Matinée œcuménique dans le cadre de la Schubertiade 2025
François Schlaeppi, pasteur réformé, et Jean-François Maillard, agent pastoral catholique – Temple Protestant, Sion, VS
1 er IMPROMPTU : Le chant de la Création
Livre de la Genèse 1, premier chapitre
COMMENTAIRE (Jean-François Maillard)
Au commencement, Dieu crée le ciel et la terre…
Quel est donc ce commencement ? Est-ce le Big Bang qui se serait produit il y a plus de 13 milliards d’années ?
Le livre de la Genèse ne nous oriente pas vers le passé, mais bien vers l’aujourd’hui de nos vies : Dieu ne cesse pas de créer ! Les paroles que nous avons entendues ne cherchent pas à nous expliquer comment s’est déroulée la création, ni en combien de jours, mais plutôt à nous révéler quelle est la place de l’humanité dans le monde d’aujourd’hui.
L’homme et la femme, créés à l’image de Dieu, sont placés au sommet de la création, en 2025 comme au temps d’Abraham : Dieu les bénit pour qu’ils remplissent la terre et en soient les maitres. Mais ce don de Dieu est accompagné d’une mission, d’une responsabilité : l’homme et la femme sont appelés à cultiver la terre, à la garder.
La terre, la mer, les lacs, les truites, les glaciers et les rivières sont, comme nous, des créatures, et nous sommes responsables de les garder pour nos frères humains d’aujourd’hui et de demain, pour que ces dons si précieux continuent de produire de bons fruits.
Le repos de Dieu après les six jours de la création n’est pas un abandon. Dieu continue de nous bénir et de nous guider dans cette belle mission. Alors, acceptons-nous de participer à cette magnifique création qui est en gestation, en travail d’enfantement ?
INACHÈVEMENT (François Schlaeppi)
De même que la plus belle symphonie, créée par le compositeur dans le secret de sa chambre, ne prend vie que lorsque l’orchestre la transmet aux oreilles et au cœur des auditeurs, la création ne reste-t-elle pas inachevée tant que des hommes et des femmes ne la cultivent pas, mettant ainsi librement en œuvre le désir infini du Créateur ?
2 ème IMPROMPTU : Jonas dans le ventre de la baleine
Livre du prophète Jonas, chapitre 2
COMMENTAIRE (François Schlaeppi)
Dans cette histoire, rien n’avance comme prévu.
Jonas aurait dû prendre la route pour aller prophétiser contre les habitants de Ninive, mais il prend la mer et part à l’autre bout du monde. Cette traversée vire presque au naufrage. Jonas finit par être balancé par-dessus bord pour calmer la tempête. Mais l’histoire ne s’achève pas là !
Ça continue d’avancer à rebours du bon sens. Ordinairement ce sont les hommes qui attrapent les poissons pour les manger. Là, c’est le poisson qui attrape l’homme…
Trois jours et trois nuits. Jonas, plongé dans l’obscurité, n’a pas où regarder sinon à l’intérieur de lui-même. Des conditions propices à l’introspection.
Mais Jonas ne fait pas pour autant son mea culpa, il se contente de se souvenir de l’existence de Dieu pour invoquer son secours, et cela avec une petite pointe de chantage. Ah ! l’homme, de quoi n’est-il pas capable dès l’instant que la peur de mourir le saisit !
Mais Dieu n’est pas revanchard. Il lui suffit de donner ses ordres au poisson qui obéit et rejette sa prise.
L’histoire continue d’avancer, toujours à contre-courant. Jonas finit par aller jusqu’à Ninive ; il prophétise contre la ville, promettant son anéantissement. Celle-ci n’est pas détruite parce que ses habitants se convertissent et renoncent à leur mauvaise conduite.
Jonas en est écœuré : tant de risques et tant de peines pour un tel résultat ! Dans sa mauvaise foi, il n’hésite pas à prier :
Ah ! Seigneur, je le savais bien, c’est pourquoi je me suis dépêché de fuir à Tarsis, je le savais bien, tu es plein de tendresse et de pitié, patient, plein d’amour, et tu regrettes tes menaces.
Et le Seigneur de répondre :
Est-ce que tu as raison de te mettre en colère ? À Ninive, il y a plus de cent vingt mille habitants qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de tout ce monde ?
Magnifique histoire que celle de Jonas. L’homme y apparaît en toute vérité, avec ses peurs, son art de l’esquive, sa mauvaise foi, ses déceptions – ça, c’est pour Jonas – mais aussi avec sa repentance et sa capacité à la conversion – ça, c’est pour les Ninivites.
Et puis Dieu aussi s’y montre en toute vérité et en toute grandeur : plein de tendresse et de pitié, patient, plein d’amour..
INACHÈVEMENT (Jean-François Maillard)
Nous sommes pétris d’inachèvement. De bonnes intentions, tout plein, mais qu’il nous est difficile de tenir le cap jusqu’au bout ! L’apôtre Paul le dira dans une formule bien tournée : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas…
Comme Jonas, nous sommes de beaux parleurs, surtout devant Dieu. Mais lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches, de prendre notre courage à deux mains et de vivre véritablement l’élan et l’audace de l’Evangile, ça peine sérieusement, ça reste en suspens… Symphonie trop souvent inachevée…
3 ème IMPROMPTU : Cinq pains et deux poissons
Evangile de Marc, chapitre 6
COMMENTAIRE (Jean-François Maillard)
La truite de notre ami Franz nous conduit vers un autre récit biblique où les poissons sont malheureusement négligés :
il s’agit de ce signe que l’on appelle habituellement la multiplication des pains.
