Homélie du 8 août 2021 (Jn 6, 41-51)

Chanoine Jean-Michel Lonfat – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Comment ne pas méditer, après avoir entendu les textes liturgiques en ce dimanche matin, sur le besoin vital, fondamental de se nourrir pour vivre ?
Frères et sœurs chers auditeurs à l’heure où nous sommes, qui d’entre nous n’a pas encore pris sa collation du matin ? Nourriture importante, consistante pour débuter notre journée.

Les textes de ce jour sont clairs ils nous disent deux choses : premièrement que nous sommes quasiment obligés de manger pour vivre  afin de poursuivre notre route et deuxièmement que la nourriture des hommes ne comble pas notre faim alors que celle de Dieu, non seulement nous rassasie, mais nous donne la vie éternelle.

Quand nous méditons l’Ancien Testament nous le remarquons bien,  ce besoin de nourriture pour un peuple en déplacement en migration est indispensable. Que de fois la communauté réclame la nourriture,  sa nourriture. Que de fois l’homme va jusqu’à désobéir pour avoir sa part de pain. Que de fois il va même jusqu’à en vouloir à Dieu et à ses frères parce que la nourriture manque. On pouvait l’entendre dimanche passé justement. Plus la communauté avançait dans le désert, plus elle reculait et cherchait dans ses souvenirs et sa mémoire le rappel des années jadis où il y avait à manger. On pense aux bonnes années du passé comme on dit communément.

L’homme crie sa souffrance

La première lecture nous rappelle que l’homme crie sa souffrance, il désespère, il maudit il en veut terriblement à celui qui l’a mis dans une telle situation, il en est dégoûté, il n’en peut plus il veut tout simplement mourir.

Le passage du Premier livre des Rois nous montre justement le prophète Elie épuisé par la marche il doit se réfugier au désert le lieu de l’épreuve. Le lieu de la tentation : tentation de se laisser aller jusqu’à la mort.

C’est précisément là que Dieu vient le rejoindre. Dieu ne peut et ne veux pas la mort de l’homme il l’a créé pour qu’il vive.

Dieu manifeste sa générosité

« Goutez et voyez comme est bon le Seigneur » nous a dit le psalmiste !

En effet Yahvé, Dieu, va intervenir au cœur de cette fatigue et de cette lassitude de l’homme. Dans le sommeil ou la ténèbre de la mort d’Elie, Dieu vient lui dire :

 « Lève-toi et mange » à trois reprises… et le petit déjeuner, la collation est là ! Dieu parle et agit. Surprise !

On le voit plusieurs fois dans l’histoire biblique : Dieu manifeste sa tendresse et sa générosité pour que l’homme puisse poursuivre sa route.

Elie sera témoin de cette présence de Dieu à ses côtés pour atteindre l’Horeb la montagne de la Révélation.

« Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur »

Nous pensons que Dieu ne nous regarde pas, qu’il ne nous voit pas qu’il ne fait rien pour nous dans nos situations de détresse de découragement de fatigue, le voilà bien présent tout proche de nous et même avec cette astuce géniale si on ose le dire ainsi, de se donner à nous en nourriture.

On retrouve dans cet épisode d’Elie en marche vers l’Horeb toute la vie de l’homme, errant quelquefois dans des déserts de toutes sortes.

Tenté d’abandonner son Dieu, son compagnon fidèle, l’homme sans trop le vouloir risque sa vie, il risque même sa mort.

« Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur »

Interpellé dans nos différents sommeils, Dieu désire profondément que nous en sortions épanouis. Il veut notre bien, et le réconfort qu’il nous propose, qu’il nous donne gratuitement et abondamment c’est sa vie, son corps et son sang en nourriture.

C’est bien là la difficulté pour les hommes de son temps d’accepter cela. On le voit dans cet Évangile. Les paroles de Jésus ne sont pas comprises.

Après trente ans de vie en Palestine, après trente ans de vie sociale très intense avec les gens de son village, après trente ans de présence et de connaissance ou la famille, le clan, la tribu sont si importants, comment accepter d’entendre dire de sa propre bouche :

« Moi je suis le pain qui est descendu du ciel ! »

Frères et sœurs chers auditeurs si nous avions été à la place des contemporains de Jésus quelle aurait été notre réaction ?
Certainement pas meilleure que celle qui nous est rapportée par les évangiles.
Comment croire que Jésus peut devenir pain de vie pour nous ?
Comment oser manifester autour de moi que Jésus est pour moi une nourriture importante voire même capitale pour la traversée de mes déserts ?
Comment me nourrir de sa Présence pour être un vivant, un joyeux vivant  plein d’espérance?

