Bruxelles: Le directeur de Missio-Belgique de retour d’un voyage au Congo

APIC-Reportage:

«La tranquillité est revenue, mais à quel prix ?»

Bruxelles, 16 janvier 1998 (APIC) Le Père Joseph Burgraff, directeur national de «Missio-Belgique» (Oeuvres pontificales missionnaires), a effectué du 27 décembre au 10 janvier un voyage au Congo. A son retour, il a confié ses premières impressions à l’agence de presse catholique belge CIP. «Je n’ai jamais vu autant de militaires, et aussi jeunes !», s’exclame le Père Burgraff. «Une armée d’enfants ! On les appelle les «Kadogos», les «petits». Ils ont le regard vif et impassible. Ils ont l’oeil sur tout et gardent l’index collé à la gâchette d’une mitraillette. Tous portent une seconde arme: un fouet. Une semaine avant Noël, on les a vus arrêter un chauffeur qui bloquait un rond-point, le déculotter, le fouetter en public… puis l’abattre.

Manifestement, la consigne est que l’ordre règne, quitte à pratiquer une justice expéditive et à répandre la terreur.» «C’est le première chose qui m’a frappé à mon arrivée à Kinshasa : les temps ont changé, l’ordre règne. L’aéroport a été rafraîchi et nettoyé, au propre comme au figuré. Ce n’est plus la pagaille de ces dernières années, et l’on n’est plus assailli par toutes sortes de démarcheurs. On ne se fait plus rançonner, pas même au contrôle des visas.

«D’où viennent ces militaires ? «La plupart sont des Balubas, de la même ethnie que Laurent Kabila, le chef de l’Etat. Ils sont à présent 200’000 et l’homme fort du pays souhaite porter les effectifs à 600’000 ! Ces jeunes soldats ont reçu une formation rigoureuse dans des camps, durant quelques semaines. Il y a des camps de formation un peu partout, dont deux camps de 13’000 et de 5’000 recrues à Manono, la région d’origine du président, au centre du pays.»

Kinshasa n’est pas Lubumbashi

Comment réagit la population ? Le Père Burgraff ne peut répondre que pour les deux régions qu’il a visitées. «A Kinshasa, malgré l’immense soulagement qu’a provoqué le renversement de l’ancien régime, le nouveau gouvernement suscite peu de sympathie. Au début de cette année, Laurent Kabila a d’ailleurs été hué quand il s’est présenté devant les étudiants de l’Université. Et dès qu’il les a quittés, les étudiants se sont mis à boiter pour singer sa démarche.

«A Lubumbashi, la population est davantage satisfaite. Il faut dire que Laurent Kabila est de la région et entend la favoriser. Plusieurs changements sont déjà perceptibles. Ainsi, des centaines de taxis proposent leur minibus. Tandis qu’à Kinshasa, certaines routes restent impraticables, tant les trous sont profonds, à Lubumbashi, les trous ont été rebouchés. Des fermes et d’autres bâtiments ont été rachetés par la famille de Kabila, qui a payé en dollars. On vient aussi d’un peu partout étudier les possibilités de reprendre des sites d’exploitation minière ou des commerces. Par exemple, une société a conclu un contrat d’exploitation des terrils de Lubumbashi pour en extraire du cobalt.»

La tranquillité, mais…

Le Congo traverse actuellement une période «plutôt tranquille», observe le Père Burgraff, mais bien des problèmes restent en souffrance et risquent de s’aggraver. «Malgré la crainte qu’ils inspirent, la présence des petits soldats partout est rassurante. Le retour de la sécurité et de la stabilité est propice au travail et à une reprise de l’économie. L’inflation semble jugulée et la monnaie stabilisée au même taux de change dans tout le pays: 110’000 nouveaux zaïres contre un dollar. Les banques rouvrent leur portes. Et les Congolais peuvent aujourd’hui cultiver leurs champs avec l’espoir d’y trouver… une récolte. Ils n’ont plus à redouter des exactions de la part des militaires. Ceux-ci sont enfin payés, et très bien payés : 200 dollars par mois ! Là-bas, c’est plus que pour un professeur d’Université !

«Mais combien de temps le nouveau régime pourra-t-il tenir le coup ? Car l’armée et certains travaux publics de première nécessité absorbent une bonne partie du budget de l’Etat, puisque celui-ci n’a plus de quoi financer l’enseignement dans les deux ou trois années à venir. Et Kabila veut tripler les effectifs militaires ? Avec quel argent ?

