Homélie du 5 avril 2020 (Mt 26, 14–27, 66)

Fr. Guy Musy OP – Église St-Paul, Cologny, GE

Au terme de cette lecture poignante qui nous relate les souffrances infligées à un innocent, me remonte en mémoire un vers du poète Paul Claudel : « Ils reviennent du calvaire et ils parlent de température ! » Combien de fois nous est-il arrivé le dimanche après la messe de converser sur le parvis de la pluie et du beau temps, alors que nous venions de commémorer un drame qui a marqué l’histoire du monde et la nôtre aussi.

L’absence ce dimanche de célébration publique de l’eucharistie nous fait souffrir. Mais n’oublions pas qu’il n’y aurait jamais eu de messe ni même de dimanche, s’il n’y avait eu d’abord cette croix plantée un certain vendredi sur ce monticule que les habitants de Jérusalem appelaient lieu du crâne parce qu’il en présentait la forme.

Cette croix qui a porté le salut du monde, comme nous avons l’habitude de le chanter distraitement fut d’abord un événement anodin. Même pas un fait divers de la Gazette de Jérusalem, si elle avait existé en ce temps-là. Crucifier deux hors la loi et un obscur illuminé n’était qu’une corvée supplémentaire ajoutée à l’ordre du jour d’un peloton de mercenaires à la solde  d’un pouvoir policier. Monnaie courante. Pas de quoi s’affoler. Pendant deux ou trois siècles le grand public a ignoré ce détail. Jusqu’au jour où certains ont prétendu que cet événement n’était pas banal mais qu’il apportait le salut du monde.

Mais pourquoi cette notoriété ? Vous me répondez avec raison : « Parce l’un des trois suppliciés a été vu et reconnu vivant deux jours plus tard» Bien sûr. Ce prochain dimanche nous aurons l’occasion de nous pencher sur ce fait extraordinaire qui est à la base de notre foi.

Un miroir qui reflète les ignominies qui se commettent dans notre humanité

Mais une autre raison nous convainc de nous arrêter aujourd’hui sur ce récit. Il est le miroir qui reflète les ignominies qui se commettent dans notre pauvre humanité. Mais aussi le miroir du bien qui se cache sous les replis du mal.

Les violences dont Jésus est l’objet nous sont hélas bien connues. Certaines nous sont même familières : procès inique, faux témoignages, manipulation de l’opinion, lâcheté du pouvoir en place, trahison et fuite des proches, tortures sadiques dans la cour d’un corps de garde.

Le comble fut la dérision de la foi du condamné pour l’amener à désespérer de Dieu et de lui-même. « Où est-il ton Dieu ? Qu’ll vienne te descendre de ta croix ! ».

Il me semble entendre des ricanements contemporains : Votre Dieu dort-il ? Qu’attend-il pour nous libérer de cette maudite épidémie ? ». 

Des touches d’humanité

Mais il y a aussi dans ce tourbillon maléfique des touches d’humanité : la femme de Pilate qui voudrait éloigner son mari de cette affaire, d’autres femmes qui ont suivi le rabbi depuis la Galilée et qui se tiennent à distance de son gibet, deux d’entre elles plus courageuses montent la garde devant son tombeau, Simon, un paysan qui passait par là, réquisitionné pour porter la croix d’un inconnu, Joseph le riche notable qui s’affiche disciple de Jésus jusqu’à lui prêter ce tombeau tout neuf qu’il avait fait creuser pour lui…

Du bien et du mal, de la lâcheté et du courage s’entremêlent et se confondent chez les acteurs et spectateurs de ce drame. Comme le glaive qui devait transpercer l’âme de Marie, le chemin de croix de Jésus révèle le débat de bien des cœurs.

Oserais-je ajouter pour finir qu’il en est de même dans l’épreuve qui nous frappe aujourd’hui ? Où et comment nous situer ? Quelle est notre juste place ?  
Les femmes et les hommes courageux qui escortaient Jésus vers le Calvaire devraient nous servir de modèles ; les autres nous dissuader de les imiter.
Un fol espoir vient à notre secours. Nous croyons que le crucifié est revenu à la vie. La mort et le coronavirus n’auront donc pas le dernier mot.

Il me semble entendre déjà résonner cette hymne pascale :  
« Brillez déjà lueurs de Pâques
Scintillez au jour de demain »

Lectures bibliques :
Isaïe 50, 4-7; Psaume 21, 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a; Philippiens 2, 6-11; Matthieu 26, 14–27, 66

Homélie du 29 mars 2020 (Jn 11, 1 – 45)

Fr. Michel Fontaine, OP – Église St-Paul, Cologny, GE

——————

Thème : À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle (Jn 6,68)- Jésus, NOTRE PÂQUE

Ne trouvez-vous pas que notre Carême prend de plus en plus de sens dans la mesure où tout ce que nous avions prévu, plus ou moins préparé tant dans notre quotidien personnel, professionnel, familial que dans les activités religieuses et liturgiques, est déconstruit, nous obligeant à vivre quasiment dans une incertitude quotidienne : que de changements, que d’annulations nous obligeant à innover, à trouver d’autres espaces, à vivre différemment le temps qui passe… mais aussi peut-être à ne pas pouvoir, ni savoir rebondir… Ce Carême a donc tout d’un coup une densité particulière et inédite. Plus nous avançons, bousculés dans notre quotidien et dans notre vie, par cette pandémie, plus notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes, à notre foi, nos institutions, est interpellé, voire remis en question.