Avec le psalmiste redisons

« Goutez et voyez comme est bon le Seigneur ! »

Je viens de terminer quelques jours de camp avec un groupe que l’on nomme «Notre-Dame de la Lumière.» Ce sont des personnes aveugles de la Suisse romande qui se retrouvent pour un camp sur les bords du lac d’Ägeri au Ländli dans le canton de Zug. J’ai été frappé par les nombreux témoignages me disant combien la nourriture de la parole, l’Eucharistie vécue en communauté étaient si bienfaisantes pour eux. GOÛTEZ ET VOYEZ COMME EST BON LE SEIGNEUR. Le fait par exemple de pouvoir toucher les oblats, le calice et la patène à l’offertoire. À travers nos mains, me disaient-ils, eux qui ne voient pas, nous voyons  la générosité et la bonté du Seigneur. La proximité avec le guide nous rassure nous donne une orientation sur notre chemin. Nos mains peuvent toucher, nos oreilles peuvent entendre les merveilles de la création. Aveugles certes mais combien clairvoyants et reconnaissants pour le don qui leur est fait d’une découverte, d’une personne, d’un sacrement. Ils sont un exemple à quelque part.

Oui goûtez et voyez… osons, nous aussi,  nous approcher de lui, osons lui ouvrir nos vies. Comment ? Saint Paul nous fait une petite proposition dans sa lettre aux Éphésiens, une exhortation pleine de  charité :

Ne contristez pas Dieu, nous dit-il. Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes. Soyez entre vous plein de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns les autres comme Dieu le fait par le Christ.

Voyez comme est bon le Seigneur, voyez comme nous sommes invités à faire de même dans nos différentes situations de vie.

En relisant l’Évangile de ce jour on peut comprendre,  permettez-moi l’expression, l’incompréhension des auditeurs du Seigneur. Nous le connaissons ce Jésus, disent-ils ! Nous connaissons sa famille ! N’est-il pas trop proche de nous pour venir d’ailleurs ? N’est-il pas trop enraciné dans notre terre pour venir de Dieu ?

La Bonne Nouvelle de ce jour m’interpelle, que je sois en pleine santé, malvoyant ou handicapé, que je sois en marche en montagne ou découragé dans ma vie, sur le chemin de l’Horeb,  frères et sœurs chers auditeurs,  lorsque je m’ouvre à Dieu, lorsque je lui dis ma faim, Il me répond par sa présence nourrissante.

Alors que je suis fatigué, triste, découragé,  à l’exemple d’Elie, me voilà revitalisé, restauré et tout joyeux de poursuivre ma route par la rencontre fraternelle et communautaire.

Lève-toi et mange, me dit-il,  aujourd’hui encore.
« Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie »
Tel est le sens de toute Eucharistie elle est célébrée et vécue pour que ayons la vie et que nous puissions à notre tour la transmettre cette  vie qui vient de Dieu.
Alors vivons … et vivons pleinement !
Bon dimanche  chers auditeurs et à vous autres ici sur la montagne dans cette église du col du Grand-Saint-Bernard, que Dieu lui-même soit votre nourriture, votre guide et votre joie. AMEN.

19e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : 1 Rois 19, 4-8; Psaume 33,2-3, 4-5, 6-7, 8-9; Éphésiens 4, 30–5, 2; Jean 6, 41-51

Homélie du 1er août 2021 (Jn 6, 24-35)

Chanoine Simon Roduit – Hospice du Grand-Saint-Bernard

Lors de ma première communion à 10 ans, je me souviens bien de mes catéchistes qui nous avaient fait goûter une hostie non-consacrée en disant « Ce n’est pas le corps du Christ ! » J’ai ainsi appris à discerner la présence ou non du Christ qui se donne à moi dans ce petit morceau de pain. J’ai appris à reconnaître la vie de Dieu qui se donne dans mon humanité.
L’oraison du jour nous dit comment la vie de Dieu se donne à nous : « Assiste tes enfants, Seigneur, et montre à ceux qui t’implorent ton inépuisable bonté ; c’est leur fierté de t’avoir pour Créateur et Providence : restaure en eux ta création, et l’ayant renouvelée, protège-la. » La relation de Dieu à nous nous révèle qu’il est Créateur et Provident, Sauveur par le fait qu’il nous restaure par sa grâce, et Emmanuel (Dieu-avec-nous) dans le sens où il nous protège dans toutes nos épreuves et qu’il chemine ainsi avec nous.

