Consommer ou non de la viande lorsque l'on est chrétien? Plusieurs points de vue sont possibles (Photo:Pixabay)
Suisse

Un chrétien peut-il manger de la viande?

Tuer des animaux pour les manger. Un acte justifié d’un point de vue chrétien? En ce mois de novembre 2018, décrété «mois végan» par les milieux associés, cath.ch présente deux points de vue sur la question.

Robert Culat n’est devenu végétarien qu’à 45 ans. Aujourd’hui âgé de 50, l’aumônier de la communauté francophone de Copenhague, au Danemark, est un militant reconnu de la cause animale, au-delà des cercles chrétiens. Un activisme notamment concrétisé à travers deux ouvrages: Méditations bibliques sur les animaux (2015) et Le paradis végétarien (2016).

Le prêtre catholique explique avoir acquis de façon très progressive la conviction qu’il était préférable d’écarter la viande de son régime alimentaire. Sa préoccupation pour le devenir de l’humanité et de la création l’a d’abord amené à se pencher sur les causes des famines dans le monde. En se documentant sur les effets pervers du système alimentaire, Robert Culat est «fatalement» tombé sur le point-noir de l’industrie de la viande. «Ce fut un véritable choc. Comme certainement une majorité de la population aujourd’hui, je ne savais rien du fonctionnement de cette industrie».

Robert Culat est aumônier de la communauté francophone de Copenhague (Photo:dr)

Le prêtre regarde des vidéos, lit des articles et des livres qui révèlent en profondeur la «cruauté et l’irrespect» pour les animaux qui sont de mise dans ces filières. «Le plus choquant est la réalité de l’élevage intensif, où le seul but est de maximiser les profits et où le bien être de l’animal passe totalement au second plan. En tant que chrétiens, nous ne pouvons qu’être révoltés par ce système qui consiste à se faire du fric sur la souffrance de ces créatures».

«L’industrie de la viande a un impact énorme en matière de CO2»

Pour le Père Culat, ce système nuit tout autant aux hommes qu’aux animaux. «Il faut se rendre compte du mal-être psychologique auquel sont soumises beaucoup de personnes travaillant dans les abattoirs. Se retrouver ainsi exposé régulièrement à la souffrance, aux cris, aux odeurs, au sang, ne peut pas être sans effet sur le mental».

Ce système est également délétère sur le plan écologique, assure le prêtre. L’industrie de la viande a un impact énorme en matière de CO2. Elle est l’une des principales causes du réchauffement climatique. Elle implique aussi, notamment en Amazonie brésilienne, des phénomènes de déforestation de pollution et d’expulsions de populations. «Tout chrétien qui se préoccupe de la justice et de la sauvegarde de la création devrait avoir cela à l’esprit», souligne-t-il.

Les conditions de travail dans les abattoirs sont souvent dénoncées | © Remo Cassella/Flickr/CC BY-NC 2.0

Au-delà de ces aspects, le végétarisme est avant tout pour le prêtre un choix éthique, lié au respect de l’animal. «La grande question est pourquoi faire souffrir inutilement des créatures de Dieu, car le fait est que nous pourrions très bien nous passer de viande». Il trouve ainsi dans la Bible des arguments confortant son choix de vie. Notamment, en ce qu’il nomme le «verset méconnu» de la Genèse, selon lequel, «Dieu dit: ‘Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence; ce sera votre nourriture» (Genèse, 1, 29). Pour le Père Culat, Dieu a donc donné dès le commencement à l’homme un régime végétalien.

«Il existe dans l’Eglise, d’un certain ‘tabou’ concernant la non-consommation de viande»

Il admet que celui-ci sera plus tard modifié, Dieu indiquant, plus loin dans le même Livre: «Tout ce qui remue et qui vit vous servira de nourriture comme déjà l’herbe mûrissante, je vous donne tout.» (Genèse, 9, 3) Mais, pour le prêtre français, il s’agit là d’une «concession à la méchanceté de l’homme», à laquelle Dieu a répondu par le quasi anéantissement de sa création à travers le déluge. Pour lui, Dieu adapte en fait toujours ses exigences à la maturité spirituelle de l’homme. Ainsi, Jésus expliquera à plusieurs reprises dans les Evangiles que certaines lois, telles que la possibilité pour le mari de répudier sa femme, avaient été données à cause de «l’endurcissement du cœur» de l’homme. Selon ce principe, Robert Culat considère que l’humanité peut et doit, aujourd’hui, reconsidérer ses pratiques de consommation carnée et revenir aux fondamentaux végétariens des débuts de la création.

Même s’il ne pense pas que cela pourra survenir de son vivant, il juge essentiel de sensibiliser les croyants à cette thématique. Il se réjouit ainsi qu’une grande partie de la population et des catholiques soit de plus en plus conscients des problématiques liées à la souffrance animale. Pour lui, l’encyclique du pape François Laudato Si’ a marqué une étape décisive dans ce domaine. Il salue notamment la «prise de distance historique» du catholicisme avec une certaine vision «anthropocentrée» issue de la Bible, qui a beaucoup nuit au rapport entre l’homme et la nature. Il regrette toutefois que le pape ne cite pas une seule fois l’option végétarienne. Robert Culat note ainsi la subsistance, dans l’Eglise, d’un certain «tabou» concernant la non-consommation de viande.

