Homélie de la messe de minuit, 25 décembre 2019 (Lc 2, 1-14 )

Abbé Paul Frochaux – Cathédrale de Fribourg


Vous l’avez appris, un satellite suisse tourne en orbite et va bientôt nous livrer des informations sur des planètes hors de notre système solaire qu’on appelle exoplanètes. Notre pays est fier de contribuer à un haut niveau à la recherche scientifique en astronomie et ainsi, la science va encore progresser et l’univers nous apparaîtra toujours plus connu et toujours plus immense. Ce satellite nous représente et c’est un peu comme si nous étions, nous aussi, sortis de la terre pour observer l’immensité du ciel. Mais qu’allons-nous découvrir ? II y a déjà, certes, des thèses, des certitudes, des espoirs et notamment l’espoir de faire de nouvelles découvertes. On espère de la nouveauté.

Un Dieu fragile entre nos mains


Je fais un lien avec Noël, mais dans le sens inverse. En effet, Celui qui, selon notre foi, a créé cet univers infini, Celui par qui tout a été fait, (nous allons le dire tout à l’heure dans notre Credo), Celui-ci quitte en quelque sorte le Ciel pour venir sur la terre, il ne vient pas dans le grandiose ni dans ce qui est puissant, il vient au contraire dans ce qui est tout petit, simple, fragile et faible. Car, quoi de plus fragile qu’un petit bébé qui vient de naître ? C’est là que vient se cacher Celui par qui tout a été fait, dans la pauvreté d’une étable et la simplicité d’une mangeoire pour animaux. L’abbé Maurice Zundel disait cette belle parole : Dieu fragile, c’est la donnée la plus bouleversante, la plus neuve et la plus essentielle de l’Évangile : un Dieu fragile est remis entre nos mains.

En effet, quand un enfant vient au monde, il a besoin de tout. Et ce Dieu tout puissant que nous évoquons souvent pour qu’il nous vienne en aide, a maintenant, lui, besoin d’aide, il a besoin du lait de sa mère pour se nourrir, il a besoin de la protection de Joseph, son père adoptif. Il a besoin d’un foyer alors qu’il est le foyer d’amour pour tous ceux qui se réfugieront en lui. En grandissant, il aura besoin de ses parents pour apprendre à marcher alors qu’il est le Chemin, il aura besoin de ses parents pour apprendre à parler alors qu’il est le Verbe de toute éternité. Il aura besoin de Joseph pour son apprentissage de charpentier. Etant homme parmi les hommes, il a besoin d’un soutien matériel et d’un statut social. Il a surtout besoin de chaleur humaine, de tendresse. Un Dieu qui est Tout et qui veut avoir besoin de tout.

Que sera cet enfant ?


Quand un enfant vient au monde, nous savons automatiquement un certain nombre de choses sur ce qu’il lui arrivera : il grandira deviendra adolescent, jeune puis adulte, cela nous le savons. Mais il subsiste une grande part de mystère : que sera cet enfant, que va-t-il nous apporter, quels seront ses points forts, ses talents, ses faiblesses, ses fragilités ? Quelle nouveauté apportera-t-il ?
Marie et Joseph devaient se poser ces questions. Joseph étant très probablement mort avant que Jésus ne commence son ministère public n’aura pas pu savoir ici-bas ce qui arrivera à son fils. Jean Baptiste étant informé des premiers enseignements de Jésus s’étonne et se demande si Jésus est bien le Messie annoncé : Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? Demande-t-il au Christ depuis sa prison.


Nous, chrétiens du XXIème s., nous avons la chance de connaître en grande partie, le mystère de cet enfant. La Parole de Dieu et plus particulièrement les évangiles nous relatent de sa vie, nous délivrent son message, nous parlent de ses miracles, de sa mort et de sa résurrection. Nous connaissons la nouveauté inaugurée par sa naissance. Nouveauté bouleversante en même temps que définitive et qui ne passera pas. Cette nouveauté est contenue dans les noms qui lui sont attribués. Il est selon le prophète Isaïe l’Emmanuel, ce qui veut dire Dieu avec nous. Mais, le mystère révélé nous dit qu’il est non seulement avec nous, mais qu’il devient l’un de nous. Qui pouvait imaginer une telle nouveauté ?

