Le Cambodge avec les yeux de Mgr Destombes, vicaire apostolique de Phnom Penh
APIC Interview
Une Eglise catholique à visage cambodgien
Propos recueillis par Jean-Claude Noyé
Phnom Penj, 25 juillet 2002 (APIC) C’est au 787 boulevard Monivong, artère principale de Phnom Penh, que réside l’évêque français Emile Destombes. Prêtre de la société des Missions Etrangères de Paris (MEP). Vicaire apostolique de Phnom Penhen, en remplacement de Mgr Ramousse, il est également vice-président de la Conférence épiscopale Cambodge-Laos. Arrivé au Cambodge fin 1964, il avait été chassé avec les autres missionnaires étrangers en avril 1975 par les Khmers rouges, avec les autres missionnaires étrangers. Dans quel état d’esprit ? Interview.
Mgr Destombes: Nous étions comme le chêne coupé de ses racines et ce fut dur de quitter ce peuple car nous avions de vives inquiétudes pour lui. Les événements nous ont hélas donné raison. Je n’oublierai jamais le spectacle poignant de la déportation de la population de Phnom Penh vers les campagnes: la foule silencieuse et résignée en colonne interminable encadrée par ces jeunes guerriers au maoïsme radical, prompts à tuer les rares récalcitrants.
APIC: De retour à Phnom Penh en 1990, comment avez-vous retrouvé l’Eglise catholique ?
Mgr Destombes: En ruine. Seules deux églises et quelques chapelles avaient échappé à la destruction. Toutes les autres, dont la cathédrale de Phnom Penh, ont été rasées. Les communautés catholiques, alors regroupées autour de villages, ont payé un large tribut à la guerre. Il y avait deux évêques et 3 prêtres cambodgiens (l’évêque et les cinq prêtres autochtones). Ils ont disparus. Les survivants étaient dispersés, les écoles et institutions catholiques confisquées. Quant au traumatisme subi par la population, il est tel que l’on peut dire que le Cambodge est un pays qui a gardé son âme mais dont le ressort a été cassé.
APIC: Quel visage avait l’Eglise avant la grande destruction?
Mgr Destombes: Le nombre des églises et cathédrales construites pendant l’époque coloniale étaient disproportionné par rapport au nombre réel des fidèles. Cela donnait à l’Eglise une image de puissance qui nuisait à son rayonnement évangélique et contribuait à la faire percevoir comme une Eglise étrangère: l’Eglise des Européens mais aussi des Vietnamiens catholiques, au nombre de 60’000 avant les événements. La liturgie se faisait en khmer ou en vietnamien.
APIC: Comment s’est-elle reconstruite?
Mgr Destombes: La guerre et son interdiction pendant 15 ans lui ont paradoxalement permis de repartir sur des bases plus saines. Démunis, plus dispersés, les catholiques sont aujourd’hui davantage réinsérés dans la population et plus à même d’être le sel de la terre. Ils sont au même niveau que les autres Cambodgiens et l’Eglise, plus pauvre, est plus évangélique. Nous avons résisté à la tentation de reconstruire rapidement une Eglise «clefs en mains», donc étrangère. Les responsables pastoraux ont plutôt choisi, face à l’absence de prêtres hommes-orchestres, de construire avec les communautés une Eglise à visage cambodgien. Les fidèles, après 15 ans de «dressage» communiste, ont réappris à prier ensemble et à s’exprimer. Ces communautés, souvent très petites, se prennent en charge via des comités qui assument les trois missions de l’Eglise: célébrer, transmettre la foi et manifester l’amour du Christ pour les plus pauvres. De fait, la plupart des nouveaux fidèles se sont convertis suite à l’aide désintéressée que les chrétiens leur ont apportée dans des situations de détresse. Chaque année, un synode réunit pendant une semaine des représentants de toutes les communautés. Cette démarche a permis de mettre en route un processus d’inculturation, afin que les catholiques ne soient plus accusés de pratiquer une religion étrangère. Les fidèles ont adopté la position assise à même le sol, comme à la pagode. Les gestes religieux sont limités au salut bouddhique, mains jointes devant la poitrine, et au signe de croix et on utilise des bâtonnets d’encens pendant le rituel. Par ailleurs, les fidèles chrétiens fêtent les grandes fêtes nationales comme le Nouvel An ou la Fête des morts (Pchum Ben), sur laquelle nous avons calé la fête de la Toussaint. Toute la liturgie est en langue khmère et un important travail de traduction de la Bible, des lectionnaires, missels et rituels a été conduit à bien. Enfin, l’ordination sacerdotale de quatre prêtes khmers le 9 décembre 2001 – les premières depuis près de trente ans – a été pour nous un signe très encourageant.
