APIC – Reportage

Georges Scherrer / agence APIC

Les anges gardiens de la gare de Zurich

Zurich, 20août(APIC) Le temps des dames patronesses est révolu. Aujourd’hui à la gare du Zurich on a besoin de femmes qui sachent réagir et

prendre les choses en mains, de femmes qui sachent aussi, s’il le faut, réparer une chaise roulante. Les services d’accueil à la gare de Zurich ce

sont deux noms: «Pro Filia» et «Les Amies de la jeune fille». Ces deux associations se ont la tâche de venir aide aux voyageurs en difficulté. Les

CFF sont très satisfaits du travail des deux organismes et les ont même encouragés à en faire plus. L’oecuménisme entre l’association catholique «Pro

Filia» et les «Amies de la jeune fille», confessionnellement neutre, ne pose aucun problème.

«Pro Filia», le nom peut induire en erreur. Autrefois, on riait de ces

dames en brassard orange-blanc-rouge qui attendaient les jeunes filles sur

le quai et les aidaient à descendre des wagons. Aujourd’hui, les hommes

d’affaires interpellent les aides de gare pour leur demander où se trouve

le bureau des objets trouvés. Pas étonnant: les tâches des femmes en brassard ont évolué, la gare de Zurich elle-même a complètement changé. Ce

noeud ferroviaire de la Suisse s’étale maintenant sur quatre niveaux. L’ancienne gare, que le voyageur pouvait embrasser d’un seul coup d’oeil, est

devenue un labyrinthe de halls et de couloirs. Chaque jour, entre 250’000

et 300’000 personnes y passent pour emprunter un des 1’500 trains qui transitent quotidiennement . Beaucoup des gens, et sutout les personnes âgées,

se sentent dépassés par les nouvelles installations de la gare.

Charlotte Preiswerk n’attarde pas son regard sur les entrailles

gigantesques de la gare la plus moderne de Suisse, mais sur les gens qui

doivent patienter entre deux trains, entre les murs de béton et les façades

de verre. C’est en mai 1989 que Charlotte Preiswerk a passé pour la première fois le brassard orange-blanc-rouge de l’association catholique «Pro

Filia», pour venir en aide aux personnnes de tout âge en difficulté.

«Si elles n’existaient pas, on devrait les inventer»

6h 45: Charlotte Preiswerk ouvre la porte du local de l’accueil en gare

à l’entresol, sous le nouvel hall central. Aujourd’hui le local est ouvert

toute la journé et jusque dans la soirée. Avant le 1er janvier 1992, les

heures d’ouverture étaient plus restreintes. «Nous sommes très contents de

les avoir, si elles n’existaient pas nous devrions les inventer», déclare

Kurt Steinmann, à propos des femmes en brassards. Les feuilles de chêne et

les trois bandes dorées de sa casquette indiquent qu’il est le chef de gare

de Zurich. Il apprécie à sa juste valeur le travail effectué par les huits

femmes du service d’accueil en gare. S’occuper des gens perdus dans le

tourbillon de la gare demande efficacité et patience.

Depuis le 1er janvier, le service d’accueil en gare fonctionne durant

101,5 heures par semaine, soit 30% de plus que l’année précédente. Le tiers

des frais est pris en charge par les CFF, une contribution est apportée par

le Sihltal-Zurich-Üetlibergbahn. Pour le reste, «Pro Filia» dépend de la

Conférence centrale catholique romaine et des dons. L’association des

«Amies de la jeune fille» finance quant à elle cette activité par des dons

et des actions dans le canton de Zurich.

7h 20: Trois jeunes asiatiques portant des sacs de montagne et plan de

la ville en mains se présentent au guichet. Elles veulent se rendre le lendemain à la Jungfrau et désirent trouver un hôtel ou une auberge de jeunesse à Interlaken. Charlotte Preiswerk leur indique le chemin par les escaliers roulants, le hall puis à travers un portail et enfin au coin à droite

jusqu’à l’Office du tourisme. Pourquoi les trois touristes sont-elles venues ici à l’entresol? «Cela arrive souvent», explique Charlotte. Le logo

qui a indiqué le chemin aux jeunes filles est un panneau officiel bleu

figurant une poignée de main.

