Suisse: Le désendettement créatif a fait son chemin en 10 ans

APIC Interview

Le concept du Prof. Villet appliqué dans une douzaine de pays

Par Pierre Rottet

Professeur d’économie politique à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Fribourg, Maurice Villet s’est penché sur le problème de la dette des pays les plus pauvres. C’est lui qui est à l’origine du concept de «désendettement créatif» par le biais d’un fonds de contrepartie. Cette idée a été reprise en 1991 par les ?uvres suisses d’entraide, puis par la Direction du développement et de la coopération (DDC) dans le cadre du 700e anniversaire de la Confédération. Une idée qui a fait son chemin depuis dans une douzaine de pays dans le monde, dont 6 en Afrique.

Si on effaçait l’Afrique de la carte du monde, les milieux d’affaires occidentaux s’en apercevraient à peine, affirmait un jour la sociologue des Etats-Unis Susan George. Est-ce encore vrai aujourd’hui?

Prof. Villet: Oui. Une constatation parle peut-être mieux que n’importe quel discours: le revenu de l’ensemble des pays africains, et principalement d’Afrique noire, est inférieur à celui de la Suisse.

APIC: Il y a une douzaine d’années, les ?uvres suisses d’entraide avaient recueilli 250’000 signatures pour soutenir leur pétition «Le désendettement: une question de survie». Cela à partir d’un instrument de travail élaboré par vos soins.

Prof. Villet: L’idée d’un désendettement créatif est partie d’une préoccupation des organismes d’entraide, trois ans avant l’initiative lancée dans le cadre du 700e anniversaire de la Confédération, en 1991. Cela à partir d’un projet de recherche effectivement élaboré à Fribourg. Présenté dans un premier temps au Fonds national de la recherche, le projet a ensuite été réalisé en collaboration avec l’Institut d’éthique sociale de la FEPS (Fédération des Eglises protestantes de Suisse), puis mis sur pied avec deux assistants. Dès le départ, il a fallu prendre en compte la dimension éthico-économique du problème, mais aussi faire en sorte que ce projet de désendettement soit admis par la population suisse. Pour faire passer l’idée, il était nécessaire d’établir des coresponsabilités, à savoir que l’endettement n’est pas qu’une responsabilité des pays en voie de développement, mais aussi celle des bailleurs de fonds.

APIC: L’idée a fait son chemin, au point que la Direction du développement et de la coopération (DDC) a décidé de la prendre à son compte. Un peu en vous mettant à l’écart?

Prof. Villet: Pas vraiment. L’idée d’un fonds de contrepartie a été, il est vrai, traitée à l’Université de Fribourg. Elle reste aujourd’hui, plus de 10 ans après, un des instruments de désendettement. Dans sa phase de concrétisation, il était impératif de faire appel à d’autres institutions, étant donné que l’Université ne disposait pas des outils nécessaires pour le faire. Qui impliquer, dès lors, sinon le secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco), la Direction du développement et de la coopération (DDC) et une ONG, la communauté de travail des ?uvres suisses d’entraide (Swissaid/Action de Carême/Pain pour le Prochain/Helvetas/Caritas). Dès les premières applications, j’ai personnellement fait le déplacement en Bolivie et au Pérou, pour me rendre compte du fonctionnement. Des rapports sont partis à Berne. Mais en aucun cas je n’ai cherché à me remettre en selle. Je n’avais ni les moyens ni les structures.

APIC: On peut supposer que des exigences ont été émises pour ne pas faite n’importe quoi avec ce fonds de contrepartie?

Prof. Villet: Si l’on désendette, il faut que les fonds ainsi épargnés puissent être utilisés pour des projets de développement, pour la lutte contre la pauvreté, pour des infrastructures sociales destinées à un ensemble de population et non pas uniquement à des classes privilégiées. Autre exigence, la création de ce fonds devait se faire avec le budget de l’Etat concerné, et surtout ne se réaliser au détriment des dépenses sociales, ni être constitué par le biais de la banque centrale, de la «planche à billets».

APIC: Le fonds sera un jour épuisé. Pourquoi ne pas avoir mis l’accent sur le problème de la dette en général.

Prof. Villet: C’est un problème, effectivement, car lorsque la dette est effacée, une fois le fonds utilisé, il n’y a tout simplement plus rien. Reste le désendettement par le biais du multilatéral. On peut certes penser à une plus grande efficacité. Mais ce sera aussi plus coûteux, car il faudrait alors racheter la dette à sa valeur nominale, sans compter qu’on «désendettera» moins.