APIC: Comment caractériser cette Eglise?
Mgr Destombes: Ultraminoritaire, – les 26’000 fidèles représentent 0,05% de la population – elle est plutôt catéchuménale: la moitié des 300 personnes qui demandent chaque année le baptême sont des adultes. Les communautés sont dynamiques et les jeunes présents à part égale avec les moins jeunes. L’Eglise catholique accomplit un vrai travail social de proximité, que ce soit auprès des malades, en matière de scolarisation, d’alphabétisation ou de formation technique. N’oublions pas que le Cambodge est l’un des pays les plus pauvres de la planète et que son développement est miné par une corruption quasi généralisée. La prostitution et la délinquance sont en hausse dans les villes, l’analphabétisme dans les campagnes est considérable, la malnutrition est cause d’une mortalité importante et on dénombre 36’000 personnes victimes des mines antipersonnels. Les problèmes ne manquent pas et la vie quotidienne de la plupart des Cambodgiens ressemblent à une course permanente pour la survie. En réponse, nous cherchons à promouvoir des projets de développement que les communautés peuvent prendre en charge elles-mêmes. Reste une difficulté de taille pour l’Eglise.
APIC: Laquelle?
Mgr Destombes: Les immigrés vietnamiens représentent les deux tiers des catholiques de ce pays. C’est un obstacle de taille à notre effort pour enraciner l’Eglise dans les réalités cambodgiennes. Pourquoi? Parce que ce grand nombre contribue à ce que les Khmers perçoivent l’Eglise comme étrangère. Il faut comprendre que Vietnamiens et Cambodgiens sont très différents par la culture, la langue et la religion. Les Cambodgiens pratiquent le bouddhisme dit du Petit Véhicule, ou bouddhisme Theravada, les Vietnamiens le bouddhisme dit du Grand véhicule ou Mahayana. Les Khmers appartiennent à l’Asie brune ou Asie de la main, sous influence indienne, les Vietnamiens à la sphère de l’Asie blanche ou Asie des baguettes, sous influence chinoise. En outre, les Khmers ont souvent subi le joug domination vietnamien. Ils ont vécu l’occupation vietnamienne de 1979 à 1989 comme une grande humiliation. En d’autres termes, les Vietnamiens sont aux yeux des Khmers des ennemis potentiels et qu’ils soient catholiques ou non n’y change rien. Concrètement, lorsque des Vietnamiens viennent nombreux dans une paroisse, les Khmers tendent à la déserter.
APIC: Quelle réponse apportez-vous?
Mgr Destombes: La mission de l’Eglise est de travailler à la réconciliation entre cambodgiens des différentes factions qui ont mené une guerre fratricide pendant vingt cinq ans. Et dans l’Eglise plus particulièrement, la réconciliation entre les catholiques cambodgiens minoritaires et les catholiques vietnamiens majoritaires. C’est ce que nous essayons de faire en demandant aux vietnamiens de s’insérer dans le pays, d’utiliser la langue du pays et de se conformer aux coutumes du pays: en un mot d’être des missionnaires.
APIC: Avec les Cambodgiens profondément attachés au bouddhisme, l’Eglise ne peut faire l’économie du dialogue interreligieux.
Mgr Destombes: Bien évidemment. Mais ce dialogue est surtout un dialogue de vie, au jour le jour. Le bouddhisme a été mis à terre par vingt ans de conflits et il a du mal à se relever. On ne compte guère aujourd’hui que deux ou trois bonzes à la figure marquante, désireux de moderniser une tradition largement sclérosée en pratiques populaires superstitieuses visant à acquérir des mérites pour obtenir une meilleure réincarnation. Ici, la tradition veut que les hommes séjournent à la pagode comme bonze avant de se marier. Mais ils accomplissent cette démarche moins à des fins spirituels que pour remercier leurs parents et acquérir des mérites. Autrefois la pagode servait d’école (pour les garçons uniquement). Aujourd’hui ce sont surtout les familles pauvres, incapables de scolariser leurs enfants, qui les envoient s’y former.
