Guy Musy

Blaise Pascal: Quatre siècles après sa naissance, qu’en reste-t-il?

Oui, que nous reste-t-il de cet auvergnat né le 19 juin 1623 à Clermont, voici quatre siècles? Quelques frémissements dans le monde littéraire, philosophique et religieux ont marqué cet anniversaire. Même le pape a rédigé pour la circonstance une «Lettre Apostolique» intitulée «Grandeur et misère de l’homme». Un acte pontifical d’autant plus étonnant quand on connaît la diatribe acerbe menée par notre penseur dans ses «Provinciales» contre les confrères jésuites de François. Dans sa «Lettre», le pape relativise cette controverse sur la grâce qui opposait alors Molinistes et Jansénistes, bien que l’enjeu de cette querelle théologique n’aie pas perdu au cours des siècles de son importance.

Mais la vie de Pascal ne se réduit pas à sa phase polémiste. Il est d’abord connu et reconnu comme un génie, particulièrement en mathématique, géométrie et astronomie. Enfant prodige, il découvre seul, sans appui extérieur, les «Eléments» d’Euclide.

Mais il est aussi un scientifique qui ne se complaît pas dans l’univers des idées. Il veut aussi déduire de son savoir des applications pratiques. On lui doit une machine à calculer et même le carrosse à cinq sols pour venir en aide aux parisiens fatigués des embarras de leur ville. Soucieux de rendre la science utile, il rappelle aux savants qui l’auraient oublié son fameux aphorisme; «Qui veut faire l’ange, fait la bête».

«La vie de Pascal ne se réduit pas à sa phase polémiste.»

Pascal pourtant ne cesse de réfléchir sur le monde qui l’entoure, objet de ses recherches et de ses découvertes. J’étais encore jeune adolescent quand un maître exceptionnel fit découvrir à notre classe de potaches plus ou moins écervelés la déclaration célèbre du penseur auvergnat: «Le silence éternel des espaces infinis m’effraie». Silence de mondes réels, quoique lointains et inaccessibles, contre lesquels se brise l’homme intelligent, impuissant à les décrire et bien sûr à les dominer.

Ce constat désolant n’empêche pas Pascal d’affirmer la supériorité de l’esprit sur la matière qui pourrait le tuer. Qui ne connaît pas sa célèbre formule: «L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser. Une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.»

«Nous voilà bien avancés!», ricaneront certains sceptiques contemporains, effrayés par les catastrophes cosmiques, sismiques ou atmosphériques qui tombent sur nos têtes, détruisent nos villes et endolorissent nos forêts et nos rivières. A quoi bon la supériorité du savoir s’il n’empêche pas que l’irrationnel nous écrase?

Mais Pascal ne se laisse pas désarmé. Le scientifique sera un jour convaincu que la suprématie de l’esprit sur la matière – bien frêle, il est vrai – est en réalité dépassée par ce qu’il appelle «l’ordre de la charité». Une conversion spirituelle, suivie de l’illumination de la fameuse «nuit de feu» du 23-24 novembre 1654 lui révèle un Dieu qui lui est proche, qui ne se laisse pas découvrir par des preuves ou des arguments rationnels. C’est le Dieu des patriarches bibliques. Bien mieux, c’est le Dieu de Jésus-Christ qui lui dit: «Je pensais à toi dans mon agonie; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi».

«A quoi bon la supériorité du savoir s’il n’empêche pas que l’irrationnel nous écrase?»

Pour ne pas oublier cette «révélation», Pascal en écrit le contenu sur un parchemin – le Mémorial – cousu dans un repli de son vêtement et qui l’accompagnera jusqu’à sa mort, survenue le 19 août 1662, à la veille de ses 40 ans. Cohérent avec ses convictions qui mettent l’Amour au-dessus de tout, c’est  proche des pauvres qu’il vécut ses dernières années.

Que reste-t-il aujourd’hui de ce savant et de ce penseur? Le témoignage d’un authentique chercheur qui sans tomber dans le fidéisme ou le mépris de l’intelligence aura tout de même reconnu la priorité de l’Amour. «Quand j’aurais le don de prophétie, la connaissance de tous les mystères et de toute la science… s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien» (I Co 13) . 

Un siècle avant Pascal, Rabelais, un autre sage, écrivait: «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Autrement dit, c’est la morale – on dirait aujourd’hui l’éthique – qui  devrait orienter la recherche scientifique, dicter ses applications et non le profit criminel ou l’art de la guerre. Inutile d’en rappeler des exemples. Ils hantent nos souvenirs.

Sans renier son prédécesseur, Pascal va plus loin que lui. La science devrait être au service de la charité, de l’humain blessé, humilié et dénigré dans sa dignité. Ce choix est plus exigeant que la recherche – honnête – au service du confort quotidien, des performances médicales et génétiques ou de l’exploration interplanétaire. Quelle académie, quelle Ecole Polytechnique se soucie aujourd’hui de la priorité de «l’ordre de la charité» aux dépens de la rentabilité immédiate de la recherche scientifique?

Non, malgré l’aridité et l’exigence de la lecture de ses «Pensées», Pascal nous interpelle. En sommes-nous conscients?

Guy Musy

2 août 2023


Pour aller plus loin:

– Pape François: Grandeur et misère de l’homme. Lettre apostolique pour le 4ème centenaire  de la naissance de Blaise Pascal, éditions Salvator, 2023.
– Pierre Lyraud: Pascal. Qui es-tu ?, éditions du Cerf, 2023.
– Pierre Manent: Pascal et la proposition chrétienne, éditions Grasset, 2022.

Blaise Pascal. Gravure de Gérard Edelinck vers 1691 | Bibliothèque du Patrimoine de Clermont Auvergne Métropole/CC BY-SA 4.0
2 août 2023 | 07:28
par Guy Musy
Temps de lecture: env. 4 min.
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