Homélie du 26 juin 2022 (Lc 9, 51-62)

Abbé Boniface Bucyana – Eglise Saint-Joseph, Lausanne
Des moutons ou des hommes libres

Les lectures de ce dimanche nous appellent à suivre. Elles nous interpellent sur la manière de suivre. Cela exige une certaine disposition, une attitude et un comportement. A l’heure actuelle, la force de l’opinion publique frise à la limite une certaine dictature. Celle-ci manipule, neutralise l’avis et la position personnelle. Avec le matraquage médiatique, très peu de gens résistent à cette sorte de harcèlement. On doit choisir comme la majorité des gens, et la liberté de choix est diluée. Suivre l’opinion publique devient une suite moutonnière. La peur de faire différemment, personnellement s’instille et la liberté est ainsi paralysée.


Contrairement à ce qu’on dit, nous venons d’entendre dans la première lecture que Dieu propose et c’est l’homme qui dispose. Mais après le choix, la suite requière un engagement inconditionnel. Il n’y a plus de sous prétextes comme Elisée : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai. » La réaction d’Elie « va-t’en, retourne là-bas » (Cf. 1 R19,16b.19-21) lui fait comprendre que l’appel comme la réponse est radical : le renoncement à ce que l’on faisait et à ce que l’on était est nécessaire. Il s’agit de suivre, non pas Elie, mais celui qui l’a mandaté, le Dieu, source de tout. Être à la suite de Dieu va avec l’offrande de ce qu’on est et de ce l’on a.

Etre à la suite de Dieu dans la joie, la louange

La suite de Dieu ne se vit pas en serrant les dents, avec des mortifications suicidaires, mais plutôt en suivant son chemin de la vie, dans la confiance, dans la joie, dans la louange, dans le bonheur comme nous le rappelle le psaume 15. Il n’y a pas de place pour la peur. Sa force rassure, soutient notre choix et notre foi, sa lumière illumine le cœur et éclaire le chemin.
Appelés à la suite du Christ, nous avons été libérés comme nous le rappelle St Paul (Ga 5,1.13-8). Si nous avons été libérés, cette liberté n’est pas contre les autres, mais pour les autres. Pourquoi transformer cette libération en une sorte de rébellion contre Dieu ? Pourquoi croire que cette liberté est un acquis personnel au lieu d’y voir une force accordée pour continuer le combat contre l’esclavage du péché ?

Une liberté humble et servante, non servile


Cette liberté ne doit pas nous hisser sur un piédestal et pousser à nous dérober devant notre semblable, et nous soustraire à notre devoir d’état des enfants de Dieu. C’est-à-dire « aimer son prochain comme soi-même. » Il n’y a plus de place pour l’égoïsme qui consiste à se regarder le nombril, à garder les yeux rivés sur le rétroviseur au lieu de regarder celui qu’on suit. Au lieu de conduire soi-même, au lieu de suivre comme des moutons, il faut marcher librement, sans nous encombrer, sous la conduite de l’Esprit. Cela évitera de faire du surplace, et permettra de voler au secours des autres, et se mettre à leur service comme le Roi Serviteur que nous suivons. Une liberté humble est servante et non servile.

Oui, Jésus a ouvert la route de Jérusalem, humblement comme l’agneau jusqu’au lieu de la mort, mais aussi de la résurrection. Lui, le sauveur des pécheurs que nous sommes est donc en droit de nous adresser personnellement « Suis-moi ! » (Cf. Lc 9,51-62)
Avant de nous appeler à sa suite, il nous connaît plus que nous ne nous connaissons. Ce n’est pas par nos déclarations ostentatoires que nous choisissons de le suivre, c’est lui qui nous choisit et nous envoie à sa suite. Il nous invite à le suivre lui le vrai chemin, lui la vie véritable, lui la vérité sur l’homme, sur Dieu, sur le monde. Chaque pas à sa suite doit se vivre dans la liberté où la liberté d’opinion n’est pas le fait d’opiner la tête baissée devant l’opinion publique. Le Christ que tu suis te demande aujourd’hui « pour toi, qui suis-je ? » Pourquoi as-tu honte de moi ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait pour te libérer, pour te prouver mon amour sans conditions et sans limites ? Pourquoi m’ignorer et me rayer de ton agenda, de tes rendez-vous ? Une liberté injuste tue la liberté !

Ta liberté ne devrait-elle pas être l’expression de cet amour ? Elle n’a rien à voir avec la liberté de pression ou de manipulation. Elle devrait laisser aller et venir les autres sans les confiner dans nos préjugés, ni les repousser par nos intransigeances et nos violences. La liberté de croire et de vivre sa foi ne va pas avec la peur de témoigner avec respect, sans croisade.