APIC: L’argent du fonds de contrepartie a servi ou sert à quoi?

Prof. Villet: Il n’y a pas de réalisations grandioses. Ce qui a avant tout été réalisé tourne autour de petits projets, parce que nous avons d’emblée mis l’accent sur l’aide aux petits paysans, à des micros entreprises. Cela semble modeste. Mais il s’agissait là d’une volonté délibérée: nous concentrer sur la lutte contre la pauvreté. Il ne fallait surtout pas que l’aide ainsi conçue favorise le développement d’infrastructures dont le peuple ne bénéficiera jamais. Et puis il y a eu tellement de mauvaises aides. De l’argent a été versé pour construire des sucreries grand luxe dans des pays qui n’avaient ni betteraves ni cannes à sucre. On a construit des aciéries dans certains pays alors qu’il fallait importer à la fois le minerai et le charbon. Les effets pervers d’aides non réfléchies ont permis l’achat d’armes, favorisé l’enrichissement de politiciens et la corruption de gouvernements. Corriger aujourd’hui ces erreurs n’est pas chose facile.

APIC: Quid de l’éthique dans l’économie?

Prof. Villet: L’injustice est un thème énormément travaillé par les grands économistes. L’éthique n’est pas toujours intégrée, mais elle devrait faire partie de tout cours d’économie. Une réussite économique à long terme ne peut pas ne pas tenir compte des injustices. Une économie ne peut avoir pour système de fonctionnement la corruption. Je ne suis pas sûr que le politique prenne toujours en considération l’humain, et pas beaucoup plus la grande entreprise économique. Cette dernière, pourtant, n’a de toute façon pas intérêt à négliger le capital humain.

APIC: Dans le cadre d’un colloque en avril 91 à l’Université de Fribourg, vous déclariez que «si l’intérêt pour l’enseignement social chrétien a eu tendance a diminuer ces dernières années, le rectorat espère que ce colloque pourra lui redonner un élan dans les différentes Facultés». Vous étiez alors vice-recteur. Cela s’est-il réalisé?

Prof. Villet: Plusieurs projets sont en cours et leur réalisation souffre souvent d’un soutien trop timide, malgré l’excellence de leur niveau. Je crois que nous aurions de la peine, ici à l’Université, à mettre sur pied une grande manifestation qui viserait à débattre des problèmes éthiques, liés à l’homme et aux injustices dans l’économie.

APIC: Avec votre conception de l’économie, n’êtes-vous pas marginalisé à l’Uni?

Prof. Villet: Je n’irais pas aussi loin, même si seuls quelques collègues partagent ma conception humaniste de l’économie.

Pérou: 10’000 «disparus» pendant la «guerra sucia»

La Commission d’enquête à la recherche des 182 fosses communes

Lima, 21 février 2002 (APIC) Une commission gouvernementale péruvienne cherche à établir les responsabilités sur les quelque 30’000 morts et plus de 10’000 «disparitions» durant ces 20 dernières années, résultat du conflit entre les guérilleros rebelles et les militaires. Aujourd’hui encore, de nombreuses fosses communes sont mises à jour. On y retire des corps, la plupart abattus par l’armée.

La Commission de vérité et de réconciliation qui comprend 12 membres – et parmi eux deux prêtres catholiques et un pasteur évangélique – a commencé ses travaux le mois dernier dans le but de «rétablir la dignité et garantir l’administration de la justice», a déclaré son président, Salomon Lerner, recteur de l’université catholique du Pérou.

Le Pérou a connu 20 années de violences causés par les affrontements entre terroristes, militaires et paramilitaires – et notamment les rebelles du Sentier lumineux, du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) – et la répression impitoyable des forces dites de sécurité.

«Il est temps de cicatriser les blessures de ceux qui ont été abandonnés par le reste du pays», a souligné à l’Agence ?cuménique ENI un membre de la Commission, le pasteur Humberto Lay, des Assemblées de Dieu. La priorité de la Commission, a-t-il rappelé, est d’abord d’entamer «un processus de guérison» et non de prendre des sanctions à l’encontre des responsables, dont beaucoup sont des militaires, qui jouissent tous de l’impunité.

Les conclusions de la Commission seront transmises aux autorités judiciaires. La Commission de la vérité a été officiellement mise en place en juin 2001 et doit, avant juillet 2003, terminer sa tache et présenter son rapport final. Elle se penchera sur trois périodes: les régimes de Fernando Belaunde (1980-85), d’Alan Garcia (1985-90) et d’Alberto Fujimori (1990-2000).

Les membres de la Commission ont précisé qu’ils allaient enquêter sur toutes les parties impliquées dans la violence: groupes subversifs, forces militaires et policières et groupes paramilitaires. La Commission doit interviewer les trois présidents concernés, et les chefs des mouvements de guérilla – Abimael Guzman du Sentier lumineux, et Victor Polay, du MRTA – aujourd’hui en prison.

Réduits au silence

La Commission a ouvert plusieurs bureaux – quatre régionaux et un à Lima – au début de l’année. Plusieurs équipes mobiles se déploient sur les hauts plateaux des Andes et dans la foret amazonienne pour recueillir des témoignages.

«Nous cherchons à donner une voix à ceux qui ont été réduits au silence» a déclaré l’anthropologue Carlos Ivan Degregori, membre de la Commission.

L’une des premières actions de la Commission a été d’exhumer huit corps enterrés dans une fosse commune à Chuschi, à quelque 560 kilomètres de Lima, qui seraient ceux d’hommes tués par un escadron militaire en 1983. Chuschi est aussi le site de la première action militaire des guérilleros du Sentier lumineux en 1980.

Selon les chiffres du Bureau du médiateur du Pérou, au moins 182 fosses communes, dont certaines contiennent des centaines de corps, sont dispersées et cachées à travers le pays. Il est peu probable, fait remarquer Sofia Macher, membre de la commission, que les disparus soient retrouvés, car leurs corps auraient été lancés dans l’Amazone ou laissés à l’abandon dans la jungle.

Les membres de la Commission de la vérité sont actuellement en Europe, ou` ils essaient d’obtenir une aide politique et financière de la part d’agences gouvernementales et non gouvernementales. (apic/eni/pr)

21 février 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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APIC – Interview

Maurice Page / Agence APIC

Jean-Adalbert Nyeme Tese, théologien zaïrois (220393)

«L’Afrique ne peut pas continuer à patauger!»

Lausanne, 22mars(APIC) L’Afrique ne peut pas continuer à patauger, à

s’appauvrir toujours. Jean-Adalbert Nyeme Tese, prêtre et théologien zairois estime que la démocratisation nécessite une véritable conversion… et

le départ du président Mobutu. L’abbé Nyeme Tese, invité en Suisse de

l’Action de Carême, a participé pendant un an aux travaux de la Conférence

nationale souveraine du Zaïre.

Ce vaste palabre regroupant près de 3’000 personnes a débattu de l’avenir du pays. Doyen de la nouvelle Faculté des sciences et techniques du développement à Kinshasa, l’abbé Nyeme Tese souhaite un nouveau départ pour

l’Afrique et explique comment l’Eglise catholique est au centre des débats.

APIC: La théologie a un rapport direct avec la vie sociale et le développement?

N.T. Etre théologien ne peut signifier vouloir faire de la théologie comme

ici en Europe. La théologie doit servir à libérer le peuple. Les périodes

de colonisation, en commençant par la traîte des noirs, ont destructuré nos

sociétés et les ont orientées dans le sens des intérêts de l’Occident.

Malheureusement, les indépendances africaines ont échoué. Elle ont conservé des économies, des politiques, des cultures tout à fait orientées

vers les métropoles européennes. Les dictatures, les égoïsmes, les partis

uniques n’ont pas permis un partage du pouvoir. Aujourd’hui, l’Africain est

arrivé à un moment de maturité, d’examen de conscience. L’Afrique ne peut

pas continuer à patauger, à s’appauvrir toujours. Elle ne peut pas rater le

tournant décisif de la démocratisation. Les chrétiens doivent s’engager

dans ce processus avec compétence et avec la détermination de faire le

bien.

APIC: Le développement doit venir de la base?

N.T. Lors de la colonisation et ensuite lors de de l’indépendance, on a

continuellement arraché au milieu rural ses capacités et ses initiatives.

Je suis en train d’écrire un livre sur l’agonie des villages. Nous devons

trouver des structures qui permettent aux villages de participer au développement et de constituer une alternative par rapport à l’industrialisation, aux villes etc. Les intellectuels doivent avoir beaucoup d’humilité

et d’amour pour rentrer dans les villages et cheminer avec eux sans prétentions basées sur des diplômes. Si le développement n’est pas l’affaire des

gens, sitôt que vous partez tout disparaît.

