Traditionnelle bénédiction de nourriture, le Samedi Saint, dans l'église de Villeneuve (VD) | © DR
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Villeneuve: la communauté polonaise donne des couleurs à l’Eglise

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Entre Villeneuve (VD) et Lausanne, la communauté polonaise est intégrée depuis des décennies dans le paysage ecclésial. Elle garde vivante la ferveur de foi ainsi que les traditions festives et colorées du pays natal, qu’elle s’efforce de faire découvrir autour d’elle.

Des petites filles en habits traditionnels posent devant le prêtre les paniers fleuris remplis du pain, des œufs, du saucisson, qui seront bénis avant d’être consommés pour la fête de la Résurrection. Cette coutume du Samedi de Pâques, l’une des plus populaires et spectaculaires de l’année liturgique polonaise, se vit également sur la riviera vaudoise.

La conservation de cet héritage est l’un des engagements de la communauté polonaise de Villeneuve. «Ce lien avec le pays natal est important pour nous, explique à cath.ch Beata Kamhi, présidente de la communauté. Les Polonais pratiquants sont très attachés à leur liturgie. Il y a une façon de prier, de célébrer, qui n’est pas tout à fait la même qu’ailleurs.» Un héritage dont la langue est également l’un des piliers. Un aspect important concerne notamment le sacrement de la réconciliation. «Au-delà des raisons de maîtrise du français, les Polonais préfèrent souvent réaliser le geste intime de se confesser dans leur langue maternelle.»

Enfants de la communauté polonaise de Villeneuve (VD) lors de la Fête-Dieu | © DR

Une communauté diverse

La communauté de Villeneuve est issue de la mission linguistique polonaise de Marly, fondée en 1950 par le Père Joseph-Marie Bochenski (1902-1995). Elle propose depuis un certain temps des messes en polonais deux fois par semaine dans l’église du Sacré-Cœur de Villeneuve et dans celle de St-Etienne à Lausanne. De 50 à 100 personnes assistent aux offices le weekend. Il s’agit en très grande partie de ressortissants polonais habitant dans la région.

Ils composent une communauté très diverse, avec un «noyau dur» de fidèles, qui vivent ici depuis des décennies, indique Beata Kamhi. Elle-même est arrivée à Montreux en 2002, avec son mari et ses deux filles. Au-delà, la communauté est très changeante. Des cadres travaillant pour les multinationales de la région ne restent parfois que quelques années. Même chose pour les étudiants des universités.

Des saisonniers, employés notamment pour les vendanges, ne viennent que pour quelques mois. «Des personnes de tous les niveaux sociaux et de toutes les régions de la Pologne se retrouvent aux messes ou aux événements. Mais comme tout le monde partage la même foi et la même culture personne ne remarque ces différences», relève la présidente de la communauté.

Le sens de la famille

Des messes polonaises qui sont «peut-être un peu plus bruyantes» que d’autres ici, s’amuse Beata Kamhi. Eu égard aux nombreux enfants qui d’habitude parsèment les rangs. C’est qu’en Pologne, la religion est une affaire familiale. «C’est réjouissant de voir tous ces enfants. Cela est bien accueilli, car nous sommes habitués au mélange des générations. Cette idée que la famille est une richesse à préserver est peut-être aussi quelque chose que les Polonais peuvent apporter en Suisse».

Un spectacle de la communauté polonaise à Lausanne (VD) | © DR

C’est également ce que pense l’abbé Karol Ciurko, responsable de la communauté. «Sans doute que la participation nombreuse, et avec beaucoup de jeunes, des Polonais aux messes peut encourager l’Eglise en Suisse». Il précise que, pour les messes en polonais, les portes sont ouvertes à tous. Les textes de prières sont ainsi affichés sur l’écran en polonais et en français. La communauté compte un certain nombre de familles issues de mariages mixtes entre des Polonais ou des Polonaises et des Suisses ou des étrangers.

Partage d’expériences

Mais s’ils sont attachés à la liturgie du pays natal, beaucoup de membres de la communauté se rendent aussi à la messe en français. «Les Polonais sont très soucieux de la conservation de leur culture, qui est aussi liée à la religion. Cela tient en partie à des raisons historiques. Notamment le fait que la Pologne ait longtemps dû lutter pour simplement pouvoir exister. En même temps, ils sont extrêmement respectueux du pays où ils immigrent, considèrent comme un devoir de s’intégrer et de contribuer à la société.»

