Montpellier: L’exégète Marie Vidal combat l’antisémitisme dans l’Eglise catholique
APIC- Portrait
«Revenir aux sources des textes»
Par jean-Claude Noyé, de l’APIC
Montpellier, 6 août (APIC) Professeur d’hébreu et d’exégèse biblique auprès du Comité diocésain pour les relations avec le judaïsme de Montpellier, Marie Vidal milite pour l’amitié judéo-chrétienne. Elle combat l’antisémitisme, qu’elle juge encore vivace dans l’Eglise catholique, en incitant les chrétiens à relire les Ecritures pour prendre conscience de la judéité de Jésus.
Marie Vidal est décidée à opposer à l’enseignement du mépris celui de l’estime de la communauté juive. En établissant des liens entre les Evangiles et la Tora. Une démarche que lui reprochent certains scientifiques, sous le prétexte que la Torah a été codifiée bien après les Evangiles.
Médecin puis bibliste
Adolescente, Marie Vidal songe à la vie religieuse. Devenue médecin, elle étudie la catéchèse, le grec, l’hébreu et la Bible à l’Institut catholique de Paris. De retour àà Montpellier, sa vielle natale, elle travaille deux années durant au service diocésain de la catéchèse, puis retourne pour deux ans à Paris. Elle complète son cursus à l’Ecole Biblique de Jérusalem.
Ses nombreux séjours dans la cité sainte renforcent son estime profonde du peuple juif. Elle qui durant sa jeunesse n’a jamais entendu de propos antisémites, force lui est de constater que tel n’est plus le cas depuis qu’elle travaille au sein de l’Eglise. «Même à l’école biblique de Jérusalem, tenue par les dominicains, on nous enseignait la théologie classique qui fait du Nouveau Testament l’accomplissement de l’Ancien.
Connaître le peuple juif et cesser de parler en son nom
Marie Vidal cherche à se faire sa propre opinion en consultant directement les sources des textes. Elle suit des sessions à l’université hébraïque de Jérusalem, noue des amitiés dans le monde juif et rencontre des rabbins. «Etudier l’hébreu et la Bible n’est pas, en soi, la caution d ’un amour du peuple juif. Il faut encore le connaître t cesser de vouloir parler en son nom.»
Après deux ouvrages intitulés «Une lecture de l’Evangile à la lumière de la Torah» et «Le juif Jésus et le Shabbat», elle a récemment publié «Quand jésus monte à Jérusalem». De livres en conférences et interviews, elle pourfend les idées reçues. «Non, les juifs ne sont pas l’affreux peuple déicide qui a tué le Christ. Non, le judaïsme n’est pas une religion de la loi desséchante face à la religion de l’amour qu’est le christianisme». Marie Vidal s’oppose à l’affirmation qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise. «Si le christianisme est la meilleure voie pour les baptisés, pourquoi le serait-il forcément aussi pour les autres?»
Une «Bonne Nouvelle» ambiguë
L’exégète débusque les glissements sémantiques qui manifestent le religio-centrisme des chrétiens: Pour elle, même le terme de «Bonne Nouvelle» est ambigu. «Que dirions-nous si les juifs prétendaient nous apporter la lumière de la Torah?». Si Marie Vidal pense que le judaïsme féconde le christianisme, elle ne croit pas que les chrétiens doivent forcément apporter quelque chose au peuple juif. Face à la lourde responsabilité de l’Eglise catholique «qui a enseigné le mépris des Juifs et l’antijudaïsme, le professeur d’exégèse estime que les chrétiens se doivent d’abord de reconnaître la religion juive.
Ayant rencontré en profondeur un peuple et sa tradition, la bibliste s’est débarrassée de ses fausses certitudes pour s’ouvrir à la «dimension très incarnée des Evangiles». Elle se voue à présent à enseigner les chrétiens «en toute honnêteté». «Nous avons une dette envers les juifs que nous ne sommes pas près de rembourser.» Marie Vidal se demande toujours pourquoi on a cultivé pendant 2000 ans une vision négative des juifs. Son objectif est de tout faire pour empêcher que ce qui s’est passé voici 50 ans, avec la Shoa et l’holocauste du peuple juif, ne se reproduise un jour. (apic/jcn/mjp)
France: Christian Delorme, engagé depuis 30 ans contre l’exclusion des Maghrébins
APIC-Portrait:
«Savoir entrer dans le paysage du cœur de l’autre».
