Homélie du 1er mai 2016 (Jn 14, 23-29)

Abbé Henri Roduit – Eglise St-Laurent, Riddes

« Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.»

Ce passage de l’apocalypse que nous venons d’entendre rapporte la vision de la Jérusalem nouvelle que Jean nous décrit comme une Ville Sainte qui descend de chez Dieu. Dans les  évangiles synoptiques, on emploie plutôt le  terme « Royaume de Dieu » pour parler de la plénitude de vie en Dieu, de la création ou de l’humanité pleinement réconciliée avec lui. Mais c’est le même thème.
La question du lieu de la rencontre avec Dieu intéresse beaucoup l’auteur de l’Apocalypse. Plusieurs passages de l’évangile de Jean, qui est du même auteur, abordent cette question.

Dans la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, celle-ci lui demande où il faut adorer. Et Jésus lui répond : «Crois-moi, femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous  adorerez  le Père… Dieu est esprit et c’est pourquoi ceux qui l’adorent, doivent l’adorer en esprit et en vérité.» (Jn 4,21.24)

Ou encore dans le récit des vendeurs chassés du temple, les juifs disent à Jésus « Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours ? » Mais lui parlait du temple de son corps. Le temple, le lieu de la rencontre avec Dieu, le lieu des sacrifices, ce n’est plus un bâtiment mais une personne, Jésus lui-même, l’homme-Dieu, l’homme descendu du ciel, l’homme qui s’identifie aux pauvres et aux humiliés. Depuis l’Incarnation du fils de Dieu, le sanctuaire c’est pour la communauté des croyants, chaque homme, en particulier le pauvre et l’humilié.

« Le véritable lieu du culte nouveau c’est l’homme concret »

Le fait que le véritable lieu du culte nouveau c’est l’homme concret est manifeste dans l’affirmation de l’évangile de ce jour où Jésus affirme « Mon Père et moi, nous viendrons chez lui, et en lui, nous nous ferons une demeure. Le Temple, c’est l’homme.
En ce 1er mai, nous pensons particulièrement à ceux qui sont pauvres ou humiliés parce qu’ils n’ont pas de travail ou un travail dans des conditions déshumanisantes à cause de la course aux profits de ceux qui détiennent pour eux-mêmes  le pouvoir de l’argent. »

« Remettre au centre la personne et le bien commun »

Le Pape François l’a affirmé fortement à Cagliari en Sardaigne, le 22 septembre 2013:  «A la racine il y a une trahison du bien commun, de la part des individus et de la part des groupes de pouvoir. Il est donc nécessaire de retirer son caractère central à la loi du profit et du revenu et de remettre au centre la personne et le bien commun. Un facteur très important pour la dignité de la personne est justement le travail ; pour qu’il y ait une authentique promotion de la personne, il faut que le travail soit garanti. C’est une tâche qui est celle de toute la société… »

Le profit de quelques-uns se fait sur le dos des plus faibles. Les médias, il y a environ 2 mois, nous révélaient des chiffres impressionnants : 68 personnes, à elles seules,  possèdent plus de fortune que  3,5 milliards d’êtres humains, soit la moitié de la population mondiale. Le capital est bien mieux rémunéré que le travail. Beaucoup de gens qui ont un emploi à 100% joignent difficilement les deux bouts à la fin du mois.
De plus les travailleurs peuvent craindre dorénavant l’arrivée de robots pour les remplacer. Le cri du pape : « Un facteur très important pour la dignité de la personne est justement le travail ; pour qu’il y ait une authentique promotion de la personne, il faut que le travail soit garanti » est donc d’autant plus actuel.

En ce jour de fête des travailleurs, nous nous rappelons que le lieu de la rencontre avec Dieu, le sanctuaire est l’homme lui-même, tout particulièrement le plus fragile. Nous prions pour ceux qui détiennent une part du pouvoir dans le monde du travail : patrons chrétiens, politiciens qui se réclament de l’Eglise. Que l’Esprit Saint leur donne le courage et la force d’agir conformément à leur foi, dans toutes leurs décision.