«Elles ne connaissent pas la langue, mais elle voient les mains et viennent vers nous», ajoute Charlotte dans son dialecte bernois. Une autre qualité des anges gardiens de la gare est le don des langues: trois ou quatre

au minimum. Si un turc ou un sud-américain demande de l’aide, pas de problèmes. Pour les dames de la gare, il n’est pas nécessaire de tout comprendre. Il est toujours possible de trouver de l’aide quelque part. Dans de

tels cas on s’adresse au service des bagages. A la gare de Zurich, des hommes de toutes nationalités y travaillent. Si nécessaire, on demande à Abdul

de faire la traduction. Le service des bagages rend volontiers aussi d’autre services.

Un élévateur pour décharger une chaise roulante

7h 53: Arrivée de l’intercity de Genève. Un voyageur en chaise roulante

doit changer de train pour aller à Coire. Pas facile dans la cohue matinale. Comme il lui est impossible de décharger seule une chaise roulante,

Charlotte Preiswerk a réquisitionnée un élévateur et un chauffeur des CFF

pour transporter la personne handicapée jusqu’au train pour Coire.

Pour ce genre de service, les voyageurs peuvent s’adresser directement

aux CFF, mais ils préfèrent souvent appeler les dames de l’accueil en gare,

car il faut s’occuper soigneusement des personnes en chaise roulante. «Très

souvent il arrive que ces gens aient une assez longue attente. Nous les invitons alors dans notre local. Certains clients habituels regretteraient de

ne pas se faire servir un café», explique Charlotte. Mais cette fois le

changement de train a très bien fonctionné.

9h 20: Le cas d’une Japonaise qui ne pouvait plus ouvrir sa valise est

liquidé. Quelques mots en anglais ont permis de calmer sa panique. Un homme

en fauteuil roulant, qu’un agent en uniforme a amené ici, se trouve devant

la porte. Willam Tan, de Nouvelle-Zélande, a participé au 4e marathon en

chaise roulante de Schenkon (LU). Pendant le retour une entretoise de son

fauteuil a cassé. Les hommes des bagages sont actuellement trop occupés

pour l’aider. Il a appelé alors un employé dans le hall de la gare pour lui

demander de réparer la partie cassée avec une barre de fer. Mais l’employé

a répondu: «Non, je vais vous amener au SOS». Que doit faire Charlotte?

«Nous avons besoin de personnes qui puissent décider rapidement» explique Anita Elsener, la présidente de la section cantonale de «Pro Filia». Il

y a aussi des personnes âgés qui viennent des homes et qui se perdent dans

la gare. Et elles ne savent plus où aller. Il faut faire preuve alors de

beaucoup de patience pour trouver où elles habitent.» La section de Zurich

a une délégué pour le service d’accueil en gare. Anne-Marie Nideröst s’occupe des questions de personnel. «Certes, il y a beaucoup de gens engagés

dans le social, mais nous avons besoin de personnes à qui ce job convient

et qui sont d’accord avec le salaire. Une jeune femme à Zurich ne travaille

plus guère pour 19.– francs de l’heure».

Qu’est ce qui a conduit Charlotte Preiswerk à la gare? «Toutes celles

qui sont ici exerçaient auparavant une profession. J’ai été moi-même directrice d’exploitation. J’ai ensuite élevé mes trois enfants. Ils sont maintenant indépendants, je me suis demandé alors que faire. Je savais que je

ne pouvais pas reprendre ma profession car je suis trop âgée. Je suis venue

ici suite à une petite annonce». Elle admet aussi avoir répondu à un vieil

amour pour les gares. «En premier lieu, je viens volontiers à la gare parce

que j’aime voyager. Deuxièmement je voulais faire quelque chose qui ait un

caractère social. Quelque chose qui ait un sens. Ici on doit être très mobile et savoir décider rapidement». A propos du cas de William Fan – «il

faut connaître les gens» – elle a trouvé entretemps quelqu’un au service

des bagages qui a pu réparé provisoirement la chaise roulante.

Scènes de drogue à la gare

10h: Dans un des couloirs de la gare, Charlotte est abordée par un jeune

homme qui lui demande deux francs. Un drogué, explique-t-elle. «Nous ne

donnons jamais d’argent: ils le dépenseraient tout de suite pour de la drogue. Mais quand ils viennent et nous disent: «j’ai faim», nous leur achetons une saucisse ou nous leur donnons un bon de repas du service social.»

