En Suisse, les personnes de même sexe ont accès au PACS (Pixabay.com)
Vatican

Unions homosexuelles: chronique d'un coup médiatique

«Les personnes homosexuelles ont le droit à une famille (…) ce que nous devons faire est une loi de cohabitation civile.» Cette déclaration du pape François, défendant l’accès à un statut légal d’union civile pour les couples homosexuels, a fait sensation le 21 octobre 2020. L’emballement médiatique mondial contraste fortement avec les analyses des spécialistes qui rappellent qu’il n’y a là aucun scoop. Décryptage.

Dans sa récente encyclique Fratelli tutti le pape François consacre quelques paragraphes à l’information sans sagesse (n° 45-50). Il y décrit les dérives d’une information instantanée, «d’une dynamique qui, de par sa logique intrinsèque, empêche la réflexion sereine qui pourrait nous conduire à une sagesse commune.» (n° 49).
Ces quelques lignes illustrent bien le phénomène d’emballement médiatique autour de ses déclarations sur l’union civile de personnes de même sexe.

L’affaire part d’un documentaire sur le pontificat du pape François, réalisé par le cinéaste américain d’origine russe Evgeny Afineevsky et présenté à Rome dans l’après-midi du 21 octobre 2020, lors de la fête du cinéma. Un certain nombre de journalistes y assistent. Leur attention est attirée par le passage où le pape parle d’homosexualité. La mise en scène du cinéaste, réalisée à partir de divers extraits d’interviews, fait parfaitement son effet. Immédiatement, les journalistes se mettent à leur clavier et alertent leurs rédactions centrales.

Un scoop fabriqué de toutes pièces

Trop peu de journalistes rappellent qu’il s’agit d’un montage de paroles du pape forcément prononcées dans le passé. Mais l’effet de la nouveauté, du scoop, est trop attrayant. L’AFP, autour de qui gravite toute l’information francophone mondiale, écrit: «Le pape François a défendu mercredi très explicitement le droit des couples gays, ‘enfants de Dieu’ de vivre au sein d’une union civile». On est très près de la fake news.

Couples de même sexe (photo © 2012 Danilo Urbina, Flickr, CC BY-NC-ND 2.0)

Tout le monde s’engouffre sur cette piste. Les gros titres se multiplient en quelques heures pour exulter ou pour crier à l’hérétique: «Le pape François soutient le mariage gay»; «Révolution dans l’Eglise catholique»; «Le Vatican soutient les unions civiles entre personnes de même sexe»; «Mariage des homosexuels: Le pape François donne son accord». «Unions contre-nature: le coup de poignard de François». Curieusement, les seuls à ne pas surenchérir sont les médias liés à la communauté homosexuelle dont les titres restent sobres: «Le pape François avance timidement sur les unions civiles».

Sur Facebook, les passions se déchaînent que l’on appartienne à un camp ou l’autre. Chaque post suscite des dizaines voire des centaines de likes et de commentaires. Certains chantent ‘Alleluia’, d’autres hurlent ‘Vade retro Satanas!’ (Arrière Satan!). La cacophonie est totale, le dialogue est réduit à l’invective. A un point tel que l’auteur du film, Evgeny Afineevsky, s’étonne que «les commentaires du pape aient créé une telle tempête».

«L’habitude s’instaure de séparer immédiatement ce que j’aime de ce que je n’aime pas»

Pape François

Le silence et l’écoute ont disparu

«Alors que le silence et l’écoute disparaissent, transformant tout en clics ou en messages rapides et anxieux, cette structure fondamentale d’une communication humaine sage est menacée» (n° 49), analyse le pape François dans son encyclique. «La vraie sagesse suppose la conformité avec la réalité. Mais aujourd’hui tout peut être produit, dissimulé, altéré. De ce fait, la confrontation directe avec les limites de la réalité devient intolérable. En conséquence, on met en place un mécanisme de «sélection» et s’instaure l’habitude de séparer immédiatement ce que j’aime de ce que je n’aime pas, ce qui est attrayant de ce qui est laid. En suivant la même logique, on choisit les personnes avec qui on décide de partager le monde.»

Rien de nouveau, ni d’hérétique

Quelques personnalités, plus au fait des positions du pape François, tentent de désamorcer la polémique. Le jésuite Antonio Spadaro, directeur de la revue Civilta cattolica et proche du pape François, intervient le même soir sur TV2000, la chaîne de l’Eglise italienne. Il n’y a rien de nouveau, rien qui soit contre la doctrine catholique, explique-t-il. En tant qu’archevêque de Buenos-Aires, Jorge Mario Bergoglio avait déjà défendu ces positions. «Ce qui reste et ce qui frappe, c’est la capacité d’écoute que le pape manifeste», juge-t-il.

«La rapidité du monde moderne, la frénésie nous empêchent de bien écouter ce que dit l’autre»

Pape François

«Le monde contemporain est sourd»

«L’accumulation écrasante d’informations qui nous inondent n’est pas synonyme de plus de sagesse, poursuit le pape dans Fratelli tutti. La sagesse ne se forge pas avec des recherches anxieuses sur internet, ni avec une somme d’informations dont la véracité n’est pas assurée. Ainsi, elle ne mûrit pas pour devenir rencontre avec la vérité» (n° 50). Le pontife invite à «rechercher la vérité ensemble dans le dialogue, dans une conversation sereine ou dans une discussion passionnée. C’est un cheminement qui demande de la persévérance, qui est également fait de silences et de souffrances, capable de recueillir patiemment la longue expérience des individus et des peuples» (n° 50).

«Le monde contemporain est en grande partie sourd. Parfois, la rapidité du monde moderne, la frénésie nous empêchent de bien écouter ce que dit l’autre. Et au beau milieu de son dialogue, nous l’interrompons déjà et nous voulons répondre alors qu’il n’a pas fini de parler» (n° 48). Une injonction que les journalistes devraient prendre le temps de méditer. (cath.ch/mp)

«Appelons l’union du même sexe ‘union civile’»
Au-delà de l’analyse nécessaire du montage effectué par le réalisateur du documentaire, l’opinion réelle du pape François sur les unions civiles ressort de manière explicite dans l’ouvrage d’entretiens Politique et société avec le sociologue français Dominique Wolton, publié en 2017.
A la question: «Que penser du mariage avec des personnes de même sexe? Le pape répond d’abord sur la terminologie en disant que le mot mariage est un mot ‘historique’: «Depuis toujours dans l’humanité, et non pas seulement dans l’Eglise, c’est un homme et une femme. On en peut pas changer cela comme ça ‘à la belle étoile’ (en français dans le texte). C’est la nature des choses. Elles sont comme ça.»
Revenant aux unions homosexuelles, le pape ajoute: «Appelons donc cela les ‘unions civiles’. Ne plaisantons pas avec les vérités. Il est vrai que derrière cela, il y a l’idéologie du genre. Dans les livres aussi, les enfants apprennent que l’on peut choisir son sexe. Parce que le genre, être une femme ou être un homme, ce serait un choix et pas un fait de la nature? Cela favorise cette erreur. Mais disons les choses comme elles sont: le mariage, c’est un homme avec une femme. Ça, c’est le terme précis. Appelons l’union du même sexe ‘union civile’». MP

En Suisse, les personnes de même sexe ont accès au PACS (Pixabay.com)
22 octobre 2020 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
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