Homélie du 09 novembre 2014

Prédicateur : Père Benoît-Marie Clément
Date : 09 novembre 2014
Lieu : Abbaye de la Fille-Dieu, Romont
Type : radio

La mère et la tête de toutes les églises chrétiennes » : c’est l’inscription qui accueille le pèlerin qui visite la basilique chrétienne la plus ancienne de la Ville éternelle, dédiée au Saint Sauveur et aussi appelée St Jean de Latran, à cause du baptistère qui l’avoisine et parce que c’est l’empereur Constantin qui a donné son palais du Latran au pape Sylvestre pour qu’il en fasse sa résidence au lendemain de la paix de l’Eglise.

Mais pourquoi donc fêter cette dédicace lointaine, alors que nous avons près de nous des églises qui ont bien d’autres raisons de nous être chères ? Notre Père St Bernard se pose la même question : « Est-ce des pierres que Dieu s’occupe ? » Il inspira lui-même cette architecture très dépouillée que l’on admire dans nos églises cisterciennes construites à son époque, où tout est épuré pour enlever au moine toute occasion de distraction et ne le conduire que vers la lumière invisible de Dieu. Il y a bien une présence de Dieu particulière dans ces églises vénérables qui sont comme imprégnées de prière, parce qu’elles ont été consacrées exclusivement à la gloire de Dieu et en vue de la rencontre intime avec Lui, où des foules innombrables ont comme laissé leur trace de louange, de supplication et de confiance. On peut prier partout, mais nous prions mieux là, dans ces lieux où tout nous y aide, aux frontières du visible et de l’invisible. Et comme le corps humain est le temple du St Esprit, c’est Lui qui fait la sainteté de nos âmes, qui à leur tour sanctifient nos corps. De même, les pierres d’une église sont sanctifiées par la grâce de Dieu qui veut que là se rassemblent des chrétiens conscients de leur dignité : ce qui prouve la présence de l’Esprit Saint dans l’âme, c’est la vie spirituelle et l’amitié avec Dieu. Il y a quelque chose de personnel et quasiment incommunicable dans cette relation de la créature avec son Dieu, mais heureusement pour nous, nous ne sommes pas seuls à la vivre.

Nous avons tous besoin de nous soutenir les uns les autres dans ce labeur de sanctification, ce choix souvent difficile au milieu des tentations qui nous éloignent de Dieu. Il est donc essentiel que nous nous entretenions un dialogue personnel avec Dieu, mais aussi que nous prenions la peine de prier ensemble. Ainsi est alimenté le trésor de l’Eglise, en même temps que nous bénéficions de la ferveur commune.

La fête de ce jour nous ramène à la source de notre foi, transmise par les Apôtres. Avec les innombrables martyrs qui ont versé leur sang dans la capitale de l’Empire romain durant les trois premiers siècles de notre ère, ils nous en rappellent le prix. Car ce n’est pas rien que d’être entouré de cette foule glorieuse, autour du Pape de Rome qui est le serviteur de l’unité de l’Eglise. Il ne réside au Vatican que depuis l’époque moderne et la Basilique du Latran demeure sa cathédrale : voilà la raison pour laquelle nous célébrons partout dans le monde ce symbole de l’unité du Corps de l’Eglise autour du Pontife Romain, à la fois évêque de Rome et chef de toute l’Eglise. C’est là que chaque année, il célèbre la Messe du Jeudi-Saint où il lave les pieds de 12 pauvres, et où sont ordonnés les prêtres pour son diocèse. C’est là que les romains venaient par milliers au IVème et Vème siècles s’agréger au Corps du Christ par le baptême et la confirmation. Et depuis lors, le rituel de la consécration d’une église suit celui du baptême, ce qui est hautement significatif : comme le catéchumène, elle est lavée, consacrée par le St Chrême, marquée par la croix, habillée et illuminée. Que tous ces signes, faits une fois pour toutes en nous et en elle, viennent au secours de notre faiblesse. Qu’ils nous rassemblent toujours plus en un seul corps, comme les pierres unies entre elle pour former cet édifice qui plaît à Dieu et réjouit les yeux du corps et de l’âme.

Fête de la Dédicace de la Basilique du Latran, Rome

Lectures bibliques : Ezéchiel 47, 1-2.8-9.12; Psaume 45 ; 1 Corinthiens 3, 9b-11.16-17; Jean 2, 13-22

Homélie du 02 novembre 2014

Prédicateur : Chanoine Guy Luisier
Date : 02 novembre 2014
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

La mort est au bout de la vie.

Oui d’accord. Cela semble une vérité évidente, une banalité et même, osons le mot, une lapalissade.

Mais parce que nous sommes chrétiens, nous devons nous méfier des banalités de la pensée, surtout lorsqu’elles touchent les réalités centrales de l’existence.

Pour le chrétien, pour l’homme de foi, la mort n’est pas au bout de la vie parce que la Vie c’est Dieu et Dieu n’a pas de bouts, de frontières et de limites, Dieu c’est l’océan vers lequel nous nous dirigeons, dans lequel nous sommes sans cesse plongés, et duquel nous tirons toutes nos sources comme nous dit d’ailleurs le psaume.

Alors : la mort au bout de la vie, une lapalissade ?

Regardons-y de plus près.

Une lapalissade, ou une vérité de La Palisse peut cacher une réflexion plus profonde qu’elle semble avoir au premier abord. Savez-vous d’ailleurs que ce qui a fait la célébrité du marquis de La Palisse un officier français du 16e siècle c’est justement sa mort.

On racontait que juste avant sa mort, au siège de Pavie, lors des guerres d’Italie, il était encore en vie.

Les vérités de Lapalisse seraient nées dans cette banalité profonde que l’on a pu exprimer ainsi : Un quart d’heure avant sa mort il était encore vivant.

Seuls les idiots ou les distraits trouvent cette phrase banale ou ridicule.

Si on est un peu fin et attentif on voit bien qu’il s’agit de désamorcer la douleur et le mystère de la mort.

Ce qui est en jeu c’est de montrer que la grandeur d’un homme n’est pas dans la façon dont il meurt mais dans la façon dont il se garde en vie jusqu’à sa mort, dans la façon d’être vivant avant de mourir, dans la façon de rendre pleins tous les quarts d’heure de la vie, tous les moments de son existence.

Non pas pleins de futilités, de bruits, de fureur, mais pleins de sens, pleins de profondeur, pleins de Dieu peut-être.

Ainsi la sagesse constante de l’humanité a su toujours préférer une vie courte mais profondément remplie à une longue vie faites de langueur, d’inutilité ou de superficialité.

Dans la bible, le livre de la Sagesse surfe, pourrait-on dire pour faire moderne, sur cette sagesse humaine fondamentale quand il dit : Même s’il meurt avant l’âge, le juste trouvera le repos. La dignité du vieillard ne tient pas au grand âge, elle ne se mesure pas au nombre des années. Pour l’homme la sagesse surpasse les cheveux blancs, une vie sans tache vaut une longue vieillesse.

Les martyrs qui sont célébrés ici à l’Abbaye de saint Maurice depuis plus de 15 siècles, étaient de jeunes hommes pleinement en vie, juste avant leur mort sanglante. Et dire cela c’est justement donner du sens à leur vie, à leur mort, pour remplir de sens notre propre vie et notre propre mort.

Pour un homme de sens et de sagesse, le défi est de rester vivant jusqu’à sa mort.

Et c’est un défi qui n’est pas banal !

Mais il faut aller plus loin : pour l’homme de foi le défi est de rester vivant en deçà de sa mort pour rester dans la vie au-delà de la mort.

Ainsi se dessine une destinée réussie, pleine : c’est une destinée dont la mort est non plus une horreur qui défigure le sens de la vie, mais bien plutôt un repère, certes douloureux et déchirant, entre deux états que Dieu remplit de sa présence… mais qu’il s’agit nous aussi de remplir de notre propre présence.

Autour de ce Repère-Mystère de la Mort, autour d’un deuil, autour des célébrations traditionnelles du début novembre, les questions sortent, s’agglutinent et se pressent à notre esprit et à notre cœur. C’est normal et tellement humain.

Nous voulons savoir si l’autre côté est bien un autre côté et pas un mythe de consolation douce. Nous voulons savoir comment Dieu est présent de l’autre côté. Nous nous demandons si nous y serons, si nous y serons bien, comment sont nos proches qui ne sont plus ici. C’est normal, c’est un vrai enjeu.

Mais sans doute est-il plus pertinent de nous demander comment nous laissons Dieu être présent de ce côté-ci et comment nous sommes présents à notre vie de ce côté-ci.

C’est en étant de vrais vivants de ce côté-ci que nous rendons hommage à ceux qui sont partis par-delà la mort.

Les passages et les prières au cimetière doivent être des moments où nous nous demandons où nous en sommes, non pas avec la mort mais avec la vie.

