Le pape a critiqué le "fonctionnarisme" des structures des médias du Vatican | © Vatican media
Dossier

Vatican: crise au sein du Dicastère pour la communication 1/2

28 mai 2021 | 09:50
par I.MEDIA
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«Il était attendu comme un père», abonde un journaliste du Vatican. La visite prévoyait même une petite adresse aux auditeurs de Radio Vatican puis un moment de questions-réponses avec les équipes. Le passage du pape François dans les locaux des médias du Vatican, le 24 mai 2021, a révélé un malaise profond au sein de cette institution. Enquête.

Par l’agence I.MEDIA

«Cela devait être une fête». En se rendant pour la première fois dans les bureaux du Dicastère pour la communication depuis sa fondation en 2015, le pape François répondait à une longue attente. Sa venue, à l’occasion de deux anniversaires prestigieux, celui de Radio Vatican (90 ans) et de L’Osservatore Romano (150 ans), devait permettre d’apporter du réconfort à des employés éprouvés par leurs conditions de travail, notamment durant la pandémie.

À 9h, le pape François rentre dans les locaux du Palazzo Pio, siège des médias du Vatican. L’accueil qui lui est fait est chaleureux, mais le pontife a la mine des mauvais jours, et les premières paroles qu’il lâche au micro de la radio font l’effet d’un coup de massue: «Il y a beaucoup de raison de s’inquiéter pour L’Osservatore Romano ou Radio Vatican». Et de remuer publiquement le couteau dans la plaie: «Combien de personnes atteignons-nous?» Bref, il leur demande de revoir sérieusement la copie. 

Quelques instants plus tard, le Souverain pontife continue son réquisitoire dans la salle de conférence Marconi, refusant de se prêter à la session d’échanges prévue. «J’ai vu cet immeuble bien organisé, et j’aime ça […] maintenant, le problème est de faire en sorte que ce système vaste et compliqué fonctionne », lâche-t-il, pointant à nouveau du doigt le «fonctionnarisme» qui paralyse la créativité et la prise d’initiative.

Dans les bureaux modernes du Palazzo Pio – que le pape vient de comparer à une « montagne qui accouche d’une souris » – tout le monde est sonné. Les premières réactions sont sans appel, on parle «d’électrochoc», de «brutalité», «d’incompréhension», voire même, «d’humiliation».

Rumeurs de démission à la tête du dicastère

Même les plus optimistes reconnaissent que les mots de l’évêque de Rome ont provoqué un réel «malaise». Au sein des rédactions, certains pleurent.  On savait que quelque chose était cassé entre le pape et ses médias: on en a eu la confirmation implacable», analyse un journaliste du Vatican.

Dans l’après-midi, des rumeurs de démission du préfet du dicastère, Paolo Ruffini, ainsi que du directeur éditorial, Andrea Tornielli, circulent. Pour les deux hommes, la visite a été un véritable «désaveu» et une «gifle», considèrent certains.

«Dans la soirée, Ruffini avait quasiment écrit sa lettre de démission», raconte une source. En fin de journée, l’Italien va recroiser le pontife, sans échanger avec lui, lors d’une projection organisée au Vatican. Certains «redoutent» le départ du premier préfet de dicastère laïc et ses conséquences, quelques «ennemis» en interne le souhaitent, confie une source bien placée.

La nuit passe. Au matin, le vent semble avoir tourné. «Il n’est plus question de démission désormais» pour Paolo Ruffini, souffle-t-on. Épaulé d’Andrea Tornielli, l’Italien de 64 ans convoque les responsables du dicastère pour une longue réunion matinale.

Leur donnant une «lecture positive» des remontrances de la veille, il semble, selon des proches, qu’il ait décidé «d’avaler la couleuvre», comme «un bon soldat». Son but aurait été d’insuffler un peu d’espérance chez des employés «ébranlés» voire «totalement démoralisés» par les événements de la veille. Néanmoins, si la tempête semble être passée, le scepticisme règne toujours.

Une institution trop «fonctionnariste»?

S’il est une surprise pour beaucoup, ce coup de sang est l’aboutissement de longues années de frustration pour le pape. Depuis 2015 et sa grande réforme, il ne semble pas satisfait de la forme que prend sa communication.