Jean-Claude Noyé, correspondant APIC à Paris
Paris, 21 juillet 2000 (APIC) Prêtre du Prado du diocèse de Lyon, Christian Delorme se bat depuis trente ans contre le racisme et l’exclusion des Maghrébins. Très engagé dans le dialogue interreligieux, il a noué de solides liens avec les représentants de la communauté musulmane. Il dit comment sa foi chrétienne s’est renouvelée au contact de l’islam. Portrait.
Y-a-t-il un problème avec les jeunes Maghrébins dans quelque banlieue, comme en avril dernier à Lille ? Lors qu’on pose cette question, les journalistes se tournent fréquemment vers Christian Delorme. Ce dernier est médiateur religieux auprès de la communauté musulmane dans le diocèse de Lyon. Derrière le médiatique «curé des Minguettes» se cache un vrai homme de coeur, attentif aux plus démunis. Membre, depuis 1995, du Haut Conseil pour l’intégration, il a parcouru un long chemin avec les travailleurs maghrébins et leurs enfants au côté desquels il a toujours vécu dans les quartiers populaires de Lyon. Pour eux, il a fait une grève de la faim de vingt-neuf jours, en 1981. Pour eux encore, il a lancé la fameuse Marche des «beurs» pour l’égalité, en 1983.
Avec son ami Rachid Benzine, il publie en 1998 (1) «Chrétiens et musulmans, nous avons tant de chose à nous dire», puis la même année, «Les Banlieues de Dieu» (2). «Cette religion, confie-t-il d’emblée, n’a jamais bousculé les fondements de ma foi. Mais je suis impressionné par trois dimensions. D’une part, la grande confiance que les musulmans ont en Dieu. Ils sont convaincus que Dieu leur veut du bien, que Lui seul connaît le sens des épreuves subies par les hommes. Ensuite leur sens de la prière. Un musulman pieux n’hésite pas à interrompre ses activités pour honorer cinq fois par jour son rendez-vous avec Dieu grâce à la prière rituelle. Enfin, leur sens de l’hospitalité., perçue comme une exigence pratique du croyant. Celui qui frappe à la porte est reçu comme un envoyé de Dieu.»
Rencontre de témoins
Christian Delorme est un homme marqué par la rencontre interpellante de Martin Luther King, de frère Roger de Taizé ou de Gandhi, l’apôtre de la non-violence. Il est nourri tant de la Baghavad Gîta que du Coran et des Evangiles. De son long tutoiement avec les fidèles d’Allah, cet homme haut de taille est sympathique. Avec son franc sourire et sa mine enjouée il retient une conviction centrale : «Qu’ils aient telle foi ou telle autre, les hommes qui prient Dieu de manière sincère ne peuvent être séparés de Lui».
Une conviction qui l’incite à découvrir chez les autres la trace de l’Esprit Saint, comme chez ce Marocain de la banlieue parisienne, d’une piété et d’une sérénité peu communes : «Un saint! «. Le partage de vie, affirme Christian Delorme, avec les musulmans a aussi affiné sa foi chrétienne: «Ce partage m’a incité à rechercher davantage dans le message chrétien ce qui est abandon dans les bras de Dieu, à intégrer profondément l’idée que nous venons de Dieu et que nous retournons à Lui.»
La figure d’Abraham
Autre redécouverte: la figure d’Abraham, père des trois religions monothéistes, et de son fils aîné Ismaël, prophète considéré par les Arabes comme leur ancêtre : «Nous, chrétiens, nous sommes autant ses héritiers que les héritiers d’Israël. La catéchèse devrait davantage le prendre en considération.» L’islam violent ? Il balaye l’objection d’un revers de main : «Je sais d’expérience que la grande majorité des musulmans sont tolérants et respectueux des gens du Livre. !» Et de rebondir sur cette belle définition du dialogue interreligieux : «Par-delà les frontières dogmatiques, entrer dans le paysage du coeur de l’autre».
En septembre, Christian Delorme assumera des responsabilités pastorales dans un nouveau quartier, le quartier de Gerland. Fidèle à Lyon. Fidèle au Christ dans sa proximité avec les musulmans des quartiers populaires. (apic/jcn/ba)
APIC – Portrait
Mgr Sterniuk, le «vieux lion de Lviv»
Le combat pour la restauration de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine
Jacques Berset, Agence APIC
(Lviv) Des yeux pétillants, une voix douce mais ferme, un beau visage rehaussé par la traditionnelle barbe blanche des prélats de rite byzantin : à
84 ans, Mgr Volodymyr Sterniuk, représentant en Ukraine du cardinal Lubachivsky, chef de l’Eglise catholique ukrainienne, ne manque pas d’allure.
