Homélie du 1er novembre 2020 (Mt 5,1-12a)

Mgr Jean Scarcella – Abbaye de Saint-Maurice, VS

Mes sœurs, mes frères,

         La fête de la Toussaint se présente toujours comme un petit miracle. C’est comme si un coin de ciel se déchirait et nous permettait de voir quelque chose de la vie cachée en Dieu. C’est comme si le Seigneur voulait que nous puissions mettre en pratique la finale de son enseignement sur les Béatitudes : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ». Oui, il y a de quoi se réjouir si nous voyons cette foule immense de vivants qui sont dans la joie du Père. Cette foule nous enseigne ce que nous sommes invités à devenir, c’est-à-dire un peuple de louange et de communion, qui ainsi atteste du don que Dieu a fait aux hommes. Ainsi l’Église de la terre et l’Église du ciel s’unissent dans une même louange en participant à ce merveilleux chant venant du ciel, et que rapporte le Livre de l’Apocalypse : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » 

Un pèlerinage vers la sainteté

         C’est le chant du bonheur de la sainteté, que nous sommes appelés à chanter en présence des anges. Et pour y parvenir il y a tout un chemin à parcourir : « En marchant au rythme des Béatitudes, nous accomplirons ce pèlerinage vers la sainteté à laquelle Dieu nous appelle », dit un auteur. Parcourir le chemin des Béatitudes, c’est à la fois nous enraciner dans notre vie présente, et à la fois lui donner un horizon. Effectivement les paroles de Jésus ne sont pas d’abord un beau discours chargé d’émouvoir les cœurs ; non, les paroles de Jésus s’inscrivent au cœur du concret de la vie des hommes, prennent place au centre de leurs combats. Pour cela nous avons des armes, les mêmes que Jésus d’ailleurs, et là, sur la montagne, il nous les fournit :

– Être pauvre, pour être capable de considérer la valeur de mon frère, de ma sœur – Savoir pleurer, pour regretter d’une part et compatir d’autre part – Vivre avec douceur, pour laisser à chacun la place que Dieu veut pour lui – Rechercher la justice, pour promouvoir l’égalité entre les hommes, aussi bien dans la qualité de la vie que dans les idées et les progrès – Être capable de miséricorde, pour lutter contre le péché qui empêche d’avancer – Avoir un cœur pur, afin de rechercher honnêtement et de tout son cœur la ressemblance avec celui qui est ”doux et humble de cœur” – Rechercher la paix, seule voie qui conduit au bonheur et donc au paradis ­– Accepter les coups durs, les persécutions, les injustices, faisant d’eux des signes concrets de l’être chrétien appartenant au Christ, qui lui-même a subi le premier des outrages.

Des saints en puissance

         Voilà cet enracinement dans nos vies, frères et sœurs, qui va tracer le chemin conduisant au bonheur éternel, celui de la sainteté. Ainsi, fêtant les saints de l’Église du ciel, nous, membres de l’Église de la terre sommes appelés à contempler cette vision de gloire, ce coin de ciel déchiré que seule notre espérance peut appréhender. Oui, frères et sœurs, nous sommes ”invités à vivre dans l’espérance du renouveau par-delà la mort”. Le soleil se lève chaque jour sur nos vies. Il s’est levé, rayonnant et rempli de la chaleur de l’amour de Dieu, au jour de notre baptême où notre front a été marqué du sceau ; ce « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant », nous a dit le texte de l’Apocalypse. Ce sceau qui fait de nous des vivants, des saints en puissance, puisqu’il nous conforme au Christ lui-même qui nous donne sa propre vie.

         La sainteté pour nous, frères et sœurs, devient une aventure à courir selon les critères du sermon sur le mont des Béatitudes. Notre vie est comme l’ascension de cette montagne qui nous conduira jusqu’à la vision même de Dieu dans la Jérusalem céleste, vision béatifique dont chaque saint au ciel jouit intensément. C’est ce Royaume que Jésus nous a promis et pour lequel il nous a préparés, et y parviendront ceux qui auront vécu les Béatitudes. Ainsi nous voyons que la sainteté procède de Dieu, de sorte que chaque saint, dès ici-bas sur terre – comme nous venons de le dire – mais surtout dans le ciel, reproduit l’image de Dieu d’une manière unique. Tout cela de telle sorte que lorsque nous célébrons tous les saints, ceux du ciel, mais aussi ceux en chemin sur notre terre, nous admirons et adorons notre Dieu, le seul Saint, celui en qui nous puisons notre propre sainteté, puisque nous en sommes marqués dès notre baptême, disions-nous plus haut.