La collaboration avec l’assistance publique de la ville va plus loin. Lorsque les services sont fermés, l’accueil en gare peut donner à une personne

en difficulté un titre de transport et le mettre au compte du service social. «Nous demandons toujours aux gens de nous renvoyer l’argent, mais 80%

ne le font pas. Mais il vaut mieux que quelqu’un puisse rentrer à la maison, plutôt qu’il rôde en ville.»

«Les jeunes drogués s’adressent parfois à nous. Il y a quinze jours, une

jeune femme gisait devant la centrale téléphonique. Les services sanitaires

l’ont réanimée puis ne se sont plus occupés d’elle. Elle était sale et effrayante. Je l’ai invitée ici, où elle a pu se remettre. Plus tard je l’ai

mise dans le train et j’ai informé son ami de venir la chercher à la gare.»

La gare est aussi le lieu de perégrination de nombreux alcooliques.

Charlotte a aussi à faire à eux. «Les alcooliques ne veulent absolument pas

qu’on s’occupe d’eux. C’est fantastique, nous les connaissons et ils nous

connaissent, mais c’est sans espoir. La Ville les a renvoyés dans leur village, mais ils sont revenus. Parfois ils me donnent un coup de main, ou

vont chercher quelqu’un aux bagages».

La chaleur éprouve les personnes âgées

S’occuper des personnes âgées et aussi l’une des tâches de l’accueil en

gare. En été, les voyages deviennent éprouvants pour les personnes âgées à

cause de la chaleur. Elles s’asseoient épuisées sur un banc de la gare. «On

nous appelle ou on les amène chez nous. Nous leur donnons à boire et nous

les invitons à se coucher un moment.» Beaucoup de personnes âgées ne savent

plus entrer ou sortir de la nouvelle gare. Elles sont désorientées par la

multitude de panneaux et d’indications et sont effrayées par le bruit des

freins des locomotives ou des innombrables passants. Aux heures de pointe,

une seule aide de gare ne suffit pas. C’est pourquoi à ce moment-là, le

service est doublé.

11h: Pour Charlotte, la matinée a passé comme un éclair. Johanna Trüeb,

des «Amies de la jeune fille» vient la relayer. Elle est ici depuis 15 ans.

Comment a-t-elle vécu ces dernières années? «La vie dans la gare est naturellement tout à fait différente de celle d’autrefois. Il y a beaucoup plus

de marginaux. Nous avons vécu à la gare le développement de la scène de la

drogue. Cela me préoccupe de plus en plus. Nous constatons notre propre impuissance.» Ce travail lui a toujours procuré de grandes satisfactions et

elle poursuit: «Je suis heureuse de pouvoir venir en aide aux gens et cela

gratuitement».

Helen Gucker, présidente des «Amies de la jeune fille» est très

satisfaite de la collaboration avec «Pro Filia»: «Nous sommes certes politiquement et confessionnellement neutres, mais je trouve que nous devons

faire ce travail ensemble.» Kurt Steimann, le chef de gare renchérit:

«L’oceuménisme à la gare n’est pas un problème». (apic/gs/mp)

Encadré

Une demande en hausse à la gare de Zurich

En 1991, le service d’accueil en gare est venue au secours de 8166 personnes à la gare de Zurich (7’352 en 1990). La plus forte augmentation concerne les adultes (+26%). Pour les enfants et les jeunes, le nombre est stable. Celui des personnes handicapées dépasse de peu les 2’000. Quant aux

téléphones, en augmentation de 8%, ils se chiffrent à 3’000 par an. Plus de

35% du temps de travail est consacré à donner des renseignements, un peu

moins de 35% à apporter de l’aide. L’accueil de personnes dans leur local

occupe 18% du temps. Le reste est consacré à s’occuper de personnes en

chaise roulante, à fournir à manger ou des bons de transport, à procurer un

logement, ou à s’occuper de drogués. (apic/gs/mp)

Encadré

L’accueil dans les gares de Suisse

«Pro Filia» entretient un service d’accueil dans 13 gares de Suisse: Bâle,

Berne, Brigue, Buchs(SG), Chiasso, Coire, Romanshorn, Lucerne, Olten, Zurich et en Suisse romande à Bienne, Genève-Cornavin, Genève-aéroport et

Lausanne. Les service d’accueil en gare existent aussi dans les principales

gares européennes.

