Thierry Collaud

Qu’est-ce que le bien de l’Église?

Le bien de l’Église est-il une sorte de «raison d’Etat» qui justifie toutes sortes d’entorses à la moralité au nom de la visibilité et de l’efficacité de l’institution, ou ne dépendrait-il pas plutôt de la fidélité à une parole instituante que ne cessent de blesser nos compromissions humaines?

Je lis ces jours avec effarement l’enquête historique au sujet des frères Philippe, deux dominicains à l’origine de multiples abus sexuels et spirituels. Ils furent condamnés fermement par le Saint-Office romain à la fin des années 1950. Mais, jamais vraiment inquiétés, ils ont été discrètement réhabilités dans la décennie suivante.

Un élément me laisse particulièrement perplexe. Plusieurs personnages hauts placés dans la hiérarchie ecclésiale ont justifié l’impunité dont ils ont fait preuve au nom d’un prétendu bien de l’Église. Il fallait couvrir les méfaits des deux frères parce que l’orthodoxie et l’efficacité de leur prédication et de leur enseignement était de la plus haute importance à une époque où l’Église catholique tremblait de voir la vérité métaphysique sur laquelle elle se croyait établie contestée par l’esprit du temps.

Pour le bien de l’Église, on a donc rapidement fait silence sur leurs trahisons et sur leur perversité dans les relations humaines qu’ils entretenaient, en particulier sous couvert de direction spirituelle.

«Le vrai bien de l’hôpital, c’est de correspondre au mieux à cette volonté de prendre soin qui le fonde»

Qu’est-ce alors que le bien d’une institution? Par exemple qu’est-ce qu’un bon hôpital ou une bonne institution éducative? Est-ce une institution «qui marche», c’est-à-dire qui a du succès, manifesté par le nombre de personnes qui ont recours à elle, ici les patients ou les étudiants, avec une organisation gérant efficacement les collaborateurs et les flux financiers?

Mais l’hôpital est d’abord apparu parce qu’il y avait une communauté qui portait l’intention de prendre soin des personnes malades.  On parle de communauté et d’intention instituante. Le vrai bien de l’hôpital, le fait d’être un «bon» hôpital, c’est de correspondre au mieux à cette volonté de prendre soin qui le fonde, beaucoup plus que d’avoir un budget bétonné ou de caracoler en tête des classements internationaux.

Si nous revenons à l’Église, le concile Vatican II nous rappelle son intention instituante: elle est «une communauté de foi, d’espérance et d’amour» créée et soutenue continuellement par le Christ (Lumen gentium, 8). Le bien de l’Église n’est pas d’être une institution religieuse qui marche, c’est-à-dire qui attire beaucoup de fidèles et qui donne à voir un fonctionnement institutionnel pompeux et sans failles, mais d’être une communauté où circulent les «paroles bonnes» (Ps 45,2), une communauté où les hommes et les femmes de notre temps peuvent trouver un lieu bienfaisant pour croire, espérer et aimer. Dès qu’il y a une personne blessée, trahie, écrasée, humiliée ou instrumentalisée, dès qu’il y a des paroles ou des silences dont la froideur mortifère empêche de croire, d’espérer et d’aimer, il ne peut y avoir de bien, même si l’apparence ecclésiale est parfaite, même si l’orthodoxie doctrinale est respectée.

«Celui qui préfère son rêve d’une communauté humaine à la communauté chrétienne elle-même, celui-là devient le destructeur de toute communauté chrétienne (…)»

Dietrich Bonhoeffer

Vatican II précise encore que cette communauté qui cherche son bien, c’est-à-dire sa forme la plus excellente, est créée et soutenue «continuellement» par le Christ. Ceci signifie que le bien de l’Église est à recevoir plus qu’à construire par nous-mêmes dans de belles constructions architecturales ou dogmatiques. Elles peuvent même y faire obstacle comme la triste histoire des frères Philippe nous le montre. Dietrich Bonhoeffer, dans sa belle réflexion sur La vie communautaire, nous mettait déjà en garde contre la tentation dangereuse d’imaginer un bien pour l’Église à la manière humaine, au lieu de chercher dans l’humilité les lieux où le Christ continuellement la crée et la soutient. «Celui qui préfère son rêve d’une communauté humaine à la communauté chrétienne elle-même, celui-là devient le destructeur de toute communauté chrétienne, quels que soient l’honnêteté, le sérieux et le dévouement qu’il exprimait personnellement, dans ses intentions.»

Thierry Collaud

3 mai 2023

Le Frère Marie-Dominique Philippe a bénéficié du silence de membres de l'Eglise | © DR
3 mai 2023 | 07:04
par Thierry Collaud
Temps de lecture: env. 3 min.
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