Notre liberté des enfants de Dieu est une grâce qui prend sa source dans la liberté de Dieu, dans son droit de nous aimer comme Créateur et surtout comme un Père en son Fils Jésus-Christ. Suivre son Fils, c’est aussi s’engager à être témoin de son amour tout en laissant une place à l’imprévu de Dieu Providence par une foi respectueuse, par une espérance active et par une charité contemplative qui voit en tout homme un être cher parce qu’il est libéré à grand prix et habité par le Christ Rédempteur. Une foi non témoignée est une foi enchaînée et enchainant.
N’ayons donc pas peur, car celui qui nous appelle à le suivre chaque jour est notre horizon qui nous précède, un fidèle compagnon de route à nos côtés et nous rassure ! Suis-moi, nous dit-il, pour te retrouver, pour redécouvrir Dieu, pour recouvrer ta liberté et pour mieux servir les autres. Amen

Lectures bibliques :
1 Rois 19, 16-21; Psaume 15; Galates 5, 1. 13-18; Luc 9, 51-62

Homélie du 19 juin 2022 (Lc 9, 11b-17)

Abbé Christophe Godel – Eglise Notre-Dame de la Paix, La Chaux-de-Fonds, NE


J’aimerais vous lire aujourd’hui un témoignage. Comme disait Saint François de Sales, il n’y a pas plus de différence entre l’Evangile écrit et la vie des saints qu’entre une musique notée et une musique chantée.
Et ce témoin de l’Evangile que j’aimerais mettre en avant aujourd’hui est le Cardinal François-Xavier Van Thuan, qui était un évêque vietnamien, décédé il y a 20 ans, et qui a dirigé le Conseil pontifical Justice et Paix au Vatican après survécu à son emprisonnement décidé par le régime communiste de l’époque. Son procès de béatification est en cours.
Ce Vénérable Cardinal a fait un très beau témoignage sur la place de l’Eucharistie et du Saint-Sacrement que je vous lis maintenant :

Jésus dans l’Eucharistie m’a aidé à franchir ces années difficiles

« J’ai passé plus de treize années en prison, dont neuf en isolement, sans jamais une visite, ni même de ma famille, toujours avec deux agents de police qui ne me parlaient pas. J’étais sans radio, sans journal ni téléphone ou télévision. C’est une culture de mort.
J’ai vécu des moments de désespoir, de révolte : pourquoi le Seigneur m’a-t-il envoyé en prison alors que je suis encore un jeune évêque, avec huit ans d’expérience. Tout ce temps de prison, sans sentence et sans jugement. Mais Jésus dans l’Eucharistie m’a aidé à franchir ces années difficiles.
Le premier jour où j’ai été arrêté, j’ai dû partir les mains vides. Le deuxième jour, il m’a été permis d’écrire quelques lignes à des amis pour demander des vêtements ou du dentifrice. J’ai écrit de m’envoyer un peu de vin et des médicaments contre le mal d’estomac. Les gens de l’extérieur ont le don de l’Esprit-Saint, ils ont compris tout de suite ce que je leur demandais. Le directeur de la prison me demande : »Monsieur Van Thuan, vous avez mal à l’estomac ?  » « Oui, Monsieur ! » « Vous avez besoin de remède ? » « Chaque matin ! » « Alors voici un flacon avec l’étiquette « remède contre le mal d’estomac ! »

L’Eucharistie est une force pour moi et pour les autres prisonniers


À ma plus grande joie, ce sont les plus belles messes de ma vie que j’ai célébrées ! J’offre le Sacrifice de l’Eucharistie chaque jour, dans le creux de ma main, avec trois gouttes de vin et une goutte d’eau. Et chaque jour, je peux dire au Seigneur ma nouvelle et éternelle alliance à Lui comme prêtre. Et l’Eucharistie est une force pour moi et pour les autres prisonniers. Ils sont près de moi parce que nous dormons tous ensemble sur un lit commun, 25 par lit, tête contre tête et les pieds qui dépassent. Le soir à neuf heures et demie, dans l’obscurité, je me courbe pour célébrer de mémoire la messe, ensuite je passe sous le moustiquaire la communion aux cinq autres catholiques près de moi.
La présence de Jésus Eucharistie nous réconforte. Le lendemain nous allons tous recueillir le papier des paquets de cigarettes avec lesquels nous fabriquons des petits paquets pour y mettre dedans le Saint Sacrement. Chaque semaine, le vendredi, c’est une session d’endoctrinement. Toute la prison va étudier. Au moment de la pause, nous passons pour donner à chaque groupe de 50 personnes un petit sachet avec Jésus à l’intérieur. Chaque groupe porte Jésus dans sa poche et dans l’épreuve, l’anxiété, la tristesse, les tribulations, ils sentent Jésus Eucharistie avec eux. Ils prient le soir, font l’heure sainte et grâce à l’adoration de Jésus-Christ et la communion, ces gens qui, parfois ont abandonné la foi, deviennent vraiment chrétiens.

