Natalie Henchoz, aumônière réformée – Prison pour hommes de la Croisée, Orbe, VD – Célébration œcuménique
Message : «ça pourrait être autrement»
L’Evangile de Marc est le premier qui a été écrit, environ 30 à 40 ans après la résurrection du Christ. Son récit a un style direct, souvent déroutant, jouant sur les paradoxes et les retournements de situation. Il est tout entier une invitation à se laisser surprendre, à quitter ce que l’on tient pour acquis, et à se tourner vers une autre réalité : celle de Dieu qui nous rejoint.
Dans le texte que nous venons d’entendre, nous assistons au premier électro-choc de cet Evangile. Jean le Baptiste, celui qui annonçait la venue du Seigneur et invitait la population à changer de vie, est mis en prison, comme un échec programmé dans la lutte du bien contre le mal.
Jésus entre alors en action, annonçant un retournement de situation : «le moment décidé par Dieu est arrivé et le Royaume de Dieu est tout près de vous.» dit-il. En d’autre termes, le temps du monde est terminé et le temps de Dieu est là. Cette nouvelle est de la dynamite car elle annonce un changement radical devenu urgent, un ressourcement plus que nécessaire, l’irruption d’un royaume d’amour divin dans notre quotidien.
Un chemin qui se fait en commun
C’est le début du cheminement pour Jésus, une mise en route pour laquelle il ne peut pas être seul : c’est un chemin qui se fait en commun. (Notre Dieu est un Dieu de relation). Il va alors appeler ses premiers compagnons, ceux qui deviendront ses disciples en recevant son enseignement.
La réaction de Simon, André, Jacques et Jean est immédiate : ils abandonnent leur travail (leur gagne-pain et celui de leur famille), ils laissent tout derrière eux et ils suivent Jésus. Ça paraît évidemment un peu trop beau pour être vrai… Mais par sa manière de mettre son récit en scène, Marc insiste sur l’urgence de répondre à cet appel divin.
Encore une fois, c’est le bon moment ; le moment précis où il s’agit de se lever et de se mettre en route. La Bonne Nouvelle est si intense, si bouleversante qu’ils n’ont pas résisté.
Evidemment, les futures disciples ne savent pas ce qui les attend. D’ailleurs tout au long du récit de Marc, nous les verrons se poser mille questions, ne pas comprendre ce qui leur arrive et être souvent complètement à côté de la plaque. Ce qu’ils espéraient sans doute, soit la réhabilitation du trône de David par le Messie promis par Dieu, n’a jamais eu lieu. Ils ont été de surprises en surprises, pas toujours agréables d’ailleurs. Mais quoi qu’il en soit, ce que l’on retient à la fin de l’Evangile, c’est que cette fameuse Bonne Nouvelle a pris le dessus de tout le reste. La manière dont ils ont vécu ce temps particulier avec Jésus et tout ce qu’ils ont compris par ses paroles et ses actes, a profondément changé leur vie. Si ce n’était pas le cas, ils n’auraient pas continué de la répandre après que Jésus soit monté rejoindre son Père et nous ne serions pas là.
Je crois sincèrement et profondément que le temps de Dieu est omniprésent. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est bien plus une manière de vivre l’instant qui permet de faire advenir le Royaume de Dieu aujourd’hui encore, qu’une durée pendant lequel il aurait été ou serait encore présent (par exemple pendant le temps du ministère de Jésus ou durant quelques siècles). Un temps en épaisseur bien plus que dans un déroulement chronologique. Dit autrement, cet appel lancé aux premiers disciples est celui que Dieu nous lance aujourd’hui encore avec toujours cette même intensité.
Appelé à la rencontre avec Dieu
Nous sommes toujours appelé à la rencontre avec Dieu, à devenir disciple dans notre quotidien. Mais de même que Simon, André, Jacques et Jean ont eu le choix, c’est à nous de choisir si oui ou non, nous voulons nous lancer dans cette aventure. Nous ne sommes pas les marionnettes d’un Dieu qui s’impose : il est de notre responsabilité de lui dire oui ou non, de choisir le Royaume de Dieu ou le monde des humains. Mais quoi qu’il en soit, nous sommes invités à prendre une décision. Ne pas choisir est une forme de choix.
Quelle que soit notre situation, ici en prison ou l’enfermement se vit au quotidien, ou dehors dans d’autres formes d’enfermement peut-être : la maladie ou le handicap, les soucis d’argent ou de relation, le stress, la colère ou la peur, la Bonne Nouvelle fait toujours irruption dans nos vies et nous fait signe avec insistance.
Si nous nous laissons interpeler, si nous choisissons de nous lever et de nous mettre en route, nous ne saurons pas où le chemin nous mènera. Probablement pas là où nous l’espérons : il y a peu de chance pour que les portes de cette prison s’ouvrent soudainement dans un grand éclair blanc, ou qu’une pluie de billets de banque tombe du ciel. Il y aura des surprises, des bonnes et des mauvaises. Il y aura des portes qui nous claqueront à la figure, des incompréhensions et des difficultés, il y aura même peut-être des miracles si vous avez le coeur assez ouvert pour les voir.
Car le Royaume de Dieu ne dépend pas de notre compréhension humaine: nous entrons dans une autre dimension où ce ne sont plus les circonstances qui sont importantes, mais la manière dont nous investissons l’instant, la qualité de présence que nous avons les uns, les unes, pour les autres : un comportement sans jugement, un accueil inconditionnel de chaque être vivant, un regard qui s’émerveille devant le miracle de la vie, un coeur ouvert à la richesse de nos différences. C’est ce que le Christ nous montre tout au long de l’Evangile. «Changez votre vie et croyez !» avons-nous entendu dans le texte de ce matin.
Si nous nous laissons interpeler, si nous acceptons de croire que «ça pourrait être autrement», nous nous lèverons et irons ensembles, à la suite du Christ. Car répondre à l’appel de Dieu, c’est dire oui à l’Espérance envers et contre tout.
Alors oui, il y a urgence ! Evidemment qu’il y a urgence de vivre plus intensément et plus heureux !
C’est le bon moment pour se mettre en route. Le moment précis où le Royaume est là, à notre portée. Amen