Homélie du 7 septembre 2025

Matinée œcuménique dans le cadre de la Schubertiade 2025

François Schlaeppi, pasteur réformé, et Jean-François Maillard, agent pastoral catholique – Temple Protestant, Sion, VS


1 er IMPROMPTU : Le chant de la Création
Livre de la Genèse 1, premier chapitre

COMMENTAIRE (Jean-François Maillard)

Au commencement, Dieu crée le ciel et la terre…

Quel est donc ce commencement ? Est-ce le Big Bang qui se serait produit il y a plus de 13 milliards d’années ?

Le livre de la Genèse ne nous oriente pas vers le passé, mais bien vers l’aujourd’hui de nos vies : Dieu ne cesse pas de créer ! Les paroles que nous avons entendues ne cherchent pas à nous expliquer comment s’est déroulée la création, ni en combien de jours, mais plutôt à nous révéler quelle est la place de l’humanité dans le monde d’aujourd’hui.

L’homme et la femme, créés à l’image de Dieu, sont placés au sommet de la création, en 2025 comme au temps d’Abraham : Dieu les bénit pour qu’ils remplissent la terre et en soient les maitres. Mais ce don de Dieu est accompagné d’une mission, d’une responsabilité : l’homme et la femme sont appelés à cultiver la terre, à la garder.

La terre, la mer, les lacs, les truites, les glaciers et les rivières sont, comme nous, des créatures, et nous sommes responsables de les garder pour nos frères humains d’aujourd’hui et de demain, pour que ces dons si précieux continuent de produire de bons fruits.

Le repos de Dieu après les six jours de la création n’est pas un abandon. Dieu continue de nous bénir et de nous guider dans cette belle mission. Alors, acceptons-nous de participer à cette magnifique création qui est en gestation, en travail d’enfantement ?

INACHÈVEMENT (François Schlaeppi)

De même que la plus belle symphonie, créée par le compositeur dans le secret de sa chambre, ne prend vie que lorsque l’orchestre la transmet aux oreilles et au cœur des auditeurs, la création ne reste-t-elle pas inachevée tant que des hommes et des femmes ne la cultivent pas, mettant ainsi librement en œuvre le désir infini du Créateur ?

2 ème IMPROMPTU : Jonas dans le ventre de la baleine
Livre du prophète Jonas, chapitre 2

COMMENTAIRE (François Schlaeppi)

Dans cette histoire, rien n’avance comme prévu.

Jonas aurait dû prendre la route pour aller prophétiser contre les habitants de Ninive, mais il prend la mer et part à l’autre bout du monde. Cette traversée vire presque au naufrage. Jonas finit par être balancé par-dessus bord pour calmer la tempête. Mais l’histoire ne s’achève pas là !

Ça continue d’avancer à rebours du bon sens. Ordinairement ce sont les hommes qui attrapent les poissons pour les manger. Là, c’est le poisson qui attrape l’homme…

Trois jours et trois nuits. Jonas, plongé dans l’obscurité, n’a pas où regarder sinon à l’intérieur de lui-même. Des conditions propices à l’introspection.

Mais Jonas ne fait pas pour autant son mea culpa, il se contente de se souvenir de l’existence de Dieu pour invoquer son secours, et cela avec une petite pointe de chantage. Ah ! l’homme, de quoi n’est-il pas capable dès l’instant que la peur de mourir le saisit !

Mais Dieu n’est pas revanchard. Il lui suffit de donner ses ordres au poisson qui obéit et rejette sa prise.

L’histoire continue d’avancer, toujours à contre-courant. Jonas finit par aller jusqu’à Ninive ; il prophétise contre la ville, promettant son anéantissement. Celle-ci n’est pas détruite parce que ses habitants se convertissent et renoncent à leur mauvaise conduite.

Jonas en est écœuré : tant de risques et tant de peines pour un tel résultat ! Dans sa mauvaise foi, il n’hésite pas à prier :

Ah ! Seigneur, je le savais bien, c’est pourquoi je me suis dépêché de fuir à Tarsis, je le savais bien, tu es plein de tendresse et de pitié, patient, plein d’amour, et tu regrettes tes menaces.

Et le Seigneur de répondre :

Est-ce que tu as raison de te mettre en colère ? À Ninive, il y a plus de cent vingt mille habitants qui ne savent pas ce qui est bon pour eux. Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de tout ce monde ?

Magnifique histoire que celle de Jonas. L’homme y apparaît en toute vérité, avec ses peurs, son art de l’esquive, sa mauvaise foi, ses déceptions – ça, c’est pour Jonas – mais aussi avec sa repentance et sa capacité à la conversion – ça, c’est pour les Ninivites.

Et puis Dieu aussi s’y montre en toute vérité et en toute grandeur : plein de tendresse et de pitié, patient, plein d’amour..

INACHÈVEMENT (Jean-François Maillard)

Nous sommes pétris d’inachèvement. De bonnes intentions, tout plein, mais qu’il nous est difficile de tenir le cap jusqu’au bout ! L’apôtre Paul le dira dans une formule bien tournée : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas…

Comme Jonas, nous sommes de beaux parleurs, surtout devant Dieu. Mais lorsqu’il s’agit de se retrousser les manches, de prendre notre courage à deux mains et de vivre véritablement l’élan et l’audace de l’Evangile, ça peine sérieusement, ça reste en suspens… Symphonie trop souvent inachevée…


3 ème IMPROMPTU : Cinq pains et deux poissons
Evangile de Marc, chapitre 6

COMMENTAIRE (Jean-François Maillard)

La truite de notre ami Franz nous conduit vers un autre récit biblique où les poissons sont malheureusement négligés :

il s’agit de ce signe que l’on appelle habituellement la multiplication des pains.