Dieu Créateur et Provident

Dieu nous a créés et a créé toute chose à partir de rien, les plus grandes montagnes et les plus profonds abîmes. Tout est dans sa main, il gère la situation, contrairement à nous parfois en temps de pandémie par exemple. De plus, à chaque instant il nous crée et veille sur nous par sa Providence. De son point de vue à lui, on comprend qu’il nous donne la vie, le mouvement et l’être, et de notre point de vue à nous, que l’on dépend fondamentalement de notre créateur, non pas de manière servile ou infantile, mais filiale.

Le Seigneur éduque les Hébreux à cette connaissance en leur donnant du pain pour apaiser leur faim et des épreuves pour calmer leurs récriminations. Il leur donne des cailles le soir, et la manne le matin. Ce don manifeste que tout vient de Dieu et que nous n’en sommes pas propriétaires. Il les met aussi à l’épreuve : la ration quotidienne les invite à ne pas thésauriser et à compter sur Dieu pour traverser cette épreuve du désert. Le Seigneur nous rappelle ainsi que lorsqu’il confie une mission à quelqu’un, il lui donne TOUJOURS la force de la réaliser. Il faut « juste » avoir confiance en Lui. Là réside tout notre travail.

La particularité de ce don est sa discrétion : la manne vient comme la rosée, qui arrive sans qu’on l’ait vue surgir. De plus, la manne suppose que l’on demande des explications à Dieu pour savoir ce que c’est. Enfin, elle vient tous les matins. En bref, la manne invite à se tourner continuellement vers le créateur qui s’occupe par amour de ses enfants.
Face aux grâces que nous recevons, savons-nous reconnaître l’action de Dieu dans nos vies ou bien est-ce que l’on récrimine contre le Seigneur pour retourner en Égypte ?

Dieu Sauveur

Les Hébreux désirent retourner en Égypte en pensant aux marmites de viande. Mais ils désirent y retourner pour mourir, et non pas pour vivre. Même si on a été créés bons et pour vivre, parfois on se laisse tenter par les marmites de nos péchés et on cherche finalement plus la mort que la vie. Saint Paul explique bien cette ambivalence présente en nous par l’image de l’homme ancien et de l’homme nouveau. Il nous invite donc à nous défaire de l’homme ancien pour revêtir l’homme nouveau. Dès notre baptême, et à nouveau à chaque confession, nous sommes complètement renouvelés, nous sommes cet être nouveau. Il nous faut donc chercher, par notre vie, à revêtir cet homme nouveau en nous, et à essayer de mettre en valeur et faire grandir chez les autres leur être nouveau.

Cet être nouveau correspond en fait à notre être profond. Saint Paul nous invite donc à une cohérence de vie : à ce que notre habit reflète notre réalité profonde de fils de Dieu rétablis dans l’amitié avec Lui ; nous sommes des pécheurs pardonnés (cf. Pape François).
Et pour cela, il nous faut le soutien de l’Esprit Saint qui renouvelle la face de la terre (cf. Ps 103). Cet Esprit Saint nous donne des coups de mains extérieurs, à travers la Parole de Dieu et les sacrements, mais il vient aussi nous mouvoir intérieurement vers le Bien.

Dieu Emmanuel

Dieu est Créateur et Provident – mais discrètement comme la rosée – et Sauveur – mais en nous invitant à revêtir l’homme nouveau. Du coup ce Seigneur nous invite complètement à le chercher, comme les foules de l’Évangile qui ont vu des signes accomplis par Jésus notamment sur les malades. Ces signes que la foule mentionnent et qui viennent d’avoir lieu sont la multiplication des pains pour nourrir une foule nombreuse et Jésus qui marche sur les eaux pour rejoindre les apôtres dans la barque. Après avoir vu ces signes, la foule s’obstine à demander quel signe leur fera voir et croire Jésus comme l’envoyé de Dieu. Jésus leur résume sa mission ainsi « Je suis le pain de vie ». Comme la manne descendue du ciel discrètement, Jésus est venu parmi les siens dans la pauvreté d’une crèche, afin qu’on le reconnaisse par la foi et qu’on le reçoive tous les jours (cf. Notre Père). Il est venu parmi nous pour nous sauver et nous aider à faire grandir l’homme nouveau en nous.