Il nous reçoit dans son bureau du palais épiscopal de Lviv, en face de la
belle cathédrale rococo Saint-Georges.
Par la fenêtre, l’on aperçoit, dominant la capitale de l’Ukraine occidentale, les trois gigantesques antennes, aujourd’hui inutilisées, que les
Soviétiques avaient installées dans le jardin pour brouiller les émissions
des radios étrangères : Radio Liberty, Radio Vatican,…
APIC:Mgr Sterniuk, il y a deux ans à peine, vous étiez encore un évêque
«clandestin» surveillé par le KGB. Aujourd’hui vous résidez dans le palais
épiscopal en face de Saint-Georges, l’église cathédrale du Primat de
l’Eglise catholique ukrainienne, occupée jusqu’en août dernier par les orthodoxes russes du Patriarcat de Moscou. Pouvez-vous nous décrire cette situation quelque peu étrange aux yeux d’un occidental ?
MgrSterniuk:Cette situation n’est pas si étrange que cela. Au printemps
1946, Staline, avec l’appui de l’Eglise orthodoxe russe (EOR), nous a presque totalement anéantis. Les communistes ont arrêté tous les évêques catholiques ukrainiens ainsi que beaucoup de prêtres et de fidèles, puis convoqué le pseudo-Synode de Lvov proclamant notre intégration au sein de l’EOR.
Les autorités soviétiques ont dissout notre Eglise et affirmé que nous
n’existions plus. Toutes nos églises en Galicie ont été confisquées et des
prêtres venant d’une Eglise soumise à l’autorité d’un Etat athée et communiste y ont été installés. Le Synode mis sur pied alors n’avait aucune validité canonique, car pour être valable, il aurait dû être convoqué par un
évêque catholique ukrainien; or ceux-ci étant tous arrêtés, aucun n’était
en mesure de convoquer un tel Synode.
«J’ai choisi de ne jamais collaborer»
APIC: Pourquoi en 1946 n’avez-vous pas choisi la voie de la collaboration
avec l’EOR, comme certains prêtres ici l’ont fait ?
MgrSterniuk:Je ne l’ai pas fait. Ainsi, lorsque j’ai voulu travailler
dans le secteur médical et que mon chef m’a demandé pourquoi je n’étais pas
devenu orthodoxe, je lui ai répondu que je n’avais aucune raison de changer
de confession, de quitter la foi de mes ancêtres, la foi catholique. Je ne
pouvais pas aller contre ma conscience. A cette époque, vouloir rester gréco-catholique était considéré comme un crime.
Certains prêtres d’ici ont accepté de collaborer avec l’EOR par peur
d’être arrêtés, d’être soumis à des mauvais traitements et condamnés aux
travaux forcés dans les camps, dans les mines, exposés à la maladie et à la
faim… Les deux tiers du clergé gréco-catholique de Galicie ont été emprisonnés et les autres se sont cachés ou ont trahi la foi catholique.
«J’ai été jugé par des bureaucrates»
APIC: Vous-même, où étiez-vous à cette époque ?
MgrSterniuk:A l’époque, je me trouvais ici à Lviv. Comme j’étais simple
prêtre, je n’avais pas encore été arrêté. C’est seulement en juin 1947 que
je fus arrêté parce que j’avais confessé quelques «partisans», des membres
de l’UPA, la guérilla combattant les communistes dans la forêt. L’un d’entre eux m’avait dénoncé et l’on m’a arrêté comme membre de cette armée.
J’ai été jugé par des bureaucrates qui s’occupaient de l’instruction et
battaient les prisonniers. Ils m’ont empêché de dormir durant deux semaines, m’interrogeant toutes les nuits. Au cachot, je ne pouvais me reposer
que durant une quinzaine de minutes.
APIC : L’enquête était menée par le NKVD ?
MgrSterniuk:Non seulement le NKVD, mais aussi le KGB… J’ai été battu
jusqu’à perdre connaissance. Je n’ai pas été jugé par un tribunal officiel,
mais par un tribunal d’exception institué pour juger les insurgés: trois
hommes qui n’étaient pas chargés de l’enquête; ils contrôlaient ce
qu’avaient écrit les juges d’instruction et décidaient sans possibilité de
faire recours à un tribunal de plus haute instance.