Nous portons aussi  tout particulièrement dans notre prière les chômeurs, les jeunes en quête de travail et aussi les demandeurs d’asile qui cherchent à faire un stage non payant de deux semaines dans une entreprise pour découvrir ce qu’est le travail en Suisse. Et nous demandons au Seigneur de nous donner la force de nous engager pour qu’il y ait une authentique promotion de la personne dans le travail et que le travail soit garanti pour chacun.


6e DIMANCHE DE PÂQUES
Lectures bibliques : Actes 15, 1-2.22-29; Psaume 66;Apocalypse 21, 10-14.22-23; Jean 14, 23-29


 

Homélie du 24 avril 2016 (Jn 13, 31-33a, 34-35)

Abbé Marc Donzé – Basilique Notre-Dame, Lausanne

 

Un jour, deux belles personnes, Evariste et Eulalie, s’en vinrent trouver un vieux sage, dont le regard de feu et les mains râpées et calleuses avaient fait la réputation.
Ils lui demandèrent : « Maître, nous voudrions  apprendre de votre sagesse ce qu’est l’amour ».
Le sage répondit : «  Pourquoi m’appelez-vous maître ? Il n’y a qu’un seul Maître, le Dieu de Lumière et de Paix ! Et puis, quelle sorte d’amour voulez-vous connaître ? »
« Celui de Jésus-Christ, dirent-ils. Nous avons lu dans l’Evangile cette parole de Jésus : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

« Vraiment, vous voulez apprendre de Jésus-Christ !? J’espère que vous n’avez peur de rien, car c’est une rude aventure. Elle m’a embrasé le coeur et mes mains ont tant travaillé pour l’amour, qu’elles sont devenues dures et douces à la fois. »

Pour apprendre, il suffit de regarder Jésus lui-même. Cela commence doucement par un regard émerveillé sur les lis des champs et toutes les fleurs et tous les arbres, par une écoute attentive des oiseaux du ciel et des moineaux familiers, par un étonnement devant un champ de blé qui mûrit au soleil.

Et puis, il faut poser son regard sur les hommes, les femmes, les enfants, quels qu’ils soient. Et se dire : tout homme est mon frère, toute femme ma soeur, puisque tous ont leur nom gravé dans la paume de la main d’amour de Dieu.

A ce moment-là, l’amour devient plus exigeant. Et l’aventure plus forte. Car dire d’une personne sympathique ou aimée qu’elle est notre frère, notre soeur, c’est facile. Mais le dire d’une personne qui nous est lointaine, voire hostile, ou même qui a commis des actes qui bafouent la dignité des hommes, c’est une autre affaire. Le dire, le penser et agir en conséquence, quel défi ! Un tel a commis un attentat, et pourtant, par un certain côté, il est mon frère en humanité, car le Père des cieux fait briller son soleil sur les justes et les méchants.

Evariste et Eulalie, avez-vous déjà été blessé par quelqu’un ? ou scandalisé par quelqu’un ? que feriez-vous alors ?

« Ne pas réduire la personne au mal qu’elle a fait »

Vous êtes perplexes, et je vous comprends. Le secret, c’est de ne pas réduire la personne au mal qu’elle a fait. Le mal qui a été commis, il ne faut pas le cacher ; il faut le dire, il faut le dénoncer parfois, et le laisser juger par la justice humaine, si nécessaire. Ou encore, la dureté de coeur, l’attention prépondérante à la loi plus qu’à la personne, il faut leur octroyer juste critique, comme Jésus le fit vertement vis-à-vis des pharisiens et des sadducéens, quand il les traita de sépulcres blanchis. Il n’en reste pas moins que tous ces hommes, toutes ces femmes sont nos frères et soeurs et qu’ils ne sauraient être réduits au mal qu’ils ont commis ou à la dureté qu’ils font subir aux autres. Ils et elles sont des personnes qui sont encore capables d’autre chose et de bien meilleur. Les aimer, c’est d’abord se dire : en toi, je crois en l’homme possible : l’homme possible qui peut grandir en fraternité, générosité, amour et vraie sagesse. Je crois, mon frère, que tu peux être envisagé autrement – et que tu peux t’envisager autrement – que comme un dur, un intransigeant, un homme fermé, un coupable. Je peux t’espérer. Sans mièvrerie. Avec exigence même. Je peux espérer que tu te mettes debout comme un homme digne de sa vocation de liberté, de fraternité et d’amour.

