Homélie du 4 août 2019 (Lc 12,13-21)

Chanoine Jean-Pierre Voutaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Chers auditeurs, chers frères et sœurs,
La liturgie nous questionne sur les richesses. Nous nous sommes mis en route à l’appel de Dieu « Viens, il t’appelle… », à la sainteté, à la plénitude la vie, au bonheur.

Perdre la joie, perdre le sens de sa vie

Aujourd’hui la première lecture nous présente quelqu’un qui a perdu la joie, parce qu’il a perdu le sens de sa vie. Le sage Quoélet se questionne. C’est un homme soigneux « à quoi est-ce que ça sert de se donner de la peine ? » – manifeste qu’il s’est donné de la peine – « s’il faut laisser son bien à quelqu’un d’autre » qui n’a point peiné, qui s’est comporté en enfant gâté et qui va tout gaspiller. A quoi bon se casser la tête, avancer de toutes ses forces ? A rien. A quoi servent les peines, les calculs que je fais pour bien effectuer mon travail ? A quoi servent les soucis et les angoisses qui m’habitent afin de nouer les deux bouts, si un jour désormais proche, je dois m’en aller ? Cet homme, ce sage est fatigué, découragé. Et il nous est proposé en modèle. Il nous questionne. Nous sommes invités à trouver des pistes, un sens à notre vie, afin de trouver la joie.

Gardez-vous de toute avidité

Jésus, dans l’évangile, nous met en garde. Dieu n’est pas le Dieu des alarmes : je me dispute en famille pour des motifs d’héritage : Seigneur, viens, inspire-moi une de tes paroles à leur jeter à la figure comme une gifle pour montrer que j’ai raison et droit à ma part. NON : « personne ne m’a établi comme juge dans vos partages », c’est votre affaire, mais vous, gardez-vous de toute avidité par rapport aux biens. Regardons les assiettes dans nos maisons d’accueil : il y a souvent des restes qui manifestent le si jamais j’ai encore faim, alors j’en prends un peu plus. Logique de notre société de surconsommation dont le premier coupable se rencontre le matin devant mon miroir. Une angoisse peut nous saisir : et si jamais quelque chose me manquait. Là Jésus intervient : ce n’est pas cela qui te donne le bonheur ! Ton bonheur ne se cache pas dans les trois pommes de terre supplémentaires qui restent sur ton assiette et qui te donneront la nausée si tu les finis. Ton bonheur est ailleurs.

Les biens d’En-haut, le regard d’En-haut

Lorsque saint Paul écrit à ses amis Colossiens, il les exhorte à rechercher les réalités d’En-Haut. Nous connaissons les comportements de l’homme d’en-bas qui regarde son ventre et cherche son intérêt. Il angoisse s’il n’a pas tout ce qu’il veut. L’apôtre d’ajouter : ne recherche pas les réalités de la terre avec frénésie. Laisse mourir en toi ce qui n’apporte pas le bonheur : débauche, impureté, passion, désirs mauvais, le fait de regarder l’autre comme un objet qui peut te rapporter quelque chose, un plaisir, de l’argent… Cette soif de posséder, qui se manifeste lorsque je remplis trop mon assiette, ne me satisfait pas, c’est de l’idolâtrie, une recherche erronée. Aussi l’apôtre instruit-il les Colossiens : regardez plus haut, le Christ, à la droite du Père. Regardez-le, laissez-vous habiter par son regard, par sa bonté, par sa beauté. Dans ce face à face, je découvre que je suis aimé, que je suis grand, beau. Je ne le découvre pas avec mes propres yeux, c’est le regard de Dieu sur moi qui me restaure et me relève. Recherche ce regard sur ta vie, laisse-toi transformer et pose ce regard sur les autres. La parole de Dieu vient me régénérer. Ainsi je peux laisser tomber les comportements de la terre et revêtir l’homme nouveau, conscient de la puissance et de la beauté de ma vie, invitées à se manifester dans le quotidien.

