Homélie du 29 août 2021 ( Mc 7, 1-23)

Abbé Marc Donzé – Église Saint-Joseph, Lausanne

Les hypocrites. Ah, Jésus n’est pas tendre avec les hypocrites. Parfois, il les traite de sépulcres blanchis. Autrement dit, ils sentent la peinture fraîche et au-dedans ils sentent la mort.

Un hypocrite, c’est un feinteur. A l’extérieur, il fait tout ce qu’il faut pour avoir l’air propre en ordre, et même pour avoir l’air brillant. A l’intérieur, c’est une autre chanson ; je le dis avec la copieuse liste de cet Évangile : inconduite, vol, meurtre, adultère, cupidité, méchanceté, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil, démesure.

Parfois, le vernis de vertu se craquèle et l’on découvre, avec douleur ou stupéfaction, un paroissien qui pique dans la caisse, un entraîneur qui abuse de sa position dominante, un politicien qui manœuvre dans les jeux d’influence avec des pots-de-vin… et j’en passe.

Alors, un feinteur, c’est joli sur un terrain de football. Si Shaqiri fait un bon dribble et va marquer un goal, on applaudit. Mais, dans la vie économique, politique, religieuse, c’est beaucoup moins joli ; c’est même pathétique et offensant. Heureusement, il n’y a pas que des hypocrites.

Mais revenons à l’Évangile du jour. Les pharisiens respectent toutes les pratiques de pureté rituelle : lavage de coupes, de carafes et de plats, s’asperger d’eau au retour du marché (entre parenthèses, ces pratiques sont sûrement aussi des pratiques d’hygiène ; donc, elles peuvent aussi avoir leur utilité). Religieusement et socialement, les pharisiens montrent une figure impeccable, ce qui n’est pas toujours le cas de ces va-nu-pieds de disciples de Jésus.

La question fondamentale : ce qu’il y a dans le coeur

Mais, n’en déplaise aux pharisiens, la question fondamentale n’est pas là. La question n’est pas de savoir comment il faut se laver pour avoir l’air propre devant Dieu et devant les hommes ; la question n’est pas de savoir ce que l’on a le droit de manger ou de boire pour être en ordre avec Dieu et avec les hommes. Comme le dit Jésus : « rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur ». Alors, si on mange du cochon à la Saint-Martin, quel pourrait bien être le problème ?

La vraie question, c’est ce qu’il y a dans le cœur, ce qu’il y a à l’intérieur de l’homme. Quelles sont mes intentions, mes objectifs, mes sentiments ? Ce à quoi Jésus invite, c’est à la conversion du cœur. Il faut donc passer de l’envie au respect, de la cupidité au partage, de la démesure à la simplicité. Ce n’est pas si simple, c’est un vrai changement du cœur, qui demande une attention de tous les jours. Pour le dire de façon magnifique, on peut reprendre l’expression de saint Augustin : il faut passer de l’amour de soi qui peut aller jusqu’au mépris de Dieu et des autres à l’amour de Dieu et des autres qui peut aller jusqu’au mépris de soi (mais je n’aime pas du tout cette expression : mépris de soi ; je dirais donc : qui peut aller jusqu’au don de soi).

Jésus invite à la cohérence

Ce à quoi Jésus invite, c’est à la cohérence entre l’intérieur et l’extérieur. Voilà un mot fondamental : être cohérent ; c’est cela le contraire de l’hypocrisie. Être cohérent, c’est mettre en accord ce qu’il y a dans le cœur et ce que l’on montre dans nos actions.  Dans le football, par exemple, c’est respecter l’adversaire et le montrer sur le terrain. Dans la gestion des biens, c’est respecter la justice et le partage ; donc ne pas frauder et ne pas accaparer trop de biens, qui pourraient gravement manquer à d’autres. Dans la vie de tous les jours, c’est être droit et ne pas cultiver une double vie, une valise à double fond ou des tiroirs secrets inavouables.

