
Homélie du 26 avril 2020 (Lc 24, 13-35)
Mgr Alain de Raemy – Basilique Notre-Dame, Lausanne
« Et nous qui espérions que c’était lui… »
Quel cri d’espoirs déçus ! Le cri des deux disciples sur le chemin d’Emmaüs… Et nous qui espérions que c’était lui… !
Quel cri déchirant !
Et aujourd’hui dans cette église vide : j’entends le cri désespérant des croyants de ce temps !
Délivre-nous !
Oui, nous aussi, nous qui espérions en quelque sorte que c’était lui, lui qui allait…, lui qui devait…, lui qui devrait délivrer, tirer d’affaire, arranger, épargner, ou alors réparer, guérir, « miraculer » si j’ose dire, sauver !
Oui, délivre-nous de cette pandémie ! Mais pas seulement de cette pandémie simplement parce que maintenant elle, elle nous touche tous. Car, si nous sommes chrétiens devant toi, Seigneur, délivre-nous également, plus largement :
délivre-nous des 25’000 personnes qui meurent chaque jour de la faim,
délivre-nous des 16’900 Suisses qu’emporte chaque année le cancer…
délivre-nous des sans-abris qui mendient ici, juste à côté,
dans les rues de la cité…
En déroute
Eh bien, oui, nous le prions, nous le supplions ! Mais non… Rien ! Rien ne vient d’en haut, rien ne change ici. C’est en tout cas la réponse que fait retentir le silence assourdissant de cette église vide aujourd’hui…
Rien, pas de miracle ! Et nous qui espérions que c’était lui, le Messie …
Amis, qui écoutez ! Comme les deux déçus d’Emmaüs, confinés qu’ils étaient d’abord avec les autres disciples, avant de sortir, oui, mais pour rentrer chez eux, déroutés, désespérés. Oui, chers amis, comme ces deux déçus de Jésus, dans les conditions difficiles qui sont les vôtres, vous avez peut-être quitté votre conjoint, vous vous êtes peut-être disputés, et séparés de votre famille, ou alors vous êtes, de fait, séparé de vos parents, de vos grands-parents, ou de vos enfants et petits-enfants vous êtes, de force, séparés de votre communauté, de votre travail, isolés, quasi abandonnés…
Comme les deux déçus d’Emmaüs, vous êtes, nous sommes, quoiqu’il en soit, en déroute, marchant vers l’inconnu…
Jésus est toujours à notre rythme
Que fait Jésus ? Mais que fait Jésus ! Ne fait-il vraiment rien ? Peut-être pas comme on l’attend… ou pas comme on l’entend… Car, nous l’avons entendu, Jésus marche avec eux, les deux déçus, en rase campagne, à leur rythme. Mais ils ne le reconnaissent pas. Il ne marche ni plus vite, ni plus lentement, il marche avec nous. Notre impatience ou notre désespérance deviennent siennes… Il écoute, il comprend. Jésus est toujours à notre rythme.
Mais nous ne le reconnaissons pas. Oui, et voilà, pourquoi nous ne le reconnaissons pas, car, d’après nous, c’est lui qui devrait nous éviter tout cela ! Mais le voilà qui marche mystérieusement avec moi, avec toi… Et nous qui espérions que c’était lui qui allait prendre les devants ! Mais non ! Voilà que c’est lui qui souffre, subit, agonise, et meurt même comme moi, avec moi, et pour moi… sur une croix. Et nous ne le reconnaissons pas. Parce que notre espoir n’était pas là…
Nous plaçons notre espoir en Jésus à l’arrivée, au but, à Emmaüs, à la résurrection, mais pas assez sur le chemin, en route… à la crucifixion. Et alors, il faut qu’il nous parle… Et la Bible est là pour ça : « Esprits sans intelligence », dit-il aux deux disciples décus d’Emmaüs (traduisez : « espèce de nigauds »… !), « Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont pourtant dit : Ne fallait-il pas que le Christ souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Autrement dit : Il n’y a pas une seule souffrance au monde, où Jésus n’y soit pas. Pas une seule ! Il le dit et répète lui-même aux déçus d’Emmaüs abasourdis.
Reste avec nous !
Et c’est alors que retentit ce nouveau cri : Reste avec nous ! Oh, oui, reste avec nous, se mettent-ils alors à supplier, toujours déçus, toujours blessés, mais comme déjà intimement titillés… Oui, une petite flamme s’allume dans leurs cœurs. Une aussi petite qu’étonnante espérance au-delà de leurs vains espoirs, plus profond que leur désespoir… Une véritable espérance est en train de faire son chemin dans leurs cœurs… : Reste avec nous ! Reste avec moi !