La croyance au karma, selon laquelle ce que l’on vit aujourd’hui est le fruit de nos actions passées est très prégnante chez les Khmers, de même que la peur des mauvais esprits (ndlr: le bouddhisme khmer est largement mâtiné d’animisme). Le christianisme les en libère. Quand ils peuvent entendre son langage, éloigné de leur univers mental, ils comprennent que Jésus a apporté un message d’amour du prochain comme visage de Dieu et qu’Il nous invite à lutter contre l’injustice comme Lui-même l’a fait. Ils perçoivent qu’il faut avant tout se laisser aimer par le Père et découvrent dès lors que leur vie a de la valeur, à rebours de l’enseignement bouddhiste selon lequel la vie n’est qu’une période de purification, le but ultime étant de se libérer du cycle des réincarnations successives. Plus difficile à faire comprendre est la notion de pardon car selon la perspective traditionnelle, liée à la croyance au karma, on ne reçoit que ce qu’on mérite: l’épisode des khmers rouges lui-même a été perçu par la population comme le fruit d’un mauvais karma collectif. De même, la notion de personne n’existe pas à proprement parler. Il n’y a que des actes, mais pas de sujet. Le christianisme renverse cette perspective et conduit les individus à lutter pour leur dignité.
APIC: A l’inverse, qu’est-ce que le contact avec les bouddhistes vous a apporté?
Mgr Destombes: Vivre ici me conduit à questionner ma foi pour mieux la transmettre. Au fil des décennies, je me sens de plus en plus en communion avec l’âme khmère et en même temps, comme Européen, irréductiblement étranger. Au fond, nous avons tout à apprendre, nous sommes ici pour être d’humbles témoins, appelés à discerner comment le Christ se révèle à Lui- même dans le peuple khmer. On tend vers une purification du regard, une dépossession et une acception profonde de la réalité. Attitude non pas servile mais de détachement, à l’exemple de certains bouddhistes. (jcn/pr)
Encadré.
42 prêtres pour 26’000 catholiques
Le Cambodge compte 26’000 catholiques (0,05% de la population), dont 17’000 Vietnamiens. La pastorale est notamment assurée par 42 prêtres de 18 nationalités dont 5 cambodgiens. Les missionnaires de la Société des Missions étrangères (de Paris, du Québec, de Yarumal, de Thaïlande, et de Corée) sont les plus nombreux, suivis des jésuites et des salésiens. On compte également 65 religieuses de 11 congrégations différentes. Aucune communauté contemplative catholique ne s’est à ce jour réinstallée au Cambodge, au grand regret des responsables de l’Eglise locale. Trois diocèses: Phnom Penh, Battambang et Kompong Cham, sont dirigés par un vicaire et deux préfets apostoliques. Le pays compte une douzaine de paroisses avec prêtres résidants et quatre fois plus de petites communautés desservies à partir des paroisses. (apic/jcn/pr)
APIC – Interview
Un «Plan Marshall» pour l’Ukraine, pas seulement pour la Russie (280793)
Appel de Mgr Ivan Dacko, vicaire général de l’archiéparchie de Lviv
Jacques Berset, Agence APIC
Lviv, 15juillet(APIC) Après la joie de courte durée qui a accompagné
l’accession à l’indépendance nationale, l’Ukraine, avec son taux d’inflation de 1’000 à 2’000 o/o et ses 15 à 20 % de chômeurs, attend désormais
des «signes de solidarité» de l’Occident. «L’Ukraine a besoin d’urgence
d’un ’Plan Marshall’», nous lance Mgr Ivan Dacko, le dynamique vicaire général de l’archiéparchie de Lviv, capitale de l’Ukraine occidentale.
De retour le 30 mars 1991 avec la hiérarchie de l’Eglise ukrainienne en
exil à Rome durant 46 ans, Mgr Dacko mesure le chemin parcouru en deux ans
et demi. Entretemps, l’Ukraine est devenue libre et indépendante: «Ce moment a apporté un grand espoir en la démocratie. Mais en même temps, nous
devons faire face aux douleurs de l’enfantement d’un nouvel Etat».
APIC:La situation s’est en effet dégradée ces deux dernières années…
MgrDacko:Certes, la situation économique est très déprimante, mais je
suis malgré tout optimiste, car la population de l’Ukraine – en Ukraine occidentale particulièrement – ne veut pas revenir en arrière. Quand on a
joui une fois de la liberté, on ne veut plus y renoncer.
Il y a bien des difficultés politiques, notamment avec la Russie concernant la possession des armes nucléaires et le partage de la flotte de la
Mer Noire. Mais les Ukrainiens sont parvenus à obtenir et jusqu’à présent à
maintenir leur liberté et leur indépendance sans verser de sang.