J’ai été condamné à cinq ans, une toute petite peine par rapport aux
dix, quinze ou vingt-cinq ans qui étaient habituellement imposés aux autres
prisonniers. J’ai été interné durant cinq ans dans le camp d’Arkhangelsk,
près de la Mer Blanche, dans le grand Nord. Les prisonniers étaient presque
tous des criminels de droit commun. Je devais scier du bois.
Je suis revenu en Ukraine en 1952. L’année suivante, Staline mourut et
il y eut plus de liberté en URSS. Khrouchtchev a donné l’ordre de réviser
les procès et de libérer les prisonniers, qui étaient battus et martyrisés.
Obligé de travailler dans la clandestinité
APIC:Qu’avez vous fait après votre libération ?
MgrSterniuk:Après ma libération, j’ai dû travailler. Pendant mon temps
libre, j’ai aidé spirituellement les fidèles qui me le demandaient. C’était
interdit, notre Eglise était dissoute, mais l’Etat ne pouvait pas m’obliger
à rejoindre une Eglise dont je ne voulais pas faire partie. C’est pourquoi
nous travaillions dans la clandestinité. Sinon nous aurions été appréhendés, puisque nous transgressions la loi, une «loi» elle-même illégale.
APIC:Comment faisiez-vous pour garder le secret ? Vous n’étiez pas détecté
par le KGB ?
MgrSterniuk:Nous étions suivis par la Sécurité, nous ne pouvions pas
oeuvrer dans une clandestinité totale. Quand il y avait plusieurs personnes
au courant, il y avait toujours quelqu’un qui fournissait des informations.
Ainsi le KGB était informé de ce que je faisais dans les familles, les villages et les églises fermées: baptêmes, mariages religieux, enterrements…
tous les sacrements. Les enterrements se faisaient la nuit, quand tous dormaient. Nous avons été détectés, mais ce que voulaient les communistes, ce
n’était pas tant me punir pour cela, mais obtenir de moi des renseignements
sur telle ou telle famille, pour repérer ceux qui ne partageaient pas leurs
convictions.
Ordonné secrètement
APIC:Vous avez eu ces activités pastorales durant de nombreuses années ?
MgrSterniuk:De 1952 à 1988. Entre-temps, j’étais devenu évêque, puis le
«locum tenens», c’est-à-dire le représentant en Ukraine du cardinal Lubachivsky. En janvier 1963, le patriarche Joseph Slipyj, enfin libéré par
Khrouchtchev après 18 ans de goulag, se trouvait à Moscou. Il a alors convoqué un prêtre catholique ukrainien du nom de Vasyl Welyczkowskyj et l’a
consacré secrètement évêque dans un corridor d’hôtel… C’était juste avant
de partir en exil à Rome : il fallait garantir la succession apostolique en
Ukraine. Mgr Welyczkowskyj, revenu en Ukraine, m’a demandé de le seconder
et m’a consacré secrètement évêque en juillet 1964. Je suis alors devenu
son évêque auxiliaire. J’ai été consacré selon les règles canoniques, compte tenu de la situation, car les fidèles ukrainiens avaient besoin d’évêques et de prêtres qui leur procurent une aide spirituelle. Sans cela, c’en
était fini avec l’Eglise ici!
APIC:On n’a jamais essayé depuis Rome d’envoyer un évêque pour consacrer
des évêques en Ukraine ?
MgrSterniuk:Cela était impossible. Chez nous, les frontières sont bien
gardées et le KGB a ses informateurs et arrêterait tous ceux qui voudraient
les passer pour consacrer des évêques. Au début, quatre ou cinq évêques ont
été consacrés. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine, car lorsque nous avons
joui d’une liberté plus grande, j’ai ordonné d’autres évêques, de sorte que
nous étions plus nombreux.
APIC: Ces évêques étaient-ils connus du Vatican ?
MgrSterniuk: Ils n’étaient pas connus officiellement, mais le Vatican
était au courant de la situation. En 1990, nous sommes allés à Rome et nous
étions dix. Le pape a fait connaissance avec chacun. Récemment, il a même
attribué officiellement à chacun un diocèse.
«Nous n’avions aucun contact avec le Vatican»
APIC:Dans les années soixante, à l’époque des premières nominations épiscopales, vous n’aviez aucun contact avec le Vatican. Vous étiez coupés du
monde extérieur…
MgrSterniuk:Oui. Mais je sais – et cela m’a été confirmé – que le patriarche Slipyj exilé à Rome avait approuvé ma consécration épiscopale et
ma nomination en Ukraine à la tête de l’Eglise catholique ukrainienne.