Avant sa passion Jésus n’a visité qu’un seul cimetière, celui de son ami Lazare. Il a fait comme nous. Il est allé pleuré son ami, et fut lui aussi sans doute envahi par la souffrance du deuil. Mais il décentre le propos de sa visite, il décentre la douleur des endeuillés en centrant l’enjeu non pas sur la mort mais sur la vie.

« Celui qui croit en moi même s’il meurt vivra. Et tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais. »

Tout homme qui vit… et croit. La vie et la foi. Pas de foi sans une épaisseur de vie.

Notre vie, chaque vie a de l’épaisseur, de l’étoffe, de la profondeur, encore faut-il que nous sachions la mettre en valeur.

On dit souvent, encore une banalité de la pensée, que nous n’emportons rien de l’autre côté. C’est faux, je pense. L’étoffe plus ou moins épaisse de notre vie, nous l’emportons et Dieu lui donne l’épaisseur de l’éternité. Amen.»

Commémoration des défunts

Lectures bibliques : Romains 8, 18 ss.; Jean 11, 1-57

Homélie du 26 octobre 2014

Prédicateur : Père Jean-Claude Pariat
Date : 26 octobre 2014
Lieu : Ecole des Missions, St-Gingolph
Type : radio

« Soyez dans la joie, vous qui cherchez Dieu ».

« Joie dans sa vie! » C’est le désir de nous tous. Avons-nous rencontré des personnes qui nous ont donné de la joie, cette joie à la fois discrète et pacifiante ? Comment se procurer la joie de vivre ? Où trouver cette « joie » ?

Le Pape François témoigne de cette joie de l’Evangile. Il nous interpelle car nombreux sont des chrétiens « ressemblant à un carême sans Pâques ». Peut-on vivre de l’Amour de Dieu et pratiquer l’amour du prochain sans goûter au don de la joie ?

La joie de l’Evangile, c’est la joie de Jésus-Christ. Il la donne généreusement à toutes les personnes qui la désirent : « Que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,11)

Dernièrement, nous recevions une encyclique du Pape François : « La joie de l’Evangile». Mettons en contraste cette joie avec les romans de trois écrivains : en 1936, Jean Giono publie ce roman : «Que ma joie demeure’ ». En 1954, une écrivaine âgée de 17 ans, Françoise Sagan, publie son premier roman : « Bonjour Tristesse ». Enfin en 1985, Dominique Lapierre publie: « La Cité de la joie ». Trois romanciers en quête de vie, en quête de joie. Trois contextes sociaux troublés et mortifiants. Pour Françoise Sagan, c’est la présence d’une tristesse sociale accablante, sans joie véritable, triste à en mourir ; Giono et Lapierre décrivent une étonnante présence de la joie, l’un dans la vie d’un paysan de Haute Provence, et l’autre dans un bidonville de Calcutta. Chaque romancier a laissé parler l’inspiration de son cœur, son intériorité à partir d’événements historiques.

La joie de l’Evangile invite tous les fidèles à se détacher des tristesses pour chercher et s’attacher à la joie. Au revoir tristesse, bonjour la joie !

Aucun apport mondain, aucun discours séducteur ne donnent vraiment de la joie. Nous sentons quelle est précieuse sans que nous soyons capables d’allumer son feu. Cette joie ne s’achète pas. Ne la cherchons pas à l’extérieur de nous-même mais à l’intérieur de soi. C’est un trésor enfoui dans notre cœur. Ce trésor m’appelle à le reconnaître. Il m’appelle à le faire mûrir. Car la joie reçue peut sculpter ma vie. Je deviens sculpteur de ma vie. C’est un travail quotidien et permanent trouvant sa force dans la méditation de la Bonne Nouvelle, la joie de l’Evangile. C’est un travail d’intériorisation. La commercialisation de faux-bonheur ou de fausses croyances paralysent la croissance de cette joie intérieure, intime, spirituelle.

Une parabole pourrait illustrer ce travail de la joie de l’Evangile.

Imaginons un village de montagne habité par des familles vivant de leur élevage de moutons. L’aménagement du village est harmonieux sauf ce rocher au centre de la rue du village. Il sort du sol. Il est plus petit qu’une voiture ‘Smart’ sans toit. Il impose son contournement. Les responsables locaux décident un jour de le supprimer. Alors, intervient le tailleur de pierre du village voisin. Il leur propose de sculpter le rocher pour en faire un petit monument qui honorerait les villageois et leurs hôtes. Accueillant cette proposition, ils laissent le tailleur réaliser une œuvre. Une tenture de protection est mise autour du rocher. Et le sculpteur commence son travail. Pendant des semaines, les villageois entendent les coups de marteau sur le burin. Un garçon s’intéresse au travail du sculpteur et lui demande : qu’est-ce que tu veux faire de ce rocher ? Il lui répond : je ne sais pas encore exactement, mais chaque jour, je découvre ce que deviendra ce rocher.

Les coups de marteau continuent à résonner dans le village. Parfois la frappe est forte ; d’autres fois, plus douce. Enfin, le sculpteur achève son œuvre. La tenture fut enlevée. Les villageois, éleveurs de moutons, découvrent un chef d’œuvre : le rocher est devenu une brebis allaitant son agneau. Tous sont dans l’admiration. Le garçon s’approche à nouveau de l’artiste et lui demande : Comment savais-tu qu’il y avait une brebis et son agneau à l’intérieur du rocher ?

Comment savons-nous qu’il y a la présence de la joie de Dieu dans l’intime de notre vie ?

Le rocher, c’est la vie de chacun d’entre nous. C’est l’image que le miroir nous reflète, ce corps visible, assoiffé de besoins et de désirs, vibrant d’affections et d’émotions.

Le rocher brut, c’est mon cœur de pierre, mon cœur de Carême. Sans référence à l’amour de Dieu. Je ne sais pas encore qu’il peut grandir en un cœur de chair, un cœur de Pâques.

Les villageois cherchent l’embellissement de leur village, un embellissement extérieur à leur vie intime.

Le garçon, c’est vous, c’est moi, face à mon cœur de pierre, ignorant ce qu’il contient.

Le sculpteur, c’est vous, c’est moi. L’inspiration lui est donnée par l’Esprit-Saint. Il se laisse guider par elle ; il la travaille et découvre patiemment la joie intime qui l’habite, cet embellissement intérieur de sa vie.

Les épreuves vécues sont les coups de marteau répétés qui taillent le rocher en éliminant ce qui cache le trésor. Ce travail élimine les multiples artifices mondains qui défigurent la dignité humaine. Je deviens responsable de l’image de ma vie. Je sculpte la joie de ma vie en me détachant du paraître mondain fait d’artifices, de faux bien-être, de fausses beautés, de piercings, de tatou.

Ce travail spirituel de la joie de l’Evangile humanise le cœur. En laissant l’Evangile buriner notre cœur de pierre, le Christ ressuscité ouvre le chemin de l’amour. Il nous introduit dans la joie de Dieu. Empreint de cette joie, nous traversons la tristesse décrite par Sagan, la peste de Giono ou la vie du bidonville de Lapierre. Par l’accueil de cette joie de l’Evangile, l’amour de Dieu et du prochain devient actif.»

30e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Exode 22, 20-26; Psaume 17; 1 Thessaloniciens 1, 5c-10; Matthieu 22, 34-40

Homélie du 19 octobre 2014

Prédicateur : Père Pierre Pochon
Date : 19 octobre 2014
Lieu : Ecole des Missions, St-Gingolph
Type : radio

Joie de vivre et bonheur de croire.

Des impôts à payer? Une question que l’homme se pose depuis longtemps…!

Pour les juifs, cela voulait dire financer les occupants romains qui envahissaient la Palestine. Financer l’oppresseur qui veut réduire les vaincus en esclavage.

Ne pas payer? Cela voulait dire se ranger du côté des résistants, des nationalistes ou des fanatiques qui voulaient de manière violente expulser les romains hors de leur pays… Jésus ne veut pas se laisser enfermer dans la violence. Il ne veut pas non plus tout accepter sans réagir sous prétexte de paix!

La monnaie utilisée: elle porte l’image de César! qu’on la lui rende…

Mais l’homme est à l’image de Dieu, nous devons aussi lui rendre ce qui lui revient. Au-delà des structures humaines, il y a notre identité de Fils/filles de Dieu, citoyens du ciel. C’est de Dieu que nous recevons notre identité, notre dignité. Nous lui ressemblons. A cause de cela, nous ne pouvons pas séparer notre foi, notre ressemblance à Dieu qui fonde notre dignité, nous ne pouvons la séparer de notre condition humaine, puisque Dieu s’est incarné. Si nous devons être une seule famille, à la ressemblance de Dieu, si nous avons tous notre grandeur, notre valeur, notre dignité devant Dieu c’est parce que sa présence EST en chacun, chacune de nous. Nous pouvons distinguer les divers aspects de notre personnalité, les divers secteurs où exercer notre activité mais un adulte dans sa maturité doit être unifiée, avoir une cohérence de pensées, de paroles et d’actions parce qu’il a des convictions profondes qui l’animent tout entier : le Christ s’est incarné, homme parmi les hommes!

