Homélie du 3 août 2025 ( Lc 12, 13-21)

Père Luc Ruedin – Hospice du Grand-Saint-Bernard

Chers frères et sœurs, chers pèlerins, chers auditeurs,
« Vanité des vanités, tout est vanité ! » Traduisez : Vapeur des vapeurs, buée des buées, fumée des fumées, tout est fragile, tout passe, rien ne demeure. On a beau se donner de la peine, être avisé, s’y connaître, réussir… et devoir tout laisser… même à celui qui ne s’est donné aucune peine, nous assène le Qohèleth. Et le psaume de confirmer : « tu fais retourner l’homme à la poussière, dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée… ». Bref, c’est la douche froide ! À moins que… nous n’apprenions « la vraie mesure de nos jours pour que nos cœurs pénètrent la sagesse » !

L’Espérance, la vraie richesse ?


Quelle sagesse ? Sans aucun doute celle des réalités d’en haut puisque, comme nous le rappelle saint Paul, passés par la mort… nous sommes ressuscités avec le Christ. Et qu’est-ce qui nous fait expérimenter, toucher la Résurrection ? Rien moins que les trois vertus théologales ! C’est-à-dire ces forces, ces énergies venues immédiatement de Dieu : la Foi, l’Amour et… l’Espérance la petite force venue d’en haut, à laquelle, chers pèlerins, nous avons réfléchi sur la route qui nous a conduit à l’Hospice. L’Espérance, la vraie richesse ? Ecoutons ce que nous dit, en creux, l’Evangile :
Jésus part d’une question très concrète, celle de régler un héritage. Qui ne sait d’expérience que la fraternité de… la fratrie peut être mise alors à rude épreuve ? Cette question, faute d’être résolue par Jésus – il laisse cela aux instances humaines – lui permet d’élever le débat au niveau du sens de la vie, de ce qui est fondamental ! Il met alors en garde contre la cupidité, ce désir immodéré d’argent, de richesse, cette envie d’avoir toujours plus jusqu’à croire que la richesse… garantit notre vie. De fait, derrière cette position se cache une autre question : Quelle est notre vraie richesse ? Et aussi quelles sont nos façons d’être riches devant Dieu ?

Disons tout de suite que Jésus n’a rien contre les riches en tant que tels. Il est capable de louer la générosité de ceux-ci. D’ailleurs ici, il s’agit d’une richesse honnêtement acquise : celle d’un homme dont la terre a bien rapporté. Non la pointe du texte est ailleurs : que suscite en cet homme cette surabondance inespérée ?

– D’abord, il veut se mettre à l’abri des aléas. Il va constituer des réserves, et investir dans la construction de nouveaux greniers pour préserver ses richesses. Il veut donc pouvoir échapper à la peur de l’inconnu. Même si une mauvaise année survient, ses réserves seront suffisantes pour que la catastrophe ne le menace plus jamais. Face à l’imprévisible, il veut absolument se prémunir. Du coup, il se coupe de l’Espérance, cette force qui nous donne d’espérer envers et contre tout, qui nous donne d’espérer parce qu’elle vient d’Ailleurs… du Seigneur qui habite notre cœur profond.

– Ensuite, puisque le souci de la disette s’éloigne, l’homme croit alors qu’il va pouvoir en profiter : « Te voilà avec quantité de biens pour de longues années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance ». Et l’homme s’installe. Il n’a besoin de personne pour vivre. Il se suffit à lui-même. Rien de plus normal, finalement, que le calcul de cet homme riche, qui mise avant tout sur la sécurité. Quelle sécurité ? Comme si la mort n’existait pas ! Or, rappelle Jésus, il n’y a de sécurité pour personne : pour celui qui reste face à la perte d’un être cher et… face à notre propre mort ! Car la mort, nous le savons tous, se présente, obstinée, inattendue, importune, comme la limite absolue qui donne le sens le plus profond à notre vie : « L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie » nous dit Etty Hillesum, cette femme d’Espérance qui, parce qu’elle « savait », parce qu’elle avait fait l’expérience de l’Amour qui a vaincu la mort, a traversé, debout, l’abîme du mal.