Jésus arrive dans un endroit isolé, il espère sûrement se reposer un peu après une journée bien remplie, mais il y trouve une grande foule : la célébrité a ses inconvénients. Jésus est tout remué de voir cette foule errante, il est pris aux tripes, il sait que la foule est affamée. Les disciples, eux aussi bien fatigués, suggèrent à Jésus de renvoyer les gens pour qu’ils se nourrissent ailleurs.

Mais Jésus les surprend : non, c’est ici et maintenant que les gens ont faim, c’est ici et maintenant que les disciples vont se mettre à l’ouvrage pour répondre à leur faim : – Débrouillez-vous, je vous fais confiance !

C’est alors que commence le signe : – Allez voir ! Oui, ouvrez les yeux sur tout ce qu’il y a déjà sur place, ce que les personnes présentes peuvent apporter : les fruits de la terre, les fruits de la pêche, peut-être aussi les talents et le sens de l’organisation de certains…

On oublie souvent qu’il y avait, en plus des pains, des poissons, enfin, deux poissons pour cinq mille hommes, ce n’est pas rien ! C’est si important que dans le récit de Marc, Jésus prend aussi les poissons, et dit la bénédiction, puis les partage aux hommes affamés. Marc prend même la peine de préciser que l’herbe est verte, ce qui ne devait pas souvent être le cas en Palestine. L’herbe verte sur laquelle la foule s’assied ne serait-elle pas le signe de la fertilité, de la fécondité du partage dans les petits groupes, dans les petites communautés ? Plutôt que de baisser les bras, Jésus lève les yeux au ciel et dit la prière de bénédiction.

Qu’a-t-il dit à son Père à ce moment ? N’a-t-il pas prié pour que l’esprit de partage entre dans le cœur de tous ces hommes affamés, pour que personne ne garde en réserve ce qu’il avait apporté ?

Je suis convaincu que nous avons affaire là non pas à une multiplication mais à une véritable division : la division des pains et des poissons, le partage des ressources !

C’est comme lorsqu’on écoute un beau lied de Schubert : chacun reçoit sa part de bonheur partagé, même s’il n’y a qu’un pianiste et une cantatrice. Plus l’artiste donne, plus les auditeurs reçoivent, qu’ils soient deux, cinq ou 5000

INACHÈVEMENT (François Schlaeppi)

Dans son lied La Truite, Schubert a mis en musique un véritable drame. Il s’agit du combat inégal d’une truite, très habile à se faufiler dans un ruisseau pour éviter de se faire prendre par un pêcheur… Ce pêcheur trop impatient agite l’eau qui devient si trouble que la truite ne peut plus voir le danger. Les règles du jeu de la survie ont été faussées par le pêcheur, et la truite se fait prendre…

Voilà une parabole de notre monde, où certains saccagent l’espace vital des autres, sans respecter les règles du jeu de la création, alors que nous sommes tous frères et sœurs, créés par un seul Dieu, plantes, oiseaux, poissons, tous solidairement responsables de la Création qui nous a été confiée.


4 ème IMPROMPTU : Cent cinquante-trois gros poissons dans un filet
Evangile de Jean, chapitre 21


COMMENTAIRE (François Schlaeppi)

Petite partie de pêche entre amis. Deux choses à retenir : les poissons, et le filet…

Un de ces poissons passera bien vite sur la braise en vue d’une collation après le travail. Mais ce poisson, symboliquement pour les chrétiens des premiers siècles, deviendra un code, un signe de ralliement.

Dans les heures de persécutions que connaîtra la nouvelle Eglise, il suffira de tracer à la va-vite un poisson stylisé pour baliser les lieux de refuge. Dans la langue de l’époque, le grec, poisson se dit Ιχθυς et chacune des cinq lettres de ce mot correspond à l’initiale des mots formant cette confession de foi – je vous la fais en français : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.

Oui, le poisson comme signe de ralliement, comme confession de foi, mais aussi comme code de sécurité !

Reste le filet, ce filet dont on peut aussi faire symboliquement l’emblème du réseau. Souvenez-vous, lorsque Jésus a appelé ses premiers disciples, il a précisé qu’il ferait d’eux des pêcheurs d’hommes. Alors, oui, le filet pour représenter ce réseau nouveau qu’est l’Eglise, ce réseau qui nous réunit, qui nous fait reconnaître mutuellement frères et sœurs en Christ, et cela au-delà des simples affinités, ce réseau qui s’est étendu à travers le temps et le monde, ce réseau qui rassemble toutes les diversités humaines, ce réseau qui dépasse même les différentes dénominations ecclésiales, ce réseau dont on ne connaît pas les limites mais dont on connaît le centre : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur…

Ce filet, ce réseau qu’est l’Eglise, les Eglises dans leur pluralité, nous devons aussi parfois apprendre à le jeter de l’autre côté de la barque – savoir changer nos habitudes. En jeu : une belle prise de cent cinquante-trois gros poissons…

A la fin de l’épisode, il est précisé que Jésus s’approche, prend le pain et le donne aux disciples ; il leur donne aussi du poisson. Collation, agape, communion. Le réseau, les Eglises rassemblées autour de Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur…


INACHÈVEMENT (Jean-François Maillard)

De dimanche en dimanche, Dieu nous donne rendez-vous et nous attend. Il nous attend pour la louange, pour l’écoute de sa Parole ; il nous attend pour nous redonner force et espérance, pour nourrir notre foi… Il nous attend aussi pour nous conduire vers de nouveaux projets…

Autant dire que si cette rencontre dure une heure, cela reste toujours inachevé afin d’y laisser un petit goût de reviens-y.

Par contre, ce serait bien dommage que cela finisse en queue de poisson !