Interrogations sur Dieu et sur nous

Un Dieu qui veut partager tout ce qui fait Ia condition humaine à l’exception du péché et qui épouse cette condition en se faisant homme parmi les hommes. Un Dieu qui veut avoir besoin de tout pour nous advenir. Un Dieu qui annonce une bonne nouvelle, celle du salut. En effet, l’autre nom de cet enfant est Jésus, ce qui veut dire Dieu sauve. Ce salut nous sera donné par sa mort et sa résurrection. Nous ne cesserons jamais de nous interroger sur ce Dieu-avec-nous, sur ce Dieu qui sauve, sur ce Dieu qui aime infiniment. Et nos interrogations sur Dieu nous ramèneront à des interrogations sur nous. Qui sommes-nous, pauvres humains fragiles pour être autant aimés de notre Créateur ? Comme le dit le psaume 8 : Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à Iui, le fils d’un homme que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur.


La nouveauté qu’apporte cet enfant, nous n’aurons donc jamais assez de temps pour l’explorer, elle plus grande et plus infinie que l’exploration des exoplanètes et de tout le cosmos.
La science, avec raison, cherche à percer les secrets de la nature, de nos origines et elle ne cesse d’accumuler des informations et des connaissances. La naissance de Jésus nous fait entrer dans une nouveauté plus grande encore, elle nous fait entrer dans le secret de Dieu, du Créateur de toute chose. Sachons-nous nous en émerveiller, sachons explorer ce que vient nous dire Celui par qui tout a été créé. AMEN

LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR, MESSE DE MINUIT
Lectures bibliques :
Isaïe 9, 1-6; Psaume 95, 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc;Tite 2, 11-14; Luc 2, 1-14

Homélie de la messe de Minuit TV, 25 décembre 2019 (Lc 2, 1-14 )

Mgr Brendan Kelly, évêque de Galway et KilmacduaghCathédrale Notre-Dame de l’Assomption et Saint-Nicolas, Galway (Irlande)

«Il parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre».

Dans cet évangile de Noël racontant la naissance pauvre de Jésus à Bethléem, saint Luc oppose délibérément l’histoire de Jésus au vaste panorama mondial de l’empire romain et à la puissance absolue de son souverain César Auguste.

Ce minuscule petit enfant, impuissant et apparemment sans importance, qui vient de naître dans une étable, dans un coin reculé du vaste empire de César, a une signification universelle.

C’est une histoire pour tous les peuples, pour ceux qui détiennent le pouvoir, autant que pour les plus démunis, et pour la façon dont nous vivons les uns avec les autres et prenons soin de la création, notre maison commune.

Une bonne nouvelle pour les pauvres

La joie de Noël naît de la prise de conscience, face à la scène de la crèche et à tout ce qu’elle représente, que les choses peuvent être différentes, qu’elles sont différentes dans la manière avec laquelle le Créateur voit les choses.

Noël est une bonne nouvelle pour les pauvres… et pour ceux qui connaissent leur pauvreté. «Bienheureux les pauvres», dira Jésus plus tard. Nous regardons le berceau et nous trouvons la vérité. La vérité de Dieu. Cette nuit nous venons pour célébrer cette vérité, pour reconnaître notre propre part et pour goûter sa joie.

Et pour être toujours plus des gens de lumière, afin que nos frères et sœurs qui « marchent dans les ténèbres » ou « vivent dans une terre d’ombre profonde » puissent venir à la lumière.

La seule façon pour nous de voir Noël, c’est de se tenir sur la tête, a dit un jour l’auteur britannique Chesterton! Oui, cette naissance de l’Enfant-Christ bouleverse le monde. Et tous les standards mondains. Année après année, en cette nuit sainte, l’Enfant-Christ nous invite à entrer dans sa lumière, à nous éclairer, à nous changer, à nous convertir – personnellement, communautairement et culturellement – en le regardant dans sa fragilité et sa petitesse: le Fils même de Dieu !