Chers Eulalie et Evariste, combien c’est déjà difficile cette attitude et cette espérance. C’est un combat en nous-mêmes pour la vivre concrètement. Et pour que ce soit bien clair, Jésus lui-même a mis les points sur les i, quand il a dit à ses disciples : « Aimez vos ennemis, car si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous d’extraordinaire ? »

Alors, chers amis, vous devez trouver les chemins concrets pour vivre cet amour hors du commun. Ils ne sont pas faciles à tracer. Que l’Esprit de Dieu lui-même vous inspire.

Mais il faut aller plus loin encore. Pouvez-vous me suivre, mes amis ? Avec un grand soupir et une petite flamme au coeur, Evariste et Eulalie dirent un oui timide.

Puisque vous avez lu l’Evangile, vous savez ce que Jésus a fait au début de son dernier repas, juste avant de mourir en donnant sa vie.

« Nous faire serviteurs des autres, avec un respect infini de leur dignité »

Oui, répondirent-ils, il a lavé les pieds de ses disciples, même ceux de Judas. Et il leur a dit : je vous ai donné un exemple, pour que vous aussi vous fassiez de même.

Vous voyez, poursuivit alors le vieux sage, l’exemple de Jésus nous invite à nous faire serviteurs des autres, avec un respect infini de leur dignité. C’est pour cela que les mains de celui qui aime, ou son coeur, ou les deux ne sauraient rester inactifs, ajouta-t-il en montrant ses mains qui avaient soigné tant de blessures.

Mais comment peut-on être serviteurs, demandèrent Evariste et Eulalie ?

Vous devez inventer vos chemins, répondit le vieux sage. Vous ne pouvez évidemment pas servir tout le monde, mais pour un certain nombre de personnes que la vie met sur votre route, vous pouvez leur offrir cette foi en l’homme possible qui leur permet de grandir, de se mettre debout, de croire en eux-mêmes, de partager. L’offrir par de l’attention, par des gestes d’encouragement, d’accueil, de partage. La question à se poser, c’est donc : de qui suis-je appelé à me faire le serviteur, dans le haut et noble sens de ce terme ?

Et ce n’est pas fini, chers amis. Dans cette aventure de l’amour comme Jésus nous l’a montrée, il y a encore le pardon. Même en ses derniers moments, Jésus disait à ceux qui le torturaient : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Et au bon larron, mais larron tout de même : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis ».

Comme il est difficile de pardonner, quand on a été offensé, méprisé, déconsidéré, voire atteint dans son intégrité physique et morale. Mais encore une fois, pardonner, c’est ne pas réduire l’autre au mal qu’il a commis. Et croire, et espérer qu’il est aussi capable de meilleur. Pardonner, c’est demander à Dieu qu’il parle au coeur de la personne avec un amour qui attend le meilleur.

Mais alors, dirent Evariste et Eulalie, en se regardant perplexes, croire en l’homme possible, se faire serviteur, pardonner : tout cela c’est presque impossible.

Eh oui, dit le vieux sage, et si vous le vivez, autour de vous, on vous trouvera bien peu raisonnables. Car l’amour de Dieu, montré par Jésus-Christ, a quelque chose de fou. Joyeuse et splendide folie, mais c’est Dieu qui la rendra possible en vous. Confiez-vous à lui, car il est le maître de l’impossible.

N’ayez pas peur, au-delà de toutes les épines, cet amour-là confère une joie que personne ne peut vous ravir.

Et puis, il y aura encore une étape, mais ce sera pour plus tard : celle de donner sa vie, comme Jésus le fit sur la Croix. Il suffit pour l’instant que vous dépensiez votre vie jour après jour à la manière de Jésus. Et vous vous retrouverez encore plus vous-mêmes que vous ne pouvez imaginer. Bonne route mes amis.

 


5ème dimanche de Pâques

Lectures bibliques :  Actes 14, 21b-27; Psaume 144; Apocalypse 21, 1-5a; Jean 13, 31-33a, 34-35