Il faut aider les gens à sortir d’un économie villageoise orientée sur

la subsistance et l’économie locale, pour passer à un système commercial où

l’on produit plus et où on se spécialise. Il faut développer le crédit et

le maîtriser afin de pouvoir résister au niveau mondial. Pour développer

l’Afrique, il faut beaucoup de dialogue.

APIC: Le développement passe aussi par les femmes?

N.T. 80% du travail domestique est assuré par la femme. C’est trop écrasant. Il faut réquilibrer les choses. Nos cultures ne sont pas toujours

parfaites. Le travail de formation et de conscientisation est très important. Si on donne un souffle nouveau aux femmes, l’Afrique pourra partir

d’un bon pas.

APIC: La démocratie et la participation au pouvoir sont aussi des éléments

clés du développement?

N.T.On ne peut pas continuer à vivre dans un monde moderne avec une mentalité ancienne qui ne voit que ses intérêts immédiats. Il faut une conversion profonde. Jusqu’à présent le pouvoir économique et politique est ressenti dans les villages comme quelque chose qui leur échappe totalement.

Autrefois quand il avait des problèmes dans le village tout le monde se

sentait impliqué. Aujourd’hui on assiste à une prise de conscience. On ne

peut pas laisser les problèmes du pays seulement aux politiciens, aux gens

des villes: ce sont les problèmes de tous. Il faut dépasser l’esprit tribal

pour raisonner en terme national. La déportation des Kasaïens du Shaba, au

sud du pays, a provoqué la fermeture de toutes les usines, car ils occupaient des postes élévés de techniciens. Renoncer aux réactions épidermiques

et voir à plus long terme est une nécessité. Le fédéralisme ne signifie pas

division, ni sécession, mais une façon de gérer en respectant le principe

de subsidiarité.

APIC: Quel a été le rôle de la Conférence Nationale souveraine – dont vous

avez été membre – dans cette prise de conscience?

N.T. La Conférence nationale souveraine (CNS) a clôturé ses travaux le 7

décembre 1992. Elle a donné au peuple une conscience nouvelle. Près de

3’000 personnes représentant toutes les couches de la population y ont participé. Nous avons d’abord fait «l’autopsie», et dénoncé ce qui ne va pas,

nous nous sommes dit nos quatre vérités. Nous ne pouvons plus toujours accuser la colonisation. Cela a été un grand palabre.

23 Commissions ont étés créées. J’ai présidé moi-même la commission

d’éthique. Les rapports ont permis de définir des priorités dans le domaine

politique, de l’éducation, de l’agriculture, de la femme, de l’eau et des

forêts, etc. Les valeurs et les principes éthiques ne peuvent être laissés

de côté. Les échecs de nos indépendances viennent souvent de leur abandon.

La CNS a laissé trois institutions importantes: le parlement de transition ou Haut Conseil de la République, désigné pour deux ans, et présidé

par Mgr Monsengwo, le gouvernement d’Etienne Tsishekedi et la présidence

laissée à Mobutu pour deux ans encore, mais sans possibilité de gouverner.

Toutes les difficultés actuelles viennent de son refus de respecter la décision de la CNS. S’il était honnête avec lui-même, après plus de de 25 ans

au pouvoir il devrait pouvoir dire: «Si j’ai eu un rêve pour mon pays, j’ai

eu le temps de le réaliser». Notre pays riche est maintenant classé parmi

les plus pauvres du monde. S’il a l’amour de la patrie et le respect de

lui-même, il devrait se retirer et laisser les strucutres fonctionner.

APIC: Quel est le jeu de l’armée?

N.T. La CNS a demandé une réforme totale de l’armeé. Elle doit recruter

dans tout le pays et être une armée du peuple et non pas protèger un individu ou un groupe. L’armée doit également participer activement au développement.

APIC: Comment l’Occident peut-il contribuer au processus de démocatisation?