Aux commencements, Dieu aurait donné aux hommes une alimentation végétalienne

Jean-Blaise Fellay n’a pas l’intention, lui, de délaisser la viande. Ce type de pratiques s’inscrit, pour le jésuite, dans les principes de l’univers tel que Dieu l’a créé. «L’ordre du monde est basé sur la consommation d’êtres vivants par d’autres êtres vivants. Car les végétaux également sont vivants, et la science nous apprend même qu’ils peuvent ressentir les choses, qu’ils réagissent à une agression». La question de la souffrance est donc pour lui plus complexe que ce que les partisans du végétarisme peuvent prétendre. «La souffrance fait partie intégrante de la vie, elle est inévitable, elle est partout», souligne le religieux établi au Centre Notre-Dame de la Route, à Villars-sur-Glâne (FR).

Jean-Blaise Fellay est responsable des programmes à Notre-Dame de la Route | © Raphaël Zbinden

Il rappelle que ces notions de souffrance et de mort tiennent un rôle central dans le christianisme. «La prédication de Jésus-Christ sur l’amour comme accomplissement parfait de la Loi trouve une apothéose dans sa mort sur la croix, un sacrifice sanglant, qui est à la fois un pardon et une alliance nouvelle». Pour le jésuite, grâce au sacrement, l’immolation devient partage et communion. «Le chrétien dès lors n’a plus à craindre ni le monde ni la chair, explique-t-il. Il peut, il doit, devenir fraternel avec toute la création, les plantes, les animaux, la nature, les hommes, car tous sont issus de la bienveillante bonté de Dieu. Comme le ressentait si bien François d’Assise».

Pour Jean-Blaise Fellay, cette fraternité avec le monde animal, ne signifie cependant pas qu’il faille lui éviter toute souffrance. Il soutient que l’on peut avoir le plus grand respect et amour pour les animaux tout en les consommant. «J’ai longtemps côtoyé des paysans de montagne, confie le religieux d’origine valaisanne. Et j’ai toujours été étonné par l’amour qu’ils manifestaient pour leurs vaches. Ce qui ne les empêchait pas de les manger. De même, de nombreux peuples premiers, qui ont un respect extrêmement profond pour leur environnement, trouvent normal de chasser pour se nourrir».

 »Le chrétien doit réserver en premier lieu son indignation pour le malheur humain»

Il ne croit ainsi pas envisageable que l’humanité cesse de manger de la viande. «Des systèmes économiques entiers sont établis sur cette industrie et il serait très difficile pour les populations de se procurer, sans ces derniers, les protéines suffisantes pour son alimentation».

Il se méfie également des discours «anti-viande». «Cette aversion pour la nourriture carnée existait déjà dans d’anciens courants chrétiens tels que la gnose ou les cathares. Il s’agissait d’une métaphysique particulière, dans laquelle le corps, la matérialité étaient associés au mal». Pour le jésuite, on retrouve dans certains mouvements actuels, tels que le véganisme, cette utopie de «pureté» et ce rejet de la corporalité. «On y perçoit une forme d’horreur sacrée provoquée par la mise à mort du bétail et la consommation de sa chair, assure-t-il. Je me demande si la lutte du véganisme contre la souffrance animale- absolument justifiée n’en doutons pas – ne cache pas une forme de désespoir. Elle est si violente qu’elle me paraît motivée par une peur atroce de la mort, du vide, du non-sens de l’existence humaine. Je crains que ces adeptes ne voient en l’homme rien d’autre que des animaux sans âme et sans avenir.»

De nombreux animaux se nourrissent d’autres animaux | © Tambako The Jaguar/Flickr/CC-BY-ND 2.0

Or, pour Jean-Blaise Fellay, le christianisme n’est pas une religion de la désincarnation, mais de «l’incarnation». Une réalité dont la consommation de viande fait partie. Il en veut pour preuve le fait que Jésus ait demandé à ses disciples de manger sa chair et de boire son sang. «Dans l’eucharistie, Jésus se donne en nourriture».

Il perçoit également, chez les partisans «anti-viande» une tendance à se focaliser sur les animaux et à reléguer au second plan les souffrances humaines. «Les personnes qui déversent du sang devant les boucheries, on ne les voit pas manifester devant les ambassades contre la mort des enfants dans les guerres, note-t-il. A mon sens, le chrétien doit toujours réserver en premier lieu son indignation et son énergie pour le malheur humain», souligne le jésuite. (cath.ch/rz)

Consommer ou non de la viande lorsque l'on est chrétien? Plusieurs points de vue sont possibles
8 novembre 2018 | 00:15
par Raphaël Zbinden
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