Homélie du 22 juillet 2018 (Mc 6, 30-34)

Chanoine Raphaël Duchoud – Hospice du Grand-Saint-Bernard

Chers Pèlerins, chers frères et sœurs dans le Christ et vous qui vous vous unissez à notre célébration par l’intermédiaire des ondes de la Radio romande, c’est avec joie que je vous adresse ce mot de bienvenue au nom de la Communauté religieuse de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard.

Osons la Bienveillance ! Le thème des pèlerinages alpins de cette année 2018 organisés par l’Hospice peut sembler étrange au premier abord ; comment peut-on associer l’idée d’audace avec celle de bienveillance ? Oser comporte en principe une part de risque ; à partir du moment où j’ose, j’accepte d’abandonner mes sécurités pour me lancer dans la confiance. Toutes les fois où je me mets en pèlerinage et où la météo est incertaine, je ressens davantage en moi-même ce combat intérieur de m’arracher à mon petit confort pour me mettre en chemin en me livrant aux aléas du temps. Cette idée, cette image peut s’appliquer à de nombreuses situations dans la vie concrète en face desquelles nous nous sentons souvent limités dans notre choix et dans notre autonomie.

Osons la Bienveillance ! Pris au sens le plus direct, le mot bienveillance désigne une attention particulière portée à un proche ou à une réalité concrète, ce qui implique un décentrement de soi-même pour laisser place à une ouverture du cœur à l’univers qui nous entoure. C’est à l’attitude bienveillante qui jaillit du cœur de l’homme que saint François d’Assise se réfère quand il invite chacun à la louange pour les œuvres du Créateur dans son Cantique des créatures qu’il exprime du plus profond de son être. A sa suite, le Pape François ne cesse pas d’exhorter les hommes d’aujourd’hui à cette bienveillance franciscaine par son message exprimé dans l’encyclique «Laudato sii», loué sois-tu, mon Seigneur ! « Dans ce beau cantique, [saint François] nous rappelle que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : «Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe» ».

Dans le contexte de notre monde sécularisé où beaucoup de facteurs poussent à un individualisme marqué, l’exhortation à oser la bienveillance revêt un caractère prophétique ; en invitant chacun au décentrement de soi-même, elle invite à l’aventure, à se laisser habiter par l’émerveillement face à l’univers qui conduit automatiquement à une attitude de louange et de respect dans un profonde conscience de ce que nous sommes. Le grand commandement de l’Alliance entre le Seigneur et son peuple Israël évoqué par Jésus lui-même ne comporte-t-il pas en plus de l’exhortation à aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, celle d’aimer son prochain comme soi-même ? (Mc 12, 31) L’amour de soi-même dans le respect de ce que nous sommes entre donc pleinement dans le projet divin de salut.

Le premier à prendre des risques dans l’histoire du Salut est le Seigneur : tout au long des siècles, il ne cesse de démontrer de la bienveillance pour son peuple. Dans la première lecture de ce dimanche tirée du prophète Jérémie, nous voyons un Dieu octroyant sa bienveillance pour son peuple en le rassemblant comme des brebis dans leur pâturage sous la houlette de pasteurs qu’il établira lui-même à la tête de son peuple. Cette bienveillance le poussera jusqu’à instituer un «germe juste» appelé à faire germer la justice au cœur des nations. Tout au long de l’histoire du Salut, cette bienveillance de Dieu pour son peuple ne cessera jamais. Au contraire, elle s’accomplira pleinement dans la personne du Christ qui révélera par toute sa personne cette bienveillance de Dieu à l’égard de tous les hommes.

Dans l’Evangile de ce dimanche, il est bon de s’imaginer la scène vécue par le Christ et ses disciples. Ceux-ci rentrent de mission et se réunissent autour de Jésus pour lui référer tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Toute leur mission se résume donc en ces deux aspects : «faire» et «parler». C’est ce qui caractérise la vie même de Jésus : des actes de miséricorde et de l’enseignement. On voit par là que par leur engagement, les apôtres et Jésus se veulent être les ouvriers d’une même tâche. Dans ce contexte, oser la bienveillance insère totalement chacune et chacun d’entre nous dans l’activité missionnaire de Jésus ; au cœur de la mission, le disciple est appelé à partager les mêmes sentiments que son Maître.

Mais ce qui encore plus frappant dans le passage de l’Evangile de ce jour, c’est l’attention de Jésus qui montre de la bienveillance à l’égard de ses disciples ; voilà qu’il propose à ses amis un temps de détente et de repos. Certes, l’homme n’est pas fait pour le travail, c’est le travail qui est fait pour l’homme. Il est bon de se le rappeler. Tout en étant nécessaire pour la vie quotidienne, il reste un service rendu à chacun et non une fin en soi. Oser la bienveillance dans ce domaine est de prendre conscience de l’importance que tout être humain a aux yeux de Dieu. La bienveillance du cœur de Dieu le pousse à réaliser un bon équilibre chez l’homme et la femme, qu’ils soient sereins, paisibles, vivant des moments de solitude à l’écart des foules, moments essentiels à l’homme de tous les temps, mais spécialement indispensables à l’homme moderne, guetté par l’infarctus, dans la trépidation de nos villes. « Venez à l’écart, dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » (Mc 6, 31) Cette invitation de Jésus à ses disciples s’adresse également à nous pour nous inviter à un cœur à cœur avec Dieu en nous retirant au plus profond de notre être pour écouter le Seigneur nous parler au dedans de nous-même.

La bienveillance de Jésus ne l’éloigne par contre pas de notre humanité dans son réalisme. Alors que l’évangéliste Marc souligne la volonté de Jésus d’aller dans un endroit désert avec ses disciples, voici que les foules les précèdent sur l’autre rive ayant faim de la Parole du Seigneur comme point de référence pour grandir dans la vie. Qu’aurions-nous fait à la place de Jésus ? En tout cas, Lui se laisse émouvoir par la présence des foules au point qu’il les voyait «comme des brebis sans berger». Oser la bienveillance à l’exemple du Christ amène à discerner ce qui est essentiel à la vie au-delà de ce qu’on aimerait faire ici et maintenant ; aimer à l’exemple du Christ est également faire ce qui s’impose au service du Royaume dans un réalisme qui met en valeur ce qui est essentiel. Oser la bienveillance comme le Christ sera de choisir la vie pour le service de Dieu son Père, et le premier service sera celui de la Parole. L’Evangéliste Marc ne nous dit pas le contenu de cet enseignement  comme s’il voulait nous suggérer que ce contenu, c’est la personne même de Jésus.

En conclusion de ce pèlerinage, chacun de nous est invité à oser la bienveillance d’après l’exemple que Jésus nous donne ; dans un esprit de service, que notre regard bienveillant sur les autres et sur le monde nous porte à considérer les vraies valeurs, celles qui relèvent l’homme dans sa dignité d’enfant de Dieu appelé au Royaume.


 16ème dimanche du temps ordinaire – Année B

Lectures bibliques : Jr 23, 1-6; Ep 2, 13-18; Mc 6, 30-34


 

22 juillet 2018 | 10:04
Temps de lecture: env. 5 min.
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