Les merveilleux paradoxes de Noël

Chaque petit bébé, sans défense, partage ce pouvoir de nous changer, et mérite nos soins et notre amour. C’est ce à quoi Noël nous engage. Nous rendons grâce à Dieu – et nous nous souvenons de la parole de Jésus pour nous, les adultes: « Si vous ne changez pas, et si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez jamais dans le Royaume de Dieu ».

Les merveilleux paradoxes de Noël ! Cela fait de nous tous de petits enfants. Et fait de nous les défenseurs des petits enfants. Et des personnes pauvres, faibles et dans le besoin, dépendantes ou souffrant de quelque manière que ce soit.

Il nous fait accueillir l’étranger, donner refuge et asile aux sans-abri et à ceux qui sont exclus. Il fait de nous des guerriers du Royaume de Dieu, de la paix et de la justice, des hommes et des femmes qui non seulement apportent, mais qui sont la Bonne Nouvelle dans notre monde. Aujourd’hui. Loué soit Dieu.

«Ô Saint Enfant de Bethléem,
Descends sur nous, nous te prions;
Chasse notre péché et entre,
Viens naître en nous aujourd’hui»
Amen.

LA NATIVITE DU SEIGNEUR, MESSE DE MINUIT
LECTURES BIBLIQUES : Isaïe 9, 1-6; Psaume 95, 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc;Tite 2, 11-14;Luc 2, 1-14

Homélie du 22 décembre 2019 (Mt 1, 18-24)

Abbé Jean-Marie Oberson – Eglise Notre Dame de la Paix, La Chaux-deFonds

Chers auditeurs, c’est une joie pour moi de m’adresser à vous de cette église de Notre-Dame-de-la-Paix, à La Chaux-de-Fonds. La Chaux-de-Fonds fait frontière avec les rives du Doubs. Dimanche dernier, si vous avez déjà suivi la messe radiodiffusée, vous avez entendu parler d’une grande figure qui a marqué la vie des contrées du Doubs : saint Ursanne.

Saint Joseph : pas un saint si ordinaire !


Ce dimanche, une autre figure de sainteté nous est présentée, non en raison d’un anniversaire, mais simplement parce que l’évangile nous parle de lui : saint Joseph. Il est encore plus éloigné de nous dans le temps que saint Ursanne. Pour saint Joseph, on ne sait pas vraiment quand il est né, quand il est mort… ou plutôt entré au ciel. Je n’ai jamais entendu parler d’un anniversaire de l’entrée au ciel de saint Joseph. Il y a juste une date pour sa fête, le 19 mars, ou la fête de saint Joseph travailleur, le 1er mai. Deux fêtes pour un saint, c’est déjà pas mal !

C’est vrai que saint Joseph n’est pas un saint si ordinaire. Il est le papa de Jésus, le Christ, notre Seigneur. Oui, Jésus est bien son enfant, car c’est lui, Joseph qui lui donne son nom de « Jésus » comme l’ange le lui a dit.

Donner le nom, c’est la prérogative du papa dans le judaïsme ancien et dans beaucoup de civilisations encore aujourd’hui. Rappelez-vous : quand il s’est agi de donner son nom à Jean, le cousin de Jésus, on voulait l’appeler Zacharie, comme son père. Elisabeth proteste : « non ! Il s’appellera : Jean ! ». Face à l’insistance d’Elisabeth, la famille consulte Zacharie. Il est devenu muet. Il se fait donner une tablette et écrit : « son nom est Jean ! » provoquant la stupeur générale. Zacharie n’avait sans doute pas pu expliquer que c’est un ange qui lui avait révélé le nom de l’enfant.

Donc j’imagine que quand Marie et Joseph sont allés au temple pour la circoncision, on a dû aussi s’étonner du nom donné à l’enfant par Joseph : Jésus. Joseph aurait dû l’appeler du même nom que lui. C’est son fils aîné, du moins au regard des hommes.