Jésus arrive dans un endroit isolé, il espère sûrement se reposer un peu après une journée bien remplie, mais il y trouve une grande foule : la célébrité a ses inconvénients. Jésus est tout remué de voir cette foule errante, il est pris aux tripes, il sait que la foule est affamée. Les disciples, eux aussi bien fatigués, suggèrent à Jésus de renvoyer les gens pour qu’ils se nourrissent ailleurs.
Mais Jésus les surprend : non, c’est ici et maintenant que les gens ont faim, c’est ici et maintenant que les disciples vont se mettre à l’ouvrage pour répondre à leur faim : – Débrouillez-vous, je vous fais confiance !
C’est alors que commence le signe : – Allez voir ! Oui, ouvrez les yeux sur tout ce qu’il y a déjà sur place, ce que les personnes présentes peuvent apporter : les fruits de la terre, les fruits de la pêche, peut-être aussi les talents et le sens de l’organisation de certains…
On oublie souvent qu’il y avait, en plus des pains, des poissons, enfin, deux poissons pour cinq mille hommes, ce n’est pas rien ! C’est si important que dans le récit de Marc, Jésus prend aussi les poissons, et dit la bénédiction, puis les partage aux hommes affamés. Marc prend même la peine de préciser que l’herbe est verte, ce qui ne devait pas souvent être le cas en Palestine. L’herbe verte sur laquelle la foule s’assied ne serait-elle pas le signe de la fertilité, de la fécondité du partage dans les petits groupes, dans les petites communautés ? Plutôt que de baisser les bras, Jésus lève les yeux au ciel et dit la prière de bénédiction.
Qu’a-t-il dit à son Père à ce moment ? N’a-t-il pas prié pour que l’esprit de partage entre dans le cœur de tous ces hommes affamés, pour que personne ne garde en réserve ce qu’il avait apporté ?
Je suis convaincu que nous avons affaire là non pas à une multiplication mais à une véritable division : la division des pains et des poissons, le partage des ressources !
C’est comme lorsqu’on écoute un beau lied de Schubert : chacun reçoit sa part de bonheur partagé, même s’il n’y a qu’un pianiste et une cantatrice. Plus l’artiste donne, plus les auditeurs reçoivent, qu’ils soient deux, cinq ou 5000
INACHÈVEMENT (François Schlaeppi)
Dans son lied La Truite, Schubert a mis en musique un véritable drame. Il s’agit du combat inégal d’une truite, très habile à se faufiler dans un ruisseau pour éviter de se faire prendre par un pêcheur… Ce pêcheur trop impatient agite l’eau qui devient si trouble que la truite ne peut plus voir le danger. Les règles du jeu de la survie ont été faussées par le pêcheur, et la truite se fait prendre…
Voilà une parabole de notre monde, où certains saccagent l’espace vital des autres, sans respecter les règles du jeu de la création, alors que nous sommes tous frères et sœurs, créés par un seul Dieu, plantes, oiseaux, poissons, tous solidairement responsables de la Création qui nous a été confiée.
4 ème IMPROMPTU : Cent cinquante-trois gros poissons dans un filet
Evangile de Jean, chapitre 21
COMMENTAIRE (François Schlaeppi)
Petite partie de pêche entre amis. Deux choses à retenir : les poissons, et le filet…
Un de ces poissons passera bien vite sur la braise en vue d’une collation après le travail. Mais ce poisson, symboliquement pour les chrétiens des premiers siècles, deviendra un code, un signe de ralliement.
Dans les heures de persécutions que connaîtra la nouvelle Eglise, il suffira de tracer à la va-vite un poisson stylisé pour baliser les lieux de refuge. Dans la langue de l’époque, le grec, poisson se dit Ιχθυς et chacune des cinq lettres de ce mot correspond à l’initiale des mots formant cette confession de foi – je vous la fais en français : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
Oui, le poisson comme signe de ralliement, comme confession de foi, mais aussi comme code de sécurité !
Reste le filet, ce filet dont on peut aussi faire symboliquement l’emblème du réseau. Souvenez-vous, lorsque Jésus a appelé ses premiers disciples, il a précisé qu’il ferait d’eux des pêcheurs d’hommes. Alors, oui, le filet pour représenter ce réseau nouveau qu’est l’Eglise, ce réseau qui nous réunit, qui nous fait reconnaître mutuellement frères et sœurs en Christ, et cela au-delà des simples affinités, ce réseau qui s’est étendu à travers le temps et le monde, ce réseau qui rassemble toutes les diversités humaines, ce réseau qui dépasse même les différentes dénominations ecclésiales, ce réseau dont on ne connaît pas les limites mais dont on connaît le centre : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur…
Ce filet, ce réseau qu’est l’Eglise, les Eglises dans leur pluralité, nous devons aussi parfois apprendre à le jeter de l’autre côté de la barque – savoir changer nos habitudes. En jeu : une belle prise de cent cinquante-trois gros poissons…
A la fin de l’épisode, il est précisé que Jésus s’approche, prend le pain et le donne aux disciples ; il leur donne aussi du poisson. Collation, agape, communion. Le réseau, les Eglises rassemblées autour de Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur…
INACHÈVEMENT (Jean-François Maillard)
De dimanche en dimanche, Dieu nous donne rendez-vous et nous attend. Il nous attend pour la louange, pour l’écoute de sa Parole ; il nous attend pour nous redonner force et espérance, pour nourrir notre foi… Il nous attend aussi pour nous conduire vers de nouveaux projets…
Autant dire que si cette rencontre dure une heure, cela reste toujours inachevé afin d’y laisser un petit goût de reviens-y.
Par contre, ce serait bien dommage que cela finisse en queue de poisson !
Voilà pourquoi notre rencontre se termine sur un envoi et une bonne parole…