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’APIC.

20 août 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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APIC Reportage

Maurice Page, Agence APIC

Einsiedeln: la splendeur princière d’une abbaye (080792)

La gestion complexe d’un patrimoine millénaire

Fribourg, 8juillet(APIC) 130 employés, 2400 hectares de propriétés,

500’000 visiteurs par an, 69,5 millions de francs d’investissement depuis

une vingtaine d’années. Ces chiffres bruts ne concernent pas une quelconque

entreprise du pays, mais la plus grande abbaye de Suisse: Einsiedeln. Une

image de grande richesse, due principalement à la magnificence de l’église,

mais aussi à certaines fables, colle au monastère bénédictin. De fait, la

gestion de son patrimoine, hérité d’une histoire millénaire, n’est pas une

tâche facile pour l’abbaye. Pour la première fois cette année, les responsables du monastère ont ouvert au public une partie des comptes. L’agence

APIC a voulu connaître les bases économiques de ce haut-lieu de la vie de

l’Eglise en Suisse.

Le visiteur qui arrive à Einsiedeln est toujours impresssionné, après

avoir traversé une petite cité sans caractère, par la masse de l’abbaye qui

domine la grand-place semi-circulaire. A l’intérieur du monastère on a la

même impression en suivant le Père Markus jusqu’à son bureau. Le long des

vastes couloirs aux stucs très sobres et au dallage de brique rouge s’alignent les cellules des moines. Le bureau est composé d’un vaste salon boisé

dont un superbe secrétaire marqueté constitue la plus belle pièce de mobilier. Dans l’antichambre, la table de travail, le téléphone, l’ordinateur,

et les classeurs occupent presque tout l’espace. Derrière encore, la chambre à coucher.

Une organisation régie par la règle de saint Benoît

Le Père Markus, qui vient de terminer son enseignement au collège, détaille avec précision l’organisation de l’abbaye et sa situation économique. La communauté compte actuellement 112 membres y compris 4 novices,

auxquels s’ajoutent deux candidats. 25 moines environ résident à l’extérieur du monastère. Selon la règle de saint Benoît, c’est le chapitre l’assemblée générale des moines – qui prend les grandes décisions et qui

élit l’Abbé, en principe à vie. L’Abbé, Mgr Georg Holzherr depuis 1969,

tranche toutes les questions de personel et distribue les tâches à tous les

membres de la communauté. Le doyen, appelé aussi prieur, en l’occurence le

Père Markus, est son représentant. Il est surtout responsable de l’organisation interne et de l’administration. Le père cellerier est chargé de

l’accueil des hôtes et de l’approvisionnement du monastère. Le procureur

s’occupe de l’administration des bâtiments et des activités. Il supervise

la ferme, l’exploitation forestière et les divers ateliers du monastère. Le

collège enfin est sous l’autorité du recteur.

Le Concilium ou conseil, formé des divers responsables du monastère, de

Frères et de Pères élus dans la communauté, entoure l’abbé dans ses décisions. Diverses commissions s’occupent de questions particulières: bâtiments, finances etc.

Chaque secteur de l’abbaye dispose d’une certaine autonomie financière

et s’administre lui-même. La commission des finances et le Concilium s’occupent de la gestion et des comptes d’ensemble. Un des frères est comptable

central; il est conseillé par deux experts extérieurs au couvent. La communauté peut compter encore sur le soutien de l’Association des amis de

l’abbaye qui a pour but d’aider le monastère dans la recherche de moyens

financiers, en mettant à disposition des spécialistes des questions financières, ou en prenant en charge des projets concrets, comme la rénovation

de l’orgue de la chapelle des étudiants, ou prochainement la réfection de

la bibliothèque.

La discussion est interrompue sur le coup de midi pour se rendre à l’office. Du haut de la galerie du choeur, les hôtes dominent les moines alignés dans les stalles. La surchage du décor baroque et les ors brillant au

soleil distraient le visiteur, mais ne troublent pas la sérénité des lieux.

Le repas en silence suit dans l’immense réfectoire. Il est rythmé par la

lecture, sur un ton monocorde, de la Bible, de la règle et d’un ouvrage sur

le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique. Après le café, un luxe

que les moines ne s’offrent pas tous les jours, la discussion reprend sur

la situation financière du monastère.