Il y a quelques années, j’ai écouté à St-Maurice, auprès de la fraternité Eucharistein, le témoignage de l’homme d’affaire canadien Jean-Robert Ouimet qui durant sa jeunesse était travaillé par son héritage immense. Dans une rencontre avec Mère Teresa de Calcutta, il a réalisé qu’il était gérant et pas propriétaire de sa fortune. Sa richesse lui donnait une responsabilité. Il s’est engagé à donner aux êtres humains des conditions de travail leur permettant de vivre bien, afin que l’homme, tout l’homme puisse se régénérer dans son travail. Ainsi les richesses sont au service de la grandeur, de la dignité humaine.

Conclusion : retour à la joie

Dans le première lecture le sage a perdu et le sens de sa vie et la joie. Aussi somme-nous invités à découvrir et approfondir la finalité de notre vie. Si je travaille avec soin, c’est parce que je veux apporter ma pierre pour rendre ce monde meilleur. Et Dieu a besoin de mon travail et de mon témoignage. Dans la prière des enfants de Dieu nous avons un résumé de l’attitude chrétienne par rapport aux richesses : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. » Demander le pain à son Père, c’est abandonner l’attitude de prédateur pour entrer dans le face-à face et dire : Seigneur, donne-moi s’il te plaît du pain, (quelque chose à manger), des personnes avec qui partager et un toit pour notre intimité. Demandons au Seigneur de voir comment nous vivons avec les richesses qui sont les nôtres pour les réordonner à la vie, à la joie et nous laisser interpeller par cette joie de l’Evangile qui se communique.


18° dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Ecclésiaste 1,2.2,21-23, Psaume 90(89), Colossiens 3,1-5.9-11, Luc 12,13-21


 

Homélie TV du 1er Août 2019 (Lc 9, 57-62)

Mgr Valerio Lazzeri, évêque de Lugano – Col du Saint-Gothard

Chers amis,

Chaque année, la naissance du pays nous offre un point de vue particulier, à partir duquel nous pouvons lire les textes de l’Ecriture de ce jour offerts par la liturgie ambrosienne, typique de cette partie du diocèse de Lugano.

Le lien avec notre terre nous pousse, en ce lieu symbolique, riche de références et de souvenirs, à célébrer l’eucharistie. Nous sommes partis de chez nous, ce matin, et nous nous sommes mis en route. Nous nous sommes rassemblés sur la montagne, ce qui nous rappelle la solidité de nos racines communes et nous invite ensemble à ouvrir nos yeux à des horizons plus larges.

Un partage des forces et des dons

En fait, quelque chose aspire, en chacun de nous, à vivre l’expérience vécue par Gédéon. Comme lui, quelque chose nous pousse de l’intérieur pour transformer la recherche de survie, instinctive et privée, en un partage des forces et des dons, en une passion civile, à reconnaître et à redécouvrir, à mettre à disposition pour le bien de tous.

L’époque décrite par le livre des Juges – comme celle que vit, d’une manière ou d’une autre, chaque génération et dans chaque partie du monde – n’est pas la plus heureuse et le plus insouciante. En ce temps-là – comme dans le nôtre, quoique d’une manière différente -, c’est la peur qui domine les cœurs. Les Israélites sont confrontés à la « main de Madiane », qui pèse sur eux.

Nous sommes confrontés à des menaces plus difficiles à identifier, à des craintes cachées, à des éléments perturbateurs, internes et externes, qui – même dans une situation de bien-être généralisé – par rapport à celle de nombreux autres pays, ne parviennent pas à nous faire vivre bien, nous raidissent, nous rendent méfiants à l’égard des autres, incertains du lendemain, souvent obsédés par tout.

L’avenir comme une promesse plutôt qu’une menace

Bien que allions bien, en Suisse aussi nous avons tendance à considérer l’avenir comme une menace plutôt que comme une promesse.

Aujourd’hui comme jadis, la réaction du peuple, dans des circonstances identiques, est toujours la même: chacun cherche à survivre à sa manière, à s’adapter à la situation: « Les fils d’Israël aménagèrent dans les montagnes des failles, des grottes et des lieux escarpés ». Poussé par des peurs plus ou moins raisonnables, on va même chercher refuge dans les endroits les plus reculés.