APIC:Mais une Eglise ne se compose pas que d’évêques. Vous avez aussi formé deux générations de prêtres clandestins…
MgrSterniuk:J’ai écrit moi-même des livres en ukrainien pour les former,
car ici les gens n’ont appris ni le latin ni aucune langue étrangère durant
40 ans. J’ai écrit des livres de dogmatique, de morale, … tout ce dont un
prêtre a besoin pour exercer correctement son ministère.
APIC:Combien de prêtres clandestins avez-vous vous-même ordonnés ?
MgrSterniuk:Une cinquantaine. Je n’en ai pas un compte exact, car il ne
m’était pas permis de tenir un registre de ces prêtres. Les communistes
pouvaient trouver ce registre et arrêter ces prêtres à tout moment. On
n’enregistrait d’ailleurs ni les baptêmes ni les mariages par exemple. Ainsi, il n’y avait pas de certificat de baptêmes. Mais il y avait des parents
qui se portaient garants et qui connaissaient ces personnes.
APIC: Est-ce que dans ces conditions tout à fait exceptionnelles et anormales, vous aviez de la littérature venant d’Occident, notamment les documents du Concile Vatican II ?
MgrSterniuk:Non, nous n’en avions pas, à part quelques livres en latin
qui nous sont restés après les perquisitions. Tous les livres en ukrainien
ou en polonais, par contre, nous ont été confisqués. Ne comprenant pas le
latin, les communistes ont laissé les livres écrits en cette langue.
Au début, je n’avais pas connaissance des Constitutions de Vatican II.
Nous ne pouvions pas toujours écouter Radio Vatican, parce que les communistes brouillaient les émissions. Aujourd’hui, les documents de Vatican
II sont traduits en ukrainien et mis à la disposition de tous. Nous aidons
les prêtres à les comprendre.
APIC:Cela ne comporte-t-il pas des difficultés pour les prêtres d’ici ?
MgrSterniuk:Sans doute qu’il y a de grandes difficultés. Lorsqu’ils étudiaient, ils n’apprenaient aucune langue étrangère. Les seules écoles où se
dispensait cet enseignement étaient celle qui préparaient des diplomates
au service de l’Etat.
Passer au culte orthodoxe pour pratiquer
APIC: Quelle était l’ampleur de l’Eglise clandestine ? On dit qu’il y a
cinq millions de catholiques ukrainiens… Une partie d’entre eux sont allés au culte orthodoxe. Quelle proportion ont refusé d’y aller ? Etait-ce
une minorité ?…
MgrSterniuk: Sachez que nous ne pouvions pas faire de statistiques.
C’était impossible. Combien de fidèles sont passés au culte orthodoxe ? Je
ne sais pas. Il y avait cependant beaucoup de gens restés catholiques qui
n’allaient pas à l’Eglise orthodoxe russe et nous les desservions tant que
nous pouvions, dans les maison ou la forêt. Les familles nous invitaient
pour dire la messe, confesser, baptiser, célébrer des mariages. Les gens se
connaissaient, c’est pourquoi nous savions que la plupart d’entre eux ne
nous trahiraient pas.
Mais nous ne disions pas à tout le monde que nous venions dans un village.
Nous célébrions l’office divin dans une maison privée.
APIC:Ces gens qui sont restés catholiques, ceux de l’Eglise clandestine,
et ceux qui sont allés au culte orthodoxe parce qu’il n’y avait pas d’autre
possibilité, se retrouvent maintenant…
MgrSterniuk: Ils sont tous catholiques. Ils allaient là-bas parce qu’ils
n’avaient pas d’autre possibilité pour participer aux offices divins, pour
se marier, se confesser. L’Eglise catholique a toujours accepté cela. Aujourd’hui encore, l’Eglise catholique autorise ses fidèles à se rendre dans
une église orthodoxe si celle-ci ne veut pas leur causer des difficultés et
pratiquer le prosélytisme.
L’oecuménisme n’est pas pour demain
APIC: Aujourd’hui en Galicie, où la normalité religieuse se rétablit, on
voit que l’Eglise orthodoxe qui vous avait confisqué vos églises a éclaté.