Le revenu principal: l’activité des moines

«Ora et labora» (prie et travaille), telle est la devise des bénédictins. En bonne logique, les revenus financiers de l’abbaye sont constitués

en grande partie par le travail des pères et des frères, principalement les

salaires des curés ou d’autres moines actifs à l’extérieur, aumôniers, prédicateurs, professeurs. (882’000 francs de bonus en 1991). Les subventions

publiques pour les rénovations, mais aussi pour l’agriculture et le collège, forment la seconde part. La troisième part est constitué par les dons

liés à la restauration de l’église ou libres (474’000 francs). Les revenus

des valeurs boursières et les intérêts bancaires ont rapporté 285’000

francs en 1991. Il y a aussi les fermages, les locations et les activités

des divers ateliers (248’000 francs) mais ces revenus tendent à se réduire.

Autrefois, le couvent tirait l’essentiel de ses ressources de ses propriétés foncières et de ses biens. Mais aujourd’hui, l’agriculture est plutôt

une charge qu’un revenu. La situation est semblable pour la forêt. Les prix

sont actuellement très bas. Le monastère cherche à utiliser lui-même le

bois et a investi 13,7 millions de francs dans la reconstruction de la

scierie et dans une centrale de chauffage au bois.

130 employés: le deuxième employeur de la commune

Avec ses 130 employés, l’abbaye est le deuxième employeur de la commune

d’Einsiedeln, après Landis & Gyr. Il faut y ajouter les 28 fermiers. Un

nombre important des employés travaille à la forêt. Le collège emploie 18

professeurs laïcs. Les autres membres du personnel sont occupés dans

l’agriculture, dans les divers ateliers, à l’entretien ainsi qu’à la cuisine. Les charges de personnels sont ainsi la principale dépense de l’abbaye.

Des propriétés dans plusieurs cantons et en Autriche

Le Père Markus sort un instant du bureau; il revient avec une carte

qu’il déplie sur la table. En de larges taches jaunes pour les terres agricoles, vertes pour les forêts et bleues pour les lacs, elle représente les

propriétés de l’abbaye. En tout 2’400 hectares: 1119 de forêts, 857 de terres et 350 de lac. Les taches les plus grandes se trouvent dans la région

même d’Einsiedeln. Le vin que nous avons bu à midi vient du domaine du

Leutschen sur les bords du lac de Zurich où se trouvent d’autres propriétés

du monastère avec 350 hectares d’eau qui sont affermés à des pêcheurs professionnels et la petite île d’Ufenau, où les promeneurs aiment à passer le

dimanche après-midi. Dans le canton de Zurich, 36 ha de forêts et 57 ha de

terres appartiennent à l’abbaye, mais il n’y a pas d’immeuble à la Bahnhofstrasse comme certains l’imaginent, précise le doyen. Le couvent de bénédictines de Fahr, dans le canton d’Argovie, est une autre petite tache

sur la carte des propriétés monastiques: «les hasards de l’histoire». En

Thurgovie, l’abbaye possède le Sonnenberg qui comprend un vignoble et un

hôtel-restaurant. En Autriche enfin, l’abbaye possède un domaine à St-Gerold, dans le Voralberg, (20 ha de forêt, 40 ha de terres) où les bénédictins ont aussi la charge de la paroisse.

De la scierie à la reliure, de la forge à la blanchisserie

Saint Benoît avait imaginé pour ses monastères une vie très autarcique.

Les divers ateliers doivent répondre aux nécessités du couvent. Les bénédictins d’Einsiedeln ont suivi la règle. Ce n’est plus une nécessité de nos

jours, mais cela permet de substantielles économies. La scierie, la menuiserie, la forge et l’atelier mécanique, la ferblanterie-couverture, les installations sanitaires et la peinture permettent d’exécuter la majeure partie des travaux de rénovations. Il y a encore l’imprimerie et l’atelier de

reliure, sans oublier bien sûr, le jardin, la cuisine et la blanchisserie.

Ces «entreprises» paient des impôts sur leurs activités. Seuls 4 frères

sont encore employés à plein temps dans ces ateliers, le reste du personnel

est constitué d’employés laïcs. Les autres frères travaillent à l’intérieur, à la sacristie, à l’entretien, à la cuisine, à la centrale téléphonique, à l’accueil.