         Notre sainteté, présente en germe et en devenir, s’acquiert par le salut venu du Christ, puisque tous nous sommes nés de son côté ouvert ; nous laissons Jésus nous laver de tout péché par son précieux sang, et nous préparer les robes blanches que nous revêtirons au jour de notre retour de la « grande épreuve », celui de notre résurrection.

         Aujourd’hui nous fêtons les saints, c’est vrai, mais à travers eux c’est la sainteté de l’Église que nous voulons manifester. Dans la communion des saints, l’Église du ciel est toujours liée à l’Église terrestre, et c’est cet échange qui est beau, qui nous stimule sur les chemins de notre propre sainteté, et qui renforce notre confiance dans l’attente du salut.

L’Eucharistie, lieu par excellence de la communion avec les saints

         Et cet échange se vit quotidiennement et d’une manière exceptionnelle dans l’Eucharistie, le lieu par excellence de la communion avec les saints. C’est en elle, que nous sommes « sanctifiés dans la plénitude de son amour », comme l’ont été les saints du ciel. Pour notre part, dit saint Jean : « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » … parce que nous ne sommes pas encore semblables à Dieu, bien que marqués de cette similitude. Et donc c’est par elle que nous recevons la force de croître dans la ressemblance, nourris du Corps du Christ, pour atteindre à la sainteté de Dieu. Enfin, c’est avec elle que nous marchons à la suite de tous les saints vers le salut promis. Oui, en elle vivent tous les saints du ciel, et nous sommes préparés, grâce à ce repas eucharistique, à « passer de cette table où [Dieu] nous a reçus en pèlerins, au banquet préparé dans sa maison ».

Ainsi soit-il !

Fête de la Toussaint
Lectures bibliques :
Apocalypse 7,2-4.9-14; Psaume 23; 1 Jean 3,1-3; Matthieu 5,1-12a

Homélie du 25 octobre 2020 (Mt 22, 34-40)

Mgr Alain de Raemy – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Chers amies et amis, j’ai juste trois choses à signaler.

  1. Jésus a fermé la bouche aux Saducéens, on vient de l’entendre. Ce n’est pas pour autant qu’il les a convaincus. Ils sont bien restés bouche fermée, mais pas bouche bée. Puissions-nous rester bouche bée ! Nous verrons comment.
  2. On demande à Jésus un commandement, le grand commandement, mais voilà qu’il en donne deux… Peut-être une piste pour savoir pratiquer notre religion, même en confinement. On va voir ça.
  3. Et ces deux commandements sont au futur, pas au présent : il est dit « tu aimeras » et non pas « aime » … C’est comme un délai accordé à notre pesanteur pécheresse, tu as le temps… mais en même temps un sacré défi toujours devant.
  • Oui, Jésus a cloué le bec aux Saducéens, ils sont restés bouche fermée.

Ceux-ci voulaient mettre en doute la possibilité de la résurrection des morts. Ils présentent à Jésus l’exemple d’une femme qui a épousé tour à tour sept frères pour leur assurer une descendance…Duquel sera-t-elle alors l’épouse, si les morts ressuscitent ? Et Jésus de dire que nous ne vivrons plus comme ici, nous ne prendrons ni femme ni mari, nous serons comme les anges dans une intensité d’amour incomparable, qui inclut tout le monde sans rien enlever aux relations qui étaient ici-bas privilégiées : le couple ne sera pas moins couple tout en n’étant plus du tout exclusif, mais au contraire totalement inclusif, ouvert à un même amour à tous et pour tous…

En entendant cela les Saducéens se taisent, mais on ne sait pas trop ce qu’ils en pensent, ni ce qu’ils ont vraiment compris… C’est plus par résignation que par conviction. Bouche fermée mais pas bouche bée.

Eh bien, ce qu’il y a de beau quand on a la foi, c’est que ces choses incroyables, ces belles mais surprenantes annonces de l’au-delà, de notre épanouissement éternel, de ce que nous deviendrons après la mort, en notre âme mais aussi en notre corps, ces choses extraordinaires, surnaturelles, eh bien, avec la foi, quand on les entend, elles ne nous ferment pas la bouche ! Au contraire, elles nous laissent la bouche ouverte, bouche bée : ça parait tellement énorme, mais en même temps, ça correspond si profond à notre soif d’accomplissement. Alors on en est abasourdi, on est bouleversé devant une telle perspective d’amour absolu partagé par tous, oui, ébahi, mais on n’en reste pas bouche fermée, on reste bouche bée, épaté ! Et on a envie de l’annoncer !