La recherche unilatérale de la sécurité physique, économique et matérielle pousse à nous contenter d’espaces mentaux exigus, sans perspectives et sans horizons. Une fois à l’abri, on finit par suffoquer et par mourir d’essoufflement, de manque de motivation vitale. C’est ce qui arrive quand on choisit de faire prévaloir les fantasmes les plus sombres: on finit par réduire sa maison à quatre murs fortifiés, sa propre patrie à une tanière, une tanière désirée par tout animal effrayé.

Dans ces situations, certains, évidemment, ne manquent ni d’intelligence, ni de ruse, ni d’esprit d’entreprise. « Gédéon, fils de Joas, battit le blé dans le pressoir, pour le soustraire au pillage des Madianites ». Une trouvaille ingénieuse! Lui et sa famille, au moins, n’auraient pas manqué du minimum vital.

Vous comprenez! Même dans les moments difficiles, on peut trouver un moyen de vivre, de s’en sortir, peut-être même discrètement et sans trop de sacrifices.

Quelque chose, cependant, reste bloqué et veut vivre, malgré tout, dans l’être humain. C’est sa dimension la plus personnelle, large et authentique, à laquelle aucun de nous ne peut renoncer sans malaise, sans commencer à souffrir et devenir amer : « Si le Seigneur est avec nous, pourquoi cela nous est-il arrivé? Où sont toutes ses merveilles que nos pères nous ont racontées? ».

« Le Seigneur est avec toi, homme fort et courageux! »

Gédéon met en débat l’histoire nationale de son pays. Le souvenir du passé, au lieu de motiver et de maintenir la confiance, devient pour lui une source de récriminations et de suspicion. N’est-ce pas une invention rhétorique et un mythe sans fondement ? Et surtout: en quoi et en qui croire aujourd’hui ?

Mais c’est justement à l’heure de la plus grande désillusion et du plus grand désenchantement que Gédéon est atteint par l’appel du Seigneur, par l’intermédiaire de son ange: « Le Seigneur est avec toi, homme fort et courageux! »

Quel appel solennel! Quelle déférence de la part du Très-Haut! Mais aussi: quelle provocation! Cela nous brûle, en fait, de nous sentir traités comme des adultes, libres et pleins de ressources, alors que nous nous sommes résignés à vivre à moitié, prêts à renier nos plus grands idéaux!

On essaie alors de se justifier, de prendre comme prétexte nos moyens limités et notre petitesse. La Parole, la Parole de Dieu, qui continue à résonner dans l’histoire de l’humanité, dégage cependant le champ de ces discours mesquins.

Nous réveiller de notre torpeur

« Avec la force qui est en toi, va sauver Israël du pouvoir de Madiane. N’est-ce pas moi qui t’envoie? » « Je serai avec toi, et tu battras les Madianites comme s’ils n’étaient qu’un seul homme.».

Les paroles adressées par le Seigneur à cet homme, destiné à devenir une figure de référence en Israël, nous concernent particulièrement aujourd’hui. Elles nous demandent de nous réveiller de notre torpeur.

Elles nous donnent la raison de ne pas céder à ces pressions qui nous amènent, nous les habitants de ce pays, à ne prendre soin que de nous-mêmes, de nos intérêts étroits, à chercher un moyen de battre le grain exclusivement pour nous, en le soustrayant au partage plus large, à la logique de la réciprocité, de solidarité et d’échange qui doit caractériser la grande famille humaine à laquelle nous appartenons, même comme Suisses.

C’est le courage que nous avons ici pour invoquer le Seigneur, comme croyants et comme citoyens, comme individus et comme peuple parmi les peuples. Ici, nous devons être conscients que la seule exigence à laquelle nous devons nous soumettre est celle de l’Evangile: celle de l’appel radical que le Seigneur adresse à chacun de nous. C’est ainsi qu’en tant que chrétiens, nous voulons donner un fondement non superficiel à notre être suisse, à notre « Un pour tous et tous pour un ».

Le réalisme sain de la croix glorieuse

A cet égard, les trois appels manqués, les trois drames existentiels qui apparaissent dans le bref passage d’Evangile que nous avons entendu, constituent autant d’avertissements pour nous, pour notre vie personnelle et collective, ecclésiale et civile.