Une déclaration d’impôts pour chaque moine

L’abbaye d’Einsiedeln n’est pas totalement exemptée d’impôts. Si les activités d’Eglise sont libres d’impôts, l’abbaye paie par contre des impôts

sur la fortune. Selon un calcul qui ne charge pas trop les finances, admet

le Père Markus. Pour l’impôt sur le revenu, le comptable doit remplir une

déclaration d’impôts pour chaque religieux! Les moines qui ont un salaire

personnel paient des impôts comme tout le monde. Pour les moines qui sont

au couvent et qui n’ont pas de salaire personnel, par exemple les professeurs, on calcule un salaire «en nature» selon le barême officiel et on

paie des impôts sur ce montant. Pour l’AVS, c’est également ce salaire en

nature qui est pris en considération. A 65 ans, les religieux ont ainsi

droit à la rente minimale. Actuellement les cotisations AVS et les rentes

s’équilibrent.

Avec 5,5 millions de francs de dette, il faut reconnaître, admet le Père

Markus, que la situation financière de l’abbaye est encore assez saine.

Mais les 69,5 millions d’investissements de ces 15 dernières années, 28

millions pour l’église et 41,5 millions pour le reste, ont épongé pratiquement toutes les réserves du monastère, qui a été obligé d’effectuer quelques ventes. La vente prochaine de l’école d’agriculture de Pfäffikon à

l’Etat de Schwyz pour un montant 18 millions permettra d’éponger la dette

et de constituer quelques réserves pour les investissements futurs, surtout

pour la rénovation des communs du monastère. (apic/mp)

Encadré

28 millions pour la restauration de l’église

Des travaux payés par les fidèles

Depuis 1975, 28 millions de francs ont été investis dans la restauration de

l’église d’Einsiedeln. Un principe établi dès le départ veut que la restauration ne pèse pas sur les finances du monastère, explique le Père Matthäus, responsable des travaux. Les subventions couvrent environ 55% des

dépenses. La Confédération alloue 31% de subventions; le canton de Schwyz

est tenu de donner les deux tiers de la part fédérale, soit 20% enfin le

district d’Einsiedeln accorde un subside de 4,5%. La part restante, soit

entre 40 et 50%, est couverte par les dons des fidèles et des pèlerins.

On peut dire finalement que ce sont les fidèles qui ont restauré l’église comme elle a d’ailleurs été construite et entretenue, souligne non sans

une certaine fierté, le Père Matthäus. Chaque année un plan de travail est

établi en tenant compte des sommes disponibles. L’avancement des travaux

est donc en lien direct avec les moyens financiers à disposition.

Deux causes ont rendu nécessaire la restauration. L’humidité avait, depuis deux siècles, causé de sérieux dégâts. D’importants travaux d’assainissement ont été nécessaires pour abaisser le niveau de l’humidité. Le

deuxième problème était la stabilité et la statique de l’église, la sécurité des voûtes n’étant plus suffisante. Ces travaux ont également permis la

construction d’une basilique souterraine où les pèlerins peuvent se reccueillir, et d’un abri pour le trésor.

Les travaux ont débuté en 1975, aujourd’hui les décors du choeur et de

la nef resplendissent à nouveau, seul l’octogone entourant la sainte chapelle est encore prisonnier des échafaudages. En 1991, le Père Matthäus a

comptabilisé 35’000 h de travail. Cela représente une moyenne de 15 a 20

collaborateurs en permanence. A côté de la restauration, il faut prévoir

aussi tous les cinq ans un nettoyage pour éviter que la poussière ne s’incruste sur les parties déjà restaurées. C’est sur un espoir que le Père

Matthäus conclut: terminer la restauration d’ici l’an 2000.(apic/mp)

Encadré

Un collège qui pèse lourd sur les finances

La plus grosse charge financière pour l’abbaye d’Einsiedeln est sans conteste le Collège. Depuis une dizaine d’années les investissements, se sont

montés à près de 10 millions de francs que les revenus d’un peu plus de 3

millions de francs pour la même période ne parviennent en aucun cas à couvrir. En 1991, le découvert atteint 1,5 million de francs. Face à une augmentation constante des coûts, l’abbaye compte sur un soutien accru de

l’Etat de Schwyz et de la région d’Einsiedeln.