APIC:Vous demandez des «signes de solidarité» de l’Occident ?
MgrDacko:Je crois que ces difficultés avec la Russie seront surmontées,
mais nous attendons des signes de solidarité très concrets de la part de
l’Occident. Vous devriez comprendre que nous avons besoin d’une sorte de
«Plan Marshall», même si cela ne signifie pas que nous devons immédiatement
recevoir de l’argent sur la table. Il faut d’abord investir dans la formation des gens, afin qu’ils acquièrent les compétences et le «know how» nécessaires, investir dans des projets de développements, dans le domaine social, la formation pastorale…
Il faut nous envoyer des experts pour former les gens ici et, dès qu’ils
sont en mesure d’occuper des responsabilités, les leur laisser prendre.
Nous, qui venons d’Occident, nous devrions éviter la tentation de nous
prendre pour les plus riches et les plus compétents… Nous devons aider
dans l’humilité, dans un sens de service et de diaconie.
APIC:Vous exprimez une certaine frustration vis-à-vis de l’Occident ?
MgrDacko:Nous ressentons certes une frustration parce que l’on parle tellement de la Russie, et que l’on oublie les autres. Les Russes ont aussi
souffert, ils méritent donc aussi d’être aidés, mais ils ne sont pas les
seuls. De ce qui était l’URSS sont nées 15 nouvelles réalités qui ont toutes besoin de recevoir de l’aide.
L’histoire est ainsi: l’Ouest ne travaille qu’avec les Russes. C’était
déjà le cas du temps des tsars, et pareillement durant la période soviétique. L’URSS avait 280 millions d’habitants, et la Russie d’aujourd’hui n’en
a que 150 millions: il reste donc 130 millions d’autres personnes. On fait
payer à l’Ukraine 16,5 % de toutes les dettes de l’ancien empire soviétique, on devrait aussi lui fournir 16,5 % de l’aide. L’Ouest s’était habitué
à ne traiter qu’avec un grand centre, et maintenant, il y a 15 centres…
C’est comme si après la seconde guerre mondiale, les grandes puissances
n’avaient aidé que l’Allemagne, pas l’Italie, la Belgique ou la France…
APIC:Du point de vue religieux, qu’avez-vous trouvé en arrivant ici ?
MgrDacko:Quand nous sommes revenus à Lviv, notre Eglise était déjà sortie
de la clandestinité depuis plus d’un an, pratiquement depuis le 1er décembre 1989, lors de la fameuse visite de Gorbatchev au pape Jean Paul II. A
cette occasion, un important document fut publié, permettant aux paroisses
grecques-catholiques d’Ukraine de se faire enregistrer. La légalisation
proprement dite n’a eu lieu qu’après le retour du cardinal Lubachivsky, et
les statuts de l’Eglise n’ont été reconnus que le 28 mai 1991.
Au retour d’exil, nous avions déjà 1720 églises; aujourd’hui, nous en
avons 2’840, ainsi que 1’100 prêtres (avec les religieux), plus de 800 religieuses, plus d’un millier de séminaristes, avec ceux qui étudient à
l’étranger. Nous sommes très présents en Ukraine occidentale – la première
Eglise en nombre de fidèles – mais nous avons près de 50 paroisses dans les
autres parties de l’Ukraine et en Crimée. L’Eglise est en pleine croissance
et jouit d’une grande crédibilité, parce que dans le passé, elle n’a pas
accepté le compromis avec les autorités communistes.
Nous sommes également crédibles parce que nous travaillons aussi dans le
domaine social et la formation. Ainsi, nous sommes présents dans les orphelinats, dans les hôpitaux, et dans les écoles. Et pas seulement au niveau
pastoral: l’Eglise a créé à Lviv une clinique de soixante lits et un lycée
de 250 élèves. Caritas, bien qu’encore très petite, s’est également mise au
travail, au service de toute la population.
C’est un grand défi pour nous de pratiquement tout devoir commencer en
même temps. La moisson est si grande, il ne reste qu’à travailler, même si
ce n’est pas facile pour quelqu’un qui a vécu à l’Ouest – il faut renoncer
à beaucoup de choses – mais il y a aussi de grandes satisfactions.
L’oecuménisme se fraye difficilement un chemin dans l’Eglise d’Ukraine
Concernant les relations avec les autres communautés religieuses, je dirais qu’elles sont en général «correctes», et elles s’améliorent lentement.