Voilà pourquoi notre rencontre se termine sur un envoi et une bonne parole…

Homélie du 31 août 2025 (Lc 14, 1-14)

Père Louis Houllegatte – Basilique de Saint-Maurice, VS

C’est une grande joie pour moi de venir prêcher ce matin sur l’adoration perpétuelle. Je viens donc vous parler d’amour. Et nous en avons bien besoin. Vous savez, chers amis, si le Seigneur se rend présent dans le tabernacle, et c’est vraiment la pensée que nous devons avoir en entrant dans une église, c’est qu’Il est là. Le Christ est vraiment là, dans le tabernacle, sous les apparences du pain. Ce Christ que l’on enseigne au catéchisme, que l’on entend dans l’Évangile, Celui qui nous donne la vie éternelle, Il est là. S’Il se rend par les mains du prêtre présent, s’Il accepte d’être dans cette petite hostie, parfois malheureusement au risque d’être profané, eh bien, c’est pour nous, chers amis, qu’il fait tout cela ! C’est pour nous, puisqu’Il veut nous communiquer son amour, Il veut nous donner sa grâce, Il veut nous donner tous les moyens d’arriver à Lui.

Alors je viens vous parler de la force de la prière ce matin. Rien n’est impossible à celui qui croit. Voilà la prière confiante envers le Seigneur. Le Seigneur nous attend à ses pieds pour nous communiquer son amour, pour qu’en retour nous puissions Lui faire confiance. Vous savez, dans ma vie personnelle, tout était déjà tracé. Déjà un beau destin en politique, tout était déjà calé et grâce aux prières de ma pauvre mère devant le Saint-Sacrement, le Seigneur m’a converti. Le Seigneur a touché mon cœur. Et j’entends beaucoup dans les missions eucharistiques : « Mes enfants, mes petits-enfants ne pratiquent plus, mes amis ne pratiquent pas ». Alors tournons-nous avec grande confiance vers le Seigneur qui nous attend à ses pieds.

« Ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi ? »

Le Seigneur le dit en revenant de Gethsémani à ses apôtres qui sont endormis : « ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi ? » Voici le défi que lance le Seigneur aux apôtres. Voici le défi qu’il nous lance aussi ce matin : Ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi ?

Chers amis, quoi de plus doux ? Quoi de meilleur que d’être aux pieds du Seigneur pour recevoir son amour ? Le Seigneur le dit lui-même à sainte Marguerite-Marie Alacoque, dans les apparitions de Paray-le-Monial : « J’ai soif. Et d’une telle soif d’être aimé au Saint-Sacrement que cette soif me consume. » Et il ajoute : « Si vous croyez en mon amour ; si vous croyez vraiment en mon amour, alors vous verrez la magnificence de mon amour. » Voilà ce que le Seigneur nous promet à ses pieds : force, consolation, amour de sa part.

Et quel est notre objectif en tant que chrétien ? C’est d’aller au ciel, c’est d’être heureux avec le Seigneur pour l’éternité. Que ferons-nous au ciel ? Nous serons dans l’adoration, dans l’adoration perpétuelle. Alors voilà encore le défi : une heure d’adoration. Cette adoration ici-bas pour nous préparer à la suite, à l’avenir, à la vie éternelle. Oui, chers amis, le Seigneur nous aime d’un amour profond et veut nous communiquer cet amour, Il veut que nous soyons heureux avec Lui. Alors souvent on se dit, mais il y a bien d’autres choses à faire dans ma journée. Et puis il y a les pauvres qui passent avant quand même. Eh bien, Jésus est le premier des pauvres. Abandonné dans les tabernacles qui nous attend, pauvre de notre amour, nous qui sommes souvent loin de Lui. Le Seigneur nous attend, comme je le disais. S’il se rend présent dans le tabernacle, c’est pour nous, c’est pour nous communiquer son amour, c’est pour nous montrer combien nous serons heureux avec Lui, pour l’éternité et déjà ici-bas.

Ne perdons pas de vue le Seigneur qui nous aime infiniment

Chers amis, la prière est un combat. C’est vrai, c’est un combat. Mais selon les périodes de notre vie où nous en sommes, selon nos épreuves, selon nos difficultés, selon nos souffrances, il est important pour nous de ne jamais perdre de vue le Cœur Sacré de Jésus qui bat dans les ostensoirs. Ce Cœur qui nous aime infiniment, qui veut nous montrer son amour. Alors voilà encore une fois ce défi : une heure d’adoration. Prendre une heure, soit ici à la Basilique, soit près de chez vous, chers auditeurs. Trouver le moyen de passer une heure avec Jésus. Quelle relation suave et douce que d’être au pied du Seigneur, de recevoir ses commandements, de recevoir sa grâce, de recevoir la ligne de conduite pour vivre en bon chrétien. Chers amis, le saint Curé d’Ars disait : « si on arrête d’adorer le Saint-Sacrement, on finira par adorer autre chose, on finira par adorer les bêtes », disait-il. Alors, chers amis, ne perdons jamais de vue le Seigneur qui nous aime infiniment, qui nous attend à ses pieds.

« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos » : voilà cet élan d’amour du Seigneur envers nous qui nous attend à chaque instant pour que nous puissions nous réconcilier avec Lui, pour que nous puissions recevoir sa grâce, pour que nous puissions être avec Lui heureux.

Que le Seigneur vous bénisse, qu’Il vous donne de ne jamais perdre de vue le Christ qui nous aime immensément dans sa sainte Hostie, qui repose dans le tabernacle et qui veut au fond, demeurer dans notre cœur. Que le Seigneur vous bénisse tous, qu’Il vous donne la grâce d’être des adorateurs en esprit et en vérité, et qu’Il vous montre son amour infiniment grand à tous.
Amen.