«Dans un budget, des choix sont à faire, et les Congolais s’interrogent déjà sur les critères qui seront retenus. Serait-ce la revanche des Balubas sur les dirigeants d’hier ? C’est la crainte que plusieurs Congolais m’ont exprimée. A plusieurs reprises, m’ont-ils dit, le président a manifesté un souci particulier de caser des gens de sa famille, dont récemment un cousin, qui n’a pas laissé que des bons souvenirs comme gouverneur à Lubumbashi, et qui est devenu le numéro deux du régime.» Outre l’enseignement, un des graves problèmes aujourd’hui posé au Congo est celui de la santé», souligne le Père Burgraff. «Pour l’enseignement comme pour la santé, l’Etat mise, sans le dire, sur les structures existantes… qui n’ont tenu le coup que grâce aux efforts de la population coordonnés par l’Eglise catholique. Il n’y a plus de politique de santé publique. On dit que le Congo est un des pays d’Afrique où le sida est le plus répandu. Or, à Kinshasa, je n’ai vu qu’une seule affiche sur ce problème. Il n’est d’ailleurs pas la première urgence. La faim, le manque d’hygiène et la malaria tuent trois fois plus comme dans la région de Kongolo: à six jours de voyage de Lubumbashi, cette région, en pleine saison des pluies, est actuellement isolée de tout. Les routes sont si délabrées que la population vit recluse durant six mois.

La plupart des organisations humanitaires absentes

«A Kisangani, les inondations de ces dernières semaines ont délogé bon nombre d’habitants de leurs habitations. Or, a plupart des organisations humanitaires internationales se sont retirées de l’endroit. Alors que le manque d’hygiène a provoqué un retour du choléra, seule l’association de Coopération Médicale Missionnaire (MEMISA) a fait le choix de se rendre sur place pour apporter une aide d’urgence, d’ailleurs financée par la Coopération belge au développement.

«Je pourrais encore citer le problème du chemin de fer. Là-bas, j’aurais aimé visiter un de mes confrères spiritains. Impossible. Il n’a plus vu passer le train depuis belle lurette: le rail est trop abîmé, les machines ne sont plus en ordre et en divers endroits, les dégâts provoqués par des éboulements n’ont pas été réparés…»

Et l’Eglise catholique ?

Pour l’Eglise catholique aussi, les temps sont en train de changer. A plus d’un titre. D’abord, le nouveau régime congolais met actuellement en place un Forum constitutionnel en vue d’élaborer une nouvelle Constitution pour le pays. Il y a quelques semaines, Laurent Kabila serait aller trouver Mgr Faustin Ngabu, évêque de Goma et président de la Conférence des évêques du Congo, pour lui proposer rien moins que… la présidence du Forum. L’évêque, de son côté, aurait poliment décliné l’offre. Sur place, le directeur de Missio n’a pu obtenir confirmation de ces rumeurs. Mais le climat des relations entre l’Eglise et l’Etat lui a plutôt fait l’effet d’une «tension froide». Ce qui, dit-il, «n’est pas un bon signe pour l’avenir.» Au sein même de l’Eglise, la vie continue, mais avec deux problèmes nouveaux, que le Père Burgraff relève comme «deux enjeux pour l’avenir».

«Le premier est la place des laïcs. On ne s’en aperçoit pas tout de suite car ce qui frappe c’est le nombre important des candidats au ministère sacerdotal: le Séminaire St-Paul à Lubumbashi accueille actuellement 244 séminaristes, dont 126 en théologie. Les évêques ne cachent pas que leur formation les préoccupe: faute d’argent, les cours au Séminaire n’ont pas repris en septembre, mais seulement le 22 décembre ! Une partie des subsides va d’abord à l’indispensable: il faut bien manger tous les jours !

«Mais cette préoccupation risque d’en voiler une autre: que devient aujourd’hui la promotion des laïcs dans l’Eglise ? Dans le sillage du Concile Vatican II, ce fut la grande préoccupation, qui a même débouché sur la création de nouveaux ministères laïcs, comme celle des animateurs paroissiaux ou «bakambis» à Kinshasa. Aujourd’hui, il y a moins de bakambis. S’orienterait-on vers une Eglise plus cléricale ? Je n’ose le penser».

Les Eglises d’Europe moins généreuses envers l’Afrique?