Beata Kamhi, présidente de la communauté polonaise de Villeneuve (VD) | © Raphaël Zbinden

Cette mentalité amène la communauté à entretenir des relations étroites avec l’Eglise locale. «Nous avons des liens très amicaux, très solides, assure Beata Kamhi. Nous nous sentons pleinement considérés, notamment dans notre besoin d’utiliser des lieux de culte pour les messes en polonais. En contrepartie, nous essayons de faire découvrir aux fidèles d’ici toutes nos traditions que nous trouvons belles et pleines de sens.»

L’abbé Ciurko ne travaille en fait qu’à 20% pour la communauté polonaise. Le reste de son temps est consacré à l’Unité pastorale (UP) Riviera-Pays d’en-Haut, dont il est le curé modérateur. Pour la communauté, il est secondé par l’abbé Pawel Mendyk, qui a la fonction d’aumônier. Ce double engagement dans la communauté locale et linguistique va dans le sens de la réforme voulue par Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, dans l’objectif de favoriser le partage d’expériences entre les divers groupes au sein de l’Eglise.

Engagement dans l’Eglise locale

Des représentants de la communauté participent également aux conseils des paroisses locales. Ils sont le plus souvent impliqués dans l’organisation de la vie spirituelle. Beata elle-même s’engage pleinement dans la paroisse de Montreux, notamment comme zélatrice et lectrice.

Enfants de la communauté polonaise de Villeneuve (VD) lors de la Fête-Dieu | © DR

Les contacts sont constants avec l’Eglise catholique dans le canton de Vaud, dont les représentants sont chaque fois invités aux événements. L’ancien vicaire épiscopal Christophe Godel venait fréquemment à la messe de Noël, toujours suivie d’un repas traditionnel. «Sa venue était très appréciée, aussi parce qu’il s’efforçait souvent de dire quelques mots en polonais», se souvient la native de Varsovie. Elle espère que le nouveau représentant de la région diocésaine, Michel Racloz, entré en fonction fin 2021, pourra également venir.

Prières multilingues

La contribution à la vie ecclésiale locale passe notamment par l’organisation des grandes fêtes religieuses en dehors des lieux de culte de la communauté. La procession polonaise de la Fête-Dieu, qui a eu lieu pour la première fois au Marché couvert de Montreux en 2018, a été réalisée conjointement avec les paroisses locales et d’autres groupes linguistiques. «La manifestation a eu un grand succès. Beaucoup de gens se sont montrés intéressés. Les retours ont été très positifs, aussi de personnes pas du tout en lien avec l’Eglise».

En 2022, la Fête-Dieu a été célébrée à Villeneuve, au bord du lac. Une belle expérience pour Beata Kamhi, qui remarque que les célébrations catholiques publiques ne sont pas très fréquentes dans le canton de Vaud. La communauté polonaise marque chaque année la fête du Corpus Christi par une procession vers les quatre reposoirs présents à Villeneuve et à Lausanne, autour des locaux de l’église.

Chaque premier samedi du mois, une célébration de Fatima a également lieu à Villeneuve, avec une procession de la statue de la Vierge, richement décorée. «On y prie en différentes langues, chacun le fait dans sa langue maternelle. Et nous avons eu des prières dans des langues du monde entier. C’est toujours un moment très beau et très émouvant», souligne Beata Kamhi.

Procession de la Fête-Dieu, avec la communauté polonaise, à Montreux, en 2018 | © DR

Echange profitable

Les membres de la communauté souhaitent bien sûr faire découvrir encore d’autres de leurs traditions religieuses. Un projet de préparation du tombeau du Christ dans l’église, comme cela se fait en Pologne, est prévu pour Pâques 2023.

Des démarches que Beata Kamhi souhaite cependant amener avec un maximum de tact. «Nos relations sont vraiment très bonnes avec la communauté suisse. Mais il faut être conscient que les sensibilités religieuses sont un peu différentes. Nous voudrions ainsi éviter de faire des choses que des personnes pourraient désapprouver. C’est sans doute là une préoccupation pour toutes les communautés linguistiques: nous voulons apporter nos contributions et nos idées sans que l’on puisse penser que nous nous imposons. Mais au final, je suis persuadée que si on propose des choses avec humilité et que l’on communique bien le sens de ce que l’on fait, l’échange ne peut être que profitable». (cath.ch/rz)

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Traditionnelle bénédiction de nourriture, le Samedi Saint, dans l'église de Villeneuve (VD) | © DR
20 septembre 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden

Les missions linguistiques composent une partie importante du paysage de l’Eglise en Suisse romande. Afin de mieux les connaître, cath.ch propose, dans la série «Missions linguistiques en lumière» de partir à leur rencontre.

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