Chanoine Raphaël Duchoud – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS
Frères et sœurs dans le Christ,
Il est peut-être superflu de rappeler le thème principal de cette Année Sainte voulue par le Pape François qui consiste à être “Pèlerins d’espérance” qui a inspiré cette année les organisateurs des pèlerinages alpins de Ferret au Grand-Saint-Bernard dans le choix du thème : “Elle est vivante, l’Espérance.”
Si cette vertu théologale a été mise en valeur durant cette Année Sainte par le Pape François de bonne mémoire, on peut y recueillir le message qui invite à croire envers et contre tout que la vie est précieuse, que la vie est une force qui appelle depuis la nuit des temps toute la création à marcher selon le rythme qu’elle lui donne de vivre, car celle-ci est à la base un don de Dieu. Même plus : dans l’Ecriture Sainte, Dieu s’identifie avec la vie, car il est lui-même la Vie. Jésus affirme, en effet, à l’encontre de l’Apôtre Thomas quand celui-ci, tergiversant sur le chemin à prendre pour aller vers le Père, lui demande : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment pouvons-nous savoir le chemin ? » En réponse, Jésus affirme : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Personne ne va vers le Père sans passer par moi. » (Jn 14, 5-6)
Fermes dans l’espérance
Conscients de la valeur de la vie, don précieux que Dieu remet entre nos mains, il nous faut oser croire en cette vie, ce qui nous porte à espérer contre toute espérance. Dieu, qui nous a créés non pour la mort mais pour la vie, nous veut debout, fermes dans l’Espérance et cette conviction que l’Espérance est belle, il faut l’affirmer en plaçant notre foi dans le Christ, vainqueur de la mort par la vie.
La foi constitue la base de toute espérance
Parmi les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, la foi ouvre le chemin de vie qui conduit au Père. Evoquée à plusieurs reprises dans le passage de la Lettre aux Hébreux que nous avons entendu comme deuxième lecture, la foi constitue la base de toute espérance de voir la réalisation des promesses de Dieu. Dans l’histoire du peuple d’Israël, la foi en un Dieu fidèle à son Alliance voulant stimuler un dynamisme de vie avec son peuple va être à l’origine de l’unique bien qu’Israël va conserver au cours de toute son histoire : sa religion, non pas constituée d’un ensemble de rites plus ou moins magiques et superstitieux, mais d’une vraie relation d’amour et de confiance qui marque l’instant présent et stimule la perspective du futur car c’est ici et maintenant qu’elle se vit et qu’elle projette, par l’espérance, notre regard vers l’avenir. Saint Augustin, amoureux de la vérité et cherchant sans cesse à l’atteindre, ne définit-il pas le futur comme le présent dans l’espérance ?
Le passage de la Lettre aux Hébreux cité plus haut témoigne que ceux qui ont espéré avec foi dans les promesses divines et ont vécu le grand commandement de l’Amour ont transmis de générations en générations cette perle rare, ce trésor caché dans leur cœur cette connaissance de Dieu dont la découverte a chamboulé la vie de tant d’hommes et de femmes qui ont tout abandonné et ont vécu un renoncement pour répondre à cet appel impérieux du Christ à placer leur espérance dans les promesses de vie.
Le futur est le présent dans l’espérance
A notre tour de nous sentir impliqués dans l’Histoire Sainte qui appelle tous ceux qui vivent pleinement leur foi dans le Christ à cheminer dans l’espérance et ceci, chacun à son propre niveau ; toute personne en effet possède les qualités suffisantes pour ranimer l’espérance autour de soi, qu’elle soit marquée par la souffrance ou l’échec ou qu’elle ait l’impression que tout lui réussit dans la vie. Toute histoire humaine dont la vie a été marquée par la beauté de l’espérance nous rejoint dans le moment présent puisque, selon saint Augustin, le passé est le présent dans le souvenir et, comme on l’a déjà dit, le futur est le présent dans l’espérance. Ce qui ressort de cette perspective philosophique, c’est l’importance du moment présent défini par saint Augustin comme l’instant de la grâce ; c’est ici et maintenant que Dieu nous rejoint sur le chemin ; il convient donc de vivre constamment et pleinement l’instant présent. C’est dans cette perspective que l’exhortation de rester en tenue de service et d’attendre le retour du Seigneur prend toute son importance. Mais cette attente est appelée à être vécue dans une toute autre perspective que celle qu’on aurait imaginée ; en référence à la parole de Jésus dans l’Evangile de ce jour, elle est appelée non à être vécue dans l’anxiété, mais dans l’espérance du retour d’un Maître joyeux rentrant des noces désireux de communiquer cette joie aux membres de sa maisonnée. La rencontre avec le Seigneur devient ainsi source d’espérance au point que l’inimaginable va se produire : ce ne sont pas les serviteurs, prêts à recevoir le Maître qui devront le servir, c’est le Maître de maison lui-même qui servira ses serviteurs à son retour des noces, perspective orientée vers le Jeudi Saint, à l’institution de la Cène quand Jésus se ceindra les reins d’un manteau pour laver les pieds de ses disciples, leur manifestant ainsi la profondeur de son amour. (cf. Jn 13, 3-5)
Dans une telle perspective, l’espérance, ici sur la montagne, se révèle vivante dans cette dynamique du service gratuit pratiqué dans l’esprit de saint Bernard. Dans toute personne accueillie, que ce soit un mendiant, un Général, un Pape, un Napoléon, dans toute personne se présentant à la porte de l’Hospice, le religieux se doit de reconnaître Celui pour qui il a décidé librement de donner sa vie.
L’espérance a une saveur d’infini
L’abandon de toute sécurité, le chemin ouvert vers l’inconnu au quotidien, la volonté d’accomplir sa mission envers et contre tout, la joie d’oser aller de l’avant, de se laisser guider ainsi par la grâce de l’Esprit-Saint, tout cela n’est-il pas une disposition pour avancer vers la liberté intérieure ? “La foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. C’est elle qui a valu aux anciens un bon témoignage.” (He 11, 1-2) Dans cette perspective, espérer prend une saveur d’infini en guidant l’humanité vers l’accomplissement des promesses. Tant de témoins, en confessant leur foi dans le Christ, ont laissé et laissent encore aujourd’hui irradier autour d’eux la richesse de l’Esprit-Saint qui habite leurs cœurs.
Frères et sœurs dans le Christ, n’ayons pas peur d’espérer et de goûter la vie de l’Espérance. C’est elle qui dispose l’esprit humain à être attentif et ouvert aux mille petits signes de la présence de l’Esprit de Dieu car là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.
19e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Sagesse 18, 6-9 ; Psaume 32 ; Hébreux 11, 1-2.8-12 ; Luc 12, 35-40