– Enfin, Jésus n’est pas dupe. Il sait que la richesse isole. L’argent bien entendu ! Mais également toutes les richesses après lesquelles notre monde, et nous-mêmes, nous pouvons être tentés de courir : la réputation, le savoir, l’ambition, l’image que nous souhaitons donner, nos projets personnels aussi qui peuvent occuper tout notre esprit… jusqu’à nous couper des autres, voire les écarter de notre chemin… Bref, l’avoir, le valoir, le pouvoir… Tout ce qui peut nous fasciner, nous rassurer et nous tromper. Et nous savons bien que cela peut se nicher dans des tas de recoins, a priori anodins, de nos existences. Car nous sommes tous riches de quelque chose ; et tous tentés de nous y installer. Si bien installés d’ailleurs que nous nous identifions à ce que nous possédons, valons, pouvons…, nous coupant de l’essentiel : la relation avec la Vie, la vraie Vie, notre cœur profond, les autres, Dieu… Nous voici alors séparés de la joie… que donne l’Espérance qui, elle, nous ouvre à des horizons de liber

Dieu donne à l’existence tout son prix


Se prémunir face à l’inattendu, profiter à tout prix, s’installer… ? Les années passent, et l’on engrange du confort, des réussites ; on entasse des habitudes et des souvenirs, on multiplie ses assurances sur le bonheur, et à force de vivre au milieu des choses, on finit par oublier l’Espérance… ne voulant pas voir que toutes ces choses n’auront qu’un temps. Bien loin de dévaluer les réalisations et les projets de l’homme, Jésus vient rappeler, que Dieu donne à l’existence tout son prix… qui n’a de valeur que dans la mesure où nous en savons la Source et la Fin… ce que l’Espérance nous donne de pressentir… de sentir, de vivre…

Si l’on « s’enrichit pour soi-même », comme dit Jésus, rien de ce trésor ne passera dans la vie définitive ; mais si un croyant s’enrichit dans l’Espérance « en vue de Dieu », s’il met toutes les ressources de son intelligence et de son cœur au service du dessein de Dieu sur lui et sur le monde, un trésor, le nourrira ici-bas et… l’attendra auprès de Dieu. Seul ce que nous aurons vécu et donné dans l’Espérance, la Confiance et l’Amour traversera la mort. Le reste est illusoire, comme nous l’a rappelé le Livre de Qohèleth dans la première lecture.

C’est à cette aventure, à ce combat humain et spirituel, que Jésus lui-même a connu et traversé, que nous sommes invités frères et sœurs. Il s’agit bien de l’enjeu de notre propre existence, quel que soit notre choix de vie, qui fait qu’au bout du compte notre vie est réussie ou non.
Amen

18ème dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Qohèleth 1,2 ; 2,21-23; Psaume 89; Colossiens 3,1-5.9-11; Luc 12,13-21

Homélie du 1er Août 2025 (Lc 4, 16-21)

Mgr Alain de Raemy – Col du Saint-Gothard

Saint Paul a bien raison :

Peut-être – même si c’est difficile – quelqu’un accepterait de mourir pour un juste… Peut-être – mais c’est encore moins évident – quelqu’un oserait donner sa vie pour une personne bonne. Peut-être – mais seulement dans des circonstances exceptionnelles – quelqu’un accepterait de mourir pour sa patrie…
Peut-être. Mais logiquement, mourir pour quelqu’un de mauvais, mourir pour un ennemi, pour quelqu’un qui te hait… ça, personne ne le fait !
Ça n’existe pas !

Dieu ne nous attend pas convertis pour nous aimer jusqu’à mourir

Et pourtant…
C’est justement là, dit saint Paul, que se révèle le trésor de notre foi : Dieu prouve son amour envers nous en ceci : alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Et il insiste encore : Alors que nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils.
Dieu ne nous attend pas convertis pour nous aimer jusqu’à mourir !
Jésus ne meurt pas uniquement pour ses amis, mais aussi pour ses ennemis !
Alors imagine un peu ! Tu es aimé par quelqu’un qui est capable d’aimer même celui qui le hait, qui aime même celui qui veut le tuer… et qui le tue !

