Aquarelle de Jérusalem, illustration du livre "A la rencontre de Ta face" | © Marie Gleixner
Suisse

«Toute personne sur mon chemin est un cadeau de Dieu»

Après six mois de marche depuis Genève, Jeanne Pierson arrivait à Jérusalem pour Pâques 2022. De cette expérience intense, elle a tiré un petit livre illustré A la rencontre de Ta Face (Vérone éditions-2023). Elle y raconte les nombreux et enrichissants contacts humains qui ont jalonné son périple.

«Lundi 11 avril (…) demain j’arriverai à Jérusalem, et j’aurai atteint ma destination (…) C’est alors que j’aperçois une petite religieuse âgée qui avance tranquillement dans ma direction (…) Sister Pascale, comme on l’appelle, me regarde en souriant et m’emmène avec elle.»

Telle est l’une des multiples expériences présentées dans A la rencontre de Ta face. La Genevoise Jeanne Pierson l’a écrit après son pèlerinage de 3500 kilomètres par la Suisse, l’Italie, la Grèce, la Turquie, Chypre et la Terre sainte. cath.ch a rencontré l’autrice âgée de 29 ans.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre?
Jeanne Pierson: Les histoires que j’y raconte, je les ai d’abord écrites pour moi, pour m’en souvenir. En rentrant, je me suis rendu compte qu’il était très difficile de partager avec mes amis ce que j’avais vécu. J’ai alors organisé des soirées où je leur lisais mes récits.

J’ai beaucoup aimé le faire. Cela m’a aussi fait prendre conscience des détails oubliés, et qu’il fallait que je me dépêche de tout écrire avant que trop de choses ne s’effacent. Un ami m’a dit qu’il trouvait cela super bien écrit et m’a encouragée à en faire quelque chose. Le premier éditeur à qui j’ai envoyé le texte a été intéressé.

Vous avez certainement vu beaucoup de paysages, vécu beaucoup d’aventures, mais le livre est fortement axé sur les rencontres…
J’ai écrit spontanément, sans me poser ce genre de questions. Mais évidemment que ce n’est pas anodin. Les rencontres ont été l’aspect le plus important de mon pèlerinage. Cela m’est apparu encore plus clairement à mon retour. C’est vrai que j’ai vu des lieux, des paysages incroyables, mais rien ne m’a plus touché que les personnes.

Une maison de Lavaux, sur le parcours de Jeanne Pierson | © aquarelle de Marie Gleixner

Si vous ne deviez retenir qu’une des rencontres décrites dans le livre, laquelle serait-ce?
Je veux en mentionner deux. L’une des plus marquantes a été celle d’un imam et de sa femme, en Turquie. Nous les avions rencontrés alors que nous étions plutôt désespérés en terme de logement et de repas. Ils nous ont invités à manger chez eux le soir. Ils étaient tous les deux très jeunes. Juste pour un soir, s’est créée entre nous une magnifique amitié, alors même que nos réalités respectives étaient très éloignées.

L’autre rencontre est celle de Carlo et Margherita, à Fidenza, au nord de l’Italie. J’avais sonné à toutes les maisons sans succès. Puis, j’ai croisé ce couple d’un certain âge. Carlo avait un air si sévère que j’ai d’abord hésité à les aborder. Mais ils m’ont accueilli chez eux et j’ai vécu une incroyable soirée. Nous avons eu des discussions très profondes sur la spiritualité. Je suis restée en contact avec eux. Carlo m’envoie plein d’articles pour me soutenir dans ma vie de foi, et maintenant je retourne régulièrement les voir. Je n’aurais pas pensé que je trouverais dans la rue mon «grand-père spirituel».

En six mois, vous n’avez jamais eu à dormir à la belle étoile, chance ou providence?
C’était tous les jours un peu le stress de trouver où dormir, et de quoi manger, car j’étais partie sans un sou en poche. Mais dans ma tête, je me disais: c’est peut-être ce soir que je dormirai dehors. Et j’y étais prête. Je me disais que si Dieu voulait que je vive cette déconvenue, c’est que je devais la vivre. Mais il n’en a finalement pas décidé ainsi, et je l’en remercie (rires).