22e Dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ben Sira le Sage, 3, 17-29 ; Psaume 67 ; Hébreux 12, 18-24 ; Luc 14, 1-14

Homélie du 24 août 2025 (Lc 13, 22-30)

Abbé Charlemagne Diawara-Doré Eglise Saint-Joseph, Lausanne

Frères et sœurs, à chaque Eucharistie, Dieu qui nous appelle à son admirable lumière, nous adresse une invitation à rendre grâce pour les bienfaits qu’il nous accorde au quotidien. Ainsi, nous invite-t-il à repartir du Christ pour demeurer dans la pleine communion avec le Père et le Fils, par le moyen de l’Esprit Saint.

Ouvrir la porte

En ce 21ème dimanche du Temps ordinaire, de l’année liturgique C, la trame narrative qui se dégage des textes scripturaires que notre Mère l’Église nous propose met en lumière un message fort, en forme de demande : « Seigneur ouvre-nous ». C’est une demande qui se traduit par une double résonnance, c’est-à-dire ouvrir la porte au festin de tous les hommes, mais aussi ouvrir la porte au festin du Royaume.

La volonté de Dieu est de vouloir toujours rassembler son Peuple pour écouter sa Parole et participer à l’Eucharistie. Sans conteste, nous en avons l’illustration dans la première lecture, par la bouche du prophète Isaïe : « Je viens rassembler les hommes de toute nation et langue ». Tel est le dessein de Dieu, un rêve fou, et pourtant réalisable, puisque déjà inauguré par la Pâque de son Fils. Qui plus est, un rêve d’amour : un amour gratuit et sans conditions.

Dans la deuxième lecture, l’auteur inconnu de l’épître aux hébreux livre une clé d’interprétation pour « positiver » les épreuves qui surviennent. Dès lors, il fait écho aux proclamations des prophètes, qui annonçaient au peuple exilé le retour à Jérusalem. Ici, relevons tout de suite la différence qui existe entre les traités de morale et de l’éducation de l’Antiquité, qui utilisaient le moyen du dressage et les propos de Jésus, remplis de douceur, invitant à la conversion des cœurs, pour le salut de tout homme et de tout l’homme.

Le salut est un don de Dieu

Très justement, le salut n’est pas un dû, mais un don de Dieu. En effet, c’est Dieu qui a pris l’initiative de nous donner son Fils, et celui-ci a donné sa vie pour faire de nous des sauvés. Mais encore faut-il que nous participions à ce salut. Et surtout, en instituant l’Eucharistie au cours de son dernier repas, Jésus a inauguré ce festin ouvert à tous les hommes par le don de sa vie. Toutefois, rappelons que l’Eucharistie ne se réduit pas à un simple repas. C’est un festin – comme toute célébration chrétienne – qui a une dimension universelle ; mais, dont la porte d’accès est étroite. Pour avoir part à ce festin, il nous faut consentir à lutter avec le Christ contre tout ce qui, de nos jours, freine l’annonce de son Royaume. De même, il nous faut parfois nous compromettre pour faire avancer la justice et la paix, en vue de donner aux plus petits les premières places. Ce qui nous conduira de dire aux faibles, aux marginaux, aux délaissés et aux rejetés combien Dieu est amour et les aime tant. Le prophète Isaïe décrit déjà ce festin messianique qui sera donné pour tous les peuples : une image qui court à travers tout l’Évangile et bien au-delà. Les derniers, en effet, seront premiers à ce festin, où la porte leur sera ouverte.

Tout bien considéré, les célébrations dominicales sont un premier échantillon de ce que Dieu prépare pour ses fidèles au ciel, à sa table. L’invitation a été lancée, il est imprudent de la laisser traîner sans répondre positivement. Que le témoignage de notre foi et l’exemplarité de nos vies nous aident, non pas à forcer la porte, mais à toucher le cœur de Dieu, afin qu’il nous ouvre la porte au festin du Royaume, où, comme le dit si bien le psalmiste, tous les peuples sont invités à la louange, bien entendu à la table du Seigneur. Amen.

21e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 66, 18-21; Psaume 116; Hébreux 12, 5-7. 11-13; Luc 13, 22-30

Homélie du 17 août 2025 (Lc 12, 49-53)

Chanoine Jean-Pierre Voutaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Allumer le feu sur la terre

Bienheureux Frères et Sœurs,

En ce dimanche estival rempli de vie et de lumière, le Seigneur nous invite à recevoir ou à retrouver le feu intérieur qui recentre notre vie, lui donne sens et direction pour avancer de manière renouvelée vers le bonheur du ciel. Feu, lumière et joie nous visitent, avec des commencements qui semblent insignifiants mais qui sont essentiels, tel la collecte des brindilles qui deviendront feu dévorant.

A. la correction de l’injustice, la mienne (Jr 38,4…10)

Dans la première lecture, la situation politique, économique et sociale de Jérusalem est tendue. Nous sommes vers 600 avant Jésus-Christ, les armées étrangères font le siège de la ville et les autorités n’arrivent plus à coacher le moral des troupes et des habitants de la cité. Et, en plus, Jérémie le prophète, celui qui devrait dire du bien au nom de Dieu, empire la situation : cet idiot annonce la défaite. C’en est trop ! les puissants demandent sa peau. Il est descendu dans une citerne vide, boueuse, pour ne plus entendre sa voix, pour ne plus le voir, et qu’il soit embourbé jusqu’au cou. Venons-en au présent : Lors de tensions familiales, de séparations, de difficultés au travail, lors de craintes politiques, économiques ou sociales, il est plus facile de traiter les autres d’idiots, caricaturant leurs travers, que d’accueillir une voix qui invite à reconnaître des torts de mon côté à moi. Mais c’est lui qui a commencé, il est pervers narcissique, fou à lier, dictateur… et la petite voix qui me remet en question, qui m’invite à voir les événements de manière plus ample que par le prisme de ma déception, je n’en veux pas. Tais-toi.

