Homélie du 29 septembre 2019 (Lc 16, 19-31 )

Abbé Marc Donzé, basilique Notre-Dame, Lausanne

C’était juste après la guerre, à Paris. Dans un grand restaurant, chic. Un jeune homme avait invité une jeune femme, avec des projets de fiançailles. Pendant le repas, des enfants, en loques, regardaient par la fenêtre. Misérables, ils faisaient signe qu’ils avaient faim. La femme se mit en colère, appela le sommelier et lui demanda de chasser ces enfants importuns. Le jeune homme, qui avait du cœur, refila en douce quelque argent au sommelier, pour qu’il le donne aux enfants. Le lendemain, il rompit d’avec la jeune femme. Il ne pouvait imaginer de passer sa vie avec une personne sans cœur, sans compassion, aveuglée par son je-moi égoïste. Peut-être la femme réalisa-t-elle, dans les brûlures de cette liaison perdue à jamais, la dureté de son cœur et ses conséquences.

Elle ressemble au riche de la parabole. Il ne voit pas ou il ne veut pas voir ; il est enfermé dans ses beaux habits, ses festins, sa grande maison très protégée. Il a le cœur sec. Qu’il y ait des frères et sœurs en humanité près de chez lui ne l’intéresse pas. Et encore moins s’ils sont pauvres ; cela le dérangerait.

Qu’est-ce que je vois ?

La première question qui se pose à nous, en recevant cette parabole du riche et du pauvre Lazare, c’est : qu’est-ce que je vois ? qu’est-ce que j’accepte de voir ? Voir, en l’occurrence, ce n’est pas simplement jeter un regard froid, détaché et observateur. Mais c’est regarder avec fraternité, avec compassion, avec cœur.

La question peut être posée avec le langage vert, très vert, du prophète Amos, qui dénonçait des situations bien réelles il y a 2800 ans, mais qui sont encore actuelles. Est-ce que je fais partie de la bande des vautrés, couchés sur leur lit d’ivoire, qui se croient protégés par leur richesse ?

Si vous participez à l’Eucharistie, que ce soit ici dans la basilique Notre-Dame ou par l’écoute de la radio, il est clair que vous acceptez de voir avec le cœur. Il est clair – du moins je l’espère, – que vous acceptez les demandes de la Parole de Dieu : porter attention au pauvre, à la veuve et à l’orphelin… et aussi à l’étranger. Mais, me direz-vous, on ne peut pas tout voir. Bien sûr que non, mais on peut commencer autour de nous ; et, si possible, pas seulement dans le milieu où nous sommes en tranquille sécurité, mais aussi en sortant de notre zone de confort, car il y a des détresses toutes proches.

Voir avec le coeur

Voir avec le cœur, cela se transforme, dans la mesure du possible, en actions. « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’étais malade ou en prison et vous m’avez visité ; j’étais étranger et vous m’avez accueilli », nous dit Jésus, en s’identifiant avec le pauvre, le malade, le prisonnier, l’étranger. Est-ce que vous pouvez, chers frères et sœurs, faire aujourd’hui une petite liste de ce qu’au nom de l’Evangile, vous mettez en œuvre, parce que vous voyez avec le cœur, au contraire du riche de la parabole ?

Aujourd’hui, les problèmes se posent de façon plus complexe qu’au temps du prophète Amos. La mondialisation est passée par là. Prenons un exemple. Le Kivu, au nord-est du Congo, est riche de métaux précieux et rares (dont certains sont indispensables pour fabriquer les téléphones portables). De grandes compagnies étrangères exploitent ces métaux et s’enrichissent. Mais la population du Kivu est en grande partie dans une noire misère, avec en plus la maladie d’Ebola. Noire misère, même si la Croix-Rouge et d’autres organisations viennent au secours de ces personnes… car ce sont des personnes et leur dignité est infinie. Pour reprendre le langage d’Amos, il y a la bande des vautrés qui ne voient même pas ceux qui sont victimes de leur accaparement ; et il y a les misérables. Et la question doit nous intéresser, car, de façon indirecte, nous sommes concernés par ces pratiques… à cause de nos téléphones portables.

Autre exemple : dans l’industrie textile, à travers le monde, le salaire de beaucoup d’ouvrières est si misérable qu’il ne leur permet même pas de subvenir à leurs besoins ; elles sont donc exploitées pratiquement comme des esclaves. Et là aussi, la question nous concerne… au travers des habits que nous achetons.

Que faire alors ? La liste est longue… Au moins, acheter de façon réfléchie et informée, pour que le respect des personnes et des peuples progresse.

Un espace de générosité

D’une façon générale, pour aller à l’encontre du riche de la parabole et pour ne pas tomber dans la bande des vautrés, Maurice Zundel  a une formule de bel équilibre sur le droit de propriété : c’est un espace de sécurité, pour devenir un espace de générosité.

Espace de sécurité : c’est disposer de suffisamment de biens pour ne pas avoir le souci du lendemain. Chaque personne de cette planète devrait pouvoir en bénéficier, et on est loin du compte. Mais espace de sécurité ne veut pas dire accaparement. Car il ne faut pas oublier la suite : pour devenir un espace de générosité. Dès le moment où l’espace de sécurité est là, je peux ouvrir les yeux, les bras et mes biens pour la générosité. C’est possible si l’on est millionnaire, mais c’est aussi possible si l’on a peu de moyens, pourvu qu’ils soient en suffisance.

