Pierre Emonet

Evangile de dimanche: la famille modèle n’existe pas

La scène est touchante. Le vieillard Syméon, cet homme pieux dont la vie a été formatée par la méditation des Écritures et l’attention à l’Esprit n’est pas un rêveur. Il incarne l’attente d’une humanité qui aspire à un avenir meilleur. S’il comprend que les promesses divines sont concentrées dans l’enfant qu’il porte dans ses bras, il pressent aussi qu’elles exigent la mort de ce qui est caduque. Dans le destin de ce petit se profile déjà l’homme des douleurs.  

La Sainte Famille est l’écrin dans lequel l’enfant va grandir. La piété populaire y voit le modèle idéal de la réussite familiale, et les images d’Épinal ne manquent pas pour décourager les parents les mieux intentionnés: époux unis sans failles, enfant sage et obéissant, atelier d’artisan laborieux, colombes sur le toit et voisins babas d’admiration. Tableau idyllique que les Évangiles excluent en égrenant les drames qui, de tous temps, accablent jusqu’aux familles les plus réussies.

La vie de couple de Marie et Joseph a débuté par une crise qui a bien failli tout compromettre. La grossesse inexplicable de Marie, son mutisme, la déception de Joseph ont conduit le couple au bord de la rupture. L’accouchement au cours d’un déplacement imposé par l’administration s’est déroulé dans le cadre inhospitalier d’un refuge de fortune pour SDF. La vie du nouveau-né menacée, le couple a dû fuir de nuit pour se retrouver requérant d’asile dans un pays inamical. Au terme des années d’exil, à l’heure du retour au pays, la situation politique de la région les oblige à s’installer hors de leur village d’origine.

«Même dans les familles les plus unies, ce qui se trame au plus secret des consciences échappe à l’entourage.»

La fugue de l’adolescent de douze ans, ses explications incompréhensibles font comprendre aux parents que leur fils leur échappe. Plus tard, Jésus quitte sa mère pour rejoindre une nouvelle famille, celle de ses disciples, qui la relègue un peu à l’arrière-plan. Finalement, l’arrestation du fils, le retournement de l’opinion publique, le procès public, la torture, la condamnation à mort et l’exécution, mettent le comble aux épreuves de la «famille exemplaire». Le vieillard Syméon ne s’était pas trompé, qui pronostiquait que cet enfant serait un poids pour ses parents, une épée dans le cœur de sa mère.

La famille réussie et sans histoires n’existe pas. À Bethléem, Nazareth ou Jérusalem les tensions, les incompréhensions et les épreuves à répétition n’ont pas conduit à la rupture ou à des solutions de facilité. Les parents ont compris qu’ils sont dépositaires d’un destin qui les dépasse, un mystère pour eux.

Même dans les familles les plus unies, ce qui se trame au plus secret des consciences échappe à l’entourage. Pour éviter le naufrage, il ne reste qu’à faire confiance, à espérer, à patienter, à prier si on est croyant, pour que chacun grandisse, se développe dans sa propre vocation, et prenne son envol pour faire de sa vie quelque chose d’utile.

Pierre Emonet SJ | Vendredi 29 décembre 2023


Lc 2, 22-40

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse
pour la purification,
les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem
pour le présenter au Seigneur,
selon ce qui est écrit dans la Loi :
Tout premier-né de sexe masculin
sera consacré au Seigneur.

Ils venaient aussi offrir
le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur :
un couple de tourterelles
ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon.
C’était un homme juste et religieux,
qui attendait la Consolation d’Israël,
et l’Esprit Saint était sur lui.
Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce
qu’il ne verrait pas la mort
avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur.
Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple.
Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus
pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait,
Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
« Maintenant, ô Maître souverain,
tu peux laisser ton serviteur s’en aller
en paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu le salut
que tu préparais à la face des peuples :
lumière qui se révèle aux nations
et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant
s’étonnaient de ce qui était dit de lui.
Syméon les bénit,
puis il dit à Marie sa mère :
« Voici que cet enfant
provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël.
Il sera un signe de contradiction
– et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – :
ainsi seront dévoilées les pensées
qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Il y avait aussi une femme prophète,
Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser.
Elle était très avancée en âge ;
après sept ans de mariage,
demeurée veuve,
elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Elle ne s’éloignait pas du Temple,
servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
Survenant à cette heure même,
elle proclamait les louanges de Dieu
et parlait de l’enfant
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur,
ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait,
rempli de sagesse,
et la grâce de Dieu était sur lui.

La présentation au temple. Église St-Arbogast, Oberwinterthur | © Maurice Page
29 décembre 2023 | 17:00
par Pierre Emonet
Temps de lecture: env. 4 min.
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