Et tout à coup, à la cour royale, une voix se manifeste : ce qui a été fait à Jérémie, c’est mal : ils l’ont jeté dans la citerne, il va mourir de faim car on n’a plus de pain dans la ville. En cours de séparation, en rupture de contrat, en se battant, dans des nuits angoissées, réaliser au cœur de l’épreuve qui continue que moi j’ai trop parlé, que j’ai surréagi, que j’ai aussi fait des dégâts, c’est la visite du feu de Dieu. La lumière entre en moi. Et Jérémie est sorti de son trou : mon comportement commence à changer. Là où je le peux, dans ma vie, dans la lumière reçue, je modifie un élément d’injustice.

B. La contagion du témoignage (He 12,1-4)

Le début du chapitre 12 de la lettre aux Hébreux, que nous venons d’entendre, part de la réalisation que le mal que je fais m’entrave. La parole m’invite alors à deux actions complémentaires, une dirigée vers le mal, l’autre vers le bien, afin que le feu de Dieu embrase ma vie.

  • Pour vaincre le mal qui alourdit et contamine mon quotidien, je suis invité à l’endurance dans la lutte. L’endurance est le mot clef : Dès que j’ai compris, que j’ai reçu la lumière, je suis invité à la protéger cette lumière et, par des exercices concrets, l’établir dans ma vie. Si je suis négligent dans la gestion de mes factures, je peux faire des exercices pour collecter au même endroit mes factures, les classer par date de paiement, puis m’arranger pour les payer dans les délais. Et cet exercice se reproduit chaque jour en vérifiant sa boîte aux lettres physique et électronique. Il faut de l’endurance pour reprendre le travail après quelques jours de négligence, puis pour trouver sa joie dans ce qui était vécu comme une plaie.
  • Pour s’embraser d’amour, la Parole nous propose de regarder, de contempler des témoins, ceux qui ont fait de leur vie un chef d’œuvre. Fixer Jésus, l’unique Sauveur, qui a renoncé à sa force et à sa gloire en devenant homme parmi les hommes, afin de prendre sur lui la mort pour partager avec nous la vie éternelle en sa résurrection est une immense déclaration d’amour, une invitation à l’aimer en retour, à l’imiter. Toute l’histoire de la sainteté est une succession de cœurs qui se livrent à l’amour et répondent aux défis de leur époque en se donnant à Dieu par amour pour lui et pour nos frères et sœurs, en posant des choix de vie inédits, en ouvrant des voies pour nous inspirer.

C. Le feu de l’Esprit (Lc 12, 49-53)

Le Christ est venu allumer le feu. Par amour pour nous, il a pris les chemins de cette terre il a accepté défections et trahisons, rejets et crucifixion. Il a dépassé les découragements et par sa mort, Il a été jusqu’à la résurrection. Il nous réveille aujourd’hui et nous invite à poser des choix pour que son amour entre dans nos vies, les enflamme et réveille ainsi le monde.

L’évangile reprend l’idée que lorsqu’une seule personne se lève au nom de Dieu pour contredire la voix dominante, elle vit souvent la violence qu’a expérimentée le prophète Jérémie, c’est l’idée de la division au nom de la parole de Dieu, la tragédie de l’amour qui n’est pas aimé. C’est aussi le resplendissement de l’action de celui qui est maltraité et qui répond à la haine par l’amour, à la suite du Christ. Les combats pour aimer construisent ce monde, les modèles de sainteté nous encouragent. Créés par Dieu, rachetés par son Fils et recevant le feu d’amour de l’Esprit, nous sommes invités à entrer plus profondément dans l’espérance.

D. Conclusion

Aujourd’hui, à l’occasion de cette messe dominicale, nous avons deux groupes particuliers qui vivent de ce feu de l’esprit et que je mentionne avec émerveillement : un pèlerinage et une action de grâce.

Le pèlerinage. En Valais, c’était hier la solennité de saint Théodule, premier évêque du diocèse au 4ème siècle. Il résidait à Martigny et a construit à Agaune la première église en l’honneur de Saint-Maurice et de ses compagnons martyrs. Hier donc, un pèlerinage à pied et un réseau de croyants s’est mis en route depuis Martigny pour prier pour les vocations. Cela a débuté par une messe à 11h00, puis la montée à l’Hospice : 43 kilomètres en vingt heures de marche, des temps de prière et de veillée dans les villages, pour arriver ici en-haut. C’est une expérience de dépassement de soi, un cri vers Dieu, un éclair d’amour qui répond de manière originale à l’amour de Dieu.

L’action de grâce. Aujourd’hui même, Anne-Marie Maillard, femme consacrée associée à la Congrégation, remercie le Seigneur et ses amis qui ont collaboré avec elle durant la quinzaine d’années où elle a vécu dans cet Hospice, entre autres en portant l’organisation et la collaboration estivale des pèlerinages alpins et des messes radiophoniques. C’est l’occasion de dire merci à vous tous que nous rencontrons dans nos couloirs ou par les ondes. En fin d’homélie, maintenant donc, j’offre à Anne-Marie une bouteille de liqueur du Grand-Saint-Bernard verte. Le vert dit l’espérance, la joie d’avoir semé la vie et de continuer de la semer dès cet hiver en paroisse. La liqueur dit les joies des fins de repas, des dialogues, des partages, des encouragements mutuels… et parfois même des desserts flambés. Que ce symbole d’amitié t’aide et nous aide à nous donner à Dieu dans la constance, l’endurance et la persévérance d’un feu qui dure, qui grandit et embrase le monde, le feu de l’Esprit-Saint. Amen.

20e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Jérémie 38, 4-10; Psaume 39; Hébreux 12, 1-4; Luc 12, 49-53

Homélie du 10 août 2025 (Lc 12, 35-40)

Chanoine Raphaël Duchoud – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Frères et sœurs dans le Christ,

Il est peut-être superflu de rappeler le thème principal de cette Année Sainte voulue par le Pape François qui consiste à être “Pèlerins d’espérance” qui a inspiré cette année les organisateurs des pèlerinages alpins de Ferret au Grand-Saint-Bernard dans le choix du thème : “Elle est vivante, l’Espérance.”