«Un autre problème me préoccupe encore plus, car il nous concerne directement. Pendant des années, l’Eglise catholique du Congo a retenu notre attention dans la mesure o| nous y avions envoyé nos missionnaires. De ces missionnaires, ils n’en reste plus beaucoup. Mais alors que cette Eglise a appris à voler de ses propres ailes et aurait aujourd’hui beaucoup à nous dire et à nous apprendre, elle a l’impression que nous l’avons oubliée. Chaque année, les collectes organisées pour le dimanche de la mission universelle sont en baisse. Et c’est un signe qui ne trompe pas l’épiscopat du Congo : est-ce que les catholiques de Belgique sont encore solidaires de leurs frères du Congo ? m’ont-ils demandé.» En rapportant cette question, le directeur de «Missio» ne peut s’empêcher d’y ajouter une supplication : «Surtout, que l’on cesse de regarder les Congolais comme des petits frères qui ont besoin de notre aide pour vivre. Il est vrai qu’ils ont besoin d’aide, mais pas parce qu’ils sont petits. Ils n’ont pas eu besoin de nous pour renverser un dictateur. Et les critiques que l’on entend là-bas sur le nouveau régime ne viennent pas d’abord des Européens, mais des Congolais ! La même chose vaut pour l’Eglise : ce n’est pas d’une assistance qu’elle a besoin, mais d’un partenariat. C’est dans cette optique qu’il convient de l’aider, mais aussi de lui demander ce qu’elle peut nous offrir. Car elle a quelque chose à nous apprendre.» (apic/cip/ba)

18 janvier 1998 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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L’or vert de l’Amazonie, médecine de demain?

APIC – Reportage

Quand le savoir empirique des indigènes vole au secours de la science

Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC

Longtemps ignoré, l’or vert de la forêt amazonienne pourrait bien constituer l’espoir de demain en matière médicale. Des milliers de plantes y poussent. 80’000 variétés assurent les spécialistes. Dont certaines, des milliers sans doute, possèdent des vertus curatives étonnantes. Mythe ou

réalité? Notre enquête, en Amazonie péruvienne et à Lima. Et des témoignages de guérisseurs, de praticiens de la médecine naturelle.

Entre les deux rives de l’Ucayali, à quelque 550 kilomètres en amont

d’Iquitos, où le fleuve rejoint l’Amazone, le bateau à moteur glisse entre

les plantes et les fleurs aquatiques. La chaleur tropicale n’est pas encore

au rendez-vous, ni les moustiques d’ailleurs en ce début de matinée. Qui

nous a vu quitter deux heures auparavant la ville amazonienne de Pucallpa,

à une heure de vol de Lima.

Pas banal, ce voyage. Comme n’est pas banal l’homme qui nous guide maintenant à travers la végétation, entre les arbres démesurés de cette forêt

amazonienne. Roberto Sanchez, un médecin naturaliste de 55 ans à la réputation bien établie, présente «son» domaine. Ainsi que les vertus curatives

contenues dans les plantes, les feuilles ou racines que le ciel a décidé de

faire pousser ici.

«Cette plante mélangée à d’autres, assure-t-il, intervient pour combattre certaines tumeurs cancéreuses; celle-là régénère le sang. Cette autre

possède des propriétés pour lutter contre le diabète. Quant à cette feuille

verte, dit-il en regardant malicieusement la cigarette incandescente de son

interlocuteur, elle est un purgatif à ce point drastique qu’elle vous enlève l’envie de fumer…»

L’énumération est longue, de l’ulcère au rhumatisme, de la diarrhée aux

problèmes de foie et de peau, en passant par les poumons et le coeur. Tout

cela au gré des plantes et des arbres croisés dans cette forêt maintenant

transformée en fournaise…

L’esprit du «Chullachaqui»

La renommée, ou plutôt les connaissances de ce «guérisseur», ont largement franchi les frontières de l’endroit. Septante scientifiques, médecins

et professeurs arrivés la veille de Lima prélèvent des échantillons d’écorce, à quelque 100 mètres de la cabane tout de bois, de branchages et de

feuilles construite, où trône une étrange créature, sculpture aussi noire

que redoutable dans son aspect: le «Chullachaqui», l’esprit mythique du

bien qui règne sur cette partie de ce jardin botanique. La légende veut

qu’avec sa seule jambe, le «Chullachaqui» (qui marche sur un pied) plonge à

la nuit tombante dans les eaux du lac Yarinacocha, pour s’en aller rejoindre les dauphin qui se transforment alors en sirènes, raconte une autre légende.

«Pratique empirique venue de la nuit des temps, la phytothérapie connaît

un regain d’intérêt depuis ces dernières années. A tel point que notre Université a décidé l’ouverture, pour 1996, d’une faculté de médecine naturelle. Parallèlement à la Faculté de médecine», confie moyennant l’anonymat

l’un des visiteurs, professeur à l’Université de San Marcos, à Lima. Un

scoop! D’où sa présence ici avec des collègues d’autres Hautes écoles de

Lima et de laboratoires de l’industrie chimique.