Une prise de conscience qui laisse passer la lumière

En fait, nous sommes convoqués croyants et non croyants à revisiter ce que nous vivions jusqu’à présent. La question est, et elle est difficile : comment penser que cette situation grave et sérieuse peut être l’opportunité d’une ouverture au monde différente, d’un nouvel espace, d’une authentique prise de conscience qui laisse enfin passer la lumière car la lumière est là. Elle n’est jamais éteinte et elle ne nous a jamais abandonné ? Et c’est de cette certitude et de cette espérance qu’est fait notre Carême… Et c’est pour cela que nous continuons à avancer.

Rappelons-nous notre chemin depuis un mois environ…

Une 1ère étape au désert, poussé par l’Esprit, et nous réaffirmons avec le Christ notre identité d’enfants de Dieu, ensuite avec Pierre, Jacques et Jean, nous faisons l’expérience dans notre quotidien de ce « déjà là » de la vie éternelle, puis c’était la découverte, au bord du puits avec la samaritaine, de la puissance de la Parole comme une eau vive qui nous révèle à nous-même, dans un dialogue de vérité avec Jésus. Et encore dimanche dernier, au travers de cet aveugle de naissance qui recouvre non seulement la vue, sa dignité d’être humain, nous nous reconnaissons avec lui « ami de Dieu » devant le Fils de l’Homme qui nous dit : « C’est lui qui te parle », l’avons-nous entendu !

Une Lumière plus forte que les Ténèbres

Et enfin aujourd’hui, cette 5ème étape, s’offre à nous, comme les premiers signes d’une plénitude qui vient habiter  notre route : une Lumière plus forte que les Ténèbres devant le tombeau de Lazare. L’évangile le rappelle d’une manière incisive, la mort est désormais vaincue avec tout ce qui s’y rattache.

Revenons à l’évangile : Qui est cet homme qui vient de mourir et comment Jésus nous rejoint dans notre quotidien, par son attitude et par le dialogue qu’il a avec Marthe et Marie ?

Lazare, qui en hébreu, veut dire « Dieu a secouru », est le frère de Marthe et Marie. Il est gravement malade et c’est un ami très cher de Jésus mais Jésus veut dédramatiser la situation en disant que cette maladie ne conduira pas à la mort.

Jésus est présent à toutes nos réalités

Pourtant, Lazare meurt. Jésus retourne sur ses pas après avoir tardé d’ailleurs. Il prend un risque car il revient dans un lieu où on a cherché à le lapider. Les choses ne sont pas simples pour lui. Il est totalement homme et totalement Dieu.  Devant la parole de Marthe et Marie « si tu avais été là, Seigneur, il ne serait pas mort », Jésus déplace la question de son absence physique, en réaffirmant combien il est Présent à toutes nos réalités. Celles de Lazare, de Marie, de Marthe et celles d’aujourd’hui. Cette certitude s’exprime clairement dans les mots de Jésus. Il dira : « cette maladie n’aboutira pas à la mort… et je suis heureux pour vous de ne pas avoir été là afin que vous croyiez… car Je suis la Résurrection et la Vie ».

Jésus ne sera pas compris ni par ses disciples ni par Marthe et Marie. Nous le savons, cette décision de revenir en Judée avait pour sens non seulement de redonner la vie à son ami Lazare mais aussi et surtout de signifier la perspective de sa propre mort, laquelle précisément donne la vie et la vie en abondance à la multitude.

En méditant cet évangile nous actualisons pour notre vie de foi, le mystère de la Pâque, c’est-à-dire du passage de la mort à la vie.

Des temps forts de respiration et de libération

Ces cinq évangiles que nous avons rencontrés tout au long de ce Carême ont creusé en nous des questions, peut-être des doutes mais aussi, nous l’espérons, des temps forts de respiration et de libération. C’est le propre d’un temps de carême de nous aider à grandir et de nous ouvrir à cette expérience d’une liberté dont Dieu est la source.

Il y a là quelque chose de la joie de la Bonne Nouvelle. Nous avons voulu la partager avec chacune et chacun d’entre vous comme une sorte de résonance à tout ce que nous vivons, de beau et de bien mais aussi, de difficile et de lourd, en particulier actuellement.

« Vous êtes la lumière du monde

Nous vous souhaitons de vivre une foi incarnée qui n’a pas peur d’entrer dans les réalités de notre monde.

Et aujourd’hui, par ces 12 lumignons sur cet autel, signes de notre humanité dispersée et inquiète, nous avons voulu « crier » cette parole de Jésus « vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). Disant cela, il regardait ses disciples, comme il regarde chacune et chacun maintenant, paroissiens de St-Paul bien sûr, mais bien au-delà, vous tous et toutes qui nous écoutez et nous regardez.

Mais n’est-ce pas cette lumière sur le visage de Pierre qui lui a fait dire : « A qui irions-nous Seigneur, c’est toi qui a les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68).

Amen

5ème dimanche de Carême
Lectures bibliques : Ézéchiel 37, 12-14; Psaume 129, 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8; Romains 8, 8-11; Jean 11, 1-45