Si cette vertu théologale a été mise en valeur durant cette Année Sainte par le Pape François de bonne mémoire, on peut y recueillir le message qui invite à croire envers et contre tout que la vie est précieuse, que la vie est une force qui appelle depuis la nuit des temps toute la création à marcher selon le rythme qu’elle lui donne de vivre, car celle-ci est à la base un don de Dieu. Même plus : dans l’Ecriture Sainte, Dieu s’identifie avec la vie, car il est lui-même la Vie. Jésus affirme, en effet, à l’encontre de l’Apôtre Thomas quand celui-ci, tergiversant sur le chemin à prendre pour aller vers le Père, lui demande : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment pouvons-nous savoir le chemin ? » En réponse, Jésus affirme : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Personne ne va vers le Père sans passer par moi. » (Jn 14, 5-6)

Fermes dans l’espérance

Conscients de la valeur de la vie, don précieux que Dieu remet entre nos mains, il nous faut oser croire en cette vie, ce qui nous porte à espérer contre toute espérance. Dieu, qui nous a créés non pour la mort mais pour la vie, nous veut debout, fermes dans l’Espérance et cette conviction que l’Espérance est belle, il faut l’affirmer en plaçant notre foi dans le Christ, vainqueur de la mort par la vie.

La foi constitue la base de toute espérance

Parmi les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, la foi ouvre le chemin de vie qui conduit au Père. Evoquée à plusieurs reprises dans le passage de la Lettre aux Hébreux que nous avons entendu comme deuxième lecture, la foi constitue la base de toute espérance de voir la réalisation des promesses de Dieu. Dans l’histoire du peuple d’Israël, la foi en un Dieu fidèle à son Alliance voulant stimuler un dynamisme de vie avec son peuple va être à l’origine de l’unique bien qu’Israël va conserver au cours de toute son histoire : sa religion, non pas constituée d’un ensemble de rites plus ou moins magiques et superstitieux, mais d’une vraie relation d’amour et de confiance qui marque l’instant présent et stimule la perspective du futur car c’est ici et maintenant qu’elle se vit et qu’elle projette, par l’espérance, notre regard vers l’avenir. Saint Augustin, amoureux de la vérité et cherchant sans cesse à l’atteindre, ne définit-il pas le futur comme le présent dans l’espérance ?

Le passage de la Lettre aux Hébreux cité plus haut témoigne que ceux qui ont espéré avec foi dans les promesses divines et ont vécu le grand commandement de l’Amour ont transmis de générations en générations cette perle rare, ce trésor caché dans leur cœur cette connaissance de Dieu dont la découverte a chamboulé la vie de tant d’hommes et de femmes qui ont tout abandonné et ont vécu un renoncement pour répondre à cet appel impérieux du Christ à placer leur espérance dans les promesses de vie.

Le futur est le présent dans l’espérance


A notre tour de nous sentir impliqués dans l’Histoire Sainte qui appelle tous ceux qui vivent pleinement leur foi dans le Christ à cheminer dans l’espérance et ceci, chacun à son propre niveau ; toute personne en effet possède les qualités suffisantes pour ranimer l’espérance autour de soi, qu’elle soit marquée par la souffrance ou l’échec ou qu’elle ait l’impression que tout lui réussit dans la vie. Toute histoire humaine dont la vie a été marquée par la beauté de l’espérance nous rejoint dans le moment présent puisque, selon saint Augustin, le passé est le présent dans le souvenir et, comme on l’a déjà dit, le futur est le présent dans l’espérance. Ce qui ressort de cette perspective philosophique, c’est l’importance du moment présent défini par saint Augustin comme l’instant de la grâce ; c’est ici et maintenant que Dieu nous rejoint sur le chemin ; il convient donc de vivre constamment et pleinement l’instant présent. C’est dans cette perspective que l’exhortation de rester en tenue de service et d’attendre le retour du Seigneur prend toute son importance. Mais cette attente est appelée à être vécue dans une toute autre perspective que celle qu’on aurait imaginée ; en référence à la parole de Jésus dans l’Evangile de ce jour, elle est appelée non à être vécue dans l’anxiété, mais dans l’espérance du retour d’un Maître joyeux rentrant des noces désireux de communiquer cette joie aux membres de sa maisonnée. La rencontre avec le Seigneur devient ainsi source d’espérance au point que l’inimaginable va se produire : ce ne sont pas les serviteurs, prêts à recevoir le Maître qui devront le servir, c’est le Maître de maison lui-même qui servira ses serviteurs à son retour des noces, perspective orientée vers le Jeudi Saint, à l’institution de la Cène quand Jésus se ceindra les reins d’un manteau pour laver les pieds de ses disciples, leur manifestant ainsi la profondeur de son amour. (cf. Jn 13, 3-5)

Dans une telle perspective, l’espérance, ici sur la montagne, se révèle vivante dans cette dynamique du service gratuit pratiqué dans l’esprit de saint Bernard. Dans toute personne accueillie, que ce soit un mendiant, un Général, un Pape, un Napoléon, dans toute personne se présentant à la porte de l’Hospice, le religieux se doit de reconnaître Celui pour qui il a décidé librement de donner sa vie.

L’espérance a une saveur d’infini

L’abandon de toute sécurité, le chemin ouvert vers l’inconnu au quotidien, la volonté d’accomplir sa mission envers et contre tout, la joie d’oser aller de l’avant, de se laisser guider ainsi par la grâce de l’Esprit-Saint, tout cela n’est-il pas une disposition pour avancer vers la liberté intérieure ? “La foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. C’est elle qui a valu aux anciens un bon témoignage.” (He 11, 1-2) Dans cette perspective, espérer prend une saveur d’infini en guidant l’humanité vers l’accomplissement des promesses. Tant de témoins, en confessant leur foi dans le Christ, ont laissé et laissent encore aujourd’hui irradier autour d’eux la richesse de l’Esprit-Saint qui habite leurs cœurs.