Comme nous, ce groupe de chercheurs a notamment rencontré Rosalba Ibanez, 46 ans, chez qui la Faculté avait diagnostiqué une tumeur cancéreuse

au sein. Depuis une dizaine d’années, son mal n’a plus progressé. «Stoppé

net grâce aux mélanges de plantes et au régime alimentaire prescrits par le

naturaliste Sanchez… Quelques décoctions et un régime diététique sévère»,

assure l’intéressée. Son cas est un parmi des centaines d’autres dans la

région de Pucallpa, affirme son médecin traitant, le professeur Jorge Rojas, auprès de qui, curieux, nous nous étions rendus.

Le professeur Rojas a aujourd’hui fait l’amalgame entre les connaissances médicales acquises dans les Ecoles et les hôpitaux, et celles de la médecine naturelle, également appelée traditionnelle. «Une démarche intéressante, suivie par des centaines de médecins péruviens et étrangers. Tous

constatent des résultats étonnants, échangés et commentés durant les nombreux congrès qui réunissent périodiquement des scientifiques au Pérou ou

ailleurs dans le monde». Et même jusqu’à Genève. Où un symposium tenu en

mai 1994 dans les locaux de l’OMS, avec l’appui du Département «Médecine

traditionnelle» de l’Organisation, avait réuni des botanistes, chimistes,

biologistes et des médecins européens et latino-américains pour débattre

des vertus d’une plante amazonienne: l’»Uncaria Tomentosa».

18 ans parmi les Indiens d’Amazonie

Pour être le médecin naturaliste reconnu qu’il est aujourd’hui, Roberto

Sanchez a passé plus de 18 ans parmi les Indiens de l’Amazonie brésilienne

et péruvienne. A s’instruire et à s’initier à leur savoir. A l’étude de la

relation du milieu écologique et de l’homme, de la maladie et du malade,

des croyances et des connaissances millénaires de ces hommes de la forêt.

Il s’est mis à l’écoute de leur sagesse, et appris le respect qu’ils ont de

leur cadre de vie. Comment parvient-on à maîtriser ces différentes disciplines? Un regard doublé d’un geste à l’endroit du personnage mythique du

lieu. Un silence méditatif. Nous n’en saurons pas davantage sur le sujet.

Le naturaliste qui règne sur les quelques km2 d’une forêt qui en compte

près de 3,8 millions s’inquiète du taux particulièrement élevé de déforestation annuelle de l’Amazonie: de 4% en forêt équatorienne, de 2,3%, 2,1%,

2,3% et 0,7% en régions brésilienne, bolivienne, colombienne et péruvienne

respectivement, pour ne citer que ces pays selon des statistiques 1989. «Le

monde ferait bien de prendre en compte la gestion complexe et équilibrée de

la forêt par les Indiens». Selon lui, on peut estimer à 8’000 le nombre de

plantes médicinales dont on ne connaît pas les propriétés.

Rien ou presque en comparaison des 500 à 600 plantes dont il est sûr

qu’elles possèdent tout ou en partie des éléments curatifs. Cinq à six

cents… sur les quelque 2’300 espèces véritablement connues par les

Indiens. «Le champ d’investigation est énorme», lâche Roberto Sanchez, en

désignant du doigt un arbre qui sécrète un poison mortel, que les ancêtres

ont su transformer en un «médicament» pour contrer les effets de certaines

morsures de serpent. Comment? Question sans réponse. Le savoir, simplement.

Comme une invitation à l’expérimentation

Depuis la nuit des temps, l’homme s’est approché de la nature pour soigner ses maux. «Vous savez, murmure notre hôte, la nature a toujours une

réponse positive aux utilisations négatives de ses plantes… La notion du

bien et du mal en quelque sorte. A une plante mal utilisée par l’homme correspond une autre pour annihiler les effets destructeurs de la première.

Même le tabac fumé en cigarette a son contradicteur dans la nature».

Un ange passe. Comme une invitation à l’expérimentation. Fumeur invétéré

– près de deux paquets quotidiennement -, rien, hormis le test et le défi

qui se présentaient, ne nous motivait vraiment à délaisser la cigarette.

L’expérience a été réalisée il y a quatre mois. Sans que la volonté n’intervienne vraiment, sinon lors de brefs moments, lorsque le souvenir de la

cigarette se manifeste à l’esprit sous forme de flash, plus aucune cigarette n’a été fumée depuis. Auto-suggestion? Au royaