En Grèce, le pape François a tendu des perches de réconciliation aux orthodoxes. Ici avec  l'archevêque Hiéronymus II à Athènes le 4 décembre 2021 | © Keystone
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«À Athènes, le pape François a tendu deux perches aux orthodoxes»

Le pape François a exprimé la «honte» de l’Église catholique et a demandé pardon à ses frères orthodoxes lors de sa rencontre avec l’archevêque d’Athènes Hiéronymus II, le 4 décembre 2021. Décryptage d’un discours historique avec selon Carol Saba, Avocat au Barreau de Paris et Responsable de la communication de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France.

La demande de pardon du pape François devant l’archevêque d’Athènes Hiéronymus II est-elle historique ?
Elle se situe dans un processus historique de réconciliation entre le monde orthodoxe et catholique. Et je reconnais dans le pape François le fils spirituel de Jean XXIII, le «bon pape», qui connaissait très bien le monde orthodoxe pour avoir été notamment nonce apostolique en Bulgarie. Il avait aussi connu à Constantinople le grand patriarche œcuménique Athenagoras. L’impulsion de Jean XXIII avait ouvert un chemin qui conduisit à la rencontre historique entre son successeur, Paul VI, et Athenagoras à Jérusalem en 1964.

Nous sommes toujours dans cette lignée. Et nous pouvons également mettre en perspective la séquence d’aujourd’hui avec la demande de pardon de Jean Paul II en 2001. Il l’avait adressée solennellement à l’emblématique Christodule Ier lors de son voyage historique à Athènes.

Qu’est-ce que vous retenez de particulier dans ce discours ?
Je trouve très intéressant chez le pape François l’emploi du terme «honte». C’est un mot très fort qui rappelle combien les décisions – ou les omissions – des catholiques par le passé ont pu heurter et blesser la communion entre les Églises.

Par ailleurs, je remarque que le pape François a conclu son discours en parlant de synodalité, expliquant que l’Eglise catholique commençait un chemin synodal et que le monde orthodoxe avait beaucoup à lui apprendre. Cela parle aux orthodoxes. En somme, aujourd’hui, le pape a tendu deux grandes perches au monde orthodoxe.

L’archevêque d’Athènes, dans son discours qui précédait l’allocution du pape, a semblé demander des excuses de l’Église catholique concernant son attitude durant la guerre d’indépendance du pays au début du XIXe siècle… Que s’était-il passé? Le pape François lui a-t-il répondu?
La Grèce et la culture hellénique sont à la base de la culture européenne. Mais paradoxalement, il y a toujours eu chez les Grecs une certaine appréhension vis à vis de l’Occident, comme un certain ressentiment. Cela ne date pas d’hier.

En 1453, au moment de la chute de Constantinople, on attendait une certaine aide de l’ouest et des frères chrétiens pour lutter contre la menace ottomane. Au début du XIXe, quand le mouvement de résistance et de libération nationale en Grèce a commencé à émerger, on aurait également aimé recevoir une aide de l’Occident pour pouvoir résister et se détacher de l’Empire ottoman. Dans ce mouvement de libération, l’Église catholique n’a pas joué le jeu. C’est à cela que l’archevêque d’Athènes a fait allusion.

Ce n’est pas quelque chose de neutre que d’y faire référence explicitement. On sait que le monde orthodoxe est actuellement sous tension, traversé par des courants. On a retrouvé à l’intérieur même de l’Église grecque beaucoup de critiques concernant cette visite du pape François.

Par ailleurs, on remarque que Hiéronymus II a, dès le début de son discours, précisé que la visite du pape en Grèce était une visite d’État. Le chef de l’Église catholique est donc invité par la République grecque et non pas par l’Église orthodoxe. Ce n’est pas non plus anodin de commencer un discours ainsi. Et c’est peut-être pour donner des gages à certains.

Les deux responsables religieux ont parlé des migrants, mais leurs positions semblent diverger. L’archevêque d’Athènes est-il septique devant le discours du pape François sur la question migratoire?
Vue d’Athènes, la situation n’est pas la même que vue de Rome. L’archevêque d’Athènes a choisi d’orienter davantage son discours sur l’aspect politique de la question migratoire. Bien sûr, l’accueil, la fraternité et la charité sont des dimensions acquises et partagées par les deux Églises. Ce n’est pas contesté. Mais le propos de Hiéronymus II était situé sur un niveau politique. Il a voulu parler des risques de l’instrumentalisation des flux migratoires, pointant nommément du doigt l’attitude de la Turquie.

Je pense qu’il a voulu tenir un discours de vérité. La question migratoire n’est pas qu’une question humanitaire mais c’est aussi une question politique. Les orthodoxes grecs ont conscientisé cette dimension, car ils vivent la réalité des migrations au quotidien. On la retrouve donc plus présente dans le discours de l’archevêque que dans celui du pape François.

Faut-il y voir une critique voilée du discours du pape François?
Je le pense. Car une chose est d’avoir des idéaux, une autre est d’être aux responsabilités et de faire face à la réalité des flux. L’archevêque a rappelé qu’il fallait prendre en compte tous les enjeux de la question migratoire – géopolitiques et géostratégiques, par exemple. La question de la «bombe humaine» et de ce jeu de la Turquie devant l’Union européenne avec les migrants mérite d’être analysée. (cath.ch/i.media/hl/cmc)

   
En Grèce, le pape François a tendu des perches de réconciliation aux orthodoxes. Ici avec l'archevêque Hiéronymus II à Athènes le 4 décembre 2021 | © Keystone
5 décembre 2021 | 12:31
par I.MEDIA
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