Tout d’abord, nous sommes appelés au réalisme sain de la croix glorieuse. Jésus n’a jamais voulu profiter de l’enthousiasme facile de ceux qui l’imaginaient seulement comme pourvoyeur de moyens pour ne pas avoir à affronter les difficultés concrètes de la vie. « Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nid, mais le Fils de l’Homme n’a pas de place pour reposer sa tête ».

Ceux qui se présentent avec des solutions radicales, pures et dures, pour garantir toujours notre bien-être, notre tranquillité, notre bonheur d’être une île dans une mer mondiale et internationale en plein bouleversement actuel, ne rendent pas service à la communauté. Les projets qui fondent leur force sur des rêves illusoires de pouvoir toujours maintenir nos privilèges, sans jamais payer le moindre prix pour donner une réponse humaine aux tragédies de notre temps, ne peuvent être totalement honnêtes.

Ensuite, il y a l’appel à mettre en œuvre un agir différent de l’utilitarisme pur, sans justifications et sans délais, afin de ne pas rompre avec ce qui a toujours été.

Celui qui est vivifié par le Seigneur Jésus et se laisse transformer par la rencontre personnelle avec Lui, celui qui laisse  » les morts enterrer leurs morts », commence à œuvrer à partir d’une autre façon de penser.

Il ne se laisse pas bloquer par ces coutumes qui ne sont qu’une reproduction stérile du passé. Celui qui est appelé par le Christ se dépense ici et maintenant, sans tarder. Il a le besoin urgent de faire résonner immédiatement l’annonce du Royaume de Dieu qui est devenu proche. Combien de fois oublions-nous que les pères s’honorent eux-mêmes, ne pensant pas d’abord à leurs funérailles solennelles, mais vivant concrètement comme des frères, en rendant leur précieux héritage de valeurs et de références efficace pour aujourd’hui!

Et enfin, il y a le sillon de l’Évangile à tracer de façon continue et linéaire dans l’histoire, sans se soustraire au grand travail qui doit prévaloir sur tout. « Je te suivrai, Seigneur, mais laisse-moi d’abord faire mes adieux à ceux de ma maison ». Comment pouvons-nous dire que nous suivons le Seigneur, si notre seule préoccupation concerne ceux de notre propre sang, de notre propre race, de notre propre culture, si nous n’avons pas le courage d’accueillir un autre ferment dans nos cœurs, autre que celui de la conservation de soi, de notre manière de penser et de voir les choses?

Un ferment de nouveauté

Certes, les paroles de Jésus, même les plus radicales et les plus tranchées, doivent être lues avec intelligence. Elles ne devraient pas être exagérées pour en faire une idéologie. Personne ne peut les réquisitionner pour les mettre au service de son propre point de vue et essayer ainsi de l’emporter sur l’autre. Nous devons vraiment nous engager pour qu’elles restent pour tous un aiguillon et un stimulant à la conversion, à la puissance de l’Esprit, un ferment de nouveauté, pour changer notre propre cœur avant celui des autres.

Le silence de la montagne, l’âpreté et la beauté du paysage que nous sommes venus chercher, une fois de plus, au Saint-Gothard, peuvent nous aider à les faire vivre en nous, à les rendre audibles à tous par notre témoignage et notre engagement.

Grâce à l’élan inépuisable qui nous vient de l’Évangile de Jésus Christ, mort et ressuscité, nous nous sentons aujourd’hui encore plus impliqués dans les événements du pays où nous vivons. L’appel du Seigneur nous rassemble et nous envoie.

Il nous incite à être prêts tout de suite, non seulement et non pas en premier lieu pour dire ce que nous ne sommes pas, ce qui nous déplaît, ce que nous rejetons – parce que ça nous dérange, ça nous déstabilise, ça nous oblige à évoluer et à nous mettre en route – mais surtout à annoncer et transmettre, avec joie et courage, ce qui, ici et maintenant, fait brûler nos cœurs, nous garde unis entre nous et par rapport au monde.