Cela dépasse tout ce que l’on peut concevoir ! Mais sommes-nous conscients de ce que cela implique ?

Toi, qui ne te considères pas comme un ennemi de Dieu – loin de là !
Toi, qui n’es même pas indifférent à Dieu. Ou toi, qui es peut-être agnostique, tu ne sais pas trop quoi penser, mais tu ne rejettes pas Dieu pour autant.
Et toi, de bonne volonté, qui n’as jamais voulu faire sciemment du mal à autrui…
Sais-tu que toi aussi, tu es aimé avec la même puissance incroyable de l’Amour d’un Dieu qui aime même ceux qui le refusent ? Et que tu en es, toi aussi, le bénéficiaire ?
Cette force d’amour est pour toi, même si tu n’es ni opposé, ni ennemi, ni fermé…
Et pourtant, la croix du Christ, c’est aussi pour toi.

La surabondance de l’amour de Dieu

C’est ça, la surabondance de l’Amour de Dieu : une exagération divine !
Il t’aime plus que nécessaire.
Il t’aime au-delà du raisonnable.
Il t’aime au-delà du normal.
Il t’aime jusqu’à la folie.
Il t’aime à en mourir.

Celui qui tombe amoureux pense parfois aimer ainsi, « à en mourir »…
Mais une personne amoureuse aime généralement quelqu’un qui l’aime en retour,
ou au moins, quelqu’un qu’elle admire pour ses qualités et non pour ses défauts ou son rejet.

Dieu, Lui, meurt d’amour pour celui qui le hait. Et Il t’aime, toi aussi, avec la même intensité.

Saint Paul le dit ainsi : Si, alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, combien plus serons-nous sauvés, maintenant que nous sommes réconciliés, par sa vie !
Mon Jésus, comme tu es vivant et fou!
Fou d’amour, fou de moi, fou de nous tous.
Tu aimes même ceux qui restent enfermés dans une haine totale.

Peut-être que l’enfer, c’est justement cela :
ne pas supporter cet amour infini qui continue à nous être offert, même quand on ne veut pas en entendre parler… L’amour ne s’impose pas.
Il aime. Et c’est tout.

Avec Jésus, s’accomplit et se révèle définitivement la folie de l’amour démesuré de Dieu pour nous.
Un chrétien ou une chrétienne peut donner sa vie pour la patrie, oui – mais ils ne le feront en vrais chrétiens que s’ils savent aussi qu’ils sont appelés à « aimer jusqu’à mourir » même celui qui les combat.
Il n’y a pas d’humanité plus haute : c’est l’amour chrétien.

Lectures bibliques : Romains 5, 5-11; Psaume 88; Luc 4, 16-21

Homélie du 27 juillet 2025 (Lc 11, 1-13)

Père Denis Tosser, Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

« Apprend-nous à prier »

Frères et Sœurs, qui un jour ne s’est jamais demandé comment progresser dans la prière. Progresser dans sa prière personnelle. Quelle que soit notre expérience, notre habitude, notre rythme de prière, qui d’entre nous ne s’est jamais tourné vers le Seigneur en se demandant comment progresser dans cette respiration qu’est la prière et c’est la question que les disciples posent à Jésus alors qu’ils sont avec lui en un certain lieu et que Jésus lui -même est en prière. Je ne résiste pas ce matin à partager quelques éléments de la longue lettre de saint Augustin sur la prière, puisqu’ici dans cet hospice du Grand-Saint-Bernard, les chanoines sont des chanoines réguliers de saint Augustin et c’est donc leur maître spirituel. Et dès la fin du 4ème siècle saint Augustin a donc écrit une très longue lettre sur la prière de nature à commenter l’évangile de ce dimanche et à nous éclairer. Deux éléments peut-être particuliers.