«Ce voyage m’a encore plus confirmé que l’être humain est foncièrement bon»

Partir sans argent, n’y a-t-il pas là une bonne dose d’inconscience?
D’autres pèlerins le font. C’est souvent dans une recherche de dénuement, ou pour faire effectivement l’expérience de la Providence. Ces motifs ont aussi joué pour moi, mais ils étaient secondaires. Je me suis vite rendue compte à quel point le fait d’être complètement démunie obligeait à la rencontre. Si vous voulez manger et avoir un toit, vous devez aller vers les gens. Maintenant, quand je voyage, j’ai de l’argent, mais je remarque à quel point la rencontre est alors plus difficile.

Vous n’avez donc pas fait de mauvaises expériences?
Seulement de façon anecdotique. Bien sûr, je n’ai pas été accueillie chaleureusement partout, bien sûr. Mais je comprends tout à fait cela. Aurais-je moi-même été prête à inviter quelqu’un que je ne connais pas à dormir chez moi? Les gens ont souvent un premier réflexe naturel de méfiance. De nombreuses personnes qui m’ont d’abord décliné l’accueil ont changé d’avis dès qu’elles ont compris que j’allais dormir dehors.

Jeanne Pierson a parcouru 3500 km à pied, de Genève à Jérusalem | © Raphaël Zbinden

La première dame qui m’a hébergée en Italie m’a demandée si je n’avais pas peur d’aller dormir chez des inconnus. Je lui ai répondu que non. Elle m’a dit alors: «Ce n’est pas étonnant, car on attire à soi les personnes qui nous ressemblent, et toi tu as une belle personnalité.»

Qu’avez-vous donc appris sur la nature humaine?
Cela m’a encore plus confirmé que l’être humain est foncièrement bon. Il y a tellement de personnes bienveillantes sur terre que je trouve dommage de ne pas aller vers elles juste à cause de quelques malveillantes.

«Ces six mois ont été pour moi une allégorie de la vie»

Avec quelles autres leçons de vie êtes-vous rentrée?
J’ai rencontré un panel de situations humaines très variées. Parce que, dans ces cas-là, on ne choisit pas qui on rencontre. J’ai vu des situations familiales ou économiques difficiles.

En Grèce, j’ai été marquée par une pauvreté que je ne pensais pas trouver dans un pays de l’Union européenne. Je suis rentrée dans un restaurant où les propriétaires ne pouvaient allumer le chauffage que lorsqu’il y avait des clients. En Turquie, l’eau chaude n’était de loin pas toujours disponible. En Europe de l’Ouest, on ne se rend souvent pas compte de notre confort.

C’était important pour vous d’aller jusqu’à Jérusalem…
Absolument. Même si la raison du voyage était en premier lieu de partir à l’aventure, à la rencontre des gens, de découvrir de nouveaux pays, je voulais que tout cela ait un sens dans ma vie de foi. A Jérusalem, j’ai vécu la fête de Pâques la plus extraordinaire de ma vie. C’était très fort d’être pour la veillée pascale dans le St-Sépulcre. Je m’y étais déjà rendue quelques années auparavant, mais j’étais venue en avion. Le fait d’être cette fois arrivée à pied a donné à l’expérience de Pâques une force incomparable, mais je ne peux pas expliquer exactement pourquoi.

Jeanne Pierson dans un paysage de Turquie | aquarelle de Marie Gleixner ©

Le voyage vous a-t-il transformée spirituellement?
Enormément. Et Deux ans plus tard, j’ai plus de recul pour le constater. Ces six mois ont été pour moi une allégorie de la vie. Je m’y réfère très souvent lorsque je me retrouve en questionnement. Je me demande alors: « Comment aurais-tu réagi si cela t’était arrivé pendant le voyage?». Il y avait des moments pas faciles, mais au moins je savais où j’allais, c’était très simple. Et quand je suis rentrée, je me suis demandé »c’est quoi maintenant ma direction?» Et bien sûr, c’est la Jérusalem céleste. Tout ce qui peut m’arriver ne sont que des aléas sur ce chemin.

