Rencontre avec Charles Ridoré, secrétaire sortant de l’Action de Carême à Lausanne

Apic – Interview

«Je me sens à 100% Haïtien et à 100% Suisse»

Par Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, 18 septembre 2007 (Apic) «Je me sens à 100% Haïtien et à 100% Suisse, mais surtout solidaire de l’ensemble des êtres humains». Avec son délicieux accent mâtiné du créole de la Vallée de Jacmel, où il est né un jour de 1942, Charles Ridoré nous rappelle qu’il vient du pays de Toussaint Louverture. Le grand dirigeant haïtien mort en captivité le 8 avril 1803 au Fort de Joux, non loin de la frontière suisse, inspire aujourd’hui encore celui qui rêve d’un Haïti enfin libéré.

Pendant près de 20 ans à la tête du Secrétariat romand de l’Action de Carême à Lausanne, Charles Ridoré a pris sa retraite fin août. Depuis le 1er septembre 2007, c’est Jean-Claude Huot – ancien secrétaire national de la commission épiscopale «Justice et Paix» et ancien secrétaire romand de la Déclaration de Berne – qui a pris le relais.

Charles Ridoré, dont les talents de conteur sont connus loin à la ronde, adore faire vibrer ses auditeurs avec son créole chatoyant. «C’est un moment de partage très fort avec le public… Moyen de communication particulier, le conte est un aussi une sagesse», lance ce docteur en pédagogie et sociologie de l’Université de Fribourg.

Apic: Charles Ridoré, parlez-nous d’abord de votre patrie d’origine.

C. Ridoré: Je viens de la Vallée de Jacmel, en plein sud de la capitale Port-au-Prince. C’est la patrie des Ridoré, qui viennent tous de cet endroit. Le centre de la région de la Vallée s’appelle d’ailleurs le plateau de Ridoré. On y a retrouvé les traces du 1er Ridoré arrivé dans cette zone au XVIIIe, vraisemblablement en provenance de la région de l’Ile de Ré et de La Rochelle.

La Vallée de Jacmel se trouve à 800 m au-dessus du niveau de la mer, dans une région climatique très agréable. C’est aussi un microclimat sociologique: les gens de cette région ont toujours été très dynamiques, courageux, travailleurs. Ainsi, si le taux d’analphabétisme est en moyenne de plus de 50% en Haïti, il est beaucoup plus bas dans la Vallée de Jacmel.

Apic: Pour quelle raison êtes-vous arrivé en Suisse en 1965 ?

C. Ridoré: Je suis arrivé en avril, pour étudier l’agronomie, ce dont je rêvais depuis toujours. Je ne pouvais le faire en Haïti, en raison des conditions politiques difficiles et de l’étatisation de l’Université sous la dictature de Duvalier père. Il avait domestiqué toutes les institutions, et pour entrer à l’Université, il fallait être «duvaliériste», ce que je n’étais pas. Mais j’ignorais les difficultés qu’il fallait affronter pour accéder à l’Ecole Polytechnique fédérale à Zurich: ne connaissant pas l’allemand, ayant des déficits à combler en maths, en physique et en chimie.

J’ai assez rapidement choisi de changer d’orientation et de poursuivre mes études à Fribourg en pédagogie et en sociologie en deuxième branche de doctorat. Après je me suis consacré à l’enseignement en sociologie – qui m’intéressait plus que la pédagogie -, comme assistant et chargé de cours. Je suis entré comme animateur et informateur à l’Action de Carême à Lausanne en 1980, tout en gardant des heures de cours de sociologie jusqu’à la disparition de l’Institut de Journalisme de l’Université de Fribourg.

Apic: En 1988, vous avez dû assumer le secrétariat romand de l’Action de Carême au pied levé, dans des circonstances tragiques .

C. Ridoré: Effectivement! Fernand Pythoud, secrétaire romand de l’Action de Carême, est décédé d’une crise cardiaque le 6 avril 1988. Du jour au lendemain, il a fallu prendre la succession. C’était sous la direction de Ferdinand Luthiger, à Lucerne, qui tenait à l’époque le gouvernail de l’oeuvre d’entraide des catholiques suisses.

Comme secrétaire romand, j’étais donc membre de la direction de l’Action de Carême. Une période très intéressante. Puis avec l’arrivée à l’automne 1995 de la première femme directrice, Anne-Marie Holenstein, c’était encore une autre stimulation. Il y avait alors de nombreuses femmes dans les diverses instances de l’institution.

Apic: Suite à une «profonde crise de confiance» entre le Conseil de fondation de l’Action de Carême – l’organe suprême de direction – et la directrice Anne-Marie Holenstein, cette dernière donnait au printemps 2000 sa démission pour la fin de l’année…

C. Ridoré: La fameuse crise de 1999-2000 a sérieusement ébranlé l’Action de Carême. Il y a eu toute une phase durant laquelle les membres de la direction ont dû assurer la transition. On craignait alors qu’il y ait un retour en arrière par rapport aux options très claires qu’avait prises l’Action de Carême: l’option préférentielle pour les pauvres, la théologie de la libération, la défense des droits humains.