Le collège est considéré comme une école privée. Il reçoit une subvention du canton et de la région de 8’000 francs par an et par élève pour les

gymnasiens et de 4’000 francs par élève pour le cycle d’orientation (école

obligatoire). Pour les élèves étrangers au canton, on a introduit à partir

de cette année un écolage à trois tarifs: 6’000 francs pour le tarif social, 9’000 pour le tarif normal et 12’000 pour le tarif de soutien. A cela, les internes doivent encore ajouter 6’000 francs pour la pension.

Le collège a fait de gros investissements depuis une dizaine d’années.

Pour plus de 9 millions de francs: construction de deux halles de gymm,

salles de chimie, de biologie et de dessin, restauration de la salle de

théatre. La rénovation des salles de classes attendra qu’on ait trouvé de

nouveaux fonds.

Le collège compte actuellement 335 élèves, dont 122 filles (le Collège

est mixte depuis 1970 déjà) répartis en 15 classes sur 7 niveaux. 93 sont

internes 242 sont externes. 199 proviennent du canton de Schwyz, 136 d’autres cantons et de l’étranger. 24 Pères et 18 laïcs forment le corps des

enseignants. Les pères qui enseignent au collège ne reçoivent pas de salaire personnel et l’abbaye ne reçoit pas de loyer pour la mise à disposition

des bâtiments.

A cause de la situation financière, le maintien à long terme du collège

n’est actuellement pas assuré. On espère une aide accrue de l’Etat et de la

région et un groupe de parents s’est formé pour venir en aide au collège.

(apic/mp)

Encadré

Einsiedeln: 500’000 visiteurs par an

Avec 500’000 visiteurs par an, 116’558 nuitées en 1991, l’impact du pèlerinage d’Einsiedeln sur l’économie locale est très important. Cette cité de

6’000 habitants compte 19 hôtels et un millier de lits pour coucher le pèlerin et pas moins de 66 restaurants pour le nourrir. Tout n’est pas rose

pourtant dans la cité schwyzoise. Depuis vingt ans, le nombre de nuitées

annuelles a chuté de près de 40%, même si le nombre des visiteurs tend à

progresser. Pour le père Othmar, directeur du pèlerinage, il s’agit là

d’une évolution inéluctable liée à la motorisation croissante.

Le chiffre de 500’000 visiteurs ne résulte pas d’une statistique, comme

cela se fait dans d’autres lieux de pèlerinage, il s’agit d’une estimation,

précise le Père Othmar. Ces visiteurs se divisent en trois catégories:

100’000 sont de véritables pèlerins, 100’000 sont des simples touristes et

300’000 sont pèlerins et touristes. En 1991, 952 groupes se sont annoncés

au bureau du pèlerinage. La plus grande part des pèlerins est actuellement

celle des pèlerins d’un jour qui arrivent par la route et ne dorment pas

dans la région. Cette évolution due au développement des liaisons routières

est très nette depuis une vingtaine d’années. Peu de Suisses passent la

nuit à Einsiedeln par exemple. Entre 1970 et 1980 l’hôtellerie locale a enregistré une moyenne de 175’571 nuitées annuelles. Pour la décennie suivante, ce chiffre n’était plus que de 132’062 nuitées. Quelques hôtels ont

d’ailleurs fermé leur portes. Einsiedeln continue cependant à se maintenir

dans la bonne moyenne de l’hôtellerie suisse.

La Suisse dans son ensemble est le premier pays d’origine des visiteurs.

Le Tyrol, le Voralberg, l’Allemagne du Sud et le nord de l’Italie sont les

lieux de provenance traditionnels, de même que l’Alsace-Lorraine. Einsiedeln est aussi un pèlerinage d’étape pour les gens qui se rendent à Lourdes, à Rome ou parfois à St-Jacques de Compostelle. Les simples touristes

sont surtout des Japonais et des Américains pour qui Einsiedeln est une

étape dans un tour de Suisse ou d’Europe.(apic/mp)

Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’agence CIRIC Ch.

des Clochetons 8, 1000 Lausanne 7 tél. 021/25 28 29

8 juillet 1992 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 11 min.
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