Frères et sœurs dans le Christ, n’ayons pas peur d’espérer et de goûter la vie de l’Espérance. C’est elle qui dispose l’esprit humain à être attentif et ouvert aux mille petits signes de la présence de l’Esprit de Dieu car là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.

19e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Sagesse 18, 6-9 ; Psaume 32 ; Hébreux 11, 1-2.8-12 ; Luc 12, 35-40

Homélie du 3 août 2025 ( Lc 12, 13-21)

Père Luc Ruedin – Hospice du Grand-Saint-Bernard

Chers frères et sœurs, chers pèlerins, chers auditeurs,
« Vanité des vanités, tout est vanité ! » Traduisez : Vapeur des vapeurs, buée des buées, fumée des fumées, tout est fragile, tout passe, rien ne demeure. On a beau se donner de la peine, être avisé, s’y connaître, réussir… et devoir tout laisser… même à celui qui ne s’est donné aucune peine, nous assène le Qohèleth. Et le psaume de confirmer : « tu fais retourner l’homme à la poussière, dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée… ». Bref, c’est la douche froide ! À moins que… nous n’apprenions « la vraie mesure de nos jours pour que nos cœurs pénètrent la sagesse » !

L’Espérance, la vraie richesse ?


Quelle sagesse ? Sans aucun doute celle des réalités d’en haut puisque, comme nous le rappelle saint Paul, passés par la mort… nous sommes ressuscités avec le Christ. Et qu’est-ce qui nous fait expérimenter, toucher la Résurrection ? Rien moins que les trois vertus théologales ! C’est-à-dire ces forces, ces énergies venues immédiatement de Dieu : la Foi, l’Amour et… l’Espérance la petite force venue d’en haut, à laquelle, chers pèlerins, nous avons réfléchi sur la route qui nous a conduit à l’Hospice. L’Espérance, la vraie richesse ? Ecoutons ce que nous dit, en creux, l’Evangile :
Jésus part d’une question très concrète, celle de régler un héritage. Qui ne sait d’expérience que la fraternité de… la fratrie peut être mise alors à rude épreuve ? Cette question, faute d’être résolue par Jésus – il laisse cela aux instances humaines – lui permet d’élever le débat au niveau du sens de la vie, de ce qui est fondamental ! Il met alors en garde contre la cupidité, ce désir immodéré d’argent, de richesse, cette envie d’avoir toujours plus jusqu’à croire que la richesse… garantit notre vie. De fait, derrière cette position se cache une autre question : Quelle est notre vraie richesse ? Et aussi quelles sont nos façons d’être riches devant Dieu ?

Disons tout de suite que Jésus n’a rien contre les riches en tant que tels. Il est capable de louer la générosité de ceux-ci. D’ailleurs ici, il s’agit d’une richesse honnêtement acquise : celle d’un homme dont la terre a bien rapporté. Non la pointe du texte est ailleurs : que suscite en cet homme cette surabondance inespérée ?

– D’abord, il veut se mettre à l’abri des aléas. Il va constituer des réserves, et investir dans la construction de nouveaux greniers pour préserver ses richesses. Il veut donc pouvoir échapper à la peur de l’inconnu. Même si une mauvaise année survient, ses réserves seront suffisantes pour que la catastrophe ne le menace plus jamais. Face à l’imprévisible, il veut absolument se prémunir. Du coup, il se coupe de l’Espérance, cette force qui nous donne d’espérer envers et contre tout, qui nous donne d’espérer parce qu’elle vient d’Ailleurs… du Seigneur qui habite notre cœur profond.

– Ensuite, puisque le souci de la disette s’éloigne, l’homme croit alors qu’il va pouvoir en profiter : « Te voilà avec quantité de biens pour de longues années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance ». Et l’homme s’installe. Il n’a besoin de personne pour vivre. Il se suffit à lui-même. Rien de plus normal, finalement, que le calcul de cet homme riche, qui mise avant tout sur la sécurité. Quelle sécurité ? Comme si la mort n’existait pas ! Or, rappelle Jésus, il n’y a de sécurité pour personne : pour celui qui reste face à la perte d’un être cher et… face à notre propre mort ! Car la mort, nous le savons tous, se présente, obstinée, inattendue, importune, comme la limite absolue qui donne le sens le plus profond à notre vie : « L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie » nous dit Etty Hillesum, cette femme d’Espérance qui, parce qu’elle « savait », parce qu’elle avait fait l’expérience de l’Amour qui a vaincu la mort, a traversé, debout, l’abîme du mal.

– Enfin, Jésus n’est pas dupe. Il sait que la richesse isole. L’argent bien entendu ! Mais également toutes les richesses après lesquelles notre monde, et nous-mêmes, nous pouvons être tentés de courir : la réputation, le savoir, l’ambition, l’image que nous souhaitons donner, nos projets personnels aussi qui peuvent occuper tout notre esprit… jusqu’à nous couper des autres, voire les écarter de notre chemin… Bref, l’avoir, le valoir, le pouvoir… Tout ce qui peut nous fasciner, nous rassurer et nous tromper. Et nous savons bien que cela peut se nicher dans des tas de recoins, a priori anodins, de nos existences. Car nous sommes tous riches de quelque chose ; et tous tentés de nous y installer. Si bien installés d’ailleurs que nous nous identifions à ce que nous possédons, valons, pouvons…, nous coupant de l’essentiel : la relation avec la Vie, la vraie Vie, notre cœur profond, les autres, Dieu… Nous voici alors séparés de la joie… que donne l’Espérance qui, elle, nous ouvre à des horizons de liberté.