Nous défendions une conception intégrale du salut, et non seulement une vision spirituelle. Des changements de structures ont eu lieu, finalement sans que soit remise en cause l’option fondamentale de l’Action de Carême. A notre grand plaisir. Il faut noter que depuis le départ d’Anne-Marie Holenstein, l’environnement global a changé, tant dans l’Eglise que dans la société. L’Action de Carême, qui considère les partenaires du Sud comme les acteurs de leur propre développement, est restée fidèle à cette intuition et n’a pas été désavouée sur ce point.

Apic: Est venue la mondialisation. et les nouvelles méthodes de management!

C. Ridoré: En effet, les nouveaux processus mis en place nous prennent beaucoup d’énergie et de temps. Il ne faudrait pas que l’on perde son âme à courir après de nouveaux modes d’organisation anglo-saxons, au risque d’en oublier le «sel de la terre». Avoir le temps de s’arrêter dans les paroisses, à la base, discuter avec les gens, c’est une chose qui m’a manqué ces dernières années. Parce que l’on était trop pris dans les processus bureaucratiques et formels. J’en ai quelque peu souffert!

Je crois qu’aujourd’hui on a bien trouvé notre chemin, même si l’environnement global s’est péjoré, la société comme les Eglises perdant un peu leurs repères. L’Action de Carême est comme une petite barque chahutée dans cet océan tumultueux. Au niveau des collaborateurs de l’Action de Carême, je peux dire qu’il y a toujours le même engagement, la même volonté de travailler à bâtir le Royaume, comme on dit. J’ai le sentiment que les Actions de Carême européennes et nord-américaines (la CIDSE) figurent parmi les acteurs importants dans le contexte actuel. Elles arrivent à avoir de l’influence, à faire bouger les choses.

Pensez au rôle que ces ONG ont joué dans tout le processus du Jubilé 2000 pour l’annulation des dettes des pays les plus pauvres, dans les campagnes pour combattre la pauvreté dans le monde, pour le désendettement créatif, la défense des droits humains, le renforcement des capacités (empowerment) des personnes en situation de pauvreté, etc.

Alors que nous fêtons le 40ème anniversaire de l’encyclique sociale de Paul VI «Populorum progressio» (1967), je pense que l’Action de Carême est restée en phase avec ce message, même si se profilent des défis nouveaux qui n’existaient pas alors dans cette proportion, comme la mondialisation, la financiarisation de l’économie.

J’aimerais bien que l’Action de Carême reste le «sel de la terre» qu’elle a été dès ses origines dans les années 60, et qu’elle garde ce rôle «politique» et prophétique qui caractérise ses programmes.

Apic: Maintenant, au soir de ces trois décennies passées à l’Action de Carême, que va apporter la retraite ?

C. Ridoré: J’ai le sentiment que la retraite va venir plus tard, car je vais poursuivre certains combats tant qu’il restera de bons combats à mener. Et je suis sûr qu’il restera suffisamment à faire. Mais ce sera dans un cadre plus bénévole et militant. Je veux aussi continuer dans un registre plus personnel et plus familial, m’épanouir, créer, que ce soit par l’écriture, comme conteur. Egalement maintenir le lien avec mon pays d’origine, évidemment, car je suis resté membre de la Plate-Forme Haïti de Suisse (PFHS), créée en 1992 et qui regroupe actuellement plus de 20 organisations de solidarité avec Haïti.

Je pense développer le thème des souvenirs d’une enfance que j’estime heureuse, dans la Vallée de Jacmel, au sein d’une famille de petits paysans de dix enfants, où l’on faisait cinquante métiers pour arriver à faire bouillir la marmite! Une famille de six garçons et quatre filles qui ont pu tous étudier, alors qu’il n’y avait ni bourses d’études ni aide sociale. Grâce notamment à une mère qui avait le caractère très trempé! Maintenant que le parcours est achevé au plan professionnel, je vais explorer d’autres champs de créativité. Mais je ne vais pas encore dévoiler maintenant ces envies. JB

Encadré

Charles Ridoré, conteur, poète, militant

Conteur, poète, militant, Charles Ridoré s’est dès le début engagé pour l’amélioration des conditions de vie du quartier populaire de Villars-Vert, à Villars-sur-Glâne, où il a passé de nombreuses années. Devenu citoyen suisse, il poursuit son combat pour la justice sociale au niveau communal, élu sur la liste socialiste en tant que conseiller général. Il a d’ailleurs présidé le législatif de Villars-sur-Glâne en 1999-2000.