Aussi les missionnaires vont-ils lier étroitement leur annonce de l’Evangile à la mise en pratique sur le terrain de ce que l’Evangile leur demande de vivre. Aux Philippines, comme à Madagascar où j’ai vécu et travaillé pendant une trentaine d’années comme missionnaire, annoncer la bonne nouvelle c’est la vivre avec les gens dans ce qui fait leur quotidien.

L’Eglise annonce la justice, la paix, l’amour du prochain pour tous, surtout pour les plus défavorisés : alors l’Eglise doit devenir une force d’opposition à la corruption et aux oppressions de toute sorte. (Justice et Paix, des mouvements d’actions catholiques, des communautés de base, des syndicats). Par exemple: il a fallu dénoncer les reventes de remèdes reçus gratuitement et non destinés à la vente, vérifier la compétence des infirmiers- docteurs en médecine, lutter contre les dessous de table pour entrer à l’hôpital, pour avoir des médicaments… Pareil dans le monde économique : quand le prix donné au cultivateur est 20 fois inférieur au prix de vente, il faut le dénoncer (un kilo de vanille acheté au paysan 2,50 fr et que 2,50 c’est le prix d’un gousse de vanille ici en Europe), dans le monde judiciaire (achat du juge) dans les prisons (achat des gardiens) ou chez les étudiants (des examens), dans le monde de la mer (un marin blessé laissé à l’abandon dans un port)… L’Eglise est une force qui invite les gens à la libération de tout ce qui les rabaisse, les opprime,de tout ce qui peut réduire les gens à des objets et empêche leur épanouissement.

C’est souvent là où il faut rendre à César ce qui est à César que nous pouvons rendre à Dieu ce qui lui revient. Le missionnaire est attentif à la vie des gens: d’abord vivre, (la maman et ses enfants, le poisson à donner) puis s’épanouir peu à peu, y compris dans la dimension spirituelle…

Chez nous aussi: Il y a des africains, des asiatiques, des européens de différentes nationalités. Il y a des religions, des cultures différentes aussi. Sommes-nous capables de vivre ensemble? De nous respecter, de nous comprendre et de nous aimer ?

« J’étais étranger ( d’une autre culture, d’une autre langue, foi ) vous m’avez accueilli  » Faire cela aux petits, c’est le faire au Christ présent, vivant en nous, aujourd’hui.

Aller vers l’autre pour le connaître, le comprendre, le respecter dans ce qu’il est et l’aimer : C’est cela être missionnaire…un service d’une Bonne Nouvelle priée, célébrée, vécue. Nous rappeler que la religion, notre foi, notre vie spirituelle, ce ne sont pas d’abord des structures, des rites et des lois à observer, mais C’EST QUELQU’UN À AIMER , quelqu’un qui est chacun de nous. Se laisser illuminer par la lumière de celui qui est la Parole du Père, qui est Lumière du monde. » Ta Parole une lampe pour mes pas, une lumière pour ma route » : Psaume: 118, v.105.

Ne pas mettre cette lumière sous le boisseau mais sur le lampadaire pour que toute la maison soit éclairée. Joie de vivre et bonheur de croire?

Un poème de Tagore, poète indien :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie,
je m’éveillais et je vis que la vie était servir.
je servis et je vis que servir était joie ».

Dimanche de la Mission universelle

Lectures bibliques : Isaïe 45, 1.4-6; Psaume : 95; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b; Matthieu 22, 15-21

Homélie du 19 octobre 2014

Prédicateur : Abbé Mario Pinggera
Date : 19 octobre 2014
Lieu : Eglise de Richterswil (ZH)
Type : tv

L’année 2014 touche bientôt à sa fin. Elle a été et est une année spéciale.

Dans leur rétrospective de fin d’année, la plupart des journaux la décriront sans doute comme l’année qui a vu le plus de crises et d’instabilité depuis la deuxième guerre mondiale.

Dans les faits, nous ne pouvons que constater de plus en plus de crises et de guerres. Une triste réalité qui touche aussi le continent européen.

Ce dimanche de la Mission est forcément teinté de ces évolutions désolantes.

Des millions d’êtres humains fuient des situations terribles où leur vie est menacée, espérant trouver ailleurs une vie meilleure. Mais réaliser ce projet est pour le moins incertain. Au Moyen-Orient, les meurtriers sanguinaires du groupe Etat islamique traquent leurs victimes au nom de Dieu.

Il est vrai que tous ces événements ne nous sont proches que via les médias – donc finalement assez loin. Mais depuis qu’un avion de ligne a été abattu en Ukraine et dont les victimes sont principalement néerlandaises, c’est évident: Il n’y a pour ainsi dire plus de distance entre nous et les évènements de l’année 2014.

Nous sommes vraiment tous concernés. Les pays occidentaux ne sont plus une exception dans un îlot de paix. D’ailleurs ce n’est plus le cas depuis longtemps.

Alors beaucoup s’interrogent : « comment en est-on arrivé là ?».

A ce titre, la situation que présente l’Evangile d’aujourd’hui est classique. Classique dans la mesure où elle met en évidence comment les hommes peuvent se blesser mutuellement. La situation est presque banale: En Israël, à l’époque de l’occupation romaine, on estimait qu’il n’était pas juste que la puissance occupante, en la personne de l’empereur romain, augmente les impôts. Et là, il y a ce Jésus, qui faisait beaucoup parler de lui, qui proposait aux gens une nouvelle façon d’être en relation avec Dieu, et qui par moment critiquait fortement l’establishment religieux. Il disait que ce n’est pas l’homme qui est au service de la loi, mais le contraire : la loi doit être une aide dans la vie des hommes et les femmes et non pas les harceler. Ce point de vue est tout à fait nouveau, mais pas seulement nouveau, il est meilleur parce qu’il est libérateur. Le Dieu d’amour dont parle Jésus est un Dieu qui libère, qui libère de tout ce qui touche à la vie humaine.

Mais l’establishment religieux face à ce Jésus se comporte, comme tout système d’inspiration totalitaire, quand il est remis en cause. Il a de la peine à défendre sa position, faute d’arguments raisonnables, il est obligé de recourir au mensonge, à la trahison jusqu’à devenir impitoyable. Des responsables religieux veulent tendre un piège à Jésus, dans l’espoir qu’il contribue à susciter un boycott contre l’impôt de l’empereur. Très sobre, Jésus déclare que l’empereur a droit à ce qui lui appartient, c’est-à-dire les impôts. Et que Dieu mérite, ce qui lui appartient.

Ce qui appartient à Dieu, ou ce à quoi il a droit, de toute évidence, il ne le reçoit pas. Et Jésus met ainsi en évidence que les pharisiens, une fois de plus, n’agissent pas en faveur de Dieu, puisqu’ils lui refusent justement ce qui lui appartient. C’est une accusation forte.

 

On peut faire le même parallèle concernant les troubles de cette année 2014, et pas seulement pour ceux qui génèrent le mensonge et la tricherie ou qui ne peuvent plus se défendre par des arguments raisonnables.

Dans la langue de l’Evangile, cela se traduit par : là où des guerres sont menées, où des gens sont tués, Dieu n’arrive pas à placer un mot. La lecture de la lettre de saint Paul aujourd’hui évoque de manière impressionnante le dévouement de notre amour, la fermeté de notre espérance dans le Christ. Aujourd’hui des hommes et des femmes portent un tel témoignage lorsque, au plus fort de la guerre, dans les pires persécutions, par exemple, en Syrie ou à Gaza, ils ne perdent malgré tout pas espoir. Il est troublant de voir des enfants jouer au milieu des décombres avec les seuls jouets qui n’ont pas été détruits.

En ce dimanche de la mission, nous devons avoir dans notre objectif l’ensemble des situations. D’une part, les régions du monde déjà mentionnées qui ont perdu leur équilibre à cause des troubles. Mais il nous faut aussi porter notre regard sur nous-mêmes, même si, sous nos latitudes, Dieu merci, aucune guerre n’a éclaté, mais la tromperie, la méchanceté, existent bel et bien chez nous aussi. Aujourd’hui, il suffit d’un fait non avéré diffusé par un média qui provoque ensuite une tempête médiatique pour mettre fin brusquement à une carrière. Quand une vie est ainsi détruite et qu’on révèle par la suite que c’était une pure campagne de diffamation, plus personne ne s’y intéresse. Ce n’est pas seulement la faute aux médias, mais aussi à nous tous qui les consommons à la recherche de plaisir et de quête de sensationnel. C’est par ce même mécanisme que Jésus a fini par être cloué sur une croix. Sans avoir commis de faute, mais à cause des cris de la foule.