Le visage de Dieu se révèle dans les traits de nos frères et sœurs


Ce Dieu qui s’est incarné vient habiter parmi nous, en nos cœurs, mais vient aussi cheminer parmi nous, dans notre monde, et son visage se révèle souvent dans les traits de nos frères et sœurs en humanité. Il ne nous lâche pas, il est Dieu avec nous, Emmanuel.
Ouvrons les yeux de notre cœur pour reconnaître Dieu qui agit dans nos vies et ainsi travailler à ses œuvres qui durent et non pas à ma petite œuvre à moi qui passera.

Face à l’humilité d’un Dieu qui se donne à nous dans une si grande simplicité, sous l’apparence d’un petit morceau de pain, discernons, durant cette Eucharistie, sa présence en l’adorant à la consécration et en le recevant à la communion. Dans cette petite hostie se trouve présent le Dieu qui nous a créés et qui nous donne le pain quotidien dans sa grande providence, le Dieu Sauveur qui nous pardonne et nous revêt de sa grâce, et le Dieu Emmanuel, Dieu avec nous et en nous qui nous accompagne sur tous nos chemins vers le ciel.
Amen.

18e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Exode 16, 2-4.12-15; Psaume 77, 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a; Éphésiens 4, 17.20-24; Jean 6, 24-35

Homélie TV du 1er août 2021 ( Jn 6, 24-35)

Mgr Valerio Lazzeri – Église St-Nicolas-de-Flüe, Lugano

Chers amis,

Nous célébrons un 1er Août très spécial. Cette année encore, en raison de la pandémie, notre rendez-vous pour la Fête nationale n’a pas pu avoir lieu dans le paysage pittoresque du St-Gothard, avec la richesse de ses références géographiques, historiques et culturelles.
Néanmoins, nous avons la joie de pouvoir nous réunir pour l’eucharistie dans cette église de Lugano dédiée à saint Nicolas de Flüe.
Nous ne sommes donc pas dans un lieu privé de références significatives et encourageantes pour notre foi en tant que chrétiens vivant en Suisse.

Enfin et surtout, cette année, la naissance de la patrie tombe sur un dimanche, dans la mémoire hebdomadaire de la Pâque du Seigneur, qui façonne de manière inaliénable la présence et la mission de l’Église dans l’histoire.
Cela ne peut que nous renforcer dans la responsabilité et l’engagement que nous sommes appelés à exercer en tant que chrétiens et en tant que citoyens du pays dans lequel nous vivons.
Sans aucun doute, la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons à cause de la pandémie continue de peser sur nos cœurs, pandémie, dans laquelle l’humanité est plongée depuis plus d’un an. Mais aujourd’hui, nous voulons avant tout écouter la Parole de Dieu. Elle ne cesse de résonner et continue d’être une source de guérison et de régénération de notre voyage dans le désert.

La tentation populaire s’élève quand tout devient difficile

Ce matin, dans la première lecture, c’est le cri de reproche des Israélites envers Moïse pour nous montrer le point sur lequel, en tant qu’individus et en tant que peuple, nous sommes appelés à exercer notre discernement.
Comme toujours, la protestation populaire s’élève au moment où tout devient difficile ! Les épreuves semblent insurmontables !
Les résultats des travaux, entrepris dans l’espoir d’améliorer notre condition, sont décevants. Les cœurs se laissent alors envahir par les récriminations et la nostalgie. Plus encore, ils sont tentés de remettre en question le sens même du voyage commun.

Il avait été entrepris ensemble, mais soudain, il devient seulement l’initiative coupable de quelques-uns : « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé » (Ex 16, 3).

C’est la tentation permanente de toute communauté humaine surprise et bouleversée par des événements imprévus, qui remettent en cause les points de référence apparemment les plus sûrs.
Nous souffrons, nous nous agitons, nous ne voyons pas d’issue. En fin de compte, la tension est déchargée sur celui qui peut être considéré comme la cause de notre mal-être.
On oublie alors l’implication personnelle de chacun dans l’aventure commune et on gaspille des énergies précieuses dans des comparaisons nostalgiques avec un passé irrécupérable synonyme de bien-être idéalisé : « Nous étions assis près des marmites de viande, nous mangions du pain à satiété » (Ex 16, 3).