Localement, cela dépend pratiquement du comportement du prêtre. Ce que dit
le prêtre de sa chaire est pour nos gens parole d’Evangile. Il n’y a pas de
conflits dans la paroisse si le prêtre est un homme de Dieu, un homme de
paix, éduqué, formé. Mais si c’est quelqu’un qui ne pense qu’à lui-même,
qu’à gagner plus parce qu’il a une meilleure paroisse et davantage d’ouailles, alors… La situation s’est vraiment améliorée ces deux dernières années, mais il reste des points de friction, en particulier dans les villages où il n’y a qu’une église pour deux confessions. Nous avons proposé de
partager les églises, mais les orthodoxes ont de la difficulté à accepter.
APIC:Les relations avec les orthodoxes sont-elles toujours aussi tendues ?
MgrDacko:Personnellement, ici en Ukraine occidentale, j’ai même des relations amicales avec certains évêques orthodoxes. Dans toute l’Ukraine, nous
sommes déjà la deuxième plus grande Eglise, après l’Eglise orthodoxe ukrainienne, dirigée par le métropolite Volodymir Sabodan, et qui est restée
rattachée au Patriarcat de Moscou. En Ukraine occidentale, nous sommes à la
première place et dans les autres parties, nous sommes respectés. Mais il
ne faut pas oublier que durant une longue période de l’histoire, déjà sous
les tsars, on a mené en Ukraine orientale une grande propagande contre
l’Eglise gréco-catholique, politique poursuivie par les communistes. Les
gens en sont encore imprégnés. C’est notre devoir de prouver que l’Eglise
catholique est là pour tous. Et grâce à nos activités sociales, à nos écoles, nous améliorons la situation.
Avec le clergé catholique romain également, les relations sont meilleures. Malheureusement, dans la tête des gens, le préjugé est tenace: latin
égale polonais; latinisation signifie immédiatement polonisation; pas seulement la perte de la spécificité liturgique, mais également de l’identité
nationale. Mais face aux reproches de «polonisation» à travers l’Eglise
catholique, nous faisons remarquer qu’aucune autre Eglise n’a autant fait
pour la liberté et l’indépendance de l’Ukraine que l’Eglise catholique
ukrainienne. Et les intellectuels ukrainiens le savent. Nous n’avons pas
besoin de prouver que nous sommes de bons patriotes! (apic/be)
Encadré
Repères
Les orthodoxes d’Ukraine éclatés en quatre obédiences
Les profonds bouleversements qu’a connus ces dernières années l’Ukraine,
notamment la lutte pour l’indépendance, ont provoqué l’éclatement de
l’Eglise orthodoxe en Ukraine. Le 27 octobre 1990, le patriarche de Moscou
Alexis II reconnaît l’indépendance et l’autonomie administrative de l’Eglise orthodoxe ukrainienne sous la houlette du métropolite Philarète de Kiev.
A la même période, ce dernier est, dans les médias, accusé de collaboration avec le KGB, de corruption et de conduite immorale (il a trois enfants d’une femme divorcée, et sa fille Vira a publié l’an dernier une lettre ouverte qui a fait beaucoup de bruit).
Les 1er et 2 novembre 1991, un synode des évêques de l’Eglise orthodoxe
d’Ukraine tenu à Kiev sous la présidence du métropolite Philarète lance un
appel au patriarche de Moscou Alexis II pour reconnaître la totale indépendance et l’autocéphalie canonique de l’Eglise ukrainienne. Demande rejetée
en mars 1992 par Moscou. Le 30 avril 1992, une assemblée d’évêques de
l’Eglise orthodoxe d’Ukraine à Zhytomyr réclame la démission de Philarète.
Les 7 et 21 mai 1992, le Saint-Synode de l’Eglise russe donne l’ordre de
convoquer un synode de l’Eglise orthodoxe ukrainienne dans le but d’élire
un nouveau métropolite de Kiev. Le 27 mai 1992, un synode de l’Eglise
ukrainienne réuni à Kharkiv élit son nouveau chef en la personne de Mgr Volodymyr (Sabodan), jusqu’alors métropolite de Rostov et Novocherkassk. Le
11 juin 1992, le Synode de l’Eglise orthodoxe russe, siégeant à Moscou, ratifie l’élection de Mgr Volodymyr et destitue Mgr Philarète de toutes ses
fonctions et de sa dignité sacerdotale, et le réduit à l’état laïc.