Le premier c’est que même si Jésus nous le dit avec insistance : ‘demandez, vous obtiendrez. Frappez, on vous ouvrira’, saint Augustin commente que la prière n’est pas d’abord affaire de demande, n’est pas d’abord affaire de besoin, n’est pas d’abord affaire de répétition. Saint Augustin commente que la prière est d’abord affaire de relations et que la prière est gratuite. Saint Augustin dit cela : ‘pourquoi donc aller à tant de choses et chercher ce que nous avons à demander, de peur de ne pas prier comme il faut ? Pourquoi ne pas dire tout de suite avec le Psalmiste j’ai demandé une chose au Seigneur et je la redemanderai : habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie’. Saint Augustin ajoute ‘dans le but d’acquérir la vie éternelle, la vie heureuse, celui qui est la vraie vie nous a appris à prier non pas en beaucoup de paroles. Ce n’est pas parce que nous aurons beaucoup parlé que nous serons exaucés parce que celui que nous prions sait ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui ayons demandé’.

La prière est d’abord une relation


Oui la prière donc est d’abord une relation. Par la prière nous nous établissons docilement, gratuitement, en présence du Seigneur. La première chose donc sans doute dans la prière est de prendre un rythme et de la vivre pour elle –même : chaque dimanche en participant à la messe ; chaque jour ; chaque matin ; chaque soir ; quel que soit notre prière la première dimension est d ‘y être présent et de nourrir ainsi notre relation à notre père. Et bien sûr, toutes les autres formes de prière n’ont pas d’autre but que de nous établir dans cette relation de fils avec son père comme en famille on peut être heureux d’être ensemble sans avoir beaucoup de choses toujours à se dire ou à faire. Ainsi contempler la création, rendre grâce au Seigneur pour ce que l’on vit, lui confier ce dont on a besoin, tout cela entretient notre relation filiale, notre relation de confiance. Oui la première dimension de la prière… c’est d’être en prière ! C’est d’être avec le Seigneur. C’est d’être enfant de Dieu. Cependant, bien sûr, nous avons besoin, notre corps a besoin, notre vie a besoin, de ce que le Seigneur nous donne. Et c’est bien ce dont Jésus parle dans la page d’évangile de ce jour : ‘Demandez : vous recevrez’.

Tout ce dont nous avons besoin est contenu dans le Notre Père

En commentant le Notre Père et l’évangile de ce jour, saint Augustin fait une remarque extraordinaire. Saint Augustin affirme qu’il n’y a rien en ce monde dont nous ayons besoin qui ne soit contenu dans les sept demandes du Notre Père : tout ce dont nous avons besoin est contenu dans les sept demandes du Notre Père (que ton nom soit sanctifié, que ta volonté soit faite, donne-nous notre pain, apprends-nous à pardonner). Une des grandes demandes par exemple : ‘donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien’ : saint Augustin fait remarquer que dans cette demande, nous demandons au Seigneur le don de force, les aliments dont nous avons besoin. Dans la demande, par exemple, ‘que ton règne vienne’ : saint Augustin fait remarquer que cette demande demande le don de piété, c’est à dire cette grâce de confiance en Dieu. Dans la demande ‘que ton nom soit sanctifié’ saint Augustin fait remarquer que nous demandons la crainte de Dieu, le respect, c’est à dire cette conscience que nous sommes créatures et que notre père est Dieu. Ainsi il n ‘y a rien que nous puissions demander qui ne soit présent dans les demandes du Notre Père, ce qui fait conclure saint Augustin, et sans doute c’est ce que l ‘on peut retenir ce matin de cette page d ‘évangile, c’est que nous n ‘avons pas besoin de déployer des trésors d’imagination pour prier le Seigneur.

Dans la prière du Notre Père, il y a tout ! En revanche il est bon d’expliciter auprès du Seigneur ce dont nous avons besoin et toute prière, finalement, nous dit saint Augustin, n’est rien d ‘autre que de scruter en nous nos besoins, pour déployer ce qui est déjà présent dans la prière du Notre Père. Ainsi donc, ce matin nous pouvons contempler, mais nous le savons bien, parce que nous en avons l’habitude sans même nous en rendre compte, que si chaque dimanche, chaque jour, dans chaque chapelet ou chaque fois que nous prions, lorsque nous redisons le Notre Père, c’est le Seigneur qui vient lui -même façonner en nous notre prière. C’est lui qui vient nous apprendre à prier chaque fois que nous reprenons cette prière, qui est la sienne, qui est la prière centrale et dominicale de l’Eglise, et que nous sommes appelés à faire nôtre.

