Nadine Manson

Pâques, un instant de grâce

La semaine pascale est devenue au fil du temps ma semaine préférée de ressourcement et de ravissement. Et ce n’était pas gagné d’avance! Au début, en paroisse, la perspective de devoir prêcher sur la résurrection constituait presque un véritable chemin de croix.

Il y avait les personnes n’y croyant pas. Celles que l’idée rebutait. Et d’autres qui restaient encore soit en exploration de sens soit sceptiques à l’égard de cet événement. A force de lecture et de recherche sur le sujet, je me suis permis d’exposer les nombreux points de vue sur la résurrection. L’aborder sous un angle biblique et exégétique, ou encore dans une optique libérale, ou encore moderniser sa portée et la rendre plus humaniste. L’envisager d’un point de vie analytique ou existentielle.

Le champ des possibles avait été approché ou du moins effleuré. Cependant la tâche était telle que chaque année, la semaine pascale m’épuisait. Et le dimanche de Pâques lors de l’acclamation, dialogue de foi avec l’assemblée, un soulagement presque un sentiment de consolation m’envahissait. J’ouvrais le culte par l’acclamation pascale: «Christ est ressuscité!», et les voix repartaient «Oui, il est vraiment ressuscité!». Peut-être que tout le monde y croit, pensais-je naïvement, il n’est plus nécessaire de l’expliquer.

«Il y a un ‘avant l’instant de grâce’ et un ‘après l’instant de grâce’»

Or, la foi ne peut pas se transmettre aussi facilement. Enseigner, instruire, prodiguer, accompagner, guider, écouter, discerner, toutes ces actions sont fructueuses, certes, mais aucune ne garantit de résultat. Ce qui me manquait cruellement à l’époque était une conviction personnelle. Vous savez, de celles qui vous portent au cœur même des vicissitudes; de celles qui envahissent vos vies et les inondent de tolérance et d’intelligence. Les convictions de foi que nous ne méritez pas mais qui un jour vous ont été offertes par Dieu lors de ce que j’appelle un instant de grâce.

Qu’est-ce donc cette sorte d’instant de grâce? Connaissez-vous les expériences de mort imminente (EMI)? L’analogie pourrait surprendre car elle risquerait de classer péjorativement le sentiment de la foi comme une espèce d’expérience ésotérique ou de pratique des sciences occultes et magiques. Pourtant, il me semble, qu’elle est démonstrative et expressive. Les personnes ayant vécu une expérience de mort imminente ne cherchent pas tant à convaincre qu’à être entendues et acceptées. Leurs vies sont souvent radicalement transformées et il y a un «avant EMI» et un «après EMI».

En cela l’analogie est congruente avec les instants de grâce. Il y a un «avant l’instant de grâce» et un «après l’instant de grâce». De surcroît l’EMI et l’instant de grâce se vivent intimement et ne sont pas rééditables. Ils ne sont pas cessibles, ni transférables. Ils adviennent à un moment précis, chez une personne spécifique, pendant un temps propre à chaque expérience. Et somme toute, malgré la concordance des témoignages, aucune EMI, et aucun instant de grâce n’est totalement identique à un autre.  Bien plus encore, il n’existe pas de moyen de prouver une EMI ou un instant de grâce. En avez-vous vécu un? De ces instants de grâce?

«Un fragile instant, j’ai été intimement touchée, bouleversée au-delà de ce que je me serais autorisée»

Pâques pour le christianisme reste à mes yeux la fête par excellence. Mon instant de grâce je l’ai connu en écoutant les Passions de Jean-Sebastien Bach. Essayez. Allongez-vous et prenez le temps d’avoir le temps d’être tout à votre écoute. Eliminez toutes sources éventuelles de dérangement. Restez disponibles pour la musique. J’avais en main le texte des paroles. Je n’attendais rien de spécial, ayant déjà à nombreuses reprises écouté les Passions. Celle de Matthieu sous la direction de Gustave Leonhardt avec la Petite Bande. Détendue, en terrain connu, je ne m’attendais pas à être saisie par le récit de la Passion. Récit coutumier et traditionnel, s’il en est. Un fragile instant, j’ai été intimement touchée, bouleversée au-delà de ce que je me serais autorisée. Ce fut une expérience épaisse et déterminante. Un instant de grâce où j’ai senti et compris Pâques.

Nadine Manson

22 mars 2023 

La résurrection | © carmeldelouvain.be
22 mars 2023 | 07:09
par Nadine Manson
Temps de lecture: env. 3 min.
Partagez!