Les 25 et 26 juin 1992, l’Eglise autocéphale orthodoxe d’Ukraine et
quelques évêques de l’Eglise orthodoxe ukrainienne restés fidèles au métropolite Philarète fondent ensemble l’Eglise orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev. Agé de 94 ans et vivant aux Etats-Unis, Mstyslav Skrypnyk,
chef de l’Eglise autocéphale d’Ukraine (une Eglise liquidée par Staline
dans les années 30 et qui s’est reconstituée en Ukraine ces dernières années) est reconnu comme patriarche de Kiev et de toute l’Ukraine.
Cette opération d’unification a été appuyée activement en sous-main par
des responsables politiques ukrainiens. Mais le patriarche Mstyslav Skrypnyk (aujourd’hui décédé), a refusé tout contact avec Mgr Philarète, qui se
présente comme son lieutenant à Kiev. Une partie de l’Eglise orthodoxe
autocéphale continue donc d’exister sous ce nom.
On a donc d’une part l’Eglise orthodoxe ukrainienne, restée sous la juridiction de Moscou, et dirigée par le métropolite Volodymyr. Elle regroupe
21 évêques, quelque 5’400 églises, 3’000 prêtres et 12 millions de fidèles.
L’Eglise orthodoxe ukrainienne – Patriarcat de Kiev, dirigée par Mgr Philarète, a sous sa juridiction 19 évêques, 1’800 à 2’000 églises, 1’200 prêtres et près de 3 millions de fidèles. La partie de l’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne qui n’a pas accepté la réunification compte aujourd’hui 4 à 500 églises. Elle a beaucoup perdu d’effectifs, car les autorités de Kiev soutiennent Philarète, considédrant l’Eglise orthodoxe ukrainienne-Patriarcat de Kiev comme une continuité de l’ancienne l’Eglise autocéphale liquidée par Staline. Etant donné qu’un certain nombre de communautés orthodoxes d’Ukraine souhaitent passer sous la juridiction directe du
patriarcat de Moscou, on est quasiment en présence de quatre juridictions
orthodoxes sur le même territoire. (apic/be)
Encadré
Mgr Ivan Dacko: quelques données biographiques
Fils d’Ukrainiens déportés par les nazis en 1941 pour le travail forcé dans
des fermes allemandes et qui se sont mariés à Berlin, sous les bombes, en
janvier 1945, Ivan Dacko est né dans la zone d’occupation britannique. Raison pour laquelle ses parents ont émigré en Angleterre, où il a passé son
enfance dans la région de Manchester, à Rochdale, «où a été fondée la première coopérative du monde, en 1844».
Ses parents, qui voulaient qu’il soit tout à fait éduqué en tant
qu’Ukrainien, l’ont envoyé au petit séminaire ukrainien de Rome. C’est dans
la ville éternelle qu’il a poursuivi ses études de philosophie et de
théologie au Collège pontifical ukrainien St-Josaphat, sur le Janicule.
C’est à l’époque de son baccalauréat, en 1963, que le cardinal Slipyj,
primat de l’Eglise catholique ukrainienne, est libéré des geôles
soviétiques, et qu’Ivan Dacko décide d’entrer au grand séminaire. Après
quatre ans, le cardinal Slipyj, chef de l’Eglise catholique ukrainienne en
exil à Rome, l’envoie au Kanisianum, à Innsbruck, de 1967 à 1970, avant de
l’ordonner prêtre l’année suivante.
En 1974, toujours à Innsbruck, Ivan Dacko passe son doctorat, avec la
dogmatique pour branche principale et l’histoire de l’Eglise comme branche
secondaire. Sa thèse était consacrée à l’ecclésiologie du métropolite Sheptytskyi, «un pionnier de l’oecuménisme contemporain», comme l’avait déjà
souligné Yves Congar, et qui a beaucoup contribué à freiner les tentatives
de «latinisation» de l’Eglise catholique ukrainienne de rite byzantin. Il
s’agissait de maintenir l’identité ecclésiale et culturelle dans cette
l’Eglise «à la fois catholique et orthodoxe».
En 1976, Mgr Dacko devient secrétaire du cardinal Slipyj et plus tard
son chancelier, jusqu’à sa mort en 1984, fonctions qu’il a poursuivies aux
côtés de Mgr Lubachivsky. Lors du retour du cardinal à Lviv le 30 mars
1991, Mgr Dacko est devenu vicaire général de l’archiéparchie de Lviv. JB
(Illustrations de ce texte disponibles à l’agence CIRIC Tél:021/25 28 29)