Maintenant il y a plusieurs Eglises de rite byzantin: l’Eglise orthodoxe
ukrainienne, dépendant du Patriarcat de Moscou, l’Eglise orthodoxe russe,
l’Eglise autocéphale ukrainienne, qui établit sa propre hiérarchie, et
l’Eglise catholique ukrainienne. Quels sont vos rapports avec les Eglises
orthodoxes ?
MgrSterniuk:Ces rapports sont très différents, car si certains fidèles de
ces Eglises ne sont pas nos ennemis, d’autres sont nos véritables ennemis,
des «membres du diable». Ils ne nous laissent pas entrer dans les églises
qui nous avaient appartenu, ils nous battent, ils tuent ceux qui veulent
pénétrer dans ces églises pour y prier, ils ne nous permettent pas de baiser le suaire, qui jouit ici d’une grande vénération…
APIC:Y a-t-il beaucoup de cas comme ça en Galicie ?
MgrSterniuk:Oui. Pendant 50 ans, les fidèles n’ont pas été éduqués dans
l’Eglise catholique, ils ne savent pas comment ils doivent se conduire et
nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour leur donner des explications. Ils ne savent rien de leur religion, ils ne savent même pas bien le
catéchisme, faute de gens pour les instruire. C’est l’Eglise orthodoxe
ukrainienne autocéphale qui nous cause le plus de difficultés, ce sont
souvent des fanatiques, qui reçoivent une éducation «pas chrétienne», si je
peux dire.
APIC:Le cardinal Lubachivsky, à son arrivée à Lviv le Dimanche des
Rameaux, a lui-même tendu la main à l’Eglise autocéphale. Comment comprenez-vous cela ?
MgrSterniuk:On peut tendre la main à ceux qui veulent nous considérer
comme leurs frères, mais à ceux qui voient en nous, catholiques, des ennemis, des «diables», à ceux-là on ne peut pas tendre la main.
APIC:Vous pensez qu’il y a plus de possibilités de discussion avec l’Eglise orthodoxe ukrainienne dépendant du Patriarcat de Moscou ?
MgrSterniuk:L’Eglise orthodoxe est divisée. Il est vrai qu’à Kiev, il y a
des orthodoxes autocéphales ukrainiens qui ne nous sont pas contraires, qui
ne sont pas nos ennemis. Ici, en Galicie, il y a une hostilité, presque
fanatique, contre nous. La situation est différente selon les régions. Cette hostilité dirigée contre les catholiques ukrainiens vient de certains
prêtres orthodoxes.
APIC:Les indépendantistes du mouvement «Rukh» à Kiev affirment que, du
point de vue patriotique, il faut soutenir de façon égale les gréco-catholiques et les autocéphales. Ils disent que ce sont des Eglises nationales,
tandis que l’Eglise orthodoxe russe ou l’Eglise ukrainienne orthodoxe dépendant du Patriarcat de Moscou sont des Eglises coloniales.
MgrSterniuk:C’est vrai. A Kiev, ils ont une attitude conciliante. Ici, ce
sont des fanatiques dressés contre nous. Mais les autocéphales en Galicie
sont très peu nombreux par rapport aux gréco-catholiques. Nous avons quelque 1’650 paroisses et églises et eux 200 ou 300, tout au plus.
APIC:Est-ce que le mot «oecuménisme» a un sens ici, sur cette terre de Galicie?
MgrSterniuk:Il faut encore expliquer aux différentes confessions ce que
ce mot veut dire pour qu’il ait quelque valeur. L’oecuménisme n’existe pas
quand on voit les orthodoxes ukrainiens autocéphales nous tuer, nous battre
et nous interdire d’entrer dans nos églises. JB
Encadré
Biographie de Mgr Sterniuk
Mgr Volodymyr Sterniuk est né le 12 février 1907 à Pustomyty, près de Lviv,
dans une famille de prêtres ukrainiens catholiques. Son père était doyen de
la région de Pustomyty. Il commença ses études au Lycée de Lviv et fut recruté par les Rédemptoristes, qui l’envoyèrent dans leur juvénat d’Essen,
près d’Anvers, en Belgique. Il entra ensuite au couvent des Rédemptoristes
à St-Trond, étudia la théologie à Beauplateau, dans les Ardennes, et à
Louvain. Il fut ordonné prêtre à Louvain en 1931. L’année suivante, il
regagna l’Ukraine, où il exerça diverses activités pastorales avant son
arrestation et sa déportation au goulag en 1947. (apic/be)