Et si nous dirigeons notre regard sur l’ensemble, aujourd’hui en ce dimanche de la mission universelle, nous devons bien sûr jeter un regard sur le Synode des Évêques qui se termine à Rome et qui est consacré à la famille. Des évêques du monde entier y ont participé. Je pense par exemple au travail extrêmement précieux de Paul Hinder, évêque d’Arabie, qui rend possible, parfois dans des conditions très difficiles, pour les chrétiens de pays comme en Arabie Saoudite, d’avoir une vie religieuse et communautaire. Je pense aussi à l’évêque Erwin Kraeutler, qui en Amazonie a développé une pastorale très riche depuis des décennies parfois au péril de sa vie. Il existe de nombreux autres porteurs-porteuses d’espérance dans l’Eglise.

Mais on peut aussi se demander comment il peut encore arriver de nos jours que des postes à responsabilité soient occupés par des évêques qui semblent avoir perdus le contact avec la base. Des personnalités qui ne peuvent plus ou ne veulent plus remplir leurs tâches prioritaires, qui est de construire des ponts et non de les démolir.

Ou alors cette instrumentalisation inacceptable de la messe tridentine, que certains considèrent comme l’unique vérité. Bien sûr, on peut se réjouir d’une liturgie préconciliaire avec tous ses apparats de fête. D’un point de vue esthétique cela peut se comprendre, tous les ornements et autres objets hérités d’autrefois, auxquels s’ajoute un rite très précis.

Mais cette posture absolutiste est-elle vraiment dans le sens de Jésus-Christ?

Et pour rester avec l’Évangile, qu’en est-il de Dieu? Obtient-il de nous ce qui lui revient, ce qui lui appartient? Obtient-il de l’Eglise, ce qui lui appartient? Qu’est-ce qui appartient en fait à Dieu? Si Dieu par essence n’est rien d’autre que l’amour lui-même, cela donne à l’Eglise une direction claire. La direction de l’amour infini que son fils Jésus-Christ, de manière si impressionnante, nous invite à vivre et qu’il introduit dans notre monde. Et qui lui a coûté la vie. Il a toujours été dangereux et ça l’est encore aujourd’hui, de s’en prendre aux puissants. Y compris aux puissants de la religion.

Mais Jésus s’est toujours placé au-delà des traditions religieuses et des règles, quand la miséricorde et le pardon ont été refusés à des gens. A chaque fois, il leur a rendu leur dignité.

Si l’on compare les traditions religieuses et les règles d’il y a 100 ans avec celles en vigueur aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé. En particulier, ces derniers temps avec les options prises par le pape François. Sa façon de diriger est clairement différente de tous ces prédécesseurs. Cela commence par des détails comme les habits et la voiture, mais cela influence profondément toute l’administration de l’Eglise. Nous avons à nouveau, après des décennies, un pape qui dirige l’Eglise et ne laisse pas à la curie des décisions essentielles.

Le pape d’Amérique du Sud montre également que notre Église est effectivement une Eglise mondiale, que chaque partie du monde a ses multiples traditions, c’est pourquoi l’Eglise possède un trésor très riche dans l’expression religieuse.

Nous devrions nous en rappeler particulièrement aujourd’hui, Journée Mondiale des Missions. Une célébration d’un peuple indigène en Amazonie est totalement différente d’une messe dans un pays germanophone. Et c’est tout aussi bon et juste!

Cet été, j’ai participé à une messe dans une communauté africaine à Bruxelles, le lendemain j’ai vécu une messe dans la cathédrale de Bruxelles. Il y a un monde entre ces deux réalités, ou mieux, des continents.

Et cela fait du bien qu’à Rome, il y ait un pape qui est conscient de cela et ne voit pas cette diversité comme une menace pour la pureté de la foi, mais comme une diversité d’expression religieuse du peuple, les enfants de Dieu, qui fixe leur propre liturgie et donc la prière à Dieu.

Le Pape François se concentre sur la tâche la plus importante d’un pape, à savoir le gouvernement de l’Église dans l’esprit de Jésus-Christ. Pas n’importe quelles règles ou traditions sont célébrées, sous prétexte qu’elles existent depuis longtemps, mais il est attentif à ce qui est réellement nécessaire, dans le sens vrai de la parole, tourné vers le besoin. Cet état d’esprit prend en compte les besoins et soulage la souffrance ou même l’élimine, rend à Dieu ce qui lui appartient. Dieu aime sa création – à l’extrême. Et qui peut amener les gens à Dieu, rend à Dieu ce qui lui appartient justement. Telle est la tâche essentielle de l’Église. Si elle ne peut pas la remplir, elle est inutile, elle se détruit.

Rendre à Dieu ce qui lui appartient. Ce n’est pas juste l’affaire dont se préoccupe le Synode des Évêques. Elle nous concerne, tous, sans exception.

Dimanche de la Mission universelle

Lectures bibliques : Isaïe 45, 1.4-6; Psaume 95; 1 Thessaloniciens 1, 1-5b; Matthieu 22, 15-21

Homélie du 12 octobre 2014

Prédicateur : Père Patrice Gasser
Date : 12 octobre 2014
Lieu : Ecole des Missions, St-Gingolph
Type : radio

Frères et sœurs, les textes d’aujourd’hui nous parlent du Royaume des cieux que Jésus est venu initier sur la terre. C’est comme un festin de noces ; les jeunes imaginez ce que vous vivrez un jour ! Les anciens rappelez-vous le jour où vous avez célébré votre mariage et exprimé votre amour devant Dieu, devant vos parents et vos amis ; rappelez-vous les rêves qui vous habitaient, l’émotion qui vous a étreint quand vous vous êtes dit oui pour toute la vie, oui dans la santé et dans la maladie, dans la richesse et dans la pauvreté ; quelle joie d’entrer en alliance, de commencer une nouvelle vie à deux. Dans ce texte de st Matthieu, il s’agit d’une joie encore plus belle, celle des noces entre Dieu et l’humanité ; parce que Dieu veut avoir une relation personnelle avec chacun de nous. C’est la 1ère bonne nouvelle de ce texte, Dieu veut nous inviter à la joie, joie de nous retrouver tous avec Lui qui nous crée et nous sauve chaque jour. Le royaume c’est la joie d’être aimé et de grandir dans l’amour.

Le tragique de ce texte c’est que les premiers invités n’acceptent pas ; ils ont des tas de choses à faire qui sont bien plus importantes : un travail à finir, une bonne affaire à conclure, ou autre chose et ils refusent ! Ils oublient l’essentiel ; ils n’ont pas vu le plus important ! Mais Dieu n’en reste pas là, Il est tenace, Il a préparé un super banquet et il ne veut pas perdre tout ce qu’il a mis en place pour ce festin de noces. Il demande à ses messagers d’aller sur les chemins et d’inviter les bons comme les mauvais. C’est son royaume et Il a le droit de faire ce qu’Il veut ! Et puis Il nous connait ; il sait que nous sommes mélangés, à la fois bon et mauvais, capables du meilleur comme du pire ! Et la salle du festin est remplie. Dieu ne se décourage pas ; s’il y a des problèmes, il trouve des solutions ! et il veut que beaucoup participent à sa joie et Il réalisera son rêve.

Cela rejoint ce premier texte du prophète Isaïe : sur sa montagne, Dieu invite tous les peuples ; Il réalise son rêve de rassembler toute l’humanité à la même table pour faire la fête ; et pour cela, il sauve les hommes : Il les libère de la tristesse et du mal, de leurs esclavages et de la violence. Imaginez un peu : ça sentira bon comme quand les mamans font les biscuits de Noël, ou comme quand on se rassemble pour fêter un anniversaire. Il y aura des gens de partout : des black avec un sourire éclatant, des vietnamiens qui inclinent doucement la tête, des hutus à côté des tutsis, des allemands avec des juifs, des genevois avec des valaisans et les suisses romands à côté des suisses allemands. Ce que nous n’arrivons pas à faire, Dieu le fera. Si les Kurdes et les Turcs n’y sont pas arrivés, Dieu y arrivera ; si les Irakiens et les Lybiens ont échoué, Dieu réussira ! Si les européens n’y parviennent pas, Dieu le fera. C’est notre espérance, frères et sœurs, Dieu réussira où nous échouons. Un jour toute l’humanité sera réunie dans sa joie.

Ces deux paraboles sont déjà en train de se réaliser : D’un mal Dieu fait naitre un bien : les autorités juives ont refusé de reconnaitre en Jésus le Fils de Dieu ; qu’à cela ne tienne ; elles ont ouvert la porte du Royaume aux païens du monde entier; et l’église continue à s’ouvrir ici et ailleurs à tous ceux qui reconnaissent en Jésus l’envoyé du Père. Dieu veut remplir la salle des noces, Il a envoyé ses messagers aux carrefours du monde pour inviter à la fête.