Avec l’Eucharistie, la prison est changée


Ces laïcs sont devenus ainsi courageux, sereins dans la tristesse et servent tous les autres avec charité, et leurs témoignages ont fasciné d’autres personnes non catholiques, prisonniers fanatiques qui demandaient de connaître la religion de Jésus. Ces laïcs deviennent catéchistes, puis ils baptisent d’autres compagnons prisonniers et deviennent leurs parrains. Avec l’Eucharistie la prison est changée: elle devient une école de foi et catéchèse.


Plusieurs fois les agents de police m’ont demandé : »Vous nous aimez ? » -« Mais oui, je vous aime. » -« C’est impossible ! Nous vous tenons ici depuis plus de dix ans, sans jugement, sans sentence, et vous nous aimez ! » -« Je continue à vous aimer et vous voyez comme nous sommes amis. C’est beau, mais incompréhensible, comment on peut aimer un ennemi. » -« Vous nous aimez ! Mais pourquoi ? » – « Parce que Jésus me l’a enseigné et si je ne vous aimais pas, je ne suis plus digne de porter le nom de chrétien. Le chrétien doit aimer comme Jésus. » C’est de cette façon que nous avons vécu la prison jusqu’à la fin de mon internement. »


Et sa conclusion, qui est un message que nous pouvons retenir pour nous :


« Pour tout le monde, l’Eucharistie a fait des saints de toutes langues et nations. L’histoire de l’Église est remplie de saints et surtout de martyrs qui ont tout surmonté, même la mort, grâce à Jésus Eucharistie.
Ce dont nous avons besoin, Jésus nous le donne dans l’Eucharistie : l’amour, l’art d’aimer ; aimer toujours, aimer avec le sourire, aimer tout de suite et aimer les ennemis, aimer en pardonnant en oubliant. Je pense que Jésus dans l’Eucharistie peut nous enseigner ces aspects de cet amour. »

Que la force de l’Eucharistie, que l’amour du Christ en nous, nous aide à faire de même.

Fête du Saint-Sacrement
Lectures bibliques : Genèse 14, 18-20; Psaume 109; 1 Corinthiens 11, 23-26; Luc 9, 11b-17

Homélie du 12 juin 2022 (Jn 16, 12-15)

Abbé Christophe Godel – Eglise Notre-Dame de la Paix, La Chaux-de-Fonds, NE

Il y a très longtemps, au 4ème siècle, un jeune homme qui avait découvert Dieu a été envoyé par le pape en Irlande. Ce jeune homme s’appelait Patrick. A cette époque, les Irlandais n’avaient pas encore entendu parler de Jésus et de son message. Patrick s’est donc chargé de leur annoncer l’Évangile, et beaucoup ont demandé le baptême. A un certain moment, Patrick se demanda comment présenter Dieu avec cette particularité d’exister en trois personnes. Il choisit alors un trèfle avec ses trois lobes, et montra que le premier lobe représentait le Père, le deuxième le Fils, et le troisième l’Esprit-Saint ; pourtant, il n’y avait qu’un seul trèfle. Cette explication a tellement eu de succès que le trèfle est devenu le symbole de l’Irlande, et Saint Patrick le patron du pays.

Aujourd’hui, c’est justement la fête de la Trinité. Le mot « Trinité » est une bonne abréviation, car il est une contraction de « Trois » et « Unité » : trois personnes… unies parfaitement ; un Dieu… en trois personnes ; « Tri-nité ».

Une nouveauté totale

Lorsque Jésus le révèle, que Dieu est ainsi, c’est une nouveauté totale : Les Juifs qui savaient que Dieu existait et prenait soin d’eux, ne savaient pas que Dieu était ainsi. Et aujourd’hui encore, dans d’autres religions, on croit à l’existence de Dieu, mais on ne sait pas qu’il est Trinité.

Pourquoi le savons-nous ? Parce que Jésus, qui est l’un des trois, nous l’a révélé. Jésus parle de Dieu comme « Père » ; il parle de lui comme « le Fils éternel du Père » ; il parle de « l’Esprit » qui sera envoyé du Ciel après son départ. Nous l’avons entendu dans les lectures d’aujourd’hui.

Un zoom sur Dieu

On pourrait dire qu’il y a eu « un zoom sur Dieu ». C’est comme si, avec des jumelles, on arrive voir une étoile dans le ciel. Mais arrive un télescope de haute qualité, et en regardant la même étoile, on en voit trois qui sont si proches l’une de l’autre qu’on ne savait pas qu’elles existaient les trois avant d’avoir ce télescope. On ne savait pas que Dieu était trois personnes avant que Jésus vienne.