Une éducation à la sobriété, au renoncement…

Cependant, l’intervention miséricordieuse du Seigneur intervient au milieu de cette zizanie très dangereuse pour la vie commune. Il ne s’agit pas d’une réponse miraculeuse aux rêves de solutions faciles et définitives, cultivée par ce que saint Paul dans la deuxième lecture, appelle « l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur » (Ep 4,22).
Au contraire, les dons du Seigneur deviennent une éducation à la sobriété, au renoncement à l’avidité et l’accumulation, à un sentiment de gratuité et de confiance : « Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne » (Ex 16, 4).

Nous avons ici une indication précieuse pour notre présent, en regard des moments les plus difficiles que nous avons traversés, toujours marqués par l’incertitude.
La manne qui nous fait vivre nous est donnée, quotidiennement dans un geste attentif et persévérant.
Le choc qui nous est arrivé devrait servir à abandonner définitivement toute prétention à devenir des maîtres absolus, avec nos propres moyens, nos ressources vitales.
Nous ne pouvons plus nous bercer de l’illusion qu’avec nos seules ressources, nous pourrons un jour nous suffire à nous-mêmes et éliminer tout aspect de la vulnérabilité, de la maladie et de la mort.
Jésus, dans l’Évangile, ne laisse aucune place à ce malentendu. Il arrête brusquement ceux qui le cherchent avec l’espoir d’avoir trouvé en lui la possibilité de ne plus avoir à lutter pour vivre.
Ainsi, ceux qui se réfèrent à lui de manière authentique ne peuvent se dispenser de l’exercice exigeant de la compréhension de la réalité, du courage d’affronter les limites et les insuffisances.
Il ne peut y avoir de sécurité totale et définitive pour notre vie dans ce monde. Il ne peut y avoir que des « signes », des invitations à nous libérer de la tyrannie de nos besoins individuels immédiats, en nous rendant attentifs à l’autre, au visage de l’autre, sans laquelle nous ne pouvons pas vraiment vivre.

La vie nourrie par des choix concrets et des attitudes spécifiques

« Ne cherchez pas la nourriture qui ne dure pas, mais la nourriture qui reste pour la vie éternelle, que vous donnera le Fils de l’homme »
(Jn 6, 27). Que personne ne pense à interpréter ces mots dans un sens spiritualiste. Jésus ne demande pas ici un engagement purement religieux. La « vie éternelle » dont parle Jésus n’est pas une vague abstraction concernant l’avenir après la mort.
C’est la vraie vie, celle qui ne se laisse pas totalement déterminer par les conditions spatio-temporelles ; la vie nourrie par des choix concrets et des attitudes spécifiques ; la vie qui nous qualifie comme personnes réellement existantes, en relation mutuelle et fraternelle, pas en négociation perpétuelle avec la mort.
Jésus nous appelle aujourd’hui à cette lucidité sur lui et sur notre existence ! Le passé dans lequel s’enracinent nos racines communes ne peut devenir un prétexte rhétorique pour fermer les yeux sur le présent.

La conscience d’un cadeau à recevoir avec une humble gratitude

Laissons derrière nous les plaintes inutiles sur ceux qui auraient dû mieux faire pour éviter les difficultés que nous connaissons.
Soyons ouverts à ce que chacun d’entre nous, dans notre position et notre rôle, a devant lui comme une possibilité d’être accueilli personnellement et généreusement.
En effet, « ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain descendu du ciel, mais mon Père qui vous donne le pain du ciel, le vrai pain » (Jn 6,32).
C’est la correction à pratiquer : de la mémoire d’un passé qui continue à entretenir la tromperie de l’avidité, à la conscience d’un cadeau à recevoir avec une humble gratitude.
L’actualité permanente du « pain du ciel », que chacun ne peut que recevoir et en aucun cas s’approprier, est, en fait, le seul fondement de toute véritable cohésion sociale, politique, économique et culturelle.

Saint Nicolas de Flüe nous aide, malgré tous les soucis qui peuvent nous assaillir, à ne pas renoncer à cette densité de vie qu’il était capable de rappeler à ses contemporains, à un moment crucial pour le Pacte fédéral, dont nous sommes les héritiers.
Les signes ne manquent pas dans notre histoire pour voir avec clarté, même dans l’obscurité.
Que le Seigneur nous donne la grâce de pouvoir les lire et de croire. Cherchons en lui la nourriture qui dure éternellement : ce bien indestructible, inépuisable, gratuit et surabondant, à recevoir chaque jour et à partager avec tous, en toute liberté et par amour.

Amen.

17e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Exode 16, 1-18; Psaume 144, 10-11, 15-16, 17-18; Éphésiens 4, 1-6; Jean 6, 24-35