La messe est comme ce repas de noces ; Dieu n’a pas choisi du requin pour les japonais, du babouin fumé pour les gens de la savane, du cerf pour les chasseurs ou du chien pour les chinois. Non, Dieu a choisi la nourriture la meilleure, et la plus sublime : Il a accepté que son fils devienne mystérieusement notre nourriture. Jésus nous a tellement aimé, il a souffert jusqu’à mourir pour nous sauver et cela nous donne le vrai point de béatitude et la joie la plus profonde. Le meilleur des pères n’a pas hésité à offrir son fils, le vrai pain du ciel qui satisfait tous nos désirs. Il n’y a pas de plus grand cadeau : C’est le mystère de l’amour divin qui pénètre nos cœurs humains. Nous en avons de la chance !

Mais il y a un dernier mais ; il y a cette personne qui est entrée dans la salle de noces sans s’habiller dignement. Elle y est entrée comme on va à la Migros ou de l’autre côté de la rue. Elle n’a pas compris, elle n’a pas vu la grandeur de ce que Dieu fait ; elle ne s’est pas habillée le cœur pour recevoir Dieu ; elle n’a pas réalisé la chance qu’elle a. Dieu n’accepte pas cette attitude. Nous les chrétiens sommes privilégiés de savoir que Dieu nous aime, qu’Il a accepté que son fils meure pour nous réconcilier avec Lui. Nous avons beaucoup de chance et cela nous oblige à être attentif à tout : notre regard sur la vie, notre écoute de Dieu, notre accueil des autres. Pas facile d’être chrétien !

Comme chrétiens nous devons partager le rêve de Dieu ; nous avons à changer notre regard sur les autres et sur la création. La nature est tellement belle ! Dieu est tellement bon ! Alors faisons de notre mieux pour regarder, écouter, aimer et servir ; et apprenons la langue que tous comprennent, la langue de la reconnaissance et de la bienveillance. Le Père nous a tout donné ; nous ne pouvons que le remercier ! Nous chrétiens, nous en sommes les témoins et les messagers, nous sommes envoyés partout pour inviter à son festin. Oui nous recevons tant de Dieu, et nous ne le voyons pas ! Ouvrons nos yeux ! Ouvrons nos cœurs ! Et alors le royaume des cieux sera là !»

28e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Isaïe 25, 6-10a; Psaume 22; Philippiens 4, 12-14.19-20; Matthieu 22, 1-14

Homélie du 05 octobre 2014

Prédicateur : Chanoine Roland Jaquenoud
Date : 05 octobre 2014
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

« Le royaume de Dieu vous sera enlevé, pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit » (Mt 21, 43)

Mes frères, mes soeurs, quand Jésus prononces ces paroles terribles, Il s’adresse aux chefs des prêtres et aux pharisiens, c’est-à-dire aux bons croyants de son temps. C’est à eux qu’Il annonce que le Royaume leur sera enlevé pour être donné à des gens qui lui feront porter son fruit. Aujourd’hui, Jésus LEUR, Jésus NOUS raconte une parabole, parce que en ce début du vingt et unième siècle les bons croyants, mes frères, mes sœurs, c’est nous, qui sommes ici.

La parabole de la vigne nous dit que cette vigne, c’est le Royaume de Dieu, confié à chacun de nous, et à nous tous ensemble réunis en église. Le Royaume de Dieu, c’est effectivement une belle et bonne vigne, qui produit de beaux fruits, les fruits de foi, d’espérance et de charité, les fruits qui font de nous des images ressemblantes de Dieu, des fruit qui peuvent faire de nous des saints. Mais, mes frères, mes sœurs, l’Evangile de ce jour nous avertit, nous qui sommes, ou qui croyons êtres de bons chrétiens, en nous disant que les vignerons qui s’occupent de cette vigne n’ont pas reçu les messagers du Seigneur, et finalement ont même tué son Fils. Comment comprendre cette parabole ? Mes frères mes soeurs, nous sommes, vous et moi, de bon chrétiens, mais il n’empêche que, bien souvent, quand l’Eglise nous dit quelques chose, nos ordonne quelque chose, non pas parce que cela lui plaît, mais parce que c’est pour nous le chemin de la communion parfait avec Dieu, nous le recevons comme une offense faite à notre liberté. Bien souvent nous ne le recevons même pas. Les premiers qui devraient dire, reprendre les chrétiens, lorsqu’ils se retrouvent sur un chemin de traverse, c’est nous, les prêtres, qui nous tenons ici, pour vous avertir, pour nous avertir. Il n’y a qu’un chemin vers Dieu, le chemin de la grâce, de la miséricorde, le chemin de l’observance des commandements, et il n’y en a pas d’autres. Il est finalement assez rare que nous, les prêtres, nous nous permettions de reprendre ou d’avertir. Bien souvent nous nous contentons de bons sermons bien préparés, qui parlent de belles choses, et lorsque nous, lorsque vous ressortez de la Messe, tout va bien, c’était une belle Messe. Mais notre fonction ici serait d’abord d’avertir, voire même de faire des reproches, lorsque les choses deviennent graves. Nous ne le faisons pas en raison de notre faiblesse. Nous ne le faisons pas aussi bien souvent parce que nous avons l’impression que notre voix ne sera pas reçue, que nous faisons la morale, que cela ne convient plus à notre temps.

Mes frères mes sœurs, la morale et la spiritualité, c’est tout un. Une morale sans spiritualité, bien sûr, c’est affreux. Mais une morale spirituelle qui nous dite le chemin vers Dieu, cette morale-là nous est nécessaire, et cette morale-là doit parfois nous corriger. Mais sommes-nous prêts à recevoir cette correction ? Aujourd’hui, mes frères, mes soeurs, le Seigneur nous rappelle que le Royaume de Dieu, pour nous, n’est pas un acquis. Nous devons le faire fructifier, nous devons être des témoins. Nous devons prendre conscience que ce Royaume de Dieu est très important. Qu’il est même sans doute ce qu’il y a de plus important. Au loin bien des nouveaux chrétiens savent l’importance de ce Royaume et lui donnent tout, jusqu’à leur vie, là où ils sont persécutés. Et nous, nous sommes ici, assis. Nous venons à l’Eglise pour prier un peu, pour recevoir un peu de réconfort. Mais lorsqu’on nous parle des exigences de ce Royaume, nous fermons nos oreilles. Combien de fois, mes frères mes sœurs, sommes nous sortis de l’Eglise, non pas en nous disant : « c’était un joli sermon », ou au contraire « aujourd’hui, ce n’était pas très intéressant », mais en nous demandant : « Qu’est-ce que le Seigneur a voulu me dire, aujourd’hui, par les parole bien imparfaites de ce prêtre, qui s’est adressé à nous. Nous avons, mes frères mes sœurs, un seul Maître, Jésus Christ, et Jésus a choisi de pauvres intermédiaires, vos prêtres et vos évêques, pour transmettre quelque chose à chacun de vous. Il n’est pas nécessaire, à la sortie de la Messe, de pouvoir faire un plan du sermon qui a été prononcé. Il est nécessaire, à la sortie de la Messe, de rentrer en mon coeur pour me dire : qu’est-ce que le Seigneur a voulu me dire à moi, aujourd’hui, qu’est-ce que je dois changer, qu’est-ce que je dois faire pour répondre à Sa volonté.

Mes frères, mes sœurs, si nous sommes d’accord de venir ici pour nous faire déranger, si nous sommes d’accord de venir ici pour nous faire convertir par Jésus Christ, si nous sommes d’accord de venir ici afin de changer tout ce qui en nous ne correspond pas à l’image de Dieu, à la ressemblance de qui nous sommes faits, alors oui, nous avons notre place en cette église, nous avons notre place en l’Eglise. Mais lorsque je viens ici pour entendre ce que je vœux entendre, lorsque je viens ici pour mon repos, pour mon confort, alors je suis comme les vignerons de la Parabole, qui ne reçoivent pas les Messagers de Dieu, et qui peut-être bien un jour finiront par tuer le Fils, c’est perdre la foi. Mes frères mes sœurs, cette Parole que nous lisons et commentons doit nous transformer, doit nous convertir, doit faire de nous des hommes et des femmes nouveaux, afin de vivre avec le Christ, en Son Royaume, là où Il nous attend et où nous avons notre place si nous écoutons sa voix. Amen»

27e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Isaïe 5, 1-7; psaume 79; Philippiens 4, 6-9; Matthieu 21, 33-43

Homélie du 28 septembre 2014

Prédicateur : Pasteur François Rousselle
Date : 28 septembre 2014
Lieu : Temple de Delémont
Type : radio

Chers frères et sœurs en Christ,

Chères auditrices et chers auditeurs,

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Dans sa langue imagée coutumière, Jésus veut nous faire comprendre une chose très simple : il est difficile de se détacher de ses richesses. Mais ne pensez pas que Jésus ne s’adresse qu’à celles et à ceux qui ont une grosse fortune dans leurs comptes en banque, des actions en bourse ou une grosse entreprise qui ne connaît pas la crise. Ne vous dites pas : je ne suis pas concerné par cette mise en garde de Jésus parce que je ne suis pas riche financièrement. Nous sommes tous riches de quelque chose, il y a toujours quelque chose en nous-même duquel nous sommes particulièrement fier, un don, une qualité, un trait qui fait que cela ne peut venir que de nous. C’est aussi cela, la richesse dont Jésus parle.