Alors nous pouvons nous poser la question : à partir de ce que j’ai, comment puis-je devenir un espace de générosité ? Comme dit saint Paul : toi, homme de Dieu, femme de Dieu, recherche la justice, la charité, la douceur… et mène le bon combat.

Bonne réflexion, bonne méditation. Amen.

26e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques :

Amos 6, 1a.4-7; Psaume 145, 6c.7, 8.9a, 9bc-10; 1 Timothée 6, 11-16; Luc16, 19-31

Homélie du 22 septembre 2019 (Lc 16, 1-13)

Abbé Joseph Demierre Eglise de Montagny-les-Monts, FR

Chers paroissiens d’ici, Chers auditeurs de la radio,

Nous disions, dans l’introduction de cette messe, qu’ici, dans le canton de Fribourg, nous sommes au temps de la Bénichon et du Recrotzon. Dans d’autres régions de Suisse Romande, c’est le temps des vendanges.

Nous célébrons donc la fête des récoltes, et en même temps, nous nous mettons à l’écoute de la Parole de Dieu.
D’abord la fête des récoltes : nous voulons rendre grâce à Dieu pour tout ce que nous recevons de la terre et du travail des hommes, pour nourrir l’humanité, pour le pain de chaque jour et pour les réserves qu’on a pu se constituer pour l’hiver, qui est souvent rude sous nos latitudes.

La vie : don de Dieu

Bénichon veut dire bénédiction, action de grâce. Nos ancêtres ont voulu marquer cela par une fête et des réjouissances spéciales. De nos jours, les paysans sont beaucoup moins nombreux et l’agriculture s’est mécanisée à outrance. Et on risque d’oublier cette dimension.

La Bénichon, la fête des récoltes veut nous rappeler que la vie est un don de Dieu, et que nous recevons de Dieu, à travers la nature et ce qu’elle produit, les biens dont nous avons besoin pour vivre.

« Oui, je bénirai, je bénirai ses récoltes, pour rassasier de pain ses pauvres. Je vêtirai de gloire ses prêtres, et ses fidèles crieront, crieront de joie », dit un psaume.

Ou comme dit saint Paul : « Par des chants, des psaumes, des hymnes, des danses et de libres louanges, chantez à Dieu dans vos cœurs votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Colossiens 3, 16-17)

C’est aussi ce que nous avons lu dans la deuxième lecture de ce jour : « Je vous encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. »

C’est aussi ce que les Églises chrétiennes ont voulu mettre en évidence, en instaurant entre le 1er septembre et le 4 octobre, « un temps pour la création ».

Et c’est dans l’Eucharistie que nous célébrons cela : Jésus lui-même a choisi du pain et du vin, fruit de la terre et du travail des hommes, comme symbole de sa vie donnée. Voilà pour la Bénichon.

Quant à la Parole de Dieu, que nous dit-elle ?
Avec la parabole de l’intendant habile, Jésus veut nous dire quelque chose de très important : Il nous dit d’une part tout ce que nous recevons. Et il veut nous faire comprendre d’autre part que nous n’en sommes pas les propriétaires. Nous sommes des intendants, des gérants, des administrateurs des biens qui nous sont confiés. Dès la Genèse, Dieu confie aux êtres humains le soin de travailler et de cultiver la terre. Même à la sueur de son front.

Le monde appartient à Dieu

Ça veut dire que la terre appartient à tous, et pas seulement à quelques-uns. L’Évangile n’est pas contre la propriété privée, mais il dénonce l’accaparement des terres, au détriment souvent des personnes qui y habitent ou y travaillent, comme cela se passe par exemple en Amazonie.

Autrement dit, l’Évangile nous invite à travailler à une bonne répartition des biens de la terre et que tous puissent manger à leur faim. L’Évangile dénonce les lois du marché et les inégalités qui font que les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête », dit Jésus. Et encore : « vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ! »

Ça veut dire que la vie, le monde, la terre, les biens matériels ne nous appartiennent pas en propre. Nous n’avons pas le droit de les exploiter et de les accaparer pour notre seul profit, comme nous le constatons hélas trop souvent dans le monde d’aujourd’hui. Ils nous sont confiés, pour en faire bon usage, de manière responsable, et au service des personnes. Et comme le gérant astucieux qui s’arrange pour se sortir d’une situation délicate, Jésus invite ses disciples à faire preuve d’habilité et d’astuces, de créativité et d’imagination, de compétences et d’ingéniosité pour une bonne gestion des biens de la terre.

Comme on apprécie les diverses spécialités de Bénichon, nous recevons la vie, la terre et les biens de ce monde comme des cadeaux précieux, qui nous sont confiés, pour que nous en prenions soin et en fassions bon usage, de manière responsable et créative.

Comme disait le Commandant Cousteau à la fin de sa vie : « La terre, des mondes inconnus à conquérir… Aujourd’hui, je découvre qu’ils sont à protéger. »

Dans cette Eucharistie, nous rendons grâce à Dieu pour la vie et tout ce que nous recevons de la terre et du travail des hommes, et nous lui demandons qu’il nous aide à être de bons collaborateurs, de bons administrateurs des biens qu’il nous confie.

Comme l’écrit encore saint Paul : « Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes. Ainsi, en toute chose, Dieu recevra sa gloire par Jésus-Christ. »    Amen.

25e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Amos 8, 4-7; Psaume112, 1-2, 5-6, 7-8 ; 1 Timothée 2, 1-8 ; Luc 16, 1-13