Tant de malades le crient aujourd’hui à leurs proches ! Reste avec moi ! Et toutes ces mesures de sécurité sanitaire qui nous empêchent de rester avec eux! Mais dans ce même cri, celui des deux déçus d’Emmaüs, il n’y a plus seulement de la déroute. Il y a comme un bienheureux doute : « et s’il disait vrai, s’il disait vrai, cet homme qui marche à notre pas… ? » Reste avec nous ! Ce « reste avec nous », il me semble que nos deux déçus le prononcent alors avec une telle attente et une telle délicatesse, que c’est comme si, plutôt que d’inviter Jésus chez eux, ils osaient, sur la pointe des pieds, s’inviter chez lui… Reste avec nous ! Et en effet, à peine à table, c’est lui, Jésus l’inconnu, qui tout naturellement préside, comme s’il était chez lui, comme il l’était avec ses disciples. Et il prend le pain, prononce la bénédiction, rompt le pain et le leur donne par morceaux… Et alors là ! Après tout ce qu’il vient de leur révéler sur la souffrance du Messie, comme étant la souffrance de tous, et surtout une souffrance portée par Lui pour tous… Après tout ce qu’ils viennent d’échanger sur le sens de leur déroute, comprise dans sa passion et sa résurrection… Le voir refaire ce geste traditionnel du père de famille juive : rompre le pain en prononçant la bénédiction, cela leur ouvre définitivement les yeux sur autre chose encore, sur ce qu’il leur avait dit en faisant ce geste au dernier repas : « ceci est mon corps, qui sera livré pour vous, ceci est mon sang, qui sera versé pour vous. » Le Messie, oui le Messie, livre son Corps comme du pain… Ainsi Dieu est le Pain qui se donne à la faim du cœur humain. Alors Jésus peut instantanément disparaître à leurs regards… Car ils l’ont, là, sur cette table : Dieu est vraiment le Pain qui se donne à la faim du cœur humain. Ce n’est pas nous, hommes, qui sommes pour lui, Dieu, mais c’est bien, lui, Dieu, qui est là pour nous, hommes, pour tous ! Donne-nous notre Pain de ce jour…
Il est là en chemin avec moi
Oui, chers amis chrétiens, je le sais. C’est justement ce Pain du Ciel, ce Jésus donné sans réserve qui vous manque, manque et manque tant… Mais ne restons justement pas en déroute, puisqu’il est avec nous sur la route. Que font les déçus d’Emmaüs, désormais réconfortés et enthousiasmés ? Ils ne restent pas là, à table. Ils retournent immédiatement retrouver leurs amis confinés. Ils vont rester avec eux. Car ils savent maintenant définitivement que Jésus est aussi là, oui là, dans ces moments ou confinements de doute et de peur, il est là, en chemin avec moi, à mon rythme à moi… Et un jour nous pourrons tous le célébrer, dans un Emmaüs enfin ré-ouvert et comme restauré !
Car le chemin de deuil des deux déçus avant Emmaüs, c’est maintenant vraiment notre chemin. C’est notre chemin, notre parcours, et vraiment un chemin, aussi statique qu’il soit en apparence, qu’est-ce qu’il y aurait de dynamique dans un confinement ? Et pourtant c’est l’actuel chemin qui peut nous faire découvrir le Christ, comme pour les deux disciples avant d’arriver à Emmaüs, car c’est découvrir le Christ, là où on ne l’attendait pas : dans ma vie, dans ta vie, dans notre vie, dans le confinement, à la maison. Et pas à pas, où que tu en sois, … il est là ! Reste avec moi, Seigneur, pour que chez moi soit chez toi !
3e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques : Actes 2, 14.22b-33; Psaume 15, 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11; 1 Pierre 1, 17-21; Luc 24, 13-35

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Homélie du 19 avril 2020 (Jn 20, 19-31)
Mgr Charles Morerod – Église St-Maurice, Ursy, FR
On voit l’acte de foi de l’apôtre Thomas: alors qu’il doutait, Jésus l’invite à toucher. On ne sait pas s’il touche, mais sa réaction consiste à dire « mon Seigneur et mon Dieu! » Chaque fois que je pense à ce texte je me rappelle, et certains d’entre vous m’ont déjà entendu le dire récemment, comment saint Thomas d’Aquin citant saint Grégoire le Grand commente cette déclaration de l’apôtre Thomas: voyant Jésus ressuscité : Thomas voit une chose et il en dit une autre. Ce qu’il voit c’est un homme vivant dont il pensait qu’il était mort. Il y avait bien des moyens de réagir à cela. Dire « mon Seigneur et mon Dieu » c’est avoir la foi : cet homme ressuscité est Dieu !
Qu’est-ce que ça change pour moi que le Christ soit ressuscité ?
