Pirates islamiques

Jean-Blaise Fellay

L’attaque informatique contre une chaîne de télévision française a fait réapparaître un spectre ancien, qui terrorisa la chrétienté occidentale pendant une dizaine de siècles: les pirates musulmans. On appela ces troupes, venues par mer, les Sarrasins, du nom d’une tribu berbère nord-africaine, où les Maures, qui désignaient plutôt des populations musulmanes noires.

Ce qui relie les pirates informatiques du 21^e siècle aux barbaresques médiévaux, c’est la technique de l’attaque par surprise, le rezzou, et, plus fondamentalement, la volonté de conquérir et de détruire la civilisation chrétienne. Un objectif affirmé par l’Etat Islamique contemporain, dont l’emblème a remplacé quelques heures sur les écrans celui de la chaîne française. Le phénomène n’est donc pas nouveau mais il a été largement oublié. Rappelons quelques faits.

Après avoir conquis le Proche Orient, les troupes musulmanes se lancent dans une Afrique du Nord largement christianisée (c’est la terre de s. Augustin et d’un épiscopat de plusieurs centaines d’évêques à la culture romaine riche et développée). En deux campagnes, elles battent les troupes Berbères puis embarquent pour l’Espagne qui est conquise jusqu’à sa frange nord. Elles en profitent pour y déporter 200’000 Berbères et 40’000 Slaves. Elles tiennent déjà tout le Proche-Orient, la Perse, poussent jusqu’à l’Indus, mettent le siège devant Byzance et pénètrent dans les Balkans. Elles s’installent en Sicile et conduisent des raids sur les côtes grecques, italiennes et françaises: la Mer est musulmane. Un chroniqueur arabe note: «Les chrétiens ne peuvent pas mettre une planche sur la Méditerranée».

Leur pénétration en France est stoppée par Charles Martel à Poitiers en 732 mais le sud du pays reste menacé par les pirates, qui s’installent dans le Massif des Maures. Leur refoulement sera le but d’une longue lutte. Pour protéger le Languedoc, Guilhem, duc d’Aquitaine, pousse Charlemagne à prendre Barcelone d’où partent les navires musulmans. Celle-ci est conquise vers 803 mais les Sarrasins s’accrochent dans le massif des Maures et poussent des pointes jusqu’en Valais. En 972, un de leurs groupes prend en otage Mayeul, abbé de Cluny, à Orsières, sur la route du Grand-St-Bernard, et lui font payer une lourde rançon.

Après la prise de Barcelone, Guilhem se fit moine dans ce qui est devenu le merveilleux monastère de St-Guilhem-le-Désert aux sources de l’Hérault. Dans toute la région, on trouve une série de remarquables églises romanes fortifiées: St Jean-de-Cucule, St Martin de Londres et la première cathédrale de Montpellier, Maguelone. Fortifiées, car elles sont à la fois un lieu de protection pour la population, un bastion militaire, intellectuel et religieux. Elles datent du 12^e siècle, au moment où le redressement économique, politique et culturel de la Renaissance médiévale permet à la chrétienté de prendre l’initiative militaire par les Croisades et de porter l’offensive au cœur du système musulman, en Terre Sainte. Mais la montée en puissance des Ottomans va encore faire trembler les rives chrétiennes de la Méditerranée par les incursions des galères turques jusqu’à la fin du 17e siècle.

«Mais qu’allait-il faire dans cette galère?» s’exclame un personnage de Molière. Oui, la crainte des pirates musulmans traverse toute notre histoire. Nous n’en avons pas encore fini, semble-t-il.