Nous ne pouvons donc pas vivre d’une manière authentiquement humaine seulement en nous protégeant nous-mêmes, nos proches et nos biens. Nous les aimerons vraiment, et avec eux notre patrie, en dépassant l’isolement de nos cœurs, en trouvant au fond de nous-mêmes ce qui ne peut pas exister lorsque nous avons peur des autres, de ce qui est perdu pour toujours, lorsque ce n’est pas donné inconditionnellement à chaque fois.

Amen.


Lectures bibliques :  1 Rois  6, 1-16; Luc 9, 57-62


 

Homélie du 28 juillet 2019 (Lc 11, 1-13)

Chanoine Raphaël Duchoud – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Frères et sœurs dans le Christ,

L’été se poursuit et voilà que nous vivons le deuxième pèlerinage alpin organisé par l’Hospice du Grand-Saint-Bernard sur un thème qui nous concerne tous : la sainteté avec une invitation pressante à devenir un saint par cette injonction : “Viens, il t’appelle”. “Devenir un saint”, n’est-ce pas un langage qui peut paraître dépassé dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains ? En tout cas, à en juger par des réflexions comme celle-ci, entendues au cours de conversations, on se rend compte à quel point le concept de sainteté est perçu chez beaucoup de personnes, même chez celles qui s’affirment chrétiennes.

Devenir ami de Dieu

Lors d’une préparation au baptême d’un  petit enfant, nous étions arrivés à parler sur le thème de la vocation à la sainteté et j’avais demandé aux parents de chercher deux définitions de la sainteté, l’une en deux mots et la deuxième en trois mots. Il n’était pas évident pour eux de donner une réponse aussi succincte mais tout de même, il en est sorti que la sainteté pourrait être le fait d’être “pécheur pardonné” et, par conséquence, devenir “ami de Dieu” ; d’où la réflexion de la maman : « Mais alors, cela nous concerne tous !! » Voilà une perception de la sainteté appréciée à son juste niveau.

Etre ami de Dieu nous inscrit dans une relation qui demande, de notre part, bien plus qu’un simple souvenir intellectuel d’un rapport avec quelqu’un qu’on n’a jamais vu de ses propres yeux. Et pourtant, saint Jean affirme que « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est venu nous le faire connaître. » (Jn 1, 18) La révélation divine par la personne de Jésus-Christ est essentielle pour stimuler notre foi en un Dieu Père, révélé par Jésus-Christ, reconnu comme Dieu et enseigné par l’Esprit-Saint reconnu également comme Dieu, dans la communauté des baptisés qu’est l’Eglise. La foi chrétienne ainsi exprimée oriente notre point de vue sur la vocation à la sainteté.

Appeler Dieu “Père”

Quand on parle d’amitié, on s’inscrit dans une relation avec l’être aimé. Etre ami de Dieu implique donc une relation avec le divin qui se concrétise d’une manière ou d’une autre par le lien de la prière. Trop perçue souvent comme une action réservée à des personnes qui ont consacré leur vie dans une vocation particulière, la prière peut paraître comme désuète chez beaucoup de nos contemporains. Pourtant, dans l’Evangile de ce dimanche, les disciples restent frappés de voir Jésus en prière, au point qu’ils en viennent à lui demander : « Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean-Baptiste l’a enseigné à ses disciples. » (Lc 11,1) Jésus ne va pas commencer à faire des théories sur la manière de prier et sur les positions à prendre pour favoriser cet élan du cœur vers Dieu, il va directement à l’essentiel en invitant ses disciples à appeler Dieu “Père”. Cette première parole nous introduit directement dans la relation intime dans laquelle nous sommes impliqués, non pas parce que nous faisons quelque chose, mais parce que nous existons. Si j’appelle Dieu “Père”, je me reconnais automatiquement comme “fils”.