Avez-vous déjà entendu l’expression anglaise « self-made man », dont il existe une version française très poétique : fils de ses œuvres ? Il s’agit d’expressions qui désignent un homme ayant acquis sa fortune ou son statut social par son mérite personnel, en partant de rien ou de peu de chose. On entend parfois l’expression : « Il s’est fait lui-même ». C’est une figure assez en vogue aujourd’hui. Une figure qui rime avec réussite, opiniâtreté, succès, effort et récompense de cet effort. Arrêtons-nous juste une petite seconde pour voir comment nous pensons : ce fils de ses œuvres a l’air d’être tout seul, sans relation, sans histoire, sans famille, sans arrière-plan.

Le problème est que cette figure occulte une vérité primordiale de notre nature humaine : nous sommes des êtres de manque et nous avons besoin que l’on s’occupe de nous. Le fils de ses œuvres a été un bébé. Ses parents l’ont habillé, nourri, choyé, aimé. Ils lui ont changé ses langes. Le fils de ses œuvres ne serait pas là si ses parents ne s’étaient pas occupés de lui. Mais nous continuons d’être des êtres de dépendance, de manque. Ces manques, ces dépendances évoluent simplement avec nous. Nous n’avons peut-être plus besoin d’être langés, d’accord, mais peut-être avons-nous besoin d’estime, de tendresse, d’amour, de câlins, de contact humain. Simplement d’avoir quelqu’un qui nous dise : tu es quelqu’un de bien. Nous restons aussi des êtres dépendants chroniques au moins d’un point de vue : le manger et le boire. Nous avons besoin de nourriture et de boisson notre vie durant.

En somme, nous avons très vite tendance à considérer certaines choses comme plus importantes que d’autres : est-ce que la liberté d’un individu vaut quelque chose si personne n’a été là pour s’occuper de lui ? Elle ne vaut rien, parce que cet individu n’existerait tout simplement pas. Nous sommes des êtres de relation avant tout. Mais voilà notre monde est ainsi fait : un monde où règne la concurrence. Cette volonté de savoir qui est plus fort que l’autre est omniprésente, surtout dans le monde économique. Et surtout cette solitude, le fait de croire que l’on est quelqu’un que si on se fait soi-même. Arrêtons-nous sur cette expression : se faire soi-même. N’y a-t-il pas quelque chose de profondément aberrant dans cette formulation ? Qui se fait lui-même ? Mais personne ! Vous imaginez concrètement des personnes qui se créent par génération spontanée, comme des champignons, simplement parce qu’elles l’ont décidé ? Absurde !

Le constat arrive comme une douche froide : nous oublions vite cette réalité originelle, et malheureusement l’expression « fils de ses œuvres » ou « self-made man » ne simplifie pas cette prise de conscience salutaire et nécessaire. Et même si le fils de ses œuvres avait oublié qu’il était un être de manque et de dépendance, il peut se considérer au moins comme rempli de son savoir, de ses richesses, de ses charismes, et les mettre au service des autres, sans attendre un avantage en retour. C’est ce à quoi Jésus invite le jeune homme riche, à mettre sa plénitude, c’est-à-dire sa richesse, au service de ceux qui en sont dénués.

Et nous ? Sommes-nous prêts à mettre nos plénitudes au service des autres ? Sommes-nous prêts à nous vider, même de ce dont nous sommes particulièrement fiers, ce petit quelque chose qui fait que cela ne peut venir que de nous ? En y réfléchissant bien, je me demande si, au fond, ce n’est pas cela que Jésus désigne par l’expression abrupte : se renier soi-même… Ne rien garder pour soi. Ne pas se penser à l’origine des bonnes choses que nous serions capables de produire. Laisser tomber toute forme d’orgueil. Ne même pas penser à une phrase du type : « Oui, c’est moi qui l’ai fait et j’en suis fier. »

Cette forme extrême d’abnégation n’est pas très en vogue aujourd’hui, à notre époque où l’on veut savoir qui est responsable de quoi, autant pour féliciter quand tout va bien ou pour savoir sur qui taper quand tout va mal.

C’est peut-être aussi une forme de modestie de savoir ce qui est à notre portée et ce qui ne l’est pas. Je trouve personnellement que cette forme d’abnégation, c’est trop me demander. Je n’y arriverai pas. Je me contenterai donc de mettre mes richesses, mes plénitudes au service des autres.

La solidarité, le 1er commandement

Sommes-nous prêts à mettre nos plénitudes au service des autres ? à nous vider de ce dont nous sommes particulièrement fiers, ce petit quelque chose qui fait que cela ne peut venir que de nous ? Ce vide nous fait peur. Or, chacun sait que la Nature a horreur du vide. La Nature comblera ce vide à nouveau par autre chose, une chose que nous ignorons. Cela ne rassure pas. Dès lors, la peur emplira l’espace laissé vacant. Ce n’est pas une parole d’Évangile. La peur n’est pas la promesse de Dieu.

Dès lors, il est difficile d’entrer dans le Royaume promis si nous ne sommes pas prêts. Il manque la clé. La clé est à chercher. Mais, voyons-nous, l’accès est donné. Il est le fruit de la foi : « Vous qui m’avez suivi… ». Problème : quand donc avons-nous suivi le Christ ? Cette question arrive en écho à la série de questions posées par les disciples : « Quand donc t’avons-nous donné à manger ? Quand donc t’avons-nous donné à boire ? Quand donc t’avons-nous habillé ? Quand donc t’avons-nous rendu visite ? » La réponse du Christ est fort simple : chaque fois que vous avez donné à manger à un plus petit que vous ; chaque fois que vous avez donné à boire à un plus petit que vous ; chaque fois que vous avez habillé un plus petit que vous ; chaque fois que vous avez rendu visite à un plus petit que vous ; c’est au Christ que nous l’avons fait.

Chaque fois que nous avons été solidaires, chaque fois que nous avons exprimé de l’empathie, chaque fois que nous avons incarné un signe d’aide envers notre prochain, nous avons été en relation avec le Christ. Le Samaritain s’arrête au bord du chemin pour venir en aide à celui que d’autres, pleins de suffisance, fils de leurs œuvres, ne se posent pas de questions. Ils passent. Le Samaritain s’arrête. Il agit. Si nous ne savons pas qui est notre prochain, la réponse est claire : notre prochain, c’est toi, c’est moi, lorsque tu perds pied, que tu perds confiance, que tu souffres de douleur, dans la séparation, dans la solitude. Chaque fois que ton cœur crie à l’aide.

Sommes-nous simplement pleins de nous-même, des hommes ou des femmes, fils ou filles de nos œuvres ? Sommes-nous le Samaritain qui s’arrête, prend soin de celui qui souffre en silence, que l’on néglige ou que l’on ne veut pas voir? Aider ce prochain, dont le visage se reflète chaque matin dans le miroir de nos salles de bain, est la réponse de notre foi en Jésus Christ. Aider ce prochain dont le visage nous est ignoré, mais dont nous savons qu’il existe ici comme au loin est la réponse de notre foi en Jésus Christ. Ainsi, nous ne faisons que participer à cette joie de Dieu qui, au livre de Jérémie, prend plaisir à la miséricorde.

Sommes-nous prêts à mettre nos plénitudes au service des autres ? à nous vider de ce dont nous sommes particulièrement fiers, ce petit quelque chose qui fait que cela ne peut venir que de nous ? Si nous nous vidons de ce qui nous parait essentiel, de ce qui fait notre humanité sans prendre gare, la peur nous envahira. Face à elle, Dieu nous offre la clé du Royaume. Cette clé se trouve dans le 1er commandement : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Je me contenterai donc de mettre mes richesses, mes plénitudes au service des autres, nous dit Nassouh, parce que Dieu est prêt à nous remplir d’amour, en plénitude, ce qui chassera toutes nos peurs.

Au nom du Christ. Amen.

Lectures bibliques : Daniel, chapitre 12 , versets 1 à 4a ; Philippiens, chapitre 1 , versets 12 à 15 ; Philippiens, chapitre 1 , versets 18 à 26

Homélie du 21 septembre 2014

Prédicateur : Abbé Giovanni Fognini
Date : 21 septembre 2014
Lieu : Eglise Notre-Dame-des-Grâces, Grand-Lancy
Type : radio

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur » dans la première lecture entendue du livre d’Isaïe.

