Guy Musy

L'Evangile de dimanche: Talitha Khoum

Mc 5, 21-43

 Talitha Koum. Deux mots araméens dans l’évangile de ce jour. Ils appartiennent à la langue que parlait Jésus. Pourquoi les avoir conservés dans la version grecque? Peut-être ne voulait-on oublier aucun détail de cette scène mémorable? Mieux encore, l’original disait mieux que la traduction l’importance du message. Non pas un banal «réveille-toi!», comme si la jeune fille était profondément endormie. Notez bien que c’est Jésus lui-même qui commence par le faire croire. Voulait-il accréditer la croyance populaire qui fait de la mort un sommeil provisoire? D’où les remarques ironiques de l’assistance. Non, l’enfant, sur son lit, ne dormait pas. Pas plus que Lazare faisait un petit somme dans son tombeau. La jeune fille était bien morte. Point barre. Jésus ne lui dit donc pas: «réveille-toi!», mais «lève-toi!», ou «dresse-toi!» ou encore «ressuscite!». Ces trois derniers mots ont le même sens dans le parler des évangiles. Et pour être certain d’avoir été bien compris, il commande que, sur le champ, on apporte à la ressuscitée le déjeuner qu’elle avait laissé refroidir.

En fait, cette histoire n’est qu’une hymne à la vie. Une vie à nouveau promise à cette adolescente, si proche d’être nubile. Elle n’allait pas mourir stérile, mais bénie elle aussi entre les femmes d’Israël aux riches maternités. Bref, tout redevenait normal pour elle grâce à l’intervention de Jésus. La défunte n’avait plus qu’à «se lever», reprendre le fil de ses jours que la mort avait arbitrairement coupé.

Car la mort n’est finalement qu’un accident sur la route des humains. Une anomalie, en quelque sorte. Surtout quand elle frappe un être jeune qui n’a pu développer ses virtualités. Ainsi le comprenaient les contemporains de Jésus, tels ceux qui rédigeaient ce livre de La Sagesse dont on lit aussi des extraits ce dimanche. Une conviction domine et traverse cet écrit: «Dieu n’a pas fait la mort!». Et il est loin de se réjouir quand agonise un seul de ses enfants. Il en éprouverait même de la souffrance. Voilà une théologie qui nous éloigne de ce Dieu Moloch qui prend plaisir à tuer et manger ses propres enfants. L’humain, comme la fille de Jaïre, est fait pour la vie. Et même pour la vie sans fin.

Mais alors, d’où vient la mort? Du «diable», répondaient les théologiens de ces temps prémodernes. De la fragilité et de la contingence de nos gènes, dirions-nous aujourd’hui. L’une ou l’autre réponse n’évacue pas l’angoisse qui nous étreint dès que nous songeons à notre grand et ultime départ. La mort n’est donc pas si naturelle qu’elle puisse en avoir l’air. A moins de se confier à celui qui l’a vaincue dans sa propre chair et qui promet à ceux qui passent à travers ce goulot d’étranglement, non pas la réanimation ou la réincarnation, mais une éternité de mystérieux bonheur.

Cette espérance nous fait tenir debout, alors que nous pourrions défaillir. Elle nous met en appétit autour de cette table où s’est assise la fille de Jaïre. Avec elle, nous mangeons notre pain quotidien. Ce plat frugal nous suffit, tant que n’aura pas sonné l’heure du banquet qui nous est promis


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là,
Jésus regagna en barque l’autre rive,
et une grande foule s’assembla autour de lui.
Il était au bord de la mer.
Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre.
Voyant Jésus, il tombe à ses pieds
et le supplie instamment :
« Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité.
Viens lui imposer les mains
pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
Jésus partit avec lui,
et la foule qui le suivait
était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans…
– elle avait beaucoup souffert
du traitement de nombreux médecins,
et elle avait dépensé tous ses biens
sans avoir la moindre amélioration ;
au contraire, son état avait plutôt empiré –
… cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus,
vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
Elle se disait en effet :
« Si je parviens à toucher seulement son vêtement,
je serai sauvée. »
À l’instant, l’hémorragie s’arrêta,
et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui.
Il se retourna dans la foule, et il demandait :
« Qui a touché mes vêtements ? »
Ses disciples lui répondirent :
« Tu vois bien la foule qui t’écrase,
et tu demandes : «Qui m’a touché ?» »
Mais lui regardait tout autour
pour voir celle qui avait fait cela.
Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante,
sachant ce qui lui était arrivé,
vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
Jésus lui dit alors :
« Ma fille, ta foi t’a sauvée.
Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre,
le chef de synagogue, pour dire à celui-ci :
« Ta fille vient de mourir.
À quoi bon déranger encore le Maître ? »
Jésus, surprenant ces mots,
dit au chef de synagogue :
« Ne crains pas, crois seulement. »
Il ne laissa personne l’accompagner,
sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques.
Ils arrivent à la maison du chef de synagogue.
Jésus voit l’agitation,
et des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
Il entre et leur dit :
« Pourquoi cette agitation et ces pleurs ?
L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
Mais on se moquait de lui.
Alors il met tout le monde dehors,
prend avec lui le père et la mère de l’enfant,
et ceux qui étaient avec lui ;
puis il pénètre là où reposait l’enfant.
Il saisit la main de l’enfant, et lui dit :
« Talitha koum »,
ce qui signifie :
« Jeune fille, je te le dis, lève-toi! »
Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher
– elle avait en effet douze ans.
Ils furent frappés d’une grande stupeur.
Et Jésus leur ordonna fermement
de ne le faire savoir à personne ;
puis il leur dit de la faire manger.

«L’humain, comme la fille de Jaïre, est fait pour la vie. Et même pour la vie sans fin»
26 juin 2015 | 17:00
par Guy Musy
Temps de lecture: env. 4 min.
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