Cette résurrection du corps, celle de Jésus et la nôtre à sa suite, c’est vraiment le cœur de la foi chrétienne. Comme le dit S. Paul, « Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Corinthiens 15,32). Nietzsche ironisait en disant qu’on ne voyait pas la résurrection sur le visage des chrétiens. Il y a quelque chose dans cette remarque… Posons-nous la question: qu’est-ce que ça change pour moi que le Christ soit ressuscité ? On peut y répondre à l’aide de quelques exemples.
Méditer sur la mort et la résurrection
On trouve des exemples dans les lectures bibliques de cette messe. Saint Pierre, dans la deuxième lecture, nous dit d’une part « même s’il faut que vous soyez affligés pour un peu de temps encore par toutes sortes d’épreuves », d’autre part « vous exultez d’une joie inexprimable remplie de gloire car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi ». Nous pouvons exulter d’une joie inexprimable ! Le temps de Pâques est bien l’occasion d’y songer, mais le temps d’épidémie nous pousse aussi à méditer sur la mort et la résurrection. Ce n’est pas la même chose de vivre sa vie tout entière, plus particulièrement des moments où on pense au risque de mourir bientôt, en croyant ou en ne croyant pas à la résurrection. Je sais que dans une visite à une paroisse de Rome, le pape a répondu à des questions, notamment à celle d’une jeune fille qui lui a dit : « Je suis revenue à la foi, mais toute ma famille se moque de moi. Qu’est-ce que je peux leur répondre ? » Le pape lui a répondu : « Laisse-les voir la joie de ta foi ! »
Dieu agit. Laissons-le agir !
La première lecture nous montre d’une autre manière comment la foi a un impact sur la vie. On a un texte qui semble presque une forme d’utopie: « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun ». Utopie? Disons que sans des buts élevés on ne va pas loin… Et qu’il ne faut pas limiter les possibilités de la vie chrétienne à nos propres forces : Dieu agit. Laissons-le agir !
En tout cas c’est le principe de vie des communautés religieuses : mettre les biens en commun et évidemment aussi ce qui suit dans le texte des Actes des Apôtres : fréquenter le temple, rompre le pain dans les maisons (ce qui inclut la célébration de la messe), aussi prendre le repas avec allégresse et simplicité du cœur : c’est possible, puisque ça existe, vraiment, même si pas parfaitement, et j’en suis témoin ! Certaines familles confinées font maintenant la même expérience, y compris dans la prière commune. Et combien d’exemples de personnes à qui la foi en la résurrection a permis de joyeusement donner leur vie pour que d’autres vivent. Je pense à saint Damien de Molokaï qui est allé sur une île de l’archipel d’Hawaii, où il n’y avait que des lépreux et dont il savait qu’il ne pourrait pas repartir. Ou encore à saint Maximilien Kolbe qui s’est offert à Auschwitz pour remplacer un père de famille choisi pour être exécuté. C’est le type de changement que la résurrection amène dans nos vies, dans notre rapport à la vie et à la mort. Et ce changement permet la vie des autres. Certes parmi les personnes qui risquent leur vie en soignant des malades de nos jours, la générosité ne se trouve pas que chez des croyants. Il y a des saints qui s’ignorent, et cette ignorance est une grandeur.
La référence à Dieu
Pâques accouche-t-il donc d’une utopie ? je me souviens du récit qui m’avait été fait par le P. Georges Cottier qui avait participé à une rencontre entre délégués du Vatican et philosophes communistes dans les derniers temps de l’Union soviétique. Cette rencontre avait eu lieu à Budapest, et ces philosophes communistes avaient une question : nous essayons de convaincre les gens de partager, pour que la société soit plus juste, mais ça ne marche pas. Est-ce que vous pouvez nous aider ? C’est donc là la perspective d’incroyants probablement sincères – ce n’était évidemment pas le cas de tous dans le système soviétique – mais ce système visait quand même un peu ce que décrivent les Actes des Apôtres. Ils avaient perçu que la différence entre leur idée de mise en commun des biens (au besoin par la violence) et la mise en commun des chrétiens, c’est la référence à Dieu.
Dieu nous a créés pour que nous vivions, sinon il ne nous aurait pas faits. S. Irénée disait, au 2ème siècle : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est de voir Dieu ». Seigneur, nous attendons de te voir, dans la foi nous t’entrevoyons, aide-nous à vivre pleinement et à aider notre prochain à vivre !
2e DIMANCHE DE PÂQUES ou DE LA MISÉRICORDE
Lectures bibliques. : Actes 2, 42-47; Psaume 117, 2-4, 13-15b, 22-24; 1 Pierre 1, 3-9; Jean 20, 19-31