Alors, peut –être, pour conclure, il est bon de redécouvrir, parce que sans doute nous l’oublions, que si à chaque Eucharistie nous refaisons les gestes mêmes du Seigneur pour avoir part à son Eucharistie (ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous), lorsque nous prions la prière du Notre Père, nous reprenons aussi les mots mêmes de Jésus, la prière même de Jésus, l’attitude filiale même de Jésus, et que cette prière du Notre Père, notre prière quotidienne, régulière, habituelle, est donc le don inouï, précieux, où le Seigneur nous livre sa propre prière d’homme, de fils du Père, de fils de Dieu. Et en nous la confiant, il nous fait cette grâce extraordinaire de petit à petit apprendre à prier parfaitement, en ne demandant rien d’autre au Seigneur que les sept demandes dont il veut nous combler. Amen.

17e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Genèse 18, 20-32; Psaume 137; Colossiens 2, 12-14; Luc 11, 1-13

Homélie du 20 juillet 2025 (Lc 10, 38-42)

Chanoine José Mittaz Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Chers frères et soeurs,

A l’heure la plus chaude du jour, quand le soleil brûlant impose un repos nécessaire à l’ombre du grand chêne, Abraham et Sara se tiennent à l’entrée de la tente pour accueillir avec prévenance et empressement trois étrangers qui n’auront pas à décliner leur identité. Leur visite sera une bénédiction pour le couple et le sein de Sara s’ouvrira enfin. Isaac sera le nom de leur futur enfant, ce qui signifie : le sourire de Dieu. Au Moyen-Orient comme dans les pays du Sud, l’hospitalité est aujourd’hui encore un devoir sacré.

Le sourire de Dieu

Alors que j’effectuais un stage en milieu carcéral en Valais, c’était il y a trois ans, je me souviens de cet homme algérien que j’ai rencontré dans une cellule du centre de détention administrative à Sion, une cellule exigüe qu’il partageait près de 22h sur 24h avec un latino dont il ne comprenait la langue. Cet homme du Sahara que la Suisse ne voulait accueillir m’a offert l’hospitalité avec le peu qui était à sa disposition. Il m’a simplement demandé si je voulais un café. Reconnaissant de mon acquiescement, il est allé nettoyer la petite cuillère et son unique tasse avant d’y mettre un peu de café soluble et d’y verser de l’eau chaude grâce à la bouilloire qu’il a pu acheter en prison et qu’il partageait avec son compagnon d’infortune. Avant de me servir le café, il l’a longuement brassé avec la cuillère, comme s’il me préparait une recette maison, spécialement pour moi. Le café qu’il m’a servi a ouvert un échange qui a nourri en chacun une bienveillance humaine et un début de mutualité ou de fraternité retrouvée. Dans cette cellule administrative, par un homme étranger que la Suisse ne voulait accueillir, moi aussi j’ai rencontré Isaac, c’est-à-dire le sourire de Dieu.

Célébrer ensemble cette amitié en laquelle Jésus-Christ se livre

L’évangile de Marthe et Marie se vit au quotidien à l’Hospice du Grand-St-Bernard. Oui, comment ne pas nous reconnaître en Marthe qui se laisse déborder par les multiples tâches au risque d’en oublier son hôte ? Mais aussi, comme ne pas nous laisser inspirer par Marie qui cherche à écouter l’hôte de passage ? Car sans lui, notre maison n’aurait aucun sens. Et d’ailleurs ce matin, grâce aux ondes de la radio, nous sommes heureux de pouvoir vous accueillir, chers frères et sœurs qui partagez avec nous ce temps de célébration. Au milieu de nous, vous êtes signe de la présence silencieuse de Jésus auprès de Marthe et Marie. Oui, le Christ est présent au milieu de nous ce matin, et vous aussi, vous êtes là, avec nous. Grâce aux ondes d’Espace 2, c’est-à-dire grâce aux techniciennes et techniciens du son dont nous ne pouvons voir le visage ou entendre la voix. Et pourtant, ils sont là, eux aussi. Sans leur présence, nous ne pourrions célébrer ensemble cette amitié en laquelle Jésus-Christ se livre, cette humanité chaleureuse qui nous rend accueillant, tous ensemble, au sourire de Dieu.