Joseph : un homme juste qui aime Marie


Il y a des tas de surprises dans les événements que nous commençons à célébrer ces jours-ci. Et d’abord, il y a eu la douloureuse surprise de Joseph. Quand sa femme, avec qui il n’habite pas encore, rentre du séjour auprès de Zacharie et Elisabeth, Joseph remarque que Marie est enceinte. On ne sait pas s’il y a eu échange de paroles à ce sujet entre eux. Marie a-t-elle essayé d’expliquer l’incroyable ? En tout cas, Joseph ne croit pas à une naissance extraordinaire. Pour lui, elle a un enfant d’un inconnu. Donc il faut la renvoyer. Cela est inévitable.

Mais Joseph aime Marie. Et il est un homme juste. Alors, il décide de ne pas la répudier publiquement. Drôle de conception de la justice dans la tête de Joseph. Quand on agit en homme juste, on agit en pleine lumière. Et voilà qu’il se met à planifier de répudier Marie en secret.

C’est que la loi est claire. On le rappellera un jour à Jésus : Moïse a ordonné de lapider ces femmes-là. Voilà la justice de Moïse, la justice de Dieu ! C’est tout du même pour un juif pieux comme Joseph ! Et voilà que curieusement, Joseph, l’homme juste, sent qu’il doit permettre à Marie d’échapper à cette justice !

Là se révèle toute la grandeur de la personne de Joseph. Il n’est pas un homme juste par l’observance rigoureuse des règles et des lois qu’on lui a apprises. Il est un homme juste, car il a un cœur qui sait écouter ce que Dieu lui dit au fond de lui-même. Il allait déjà dans la bonne direction, Joseph. Mais quand même ! Epouser une femme portant l’enfant d’un autre, ça, il ne le pouvait pas. Alors, il avait trouvé l’échappatoire à cette loi qu’il n’arrivait pas à concevoir comme juste : renvoyer Marie en secret.

Avant Joseph, Osée, le prophète, avait épousé une prostituée notoire. Il l’avait fait à la demande explicite de Dieu, pour manifester son amour pour son peuple qui se conduit comme une prostituée à son égard. Osée avait agit ainsi pour révéler la folie de l’amour de Dieu pour l’humanité.

Pour lui, Joseph, aussi, il fallait une confirmation de Dieu qu’il pouvait épouser Marie et que cet enfant devait devenir le sien, car il n’avait qu’une certitude pour le moment : il n’y était pour rien dans son enfantement.


Vous me direz : l’histoire d’Osée, une très belle histoire ! Et cette histoire, on peut y croire. Mais l’histoire de Joseph, trop belle histoire pour être vraie.

Une naissance inattendue

Mais voilà qu’un texte ancien du prophète Isaïe avait déjà annoncé que Dieu deviendrait « Dieu avec nous » par une naissance inattendue, non d’une prostituée, mais d’une jeune fille, et une jeune fille, à l’époque, normalement, elle est vierge. Quand on a traduit Isaïe en grec, le traducteur biblique a utilisé « parténos », vierge.

Alors certainement, personne n’aurait imaginé tel scénario, mais les chrétiens, quand ils ont entendu cette histoire, ont pu la croire. Joseph, le premier a pu la croire, car un ange la lui a confirmée.

Saint Paul nous dit que Jésus, « selon la chair, est né de la descendance de David. Mais, selon l’Esprit de sainteté, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts. Il est Jésus, Christ, notre Seigneur ». Il est notre Seigneur par sa résurrection, ça, c’est le noyau de notre foi. En dehors de cette foi, nous ne serions plus chrétiens. Mais si Dieu a révélé que Jésus est le Fils de Dieu, le Seigneur, par sa résurrection, n’est-ce pas qu’il l’avait fait son Fils dès sa conception ?