N.T. Nous comptons beaucoup sur la solidartité internationale. Le peuple

sans armes s’est exprimé, il veut des changements profonds, des structures

démocratiques. La CNS a publié des rapports sur les «biens mal acquis», sur

les assassinats, sur les violations des droits de l’homme selon des critères objectifs. Mobutu y est clairement disqualifié, mais il veut se maintenir coûte que coûte, il a toujours l’armée et l’argent. Les pays d’Europe

ne peuvent-ils pas avoir un droit d’intervention humanitaire? On a agit aux

Philippines, pourquoi n’agit-on pas au Zaïre? Pourquoi deux poids deux mesures? Mais Mobutu a tellement investi en Europe qu’on ne peut pas faire

grand chose contre lui. Il a également autour de lui un groupe de bénéficiaires qui luttent parce qu’ils craignent un éventuel jugement. Le peuple

Zaïrois s’est montré très généreux en accordant à Mobutu encore deux ans de

règne. S’il avait respecté la décision démocratique, je crois même qu’on

lui aurait pardonné.

APIC: Quel est le rôle de l’Eglise dans la phase de transition actuelle?

N.T. A un moment donné, on ne savait pas si l’Eglise était complice du pouvoir ou non. Aujourd’hui, elle a pris parti de façon claire pour dénoncer

les injustices et les violations des droits de l’homme et s’est engagée de

façon résolue dans le processus de démocratisation. Elle a acquis la confiance du peuple. C’est pourquoi on lui demande, en la personne de Mgr Monsengwo, d’être un arbitre de la situation.

L’Eglise doit également être elle-même plus ouverte à une certaine démocratie et à la transparence dans sa gestion. Les documents préparatoires du

Synode pour l’Afrique insistent pour que l’Eglise soit portée par nos peuples. Pour cela il faudra accepter beaucoup de sacrifices pour vivre non

pas au dessus de la population, mais à son niveau. L’Eglise avec l’aide de

l’étranger s’est trop souvent placée à un niveau supérieur, dans ses constructions par exemple.

APIC: Outre la question de la justice et de la paix, un des point centraux

du Synode pour l’Afrique sera le thème de l’inculturation, comment est-elle

vécu au Zaïre?

N.T. L’inculturation est devenue une nécessité vitale pour l’Eglise zaïroise. Elle se vit de façon spontanée dans la prédication, dans les expressions, les gestes, les symboles. Elle est ressentie comme allant de soi si

nous voulons être authentiquement chrétiens et africains. Il serait inconcevable de trouver dans nos églises des statues provenant d’Europe par

exemple.

L’inculturation se situe aussi à un deuxième niveau, celui de la réflexion des théologiens et des évêques et pasteurs. Ainsi le rite zaïrois de

la messe est un effort pour rencontrer l’âme africaine. Pour la lecture de

l’Evangile, par exemple, tout le monde s’assied, car en Afrique c’est une

attitude de respect quand quelqu’un parle. Le dialogue continuel entre le

célébrant et l’Assemblée vient du palabre.

Autre aspect important: le sens de la communauté. En Afrique, l’homme

n’est jamais seul, il est toujours avec sa famille, sa communauté. Cet

aspect compte particulièrment lors de l’engagement dans la vie sacerdotale

ou religieuse. Le candidat est «offert» par sa communauté qui en reste la

garante.

Dans un sens plus large, le christianisme tel qu’il a été enseigné jusqu’à présent n’a pas totalement recouvert certaines aspirations profondes

de l’âme africaine. En Afrique, la santé et la maladie par exemple ne sont

pas des choses tout à fait profanes comme c’est le cas en Occident mais ont

un rapport étroit au sacré. La guérison dépend des médicaments, mais aussi

de la relation avec les autres. Les sectes l’ont bien compris et en ont

fait leur terrain privilégié. Pourtant théologiquement dans la tradition

chrétienne, les sacramentaux sont des moyens disponibles. Nous devons les

mettre en valeur dans ce milieu où ils sont ressentis comme une nécessité.

Si les populations ont des besoins auxquels nous ne répondons pas, cela

amène finalement des défections. La question de la sorcellerie ne peut pas

être résolue de façon superficielle en affirmant «cela n’existe pas». La

sorcellerie montre que l’homme peut vouloir du mal à autrui, peut avoir un

coeur «noir». L’exploitation du Sud par le Nord peut se traduire en ces

termes. Le Nord qui n’a pas un coeur disposé au bien est «sorcier» par rapport au Sud. Il faut que l’Africain sente qu’il est compris et que ses problèmes sont portés devant le Christ, Fils de Dieu, qui devient libérateur.

Chaque culture se convertit au Christ. (apic/maurice page)

22 mars 1993 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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