Être cohérent, ce n’est pas facile. Qui pourrait d’ailleurs se vanter de l’être toujours et en tout temps ? Ce qui est peut-être encore moins facile, c’est d’être cohérent à la manière de l’Évangile. Autrement dit, c’est d’avoir le fond du cœur tapissé d’amour : l’amour des frères et sœurs en humanité, l’amour de Dieu, sans oublier un juste et équilibré amour de soi. Comme le dit saint Jacques dans son épître : « un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde ». Très stimulant, ce critère de saint Jacques : être cohérent, c’est vivre une vie droite (c’est ainsi que je retraduis sans tache), mais aussi avoir une attention, un respect, une aide pour ceux qui sont dans la détresse. Quand on est cohérent avec l’Évangile, il y a toujours une part de générosité, de partage, de communion avec ceux qui sont dans le besoin. A chacun de percevoir librement le lieu, la manière et les personnes avec qui vivre ce partage.

Les dix Paroles de vie et l’Esprit de Lumière et d’Amour

Être cohérent, encore une fois, ce n’est pas facile. Mais nous ne sommes pas tout seuls, nous sommes accompagnés sur le chemin. Comme le disait déjà Moïse, « le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ». Il est même avec nous et en nous tout le temps. Pour nous guider, il nous donne deux lumières. La première, les dix commandements, que l’on appellerait plus justement les dix Paroles de vie. Ces paroles balisent la sagesse qui permet une vie respectueuse de Dieu, des autres et de soi-même. La deuxième, qui va au-delà des dix Paroles de vie, c’est l’Esprit de Lumière et d’Amour en nous. Si nous l’écoutons, il habille notre cœur et nous donne à comprendre les chemins d’amour que nous avons à tracer.

Alors, foin de l’hypocrisie. Vive la cohérence évangélique. Et que l’Esprit nous inspire particulièrement en ce temps où nous vivons un double défi (et non pas seulement un) : celui de la pandémie bien sûr, mais aussi celui – qui est peut-être encore plus important – : de l’urgence climatique et donc de l’avenir de l’homme sur cette terre. Amen.

22e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Deutéronome 4, 1-2.6-8; Psaume 14, 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5; Jacques 1, 17-18.21b-22.27; Marc 7, 1-8.14-15.21-23

Homélie du 22 août 2021 (Jn 6, 60-69)

Chanoine Jean-Michel Girard – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Il semble que le Christ ait assez souvent choqué ses auditeurs. Qu’il affirme vouloir donner sa chair en nourriture : impossible ! Qu’il dise qu’Abraham l’a connu : impossible. Qu’il prétende être descendu du ciel, être le Messie, lui, le charpentier de Nazareth : impossible !
Lorsque les gens autour de lui s’en tiennent à ce qui est normal, ils se limitent à une norme qui est aux dimensions de leur ordinaire. Lorsque nous nous en tenons à ce qui est normal, nous devenons le critère d’évaluation. Nous savons combien il est difficile de casser ce cercle étroit de ce qui nous semble normal, de ce qui est habituel, de ce qui est : « ça a toujours été comme ça ».

Sortir d’une logique étriquée

Vis-à-vis des gens qui ont quelque handicap, on a réussi, non sans combat, à parler de différence et non d’anormalité. C’est un enrichissement, puisque, au lieu d’exclure, nous intégrons ; nous sommes ensemble, chacun apportant ce qui lui es propre, chacun irremplaçable de la joie de vivre. Par contre, quel malheur si tout devait être ramené à ma mesure, en gommant tout ce qui dépasse.

Job pensait que son jugement était approprié et qu’il avait raison. Dieu l’appelle et l’arrache à son centre de gravité. « Puisque tu sais tout, enseigne-moi. Où étais-tu quand le monde a commencé ? Sais-tu les dimensions de la terre ? Est-ce toi qui éveille l’aurore ? qui régit la marche des étoiles ? » Job a l’humilité de reconnaître son erreur. « Je ne fais pas le poids. Je mets la main sur ma bouche ».
Comme Job, il nous faut sortir de notre logique étriquée.