Dieu donne à l’existence tout son prix


Se prémunir face à l’inattendu, profiter à tout prix, s’installer… ? Les années passent, et l’on engrange du confort, des réussites ; on entasse des habitudes et des souvenirs, on multiplie ses assurances sur le bonheur, et à force de vivre au milieu des choses, on finit par oublier l’Espérance… ne voulant pas voir que toutes ces choses n’auront qu’un temps. Bien loin de dévaluer les réalisations et les projets de l’homme, Jésus vient rappeler, que Dieu donne à l’existence tout son prix… qui n’a de valeur que dans la mesure où nous en savons la Source et la Fin… ce que l’Espérance nous donne de pressentir… de sentir, de vivre…

Si l’on « s’enrichit pour soi-même », comme dit Jésus, rien de ce trésor ne passera dans la vie définitive ; mais si un croyant s’enrichit dans l’Espérance « en vue de Dieu », s’il met toutes les ressources de son intelligence et de son cœur au service du dessein de Dieu sur lui et sur le monde, un trésor, le nourrira ici-bas et… l’attendra auprès de Dieu. Seul ce que nous aurons vécu et donné dans l’Espérance, la Confiance et l’Amour traversera la mort. Le reste est illusoire, comme nous l’a rappelé le Livre de Qohèleth dans la première lecture.

C’est à cette aventure, à ce combat humain et spirituel, que Jésus lui-même a connu et traversé, que nous sommes invités frères et sœurs. Il s’agit bien de l’enjeu de notre propre existence, quel que soit notre choix de vie, qui fait qu’au bout du compte notre vie est réussie ou non.
Amen

18ème dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Qohèleth 1,2 ; 2,21-23; Psaume 89; Colossiens 3,1-5.9-11; Luc 12,13-21

Homélie du 1er Août 2025 (Lc 4, 16-21)

Mgr Alain de Raemy – Col du Saint-Gothard

Saint Paul a bien raison :

Peut-être – même si c’est difficile – quelqu’un accepterait de mourir pour un juste… Peut-être – mais c’est encore moins évident – quelqu’un oserait donner sa vie pour une personne bonne. Peut-être – mais seulement dans des circonstances exceptionnelles – quelqu’un accepterait de mourir pour sa patrie…
Peut-être. Mais logiquement, mourir pour quelqu’un de mauvais, mourir pour un ennemi, pour quelqu’un qui te hait… ça, personne ne le fait !
Ça n’existe pas !

Dieu ne nous attend pas convertis pour nous aimer jusqu’à mourir

Et pourtant…
C’est justement là, dit saint Paul, que se révèle le trésor de notre foi : Dieu prouve son amour envers nous en ceci : alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Et il insiste encore : Alors que nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils.
Dieu ne nous attend pas convertis pour nous aimer jusqu’à mourir !
Jésus ne meurt pas uniquement pour ses amis, mais aussi pour ses ennemis !
Alors imagine un peu ! Tu es aimé par quelqu’un qui est capable d’aimer même celui qui le hait, qui aime même celui qui veut le tuer… et qui le tue !

Cela dépasse tout ce que l’on peut concevoir ! Mais sommes-nous conscients de ce que cela implique ?

Toi, qui ne te considères pas comme un ennemi de Dieu – loin de là !
Toi, qui n’es même pas indifférent à Dieu. Ou toi, qui es peut-être agnostique, tu ne sais pas trop quoi penser, mais tu ne rejettes pas Dieu pour autant.
Et toi, de bonne volonté, qui n’as jamais voulu faire sciemment du mal à autrui…
Sais-tu que toi aussi, tu es aimé avec la même puissance incroyable de l’Amour d’un Dieu qui aime même ceux qui le refusent ? Et que tu en es, toi aussi, le bénéficiaire ?
Cette force d’amour est pour toi, même si tu n’es ni opposé, ni ennemi, ni fermé…
Et pourtant, la croix du Christ, c’est aussi pour toi.

La surabondance de l’amour de Dieu

C’est ça, la surabondance de l’Amour de Dieu : une exagération divine !
Il t’aime plus que nécessaire.
Il t’aime au-delà du raisonnable.
Il t’aime au-delà du normal.
Il t’aime jusqu’à la folie.
Il t’aime à en mourir.

Celui qui tombe amoureux pense parfois aimer ainsi, « à en mourir »…
Mais une personne amoureuse aime généralement quelqu’un qui l’aime en retour,
ou au moins, quelqu’un qu’elle admire pour ses qualités et non pour ses défauts ou son rejet.

Dieu, Lui, meurt d’amour pour celui qui le hait. Et Il t’aime, toi aussi, avec la même intensité.

Saint Paul le dit ainsi : Si, alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, combien plus serons-nous sauvés, maintenant que nous sommes réconciliés, par sa vie !
Mon Jésus, comme tu es vivant et fou!
Fou d’amour, fou de moi, fou de nous tous.
Tu aimes même ceux qui restent enfermés dans une haine totale.

Peut-être que l’enfer, c’est justement cela :
ne pas supporter cet amour infini qui continue à nous être offert, même quand on ne veut pas en entendre parler… L’amour ne s’impose pas.
Il aime. Et c’est tout.

Avec Jésus, s’accomplit et se révèle définitivement la folie de l’amour démesuré de Dieu pour nous.
Un chrétien ou une chrétienne peut donner sa vie pour la patrie, oui – mais ils ne le feront en vrais chrétiens que s’ils savent aussi qu’ils sont appelés à « aimer jusqu’à mourir » même celui qui les combat.
Il n’y a pas d’humanité plus haute : c’est l’amour chrétien.

Lectures bibliques : Romains 5, 5-11; Psaume 88; Luc 4, 16-21