Une relation communautaire

La prière du Notre Père est donc donnée en réponse à la demande des disciples : « Seigneur, enseigne-nous à prier ». Elle est l’unique prière que Jésus nous a enseignée personnellement. Elle se vit dans une relation communautaire puisqu’on s’adresse à Dieu comme le Père de tous les hommes. Même si dans l’Evangile de ce jour tiré de saint Luc Dieu est nommé directement “Père ”, la dimension communautaire de la prière n’y est pas moins présente. Le Notre Père est en quelque sorte un abrégé de l’Evangile, la prière chrétienne par excellence. Quand on le prie, et ceci d’une façon vraie et authentique, on exprime, en disant : “que ton nom soit sanctifié”, le désir que l’ensemble de l‘humanité reconnaisse en Dieu le principe de la création, la source de la vie de laquelle toute créature découle. L’invocation “que ton règne vienne” est l’expression dans la confiance que les promesses de Dieu se réalisent dans notre monde comme dans l’autre. Celles-ci le feront que dans la mesure où l’être humain consent pleinement à accueillir le message de l’Evangile en se laissant aimer par Dieu et en l’aimant de tout son être.

Saint Augustin enseigne que “Dieu qui t’a créé sans toi ne veut pas te sauver sans toi”. Le Seigneur respecte notre propre liberté dans notre réponse à son amour ; un saint, un ami de Dieu s’inscrit donc dans ce dynamisme de liberté : on ne peut obliger quelqu’un à aimer. L’invocation “donne-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour” fait prendre conscience que tout ce que nous avons vient de Lui et ce que nous recevons chaque jour doit être vu comme un don de Dieu, à l’image du pain présenté pendant l’Eucharistie durant l’offertoire, sur lequel sont prononcées ces paroles : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes… ».

Quand nous demandons au Seigneur de pardonner nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui ont des torts envers nous, que demandons-nous sinon d’avoir les mêmes sentiments que le Christ Jésus à notre égard, lui qui s’engage envers nous pour nous faire confiance malgré nos limites au point de nous pardonner tous nos péchés. Encore là, nous sommes invités à nous laisser pardonner de nos fautes en les reconnaissant humblement et en nous engageant  à en faire de même à l’égard de ceux qui ont des torts envers nous. La dernière demande “ne nous laisse pas entrer en tentation” fait prendre conscience de nos propres faiblesses : nous avons besoin de la force de Dieu pour poursuivre notre pèlerinage à la suite du Christ sur les chemins de la sainteté. Au moment de la tentation, demandons la force divine pour être forts dans l’adversité, autrement dit, de ne pas sombrer dans l’esclavage du péché, mais de rester des enfants de Dieu libres sous l’effet de la grâce.

Persévérance et confiance

Il convient donc de persévérer dans la prière et ceci avec audace quelquefois, à l’exemple d’Abraham dans le livre de la Genèse, même s’il nous semble impossible à vue humaine, que celle-ci puisse être exaucée. Toute prière faite au nom de Jésus reçoit une réponse dans le concret de notre histoire, même si apparemment rien ne semble se passer. Jésus nous invite à persévérer dans la démarche de la prière ; la parabole de l’ami importun qui fait suite au Notre Père dans le texte évangélique de ce jour invite à une attitude de persévérance et de confiance : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira… » (Lc 11,9).

Frères et sœurs dans le Christ, l’appel à la sainteté implique donc une démarche de prière ; les lectures de ce dimanche nous le rappellent : en commençant par Abraham qui, par sa demande d’obtenir grâce pour les villes de Sodome et de Gomorrhe découvre que le Seigneur se laisse toucher par la prière et se révèle prêt à accorder sa miséricorde à tout le monde par égard aux justes qui se trouvent dans ces villes, puis l’enseignement du Notre Père, vraie prière chrétienne, enfin aboutir à la découverte d’un Dieu qui exauce toute demande faite au nom de son Fils Jésus-Christ, au point de devenir lui-même péché pour nous, puisque, comme le dit saint Paul, « Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix. » (Col 2,14). Découvrons ou redécouvrons donc la beauté de la vocation à la sainteté, chemin de liberté et de joie profonde à la suite du Christ, car la sainteté, malgré toutes les apparences, c’est faire la volonté de Dieu avec un bon sourire. Amen.


17ème dimanche du Temps Ordinaire, année “C”

Lectures bibliques : Genèse 18, 20-32; Psaume 137, 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8; Colossiens 2, 12-14;Luc 11, 1-13