Tu dis : Ce n’est pas possible que Jésus donne sa chair en nourriture. C’est intolérable.
Est-ce tolérable, normal que le monde existe ? Comment l’expliques-tu ?
Est-ce normal que toi, tu existes ?
Comment expliquer toutes ces gentianes, ces edelweiss, ces rhododendrons qui ne sont là que pour égayer ton cœur et ton esprit ?
Comment expliquer l’amour qui naît en toi, qui t’envahit et t’exalte ?
Comment expliquer l’enfant qui naît ?
Dieu ne rabaisse pas Job. Au contraire, il veut l’élever, élargir son horizon.

Non pas nous aliéner mais nous élever


Nous sommes appelés à décoller au-delà de nous-mêmes. Non pas nous aliéner, mais nous élever. Le Christ parle longuement du pain de vie. Le décollage sera long. La grande majorité des disciples l’abandonnent à ce moment-là. Les Douze, eux, font, ce jour-là, un bout de chemin, mais, quand il leur parlera de sa passion, ils ne pourront y entrer.
Le Christ enseigne, et parfois longuement. Il ne désespère pas de leur lenteur à comprendre. Il faudra beaucoup de temps et d’expérience pour qu’ils s’élèvent et saisissent ce qui était au-delà de toute attente : Oui, vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu. Nous pouvons vivre en sa présence, en sa communion, en faisant mémoire de lui, comme il nous a dit de le faire : Prenez et mangez-en tous ; ceci est mon corps. Vous ferez cela en mémoire de moi.

Le défaut de croire que tout est possible à l’homme


Nous avons parlé du défaut de ramener toute chose à notre mesure. Il y a un défaut qui peut paraître son contraire ; celui de croire que tout est possible à l’homme ; il n’y a pas de limite. Sans doute, nous ne croyons plus que la science va rapidement résoudre tous les problèmes de santé ou ceux liés à l’écologie, mais beaucoup pensent que l’homme peut décider par lui-même de ce qui est bien ou mal. C’est fondamentalement le même défaut : tout ramener à nous-mêmes.


Si le message du Christ nous dérange, si, pour une part, il nous semble insaisissable, laissons-nous interpeller : « Tu as les paroles de la vie éternelle ». En quittant nos certitudes limitées, nous marchons vers notre vraie mesure. Avec toi, nous sommes en chemin pour être comme Dieu.

21e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Josué 24, 1-2a.15-17.18b; Psaume 33, 2-3, 16-17, 20-21, 22-23; Éphésiens 5, 21-32; Jean 6, 60-69

Homélie de la fête de l’Assomption, 15 août 2021 ( Lc 1, 39-56 )

Chanoine Jean-Pierre Voutaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Chers Frères et Sœurs,
Marie se rend avec empressement chez sa cousine Elisabeth. Vous avez d’un côté Marie et sa vie, de l’autre côté sa cousine et sa vie. L’empressement de Marie la fait participer à la vie d’Elisabeth. De la même manière, nous qui vivons sur terre, célébrons Marie qui monte au ciel. Nous avons deux scènes séparées, sur terre et au ciel. Les mots de la liturgie permettent de former une fresque en trois dimensions, un arrière-fond, des couleurs, des sons, un empressement intérieur, une joie qui grandit. Les textes de la célébration du jour nous invitent à participer à la vie de Marie.

L’arrière-plan


Marie monte au ciel, corps et âme. Cela concerne à la fois Marie – la Mère de Dieu – également l’Eglise dans son ensemble, appelée à suivre le Christ et sa mère, ainsi que chacun de nous. Notre avenir est avec eux dans le ciel, à brève échéance, puis avec notre corps qui sera glorifié, à la fin des temps. Ces éléments, de foi, sont le canevas, le motif de fond de la fresque.

La lumière (Ap 11)


« Le sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de son alliance apparut dans le sanctuaire » Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles ».
La lumière éblouissante nous fait entrer dans la révélation de Dieu : le ciel est ouvert. Dieu est avec nous, c’est le nom Emmanuel. Dieu nous sauve, c’est la signification du nom de Jésus. Dieu se révèle en communion avec nous. L’alliance, la lumière nous renvoie au temps de Moïse, du buisson ardent d’où émane une lumière qui ne le consume pas. Dieu va parler, Dieu arrive, Dieu s’approche. L’arche d’alliance : une caisse en bois, dorée, contenant deux pierres sur lesquelles est écrite la parole de Dieu. La nouvelle arche d’alliance, Marie s’approche. Elle porte la parole vivante, le Christ. Elle porte Dieu fait chair. Et le dialogue s’instaure dans cette lumière.