  • Et nous voici aux deux commandements dans leur rapport au confinement.

Car suite à cette discussion de Jésus avec les Saducéens sur l’inimaginable  résurrection, ce sont alors les Pharisiens qui s’imaginent plus malins. Ils posent à Jésus la question du plus grand commandement. Le piège, c’est que dans la tradition de l’époque, c’était le troisième commandement qui était considéré le plus grand, celui qui impose le repos du sabbat. Pourquoi ? Parce que Dieu lui-même l’avait observé, le septième jour, il se reposa… Et on sait les libertés que Jésus prenait avec les normes du sabbat. Alors les pharisiens en profitent pour l’interroger : « Dis-nous donc Jésus, quel est le plus grand commandement ? » Et voilà que Jésus, plus malin, va répondre sans citer aucun des dix commandements ! Mais il avance cette formule : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » Et il ajoute : « Voilà le grand, le premier commandement. »

Mais il ne s’arrête pas là. Il ajoute un second, mais qui serait le même, tout en étant différent : « et le second lui est semblable », dit-il : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et de conclure : « de ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Permettez-moi d’y voir comme une leçon pour nous, qui risquons à nouveau d’être privés de célébrations communes dans nos églises, comme en Valais où c’est déjà limité à 10 personnes.

Pourquoi ces deux commandements qui n’en font qu’un peuvent-ils nous aider ? Parce que si ces deux commandements n’en font qu’un, aimer Dieu et aimer son prochain, la privation de culte public, la privation de l’Eucharistie célébrée tous ensemble, jeunes et vieux, malades et bien-portants (comme c’est si beau à Lourdes par exemple), la privation d’expression liturgique adressée ensemble directement au Seigneur notre Dieu, cette privation en quelque sorte de célébration du premier commandement en public, en fait elle peut nous plonger à fond dans le même commandement, par le deuxième, celui qui  est donc semblable au premier, son inséparable jumeau : c’est-à-dire l’amour de Dieu vécu en amour du prochain dans plein d’initiatives inédites qui auront le prochain comme sujet. Et une chose est alors sûre : Dieu en sera tout autant le premier sujet concerné, touché, aimé ! Car quand le prochain est aimé, comme soi-même, Dieu est aimé comme lui-même. Et ne serait-ce pas une belle manière d’aimer son prochain dans l’amour de Dieu, que de prendre l’initiative de petits groupes de prière et de solidarité, le dimanche ou le samedi soir, là où je suis, dans mon quartier, Bible ouverte, ouverte à toutes vos méditations partagées ? Et pourquoi l’Eucharistie n’y serait-elle pas aussi amenée, adorée, communiée ?

  • Et enfin, ces deux commandements égaux le Christ ne les formule pas au présent mais il les conjugue au futur. Qu’est-ce à dire ? Non pas : aime ! Mais : tu aimeras. Il y a là de jolies nuances cachées.

Le verbe « aimer » au futur

Car dire « tu aimeras », c’est comme m’en donner le temps. Tu n’es peut-être pas encore capable d’aimer, comme cela, sur commande, tout de suite. Alors, c’est comme si Jésus nous disait : prends ton temps, tu y arriveras, de petit pas en petit pas, de chute en relèvement. Ne désespère pas. Je suis là avec toi. Tu n’aimes pas ? Attends, on y arrivera, tu aimeras. Oui, ce « tu aimeras », c’est bien Dieu qui marche avec nous, à notre rythme. Afin que nous parvenions à aimer, petit à petit, avec des reculs et des avancées, mais à aimer quand même, à l’aimer lui et les autres, toujours mieux de nous-mêmes, comme des grands, comme des saints.

Et ce verbe aimer au futur, « tu aimeras », c’est aussi annoncer que c’est illimité, c’est entrer dans une sacrée aventure. Commencer à vraiment vouloir aimer ce sera ne jamais pouvoir s’arrêter. C’est apprendre que l’on pourra toujours plus, beaucoup plus, et un jour, au dernier jour, infiniment plus aimer.

Et nous revoici au début de cette méditation, avec l’épatant mystère de la résurrection : c’est-à-dire le seul véritable épanouissement de notre nature humaine, quand, au Ciel, elle sera enfin ce qu’elle est en-elle-même : image et ressemblance de Dieu, et alors pour l’éternité directement avec lui, avec tous, à jamais !

30e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Exode 22, 20-26; Psaume 17, 2-3, 4.20, 47.51ab; 1 Thessaloniciens 1, 5c-10; Matthieu 22, 34-40