Et la parabole que nous venons d’entendue vient le confirmer: il y a bien un décalage entre nos pensées et les pensées de Dieu au sujet de la justice !

Vous le savez : c’est le propre de toute parabole : nous obliger à sortir de nos schémas tout faits, de nos pensées, de nos repères, parfois très égoïstes, pour nous ouvrir à « l’amour insolent » du Christ !

Alors, regardons de plus près le contenu de la parabole d’aujourd’hui :

Elle met en relief l’inégalité d’heures de travail – cela nous le connaissons aussi dans notre monde d’aujourd’hui ! -et face à cette inégalité, il y a une égalité de salaire.

Il n’y a pas de sélection faite dans l’appel à aller travailler à la vigne

en fonction, par exemple, de compétences ou de savoir si on a un passé fiable

La seule condition : c’est accueillir, consentir à l’appel d’aller travailler à la vigne !

Avec les ouvriers de la première heure : le maître de maison passe un contrat, un alliance. Il exerce une « justice de contrat »

« Il se mit d’accord avec eux, nous dit l’évangile, sur le salaire d’une pièce d’argent pour la journée ». Une pièce d’argent, nous révèlent les exégètes, c’est le salaire journalier qui permet de vivre, de se nourrir et de nourrir sa famille. Le nécessaire quotidien.

Ce maître respecte le contrat passé avec les ouvriers de la 1ère heure, il ne les vole pas. Il a agi comme promis selon sa parole donnée.

Il va même un peu plus loin ; il dépasse le rapport patron-ouvrier et emploie le langage de l’amitié :

« Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? »

Avec les ouvriers engagés à 9h, midi et trois heures, le maître leur dit cette parole qui est son engagement : « Je vous donnerai ce qui est juste ».

Et viennent enfin les ouvriers de la dernière heure. D’abord une précision importante : il leur demande :« Pourquoi êtes-vous restés là toute la journée sans rien faire ? » Et ils répondent : « Parce que personne ne nous as embauchés ! »

Il ne s’agit donc pas des fainéants !

Jusque-là, tout va bien, tout le monde est au travail !

Tout se gâte lors de la remise de la paye.

Notons d’abord la pédagogie du maître de maison : il aurait pu appeler ceux de la première heure, leur donner leur denier et tout le monde aurait été content ! Ben non : il commence par payer les derniers. Ce n’est pas qu’un caprice de sa part, mais le désir d’ouvrir tous les ouvriers – ceux de la première comme ceux de la dernière heure – à une autre justice, celle de Dieu

Au moment de la paye, Dieu vient affirmer sa liberté, sa façon de voir la justice, et il le fait en donnant à tous un denier.

Ainsi, tous, avec ce denier peuvent vivre cette journée et nourrir leur famille.

En procédant ainsi, il aimerait inviter chaque ouvrier que nous sommes à dépasser une justice de contrat pour entrer dans une justice d’amour, une justice de solidarité envers les mal lotis, ceux à qui personne n’offre rien (ni travail, ni place, ni reconnaissance).

Et c’est frappant, c’est à ce moment-là que vous et moi face à cette attitude du maître qui donne un denier à chacun, que nous râlons, nous crions à l’injustice …

Alors, affirmons-le tout cru : l’injustice de Dieu consiste à sortir du régime de la justice pour passer au régime de l’amour, de la gratuité. Dieu n’est pas injuste par défaut de justice, mais par excès d’amour

En Dieu l’amour et la solidarité sont plus grand que notre sens de la justice ! Sa justice à lui inclut la générosité, la solidarité, la miséricorde, la bonté, la gratuité.

Ce maître donne aux uns sans rien enlever aux autres ! C’est cela la bonté infinie de Dieu !

Face à ce Dieu « insolent dans son amour et sa justice», il y a nos réactions représentées par les ouvriers de la première heure ; elles portent des noms : la jalousie, les murmures. Je nous entends dire nous aussi avec eux : « C’est dégueulasse ! Comment est-ce possible ? Il n’y a plus de mérites alors ? c’est n’importe quoi cette justice ! On a bossé pour presque rien». Dans ces phrases, il y a place pour nos contestations, nos jalousies, nos murmures, nos comparaisons, l’étalage de nos mérites !

Nous touchons là à notre propre limite, à notre propre blessure. Le geste du maître de maison vient mettre en relief cette limite, cette blessure que nous portons en nous. C’est pourquoi, il nous adresse une parole qui se veut libératrice :

« Vas-tu regarder avec un œil mauvais, parce que moi je suis bon ? »

Regarder avec un œil mauvais, c’est faire des comparaisons entre les dons que nous avons reçus et ceux des autres, en nous croyant plus méritants, plus supérieurs. C’est être jaloux lorsque les autres reçoivent autant que nous.

Et nous le savons par expérience : ce regard mauvais, nous empêche de nous ouvrir à ce désir de Dieu de vivre une justice de gratuité, d’amour et de bonté ; cela nous empêche de dépasser notre justice de contrat pour vivre une justice avec toute l’humanité.

Jésus nous donne dans cette parabole une image de Dieu : celle d’un Dieu qui prend soin de tous les hommes, en particulier les plus abandonnés, les exclus de la société ; un Dieu qui appelle tous, à toutes les heures et dans toute situation. Il suffit de répondre à son amour, un amour qui n’est pas à mériter mais offert gratuitement.

Alors, même si cette parabole m’énerve un brin, je garde en moi l’invitation qu’elle me lance : pratiquer une justice d’amour, de gratuité, de bonté jusqu’à paraître peut- être injuste aux yeux de ce monde.

Tous les gestes que nous poserons au nom de cette justice de Dieu va faire avancer la justice humaine, obligée d’intégrer, tous les jours un peu mieux, les vertus de l’amour injuste.

Alors, si à notre tour, vous et moi, nous devenions … injustes, par amour, comme le Christ ?

25e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Isaïe 55, 6-9; Psaume 144; Philippiens 1, 20c-24.27; Matthieu 20, 1-16a

Homélie du 21 septembre 2014

Prédicateur : Andrea Spörri, pasteure et Andreas Berlinger, assistant pastoral catholique
Date : 21 septembre 2014
Lieu : Eglise de Richterswil (ZH)
Type : tv

Andrea Spörri

Se retrouver devant Jean Baptiste devait être pour le moins surprenant : un homme enveloppé dans une fourrure et amaigri par le peu de nourriture qu’il mangeait. Probablement, d’ailleurs, il ne devait pas être très propre, ni fraîchement peigné!

En plus, cet homme d’aspect sauvage apostrophait les gens en leur disant : « Convertissez-vous, Repentez-vous!! Laissez-vous baptisez !! « Et le plus étonnant, c’est qu’il a réussi: Dans la Bible, il est dit: Le pays tout entier de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui pour l’écouter, et beaucoup d’entre eux avouaient leurs péchés et se faisaient baptisés …

Comment résonne aujourd’hui à nos oreilles l’appel de Jean Baptiste ? Que faire si, moi par exemple, encouragée par le succès de Jean-Baptiste, je vous dis :

« Convertissez-vous ! Changez ! Faites pénitence ! Confessez vos erreurs ! » Je suis à peu près certaine que je ne vais pas attirer la même sympathie que celle qu’a suscitée Jean.

C’est sans doute lié à ce que provoque en nous le mot „pénitence“ lorsque nous l‘entendons. Ou peut-être aussi, les images qu’il suscite immédiatement … Peut-être que ce mot pénitence a le même effet que lorsque nous apercevons une voiture de police: Nous nous sentons en quelque sorte pris en faute, et on se demande: Qu’ai-je donc à nouveau fait de mal? Pourquoi suis-je censé me « repentir? » Nous ne sommes plus au Moyen Age …

Pourtant, aujourd’hui, nous souhaiterions oser répondre à l’appel à la repentance de Jean. Nous ne faisons pas cela pour vous décourager! Nous ne voulons pas pointer du doigt les quelques défaillances individuelles que vous avez pu commettre. Il ne s’agit pas pour nous de blâmer quiconque, ou que nous soyons tous très contrit et la mine renfrognée d‘ici la fin de cette célébration. Ce n’est pas cela que nous souhaitons.

Avec son discours Jean Baptiste a provoqué quelque chose parmi ceux qui l’ont écouté. Il les a amenés à réfléchir et quelque chose en eux a été touché.

Un des signes qui montre que quelque chose a changé en eux, c’est le fait que les gens se sont laissé baptiser par Jean – un signe extérieur qui prouve ce qui s’est joué à l’intérieur.

Et c’est pour nous ce qui nous permet d’oser répondre positivement aujourd’hui à l’appel de Jean-Baptiste. Nous ne voulons pas vous offrir une amende,….en allemand le mot pénitence et amende c’est le même- Il ne s’agit donc pas de vous amender comme lorsque vous n’avez pas payé votre ticket de transport. Ou comme le bouquet, qui est ramené à la maison lorsque l’anniversaire de mariage a été oublié….c’est peut-être le cas chaque année…. On y reviendra plus tard.