Qu’est-ce que ça change qu’ils soient trois ? Ça change tout ! Cela veut dire que Dieu n’est pas un être solitaire là-haut dans le Ciel, et qui a besoin des hommes pour régner un peu sur quelqu’un. Le fait qu’ils soient trois éclaire ce que Saint Jean a voulu dire dans sa lettre : « Dieu est amour » ; il est éternellement « échange d’amour ». Il vit une vie profonde et bienheureuse de communion et d’amour. Et il veut la partager.

Une communion de vie et d’amour

Il veut partager ce qu’il vit. C’est pour cela que, lorsqu’il crée l’humanité, il crée « l’homme et la femme », un couple. Son projet est que l’être humain puisse vivre à son tour ce qu’il vit en lui-même, c’est-à-dire « une communion de vie et d’amour ». Et ce projet se déclinera à tous les niveaux : dans l’unité de la famille, d’une communauté, d’une Église, d’un peuple, d’un monde. Le projet sera toujours le même : construire une communion de vie et d’amour, où les personnes sont différentes et uniques, mais appelées à vivre une unité, une paix, une bienveillance qui donne la qualité à la vie.

La Trinité est un drôle de calcul : il y a 3 personnes, mais il n’y a pas 3 dieux. Chacun partage avec les 2 autres la totalité de la vie divine. Le trèfle ne serait plus un trèfle s’il manquait un de ses lobes.

Mais il faut dire une chose, qui sera très utile pour nous comme vous allez le voir : chacune des trois personnes de la Trinité ne vit pas la vie commune de la même manière. Il y a celui qui la donne ; il y a celui qui la reçoit ; il y a celui qui la transmet.
Le Père est à la source de la vie et la transmet : il donne tout ce qu’il a et ce qu’il est à un autre pour qu’il puisse vivre et être heureux.
Le Fils est celui qui a la vie parce qu’il la reçoit, en renonçant à vivre une autre vie, séparée de son Père, car il a une totale confiance en lui. Et il peut tout parce qu’il a tout reçu.
L’Esprit Saint et celui qui donne la vie, qui la transmet, un peu comme le facteur qui apporte une lettre de l’un à l’autre. Il est au service des deux, comme un serviteur effacé et efficace, au service du bonheur des autres.

Pour essayer d’imaginer un peu cela, je vous raconte une petite histoire : Il y avait un jour un jeune homme assis sur les quais de Marseille. C’était tôt le matin. Il avait en face de lui un bar d’où lui venait la bonne odeur des croissants et du café. Il aurait aimé s’asseoir à une table pour savourer ce qui lui chatouillait le nez, mais il n’avait pas d’argent pour le faire. Méditant sur son sort, il voit soudain arriver vers lui le serveur du bistrot, tenant sur son plateau un café fumant et un croissant chaud. Dans un premier geste de recul, sachant son incapacité à régler la facture, il lui dit : « Je n’ai rien commandé ! » Mais le garçon de lui répondre : « C’est une dame qui l’a offert pour vous ». Le jeune homme se leva alors pour aller remercier la dame, mais elle était déjà partie…

Dans la Trinité, le Père est comme cette dame qui fait ce cadeau sans même demander qu’on le remercie. Sa seule joie et de rendre heureux. C’est le modèle pour nous du don de soi, de la générosité, de la vie non pas tournée sur soi-même mais sur l’autre, avec le désir qu’il soit heureux, qu’il ait tout ce dont il a besoin, qu’il se sente aimé.
Dans la Trinité, le Fils est comme ce jeune homme qui n’a rien, mais qui reçoit ce cadeau. Il est le modèle de la confiance en l’autre, de la reconnaissance, du désir d’entrer dans le projet d’un autre, de l’obéissance libre et choisie, de l’humilité qui sait que ses talents lui ont été donnés et qu’il les a reçus pour les mettre au service des autres.
Dans la Trinité, l’Esprit Saint est comme le serveur qui apporte au jeune homme ce que la dame lui a donné. Il est pour nous l’exemple du service, de la délicatesse qui ne force pas, du désir de ne pas se mettre en avant mais de mettre l’autre en avant, de celui qui crée des ponts et qui donne à chacun les moyens de remplir sa mission.

Vous voyez : pour comprendre les profondeur de la vie humaine, de notre vie, des valeurs les plus importantes, la clé est la Trinité.
Remercions Jésus de nous avoir permis de le découvrir, et demandons à l’Esprit Saint qu’il nous aide à entrer toujours plus profondément dans ce si beau mystère. Car c’est en le contemplant et en mettant en pratique les logiques qu’on y découvre que notre vie s’épanouira et que notre cœur sera comblé.

Amen.

Fête de la Sainte Trinité
Lectures bibliques : Proverbes 8, 22-31; Psaume 8; Romains 5, 1-5; Jean 16, 12-15