Voilà l’incroyable que Joseph a été amené à croire… l’incroyable que Dieu nous révèle par la belle histoire de cet homme, Joseph, un homme juste, qui a donné sa chance à Marie, qui est devenu le plus comblé des pères : il a pu donner le nom le plus étonnant à un enfant, à un fils d’homme : « Dieu sauve ! ». Lui, Joseph, le premier, a compris que cet enfant était vraiment le Fils de Dieu qui nous sauve.

Nous aussi, accueillons-le dans la foi et avec joie, l’Emmanuel. Nous vivrons avec cette certitude : quoi qu’il arrive sur la route de notre vie, nous sommes déjà sauvés en lui.

4e Dimanche de l’Avent
Lectures bibliques : Isaïe 7, 10-16; Psaume 23; Romains 1, 1-7; Matthieu 1, 18-24

Homélie du 15 décembre 2019 (Mt 11, 2-11)

Cardinal Kurt Koch – Collégiale de Saint-Ursanne (JU)

Messe solennelle d´ouverture du 1400e anniversaire de la mort de Saint Ursanne

DÉSIR DE LA VIE ÉTERNELLE ET RESPONSABILITÉ POUR LA DESTINÉE TERRESTRE

Le témoignage de saint Ursanne

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas des hommes pour aller chercher du bois, préparer des outils, attribuer des tâches, répartir le travail mais fais naître en eux le désir de la mer vaste et infinie ». Si nous transposons ces paroles de sagesse de l’écrivain français Antoine de Saint-Exupéry à la foi chrétienne et à sa proclamation aujourd’hui, il faudrait les modifier par analogie de la manière suivante : il est beaucoup plus important d’éveiller aujourd’hui chez les êtres humains le désir du vaste océan de la vie éternelle que d’organiser la vie présente.

C’est cette conviction qui a porté saint Ursanne dont nous commémorons et célébrons le 1400e anniversaire de la mort. Selon la tradition, il fut un compagnon de saint Colomban, vint en Suisse, traversa principalement les vallées du Jura et vécut en ermite dans une grotte au-dessus de la ville qui a pris son nom, Saint-Ursanne. Il a agi en tant que messager de la foi et apporté dans notre région le beau message de la foi chrétienne : Dieu, qui nous a révélé son visage en son Fils Jésus Christ, nous aime tant, nous les humains, qu’il n’accorde pas le mot de la fin à la mort, mais au contraire se réserve le dernier mot, qui est celui de la vie, plus précisément de la vie éternelle avec et en Dieu.

Cet à-venir (avent) qui nous vient de Dieu

Susciter ce désir du vaste océan de la vie éternelle parmi les hommes est le véritable motif qui a conduit saint Ursanne dans la région du Clos du Doubs. Il a ainsi proclamé le message qui est au cœur du temps de l’Avent, tel qu’il apparaît dans la lecture de l’Épître de saint Jacques que nous avons entendue aujourd’hui. Nous y sommes confrontés à un cultivateur qui attend le précieux fruit de la terre pour nous exhorter à persévérer avec patience jusqu’à la venue du Seigneur. Car l’Avent dirige notre attention vers l’avenir, cependant pas vers ce futur auquel nous, les êtres humains, nous nous intéressons et que nous pourrions nous-mêmes susciter, mais vers cet à-venir (avent) qui nous vient de Dieu et par lequel lui-même se fait homme.

La figure adventiste par excellence est donc Jean le Baptiste, qui se trouve au cœur de l’Évangile d’aujourd’hui et dont la tâche est ainsi décrite : « Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi ». Jean le Baptiste fut le précurseur de Jésus Christ. Il ne s’est donc jamais mis en avant, mais s’est toujours détourné de lui-même pour indiquer le Christ seul qui venait. Le peintre Matthias Grünewald lui a rendu hommage dans une œuvre magnifique. Au centre du Retable d’Issenheim mondialement connu qui se trouve à Colmar s’élève la croix de Jésus Christ devant un paysage sombre et vide. À droite de la croix est représentée la puissante figure de Jean-Baptiste. La main tendue que prolonge de manière expressive son index, il indique le Crucifié. La phrase inscrite sur le tableau : « Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue » représente ce que fut la vie du Baptiste : il est un index personnifié qui indique Jésus Christ.