Après avoir pourtant lui-même nommé Paolo Ruffini à la tête du Dicastère en juillet 2018 succédant à Mgr Lucio Adrian Ruiz et Mgr Dario Vigano (tous deux encore en activité au sein de l’organe du Saint-Siège), le pontife continue à douter de l’efficacité de l’institution qui ne parvient pas à toucher un public large. Dans son viseur, sans doute, L’Osservatore Romano qui ne tirait plus qu’à 5’000 exemplaires papier par jour avant la crise sanitaire pour une soixantaine d’employés dont une vingtaine de journalistes.

En 2019, un cardinal haut placé, intime du pape François, confiait à I.MEDIA que l’Argentin trouvait ses médias «trop rigides et pas suffisamment professionnels».

De trop nombreux responsables

«Le pape ne comprend pas le rôle de sa communication, il pense que ce sont ses ennemis», regrette un responsable du dicastère pour la communication. Une situation difficile à comprendre pour ce dernier, dans la mesure où chacun des dirigeants en place a été nommé personnellement par le pape.

Cependant, toujours selon cette même source, si la forme des reproches exprimés par le pontife est «brutale», le fond reste selon lui justifié. Avec ses «trop nombreux responsables», le fonctionnement de la communication perd en clarté, reconnaît-il. D’autant qu’entre le directeur du dicastère Paolo Ruffini, le directeur éditorial Andrea Tornielli, le directeur de L’Osservatore Romano, Andrea Monda et le directeur de la salle de presse, Matteo Bruni, les rapports professionnels peuvent être difficiles et concurrentiels, confient certains observateurs.

«Il y a un problème clair de management»

Mais l’institution pâtit d’après lui plus de l’incompétence de certains fonctionnaires «qui n’ont aucune connaissance de la communication» que de son fonctionnarisme, analyse-t-il, avant d’ajouter: «si des compétents étaient nommés cela fonctionnerait certainement».

«Les personnes compétentes dans le dicastère n’ont pas la possibilité de contribuer à améliorer les choses parce que certains incompétents les menacent», renchérit-il. Pire, des employés se plaignent de comportements abusifs, voire de maltraitance, émanant de l’un d’entre eux.

«Il y a un problème clair de management», déplore pour sa part un journaliste de Vatican News. À cela s’ajoute dans certaines rédactions un «papisme» qui nuit au travail journalistique. «Cela les empêche de comprendre que le pape ne veut plus qu’ils se contentent de dire «amen» à tout ce qu’il fait et de célébrer bêtement le pontificat». «Une vraie schizophrénie règne, selon lui, et contribue à un fonctionnement interne très inégal». 

Un jésuite proche du pape tempère: pour lui, les difficultés que rencontrent les communicants s’expliquent par la réforme voulue par le pontife il y a plusieurs années maintenant. «Ils sont en plein dedans même s’ils ont beaucoup avancé», reconnaît-il. «C’est normal qu’ils continuent dans ce processus de réforme et c’est un processus humain. On a tous du mal à changer nos habitudes».

Une «crise d’identité» chez les rédacteurs?

Reste que la crise qui couve au sein du dicastère pour la communication révèle des difficultés plus profondes encore. Les personnes qui y travaillent sont-elles les simples communicants d’une parole officielle ou bien des journalistes dotés d’une indépendance éditoriale? La demande insistante que le pape leur a formulée lors de sa récente visite – «prendre des risques et ne pas demander la permission» – correspond-elle bien à la nature de leur fonction?

La question se pose. Car au quotidien, les rédacteurs travaillent en sachant que leur production éditoriale apparaît aux yeux du monde – profane, ecclésial ou encore diplomatique – comme la parole officielle du Saint-Siège. La Secrétairerie d’État veille en outre à ce qu’aucune information sortant des canaux médiatiques officiels ne vienne parasiter un dossier diplomatique épineux.

Dans un tel environnement, un travail journalistique créatif et audacieux est-il réellement possible? À l’intérieur de la machine, certains n’hésitent pas à parler d’une tension inextricable qui, in fine, provoque une «crise d’identité». (cath.ch/imedia/ah/cd/hl/cg/bh)

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