Dans ce pèlerinage qu’est la vie quotidienne, les relations humaines sont aussi primordiales…
De retour à Genève, je marchais dans la rue sans mon sac à dos, et je me disais: «C’est nul,  personne ne m’aborde». Rencontrer des gens était devenu tout à coup beaucoup plus difficile. Je me suis rendu compte que c’était à moi de créer ces rencontres, d’aller vers les autres. J’ai compris que ce sont les relations humaines qui me rendent le plus heureuse.

Vers Jérusalem, j’ai partagé la plus grande partie de ma route avec d’autres pèlerins. Des personnes que je n’avais pas fondamentalement choisies de rencontrer, même si j’avais posé le choix de cheminer avec elles. Les relations n’ont pas toujours été faciles, et j’en recherchais le sens. Mais aujourd’hui ces personnes sont devenues centrales dans ma vie, j’ai découvert à posteriori tout ce qu’elles m’ont apporté. Je crois que toute personne sur mon chemin est un cadeau de Dieu. (cath.ch/rz)

Bougies dans le Saint-Sépulcre, à Jérusalem | © aquarelle de Marie Gleixner

cath.ch présente en exclusivité un texte inédit de Jeanne Pierson décrivant son arrivée à Jérusalem:

«C’est aujourd’hui.

Ce matin du 12 avril, je me lève et replie machinalement mon sac de couchage. Je ne me rends pas encore bien compte que seuls quelques kilomètres me séparent de mon but. Une quinzaine de kilomètres dont j’ai préparé l’itinéraire avec soin pour contourner le centre et arriver du bon côté de la ville, sur la colline du Dominus Flevit, car je tiens à embrasser du regard Jérusalem et son Dôme doré avant de fouler du pied les ruelles de la vieille ville.

Quelle immense joie m’habite aujourd’hui.

Au fil de mes pas, je me remémore l’une après l’autre les dizaines de personnes qui ont jalonné mon chemin depuis le tout premier jour. Je prends le temps de revivre chaque moment, et un sourire s’imprime sur mon visage à mesure que les souvenirs, par centaines, tournent en farandole dans ma tête. J’avance à grandes enjambées, la tête haute, l’âme enrichie de ces innombrables rencontres.

J’aimerais faire durer ce sentiment de plénitude pendant des heures et des heures, et cependant je sens la soif du but m’attirer comme un aimant. C’est donc d’un pas alerte que je traverse les quartiers modernes jusqu’au pied des vieux remparts, avant de pénétrer dans l’antique Cité Sainte par la Porte d’Hérode.

Pèlerine parmi les pèlerins, je me fraye un chemin dans la foule et m’oriente tant bien que mal à travers le quartier musulman. Les ruelles défilent à toute allure, je ne prête guère attention aux échoppes et à l’animation qui bat son plein en ce milieu d’après-midi. Tout mon être semble concentré vers une seule direction. Un portail de pierre… m’y voilà.

Devant moi se dresse la façade du Saint-Sépulcre. Combien de fois, au cours des six derniers mois, ai-je imaginé ce moment précis… Émue, je franchis la porte et m’agenouille un instant devant la pierre de l’Onction, selon le rituel séculaire. Puis, impatiente d’arriver à mon véritable but, j’emprunte l’escalier étroit taillé dans la roche et monte dans la chapelle du Golgotha.

Mon Sauveur est là qui m’attend sur la croix. Le cœur léger, je dépose mon sac.»

Jeanne Pierson

Aquarelle de Jérusalem, illustration du livre «A la rencontre de Ta face» | © Marie Gleixner
31 mars 2024 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 8 min.
Jeanne Pierson (3), Jérusalem (167), Littérature (40), Livre (103), Pâques (192), pèlerinage (196)
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