La force de nous engager dans la construction d’une société humaine

De même, saint Ursanne fut lui aussi un index parlant. Il vint dans la belle région du Jura pour indiquer le Christ, qui nous offre la vie éternelle, et pour éveiller en nous les humains le désir ardent du vaste océan de la vie éternelle. Certes, cette aspiration ne nous détourne en aucun cas de nos tâches dans la vie présente ; au contraire, elle nous invite à décider de ces tâches. Les paroles de sagesse d’Antoine de Saint-Exupéry contiennent également cette invitation : si l’on veut construire un bateau, il vaut bien mieux éveiller le désir de la mer vaste et infinie plutôt que d’aller chercher du bois, préparer des outils, attribuer des tâches, répartir le travail. Dès que le désir de cette mer immense et sans fin sera éveillé, les hommes iront immédiatement au travail et construiront le bateau prévu. De même, le désir chrétien de la vie éternelle ne ternit pas le regard que nous posons sur la vie terrestre actuelle, mais nous donne la force de nous engager dans la construction d’une société humaine et d’œuvrer pour la dignité de chaque être humain, comme beaucoup de chrétiens l’ont fait avant nous.

Aujourd’hui précisément, je pense aux moines comme saint Ursanne qui vécurent au VIIe siècle. Ils aspiraient à rejoindre la patrie qu’est la la vie éternelle et quittèrent donc leur patrie terrestre en Irlande pour chercher le Christ et témoigner de lui comme des étrangers en pays étrangers. C’est en suivant ce chemin qu’ils sont devenus les grands civilisateurs et cultivateurs du paysage européen. Car la véritable responsabilité sur cette terre découle de l’espérance chrétienne en l’au-delà. La ville de Saint-Ursanne en est un très bel et éloquent exemple. Elle fut construite à l’endroit où vécut et œuvra saint Ursanne entre 612 et 619. Sur la tombe de saint Ursanne, saint Wandrille et d’autres moines bâtirent d’abord un monastère et plus tard une nouvelle abbaye dont les fondations servirent à l’édification de la ville de Saint-Ursanne.

Un précieux héritage

Ce souvenir historique contient un précieux héritage, qui nous engage aujourd’hui également. La ville de Saint-Ursanne doit toujours avoir conscience qu’elle est construite sur un saint. Elle a donc la grande responsabilité de protéger dans la société d’aujourd’hui ce qui est sacré. Car il est urgent de réapprendre à respecter profondément le sacré : le respect de la sainteté de la vie humaine, de son début jusqu’à sa fin naturelle, de la sainteté de chaque être humain en tant qu’image de Dieu et de la sainteté de la création aujourd’hui tant menacée. Ce qu’Eugène Ionesco, fondateur du théâtre de l’absurde, a souligné avec la passion d’un homme assoiffé de sens, devrait nous faire réfléchir : « Nous avons besoin de l’intemporel : qu’est-ce que la religion sans le sacré ? Il ne nous reste rien, rien de solide, tout est en mouvement. Nous avons besoin d’un rocher, cependant. »[1]

Oui, nous avons besoin d’un rocher. Certes, nous chrétiens n’identifions pas ce rocher qui nous est nécessaire dans le sacré en soi, mais seulement dans le plus haut des saints, dans le Dieu vivant qui vient. Saint Ursanne a témoigné de lui. Témoigner de lui encore aujourd’hui dans la société est l’héritage que nous a laissé notre saint, qui est à l’origine de cette ville si caractéristique. Aujourd’hui encore, nous voulons garder vivant cet héritage, en particulier en ce temps de l’Avent, qui nourrit en nous le désir de l’immense océan de la vie éternelle avec Dieu.


[1] E. Ionesco, Gegengifte (München-Wien 1979) 158-159.



3e DIMANCHE DE L’AVENT, de Gaudete
Lectures bibliques : Isaïe 35, 1-6a.10; Psaume 145, 7, 8, 9ab.10a; Jacques 5, 7-10; Matthieu 11, 2-11