Les cris, les douleurs d’enfantement, le dragon rouge feu

La seconde vision de l’apocalypse est un peu effrayante. La femme crie, nous entendons les douleurs d’un enfantement, un dragon rouge feu arrive. Nous sommes dans le langage catastrophique, pas mal utilisé de nos jours en lien avec le vaccin pour lutter contre la pandémie. Depuis le jardin de la genèse, le mal se faufile dans nos vies pour les saboter. Cris de douleur des enfants de Bethléem mis à mort, cris de douleurs des mères qui perdent un enfant, cri de douleurs des couples qui se séparent, cris de douleur dans la solitude et la souffrance, cris de douleur au pied de la croix. Et le Christ vient nous sauver. Angoisses, ténèbres, découragement, étoiles et modèles qui s’écroulent, échecs de nos idéaux, mauvaise estime de soi, burnout, pandémie. Nous sommes dans cette atmosphère de fond. Lorsque Dieu s’approche, le dragon est là pour le dévorer dès sa naissance : irrespect de la vie, solitudes, pauvretés, misères, indifférence des frères et sœurs riches qui passent.

Naissance, joie


Après la lumière et les cris, le dragon rouge, vient la naissance, vient la joie, la vie, le salut, l’espérance forte, l’amour : paix, vie, responsabilité, communion d’amour, entraide mutuelle, resserrement des liens familiaux. Nous voyons aussi des dangers dans le don de la vie, comme le dit le texte : l’enfant est enlevé au ciel et la femme s’enfuit au désert. Nous sommes en présence du lent accompagnement de la vie, de la croissance, parfois des étapes difficiles lors de l’adolescence, le départ des enfants de la maison pour mener leur propre vie. Ces différentes colorations viennent de la liturgie et parlent à nos vies.

Le salut

A la fin de la lecture de l’apocalypse, une voix forte proclame : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! » La victoire est en route. La liturgie de l’Eglise n’est pas à l’eau de rose, elle prend en compte le combat, les difficultés. Le dragon n’a pas le dernier mot. Il est là, présent, mais ce n’est pas lui que nous sommes invités à fixer.

Dynamisme intérieur : entrainement de l’univers (1 Co 15)

La voix forte qui proclame le salut et la victoire de notre Dieu nous communique un dynamisme intérieur. Elle nous invite à avancer comme Marie avec empressement. C’est le sens de la seconde lecture (1 CO 15) : « le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis. » Ce dynamisme intérieur nous prend dans l’aspiration de notre espérance : le ciel c’est pour moi bientôt. Là où est le Christ, là où Marie est arrivée, je suis appelé à y aller aussi (tête et corps de l’Eglise). Et la mort, c’est un peu comme l’ascenseur. On quitte un étage, on ne voit plus rien du tout et l’on change d’étage. En Adam tous les hommes meurent, dans le Christ la vie nous est donnée. Nous sommes invités à voir la mort comme ce passage, cet ascenseur, qui nous fait passer avec empressement de ce monde à la gloire du ciel.

Dynamisme extérieur : route de magnificat

Ce dynamisme intérieur est invité à se refléter dans notre quotidien. C’est toute la démarche de Marie qui va se mettre au service de sa cousine Elisabeth. Lorsque l’on voit quelqu’un qui n’a pas le moral, une petite plaisanterie permet de réveiller la joie. Un coup de téléphone, un service, faire les courses pour quelqu’un… Cet empressement est invité à nous gagner pour que la joie grandisse. Cette joie va transformer notre atmosphère intérieure, comme la flute qui va chanter transporte notre être, le porte plus loin. La beauté nous amène vers l’éternité. Amen.

L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE
Lectures bibliques : Apocalypse 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab; Psaume 44,10bc.11.12ab.16; 1 Corinthiens15, 20-27a; Luc 1, 39-56