Arrivé en Suisse en 1965, il a été actif dans les domaines de l’enseignement (il a notamment enseigné la sociologie des communications à l’Institut de journalisme de l’Université de Fribourg) et de la coopération internationale (Action de Carême), tout en militant activement en vue d’un changement démocratique dans son pays d’origine. Il a présidé, de 1999 à 2003, le Festival international de films de Fribourg (FIFF – anciennement Festival de films du tiers-monde fondé en 1980). Charles Ridoré a publié aux Editions La Sarine, en 2004, un recueil de poèmes, «Une aube neuve pour Haïti», à l’occasion des 200 ans de l’indépendance de la première République noire, sa patrie d’origine. (apic/be)

18 septembre 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Rome: Le cardinal Ouellet reconnaît la nécessité des communautés nouvelles

Apic interview

Les mouvements ecclésiaux sont une image de l’Eglise

Ariane Rollier, agence I.MEDIA

Rome, 4 juin 2006 (Apic) La rencontre de Benoît XVI avec les mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles au Vatican, le 3 juin, a été précédée du 2e congrès mondial de ces nouvelles entités ecclésiales à Rocca di Papa, aux environs de Rome.

I.MEDIA, en présence de quelques journalistes, a interrogé à cette occasion le cardinal Marc Ouellet, archevêque de Québec (Canada), déjà présent au premier congrès de ce type en mai 1998.

Q: Quelle importance les mouvements ont-ils pour vous dans l’Eglise ?

Cardinal Ouellet: Je crois que les mouvements sont une image de l’Eglise. L’Eglise est en mouvement, c’est-à-dire que Dieu est un Dieu d’amour et ce n’est pas un être statique. C’est un être où circule l’amour entre les personnes divines. Les mouvements dans l’Eglise nous rappellent donc cette dynamique de l’amour. Je crois qu’ils peuvent aussi servir à revivifier les communautés territoriales par leur contribution aux Eglises locales.

Les mouvements, même s’ils sont supra-diocésains, peuvent vraiment aider par leur spiritualité, par leur souci d’évangéliser et par leur créativité spirituelle, leur charisme. Ils peuvent servir à éveiller aussi, ou à réveiller, encore plus, les dons qui existent dans les communautés locales, dans les communautés paroissiales. Il est important que les mouvements soient comme articulés avec les Eglises locales, diocésaine s et paroissiales.

Q: En tant qu’évêque, vous êtes pasteur, comment accueillez-vous ces mouvements dans votre propre diocèse ?

Cardinal Ouellet: Je les accueille, je les salue, je souhaite leur développement. Je crois que nous en avons vraiment besoin. D’ici un an, nous aurons une grande rencontre des mouvements dans mon diocèse, comme étape pour préparer le congrès eucharistique international de juin 2008. Nous sommes donc en train de préparer une rencontre très importante qui va déborder le diocèse et qui va impliquer les mouvements.

C’est vous dire l’importance que j’y accorde pour revitaliser le tissu ecclésial dans mon propre diocèse et chez nous au Québec.

Q: Le cardinal Ratzinger, en 1999, a affirmé que c’étaient les pasteurs qui devaient garantir l’ecclésialité des mouvements. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cardinal Ouellet: Cela signifie que les mouvements aussi se situent à l’intérieur de l’Eglise et donc sont en dialogue et en relation étroite avec les pasteurs des Eglises locales. Pour que les charismes soient vraiment mis au service de l’Eglise et de l’évangélisation sur le terrain, je crois que la coordination avec les pasteurs est incontournable. Elle l’est pour que les mouvements atteignent leur propre point d’arrivée, qui est de témoigner de l’Evangile, de convertir jusqu’à un certain point les cultures à la force de l’Evangile, à la beauté du Christ.

Q: Avez-vous constaté des évolutions particulières depuis 1998, entre les deux congrès mondiaux des mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles à Rome ?

Cardinal Ouellet: Je crois tout d’abord que le congrès de 1998 a été une étape très importante pour la réception plus enthousiaste et plus ouverte des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles dans l’ensemble de l’Eglise. Je crois que ce fut un moment clef dans l’histoire de l’Eglise récente que cette Pentecôte 1998 avec Jean Paul II, surtout avec la contribution, à cette époque, du cardinal Ratzinger.

Je crois qu’ensuite il y a eu comme une croissance dans l’unité entre les mouvements. C’était l’appel de Jean Paul II qu’il y ait un peu plus d’unité entre les mouvements, entre ces charismes.

Mais je crois que maintenant que cette route a été tracée et suivie, l’accent sera sur l’évangélisation. Parce que c’est l’unité qui évangélise, c’est la présence de Jésus dans l’unité de l’Eglise qui attire l’attention du monde et donc porte la bonne nouvelle. (apic/imedia/ar/bb)

5 juin 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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