Un autre lieu frontière

Du Grand-St-Bernard, avec vous ce matin, je souhaite vous emmener vers un autre lieu frontière situé à l’est du Congo-RDC, sur la frontière douloureuse avec le Rwanda. Depuis 3 ans, j’ai la joie d’être accueilli pour des séjours de plusieurs mois par an dans le sud Kivu, à Bukavu et sur l’ile Idjwi. En janvier 2025, les forces du M23 affiliées à l’armée rwandaise se sont emparées de Goma (RDC) y faisant plus de 7’000 morts. Puis ils sont descendus sur Bukavu. Je vous laisse imaginer la terreur aux ventres des habitants, la peur viscérale de subir les maltraitances dégradantes et les crimes affreux qui deviennent malheureusement l’ordinaire partout où sévit la guerre. Prions pour eux et avec eux, car un traité de paix vient d’être signé hier au Qatar entre les forces du M23 et l’état congolais.

C’était en février dernier, moins de 48h avant l’entrée des forces armées à Bukavu, j’ai eu la possibilité de faire un appel en visio avec mon confrère et ami Paul Bulyalugo. En contemplant son visage quelque peu amaigri, j’ai ressenti en moi une grande paix. Et je lui ai demandé : comment tu fais ? Il m’a expliqué qu’il avait renoncé aux réseaux sociaux, notamment aux images qui circulaient sur le conflit à Goma. Je retraduis avec l’évangile du jour : alors qu’il aurait pu se faire happer comme Marthe, il a choisi d’écouter comme Marie. Et Paul me dit : « l’autre armée ne veut certainement pas tous nous tuer, alors on va rester calme. » Le choix des mots est important. Il ne s’agit pas des ennemis, mais de l’autre armée. Bien choisir les mots dispose le cœur au meilleur de lui-même.

Et Paul m’explique ensuite avoir passé son après-midi avec les enfants orphelins du foyer Ushirika construit à côté de la cure. Mon ami Paul a cherché à faire sourire ces enfants, car l’angoisse ambiante les étreignait aussi. Et à la fin de son animation, Paul a demandé à chaque enfant d’aller s’asseoir à côté de qui la relation a été plus difficile aujourd’hui. C’est alors que le petit Mulambo est allé s’asseoir à côté de la Sœur directrice, car ça avait été difficile avec elle. Et c’est à ce moment que tout le foyer a souri de tendresse. Oui, rappelez-vous ! Issac : c’est encore le sourire de Dieu.


L’association amis de Bukavu (www.amisdebukavu.com) soutient depuis 25 ans des actions concrètes au service des plus vulnérables dans cette région du monde. Comment cette association est-elle née ? Lorsque l’abbé Adrien, aumônier de la prison de Bukavu est venu faire une conférence en Valais, une petite fille a demandé à ses parents : « On peut inviter à la maison l’abbé Adrien ? » Et depuis une amitié est née. Aujourd’hui l’association soutient par exemple la construction d’une école pour les enfants des familles pygmées sur l’ile Idjwi. Plusieurs fois chassées, elles se sont aujourd’hui installées sur leurs terres achetées grâce à l’association Amis de Bukavu. Et c’est émouvant de penser que toutes ses familles vulnérables sont bénéficiaires d’un papa et d’une maman de Martigny qui ont entendu l’appel de leur petite fille. Oui, l’hospitalité ouvre des chemins de vie insoupçonnés.

16e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Genèse 18, 1-10; Psaume 14; Colossiens 1, 24-28; Luc 10, 38-42

Homélie du 13 juillet 2025 (Lc 10, 25-37)

Chanoine Jean-Jacques Martin – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice

Je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que, en nous racontant la parabole que nous venons d’entendre, le Christ voudrait nous provoquer à un renversement dans le regard que nous portons sur les autres.

Suis-je un bon prochain ?

