sainte,
éditions Artège, Perpignan, 2023.

Thérèse prépare sa sainteté dans le monde

«Avec Thérèse, il n’y a pas de cloison hermétique entre l’au-delà et l’ici-bas. Elle pensait aller au Carmel pour devenir sainte. Mais comme elle va devoir attendre trois mois avant de pouvoir y entrer, elle va commencer à se préparer dans le monde. Elle commence à fissurer ce mur, infranchissable à l’époque, entre la vie religieuse et le monde. Elle montre que, dans le monde aussi, on peut être bon chrétien et saint. De son temps, c’était inédit, voire révolutionnaire de concevoir la sainteté en dehors du vœu de religion ou du sacerdoce.»

Selon la théologienne, Thérèse devance de 70 ans le chapitre V de Lumen gentium – Constitution dogmatique du Concile Vatican II – qui parle de la vocation universelle à la sainteté dans l’Église. Et ce n’est que 90 ans plus tard – par la voix de Jean-Paul II, dans l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, de 1981 –, que l’Église cessera de mettre plus en avant la virginité par rapport au mariage.

«Je serai l’amour, je serai le cœur de l’Église; ainsi j’embrasserai toutes les vocations»

Thérèse de Lisieux

La rédaction du livre a nécessité trois ans. À la fois pointu et accessible, ce livre nous plonge dans la mystique de Thérèse, en essayant de résoudre les contradictions apparentes, «comme le fait qu’elle dise, d’un côté, qu’il ne faut pas se comparer, alors qu’en même temps, elle a l’air de minimiser ce qu’elle fait par rapport aux grands saints».

L’ouvrage expose en détail l’itinéraire de sa sainteté, de manière pédagogique. «Je la suis, pas à pas, comme dans un reportage, avec ses certitudes et ses doutes, ses hésitations, ses avancées et ses retours en arrière», explique Véronique Gay-Crosier.

«J’embrasserai toutes les vocations»

Une citation de Thérèse qui marque particulièrement l’auteure: «Je suis la faiblesse même; je suis l’impuissance même». «C’est par ces qualificatifs-là qu’elle se définit, alors qu’elle a des désirs infinis – elle voulait être martyr, missionnaire, prêtre, etc. – et elle y répond: «je serai l’amour, je serai le cœur de l’Église, ainsi j’embrasserai toutes les vocations». Je suis touché par cette soif d’infini qui cohabitait en elle avec cette prise de conscience très fort qu’elle a de sa propre finitude». (cath.ch/gr)

Présentation de l’ouvrage et cycle de formation
Véronique Gay-Crosier présente son livre le mercredi 17 février 2023 au Centre Sainte-Ursule à Fribourg. Une soirée «Mercrelivre’, en collaboration avec la Librairie Saint-Augustin. Plus d’informations: www.centre-ursule.ch.

Domiciliée dans le Valais, elle propose également un cycle de trois matinées de cours de théologie mystique «La spiritualité de sainte Thérèse de Lisieux» les samedis 18, 25 mars et 1er avril 2023 à Sion, dans le cadre du projet Altius. Plus d’informations: www.formation-altius.ch.

Thérèse de Lisieux, son itinéraire spirituel présenté par Véronique Gay-Crosier | © Ed. Artège
8 février 2023 | 00:00
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 7 min.
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