Ce à quoi nous aimerions vous inviter, c’est à une attitude intérieure particulière. En effet, nous sommes convaincus qu’une telle attitude intérieure peut changer beaucoup, et ce encore aujourd’hui.

 

Andreas Berlinger

Ce qui va de pair avec la pénitence, nous l’avons entendu, c‘est une attitude intérieure, une mise au point – un repère. Mais que signifie cette attitude intérieure de pénitence?

Faut-il que nous dirigions notre regard uniquement sur nos erreurs et nos lacunes ?

Faut-il s‘auto-flageller ?

Probablement pas. Le chemin vers une vie comblée de paix et de joie intérieure ne peut pas se réaliser en détruisant ma propre estime et conduire ainsi à une satisfaction intérieure.

D’ailleurs sur la durée, c’est le contraire qui rend malade : le refoulement de la part sombre de moi-même.

Nous avons développé beaucoup de mécanismes, qui nous font sortir du chemin. Par exemple en projetant sur les autres: „je n’y peux rien si on en est venu à la dispute. Mais une femme…elle est toujours si….“ ou en minimisant la faute: „ ce n’est pas si grave que cela. C’est en fait très bien que j’ai osé passer un savon à ce collègue, ce coq fier !“

En même temps, des sentiments de culpabilité refoulés deviennent des poisons pour notre esprit. Tôt ou tard ils ressortent sous forme de colère ou de peur ou ils me rendent très irritable.

Comment alors faire en sorte que cette attitude intérieure de pénitence ne soit ni surchargée de culpabilité ni trop facilement excusée?

Je pense que si nous voulons nous développer en personnes responsables, alors il faut que nous posions sur nous-même un regard sain, sans refouler ce qui est inconfortable. Cela suppose une sincérité envers moi-même, sinon je piétine. Pour ce qui reste dans l’inconscient à moi-même, cela ne change rien. C’est seulement en conscience que des corrections sont possibles. « Apprendre de ses erreurs », dit-on souvent. L’expérience de sa propre culpabilité peut donc être le début d’une transformation intérieure.

Etre honnête vis-à-vis de soi-même, signifie d’un côté que je ne me considère pas plus petit ou plus mauvais que je ne suis. Dieu m’a bien crée et je dois me voir tel que je suis: avec toutes les forces et les talents qui m’ont été donnés.

Et ce regard réaliste, juste sur moi me protège d’un second danger : celui de me considérer plus grand, plus important que je ne suis. Je dois alors admettre sincèrement qu’il y a aussi chez moi et en moi encore des parts sombres sur lesquelles je peux travailler. Et comme je suis responsable de mes actions, je renonce à toute tentative de justification et de blâmer les autres. C’est à cette condition que je peux aller de l’avant et me trouver moi-même.

Je pense que c’est ainsi qu’il faut considérer l’attitude intérieure de pénitence : un des critères c’est de poser un regard lucide sur moi et me demander si je suis sincère et quelle sont mes responsabilités.

Andrea Spörri

Plaçons donc d’abord un point de repère chez soi et ne mettons pas tout de suite la faute sur les autres. Quand nous parvenons à faire cela, il y a quelque chose qui change dans notre vie. Pas seulement en nous-même mais aussi dans nos relations avec les autres.

Reprenons l’exemple du bouquet de fleurs que nous offrons pour se faire pardonner de l’anniversaire de mariage que nous avons oublié.

Peut-être avez-vous déjà vécu une telle situation : oublier le jour anniversaire de notre mariage.

Nous remarquons assez vite que nous avons déçu notre époux ou notre épouse. Et comment réagissons-nous face à cela?

Nous pensons peut-être: Oh cela n‘aurait jamais dû arriver! Mais en ce moment, j’ai tellement sur les épaules et de toute façon, la dernière fois, c’est lui ou elle qui avait aussi oublié mon anniversaire…!

On a beau se justifier, cela nous fait tout de même mal et pour nous faire pardonner de notre époux ou épouse, on lui rapporte le jour suivant un très gros bouquet de fleurs.

La première fois, ce bouquet peut sans doute compenser la déception- mais quand c’est la 5è, la 7è fois ? La relation va sans doute en souffrir et aussi gros que soit le bouquet il ne fera pas le même effet…..

Mais que se passe-t-il lorsque plus tard après la deuxième fois nous regardons en nous et nous nous posons la question : „Là je l’ai vraiment déçu ! Je le sens bien. Je dois vraiment faire en sorte que cela ne se reproduise pas „. Et c’est précisément ce changement d’attitude qui va positivement changer la relation.

Cet exemple indique clairement quelles sont les alternatives pour cette attitude intérieure de pénitence. Elle ne doit pas rabaisser ou rendre de mauvaise humeur – en fait c’est le contraire: je suis convaincu que si nous adoptons cette attitude envers nous-même, notre attitude vis-à-vis des autres change aussi et cela a un effet positif sur nos relations.

Juste encore cette conversation fictive: « Tu as oublié notre anniversaire de mariage – Je suis déçu», «Oui, je peux te comprendre, je suis désolé-excuse-moi » au lieu de « “tu ne devrais pas m’en vouloir, toi aussi tu as oublié mon anniversaire! »

Quand nous sommes prêts à endosser notre part sombre, notre rapport au monde change. Quand nous sommes conscients de nos erreurs, nous sommes aussi moins durs avec les erreurs des autres.

Pourtant la pénitence comme attitude intérieure, n’est-ce pas une idée trop naïve ?

Ne doit-elle pas pour être efficace être comme une amende de circulation qui est utile parce que c’est une sanction qui ne laisse pas indifférent ?

Andreas Berlinger

Oui, la pénitence ne devrait-elle pas aussi faire mal?

Qu’il s’agisse d’un scandale de dopage, d‘une photo de nu prise au mauvais endroit ou une erreur professionnelle de chirurgie- le coupable doit être trouvé et puni. La faute expiée!

C’est ainsi que fonctionne notre société : très humaine. C’est ainsi qu’est rassasié notre sentiment de justice.

Et c’est pourquoi il est à peine étonnant que nous pensions que Dieu réagit de la même façon : « Si Dieu est juste, alors il doit aussi punir le contrevenant ! »

Lorsque je vais rendre visite à des malades, j’entends souvent la question : « Qu’ai-je fait de mal pour que Dieu me punisse si fort ? Qu’ai-je fait pour mériter cela ? »

Dieu punit-il vraiment immédiatement, comme on le dit ? Exige-t-il vengeance ? Rétribution ? Ou devons-nous lui prouver notre allégeance par des pénitences particulièrement dures, parce qu’il nous a épargné ?

Au travers du prophète Isaïe, Dieu nous parle d’une autre image :

„Est-ce là le jeûne qui me plaît, un jour où l’homme se rabaisse ? S’agit-il de courber la tête comme un roseau, de coucher sur le sac et la cendre ? Appelles-tu cela un jeûne, un jour agréable au Seigneur ?“

„Non!“, la réponse est donnée de fait!

Et tout devient immédiatement très clair: Dieu ne veut, ni n’a besoin de pénitences pour être apaisé ou pour punir.

Le sens de la juste pénitence est complètement différent. Peut-être que nous comprenons mieux si nous remplaçons le terme «pénitence» par „conversion“. Car en fait c‘est bien de cela dont il s’agit.

L’attitude intérieure de la pénitence permet de nous détourner du mauvais chemin sur lequel nous nous étions engagés. Elle permet de nous convertir et nous tourner sur le chemin qui mène à une vie réussie, à des relations fructueuses avec Dieu et avec les autres.

Et c’est justement ça, que Isaïe proclame comme l’objectif de la pénitence quand il dit: « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? »

La conversion ne suppose pas que nous devions attirer à tout prix la bienveillance de Dieu, mais de nous modeler nous-même pour que nous soyons de meilleures personnes avec un sens aigu du bien et du mal.

La pénitence n’est pas un commerce, au travers duquel nous pourrions acheter la miséricorde de Dieu.

Non pas que nous n’ayons pas besoin de pitié! Mais de fait, elle nous est d’ores et déjà offerte par Dieu en dehors de toute performance de notre part.

C’est ce qui a d’inouï dans le message chrétien. Avant même que nous réalisions notre faute, Dieu a déjà là les bras ouverts et nous offre sa bonté et son pardon – sans que nous devions les mériter au travers de la pénitence.

L’attitude intérieure de la pénitence ne sert pas à ouvrir le cœur de Dieu. Car il l’est déjà depuis longtemps. Mais elle permet à notre propre cœur de s’ouvrir, pour recevoir en cadeau la miséricorde et dire avec le psalmiste : parce que je ne le peux pas moi-même :

„Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.“»

Textes bibliques : Isaïe 58, 3-8 et Marc 1, 4-8