Désormais, la question n’est plus : « Qui est mon prochain ? » mais « de qui je me fais le prochain ? »
Le prochain ce n’est pas toujours les autres ; c’est aussi moi quand je me rapproche d’eux, quand je me rapproche de ma famille, de ceux et celles avec qui je travaille, des membres de ma chorale liturgique, des blessés de la vie, des malades, des déprimés. Actuellement, les moyens de communication modernes nous permettent de nous faire proches du monde entier. En toutes circonstance, nous pouvons nous poser cette question : « Suis-je un bon prochain ? Suis-je capable de donner des raisons de vivre et d’espérer ?

Aujourd’hui, plus que par le passé, à cause de la déchristianisation, on parle de synodalité, le pape François nous a dit de nombreuses fois d’aller dans les périphéries !

Mais, finalement, qu’est-ce que cela change ?
Il y a de moins en moins de personnes lors des célébrations dans les églises, il y a de moins en moins de personnes qui sont d’accord de s’engager en Eglise. Il y a de moins en moins de personnes dans nos chorales liturgiques.

Alors on baisse les bras ?
Alors on retrousse les manches ?

Adopter le regard même de Jésus

La première réflexion, le premier réflexe, c’est d’adopter le regard même de Jésus. Ce n’est donc pas d’abord de recruter pour l’institution Eglise. Ce n’est pas non plus de la publicité pour le produit Evangile, pour le chant grégorien ou les messes avec orchestre. Ce n’est pas une entreprise pour faire des programmes de conquêtes idéologiques.

C’est une attitude du cœur, du cœur de Jésus : nous sommes au cœur même de la foi. Jésus n’est pas seulement un guide ou un compagnon, Jésus est ma vie.

Le bon samaritain nous donne un bel exemple justement de la vie, et des raisons d’espérer. Il ne faut pas prendre sa place, ne pas résoudre pour lui le problème de son avenir. Ce n’est pas savoir à sa place et pour lui ce qu’il y a à faire.
A un certain moment il faut apprendre à s’effacer, à disparaître pour laisser autrui être lui-même.
C’est en nous aimant à l’extrême que Jésus s’est fait notre prochain. Et aujourd’hui, il nous adresse son commandement : « Va et toi aussi, fais de même ! »

Le premier ouvrier que Dieu ait sous la main c’est chacune et chacun d’entre nous

D’accord… mais il n’en reste pas moins le constat : « regardez-nous, voyez notre âge… est-ce que les Céciliennes vont continuer ? On est parfois bien démotivé puisque l’on ne voit plus de jeunes… ».

Alors que faire : comme je vous le disais : on baisse les bras ou on se retrousse les manches ?

Le premier ouvrier que Dieu ait sous la main c’est chacune et chacun d’entre nous, et j’ose ajouter si l’on prie ! On parle de crise du nombre de membres de nos chorales liturgiques et si, au fond, ce n’était que la crise de la prière ?

Je le sais bien, et j’entends même plusieurs d’entre vous penser si fort que cela arrive à mes oreilles : mais chaque fois que l’on chante on prie… Ah oui… toujours ?

Mais cela vaut la peine de se retrousser les manches. Vous, les participants à la semaine romande de musique et de liturgie, vous êtes présent parce que vous êtes d’accord de vous retrousser les manches et ne pas désespérer mais garder toujours confiance !
Donc vivre quelque chose ensemble et faire envie, être enthousiaste.
Il faut que les choristes se surpassent un moment pour atteindre autre chose que le vécu quotidien, prient et fassent prier. La musique liturgique n’est pas un art d’agrément, mais un art qui fait que les gens s’expriment autour d’une idée. On se réunit pour exprimer quelque chose ensemble : sa foi.

Et c’est beaucoup moins ringard que l’on croit.

Alors, chers amis choristes et musiciens, continuez à croire à persévérer… cela en vaut la peine !
Et n’oublions pas que Dieu a besoin de chacun et chacune d’entre vous pour se dire dans le monde d’aujourd’hui !

Alors merci, oui vraiment merci pour votre magnifique engagement !
AMEN !

15e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Deutéronome 30, 10-14; Psaume 68; Colossiens 1, 15-20; Luc 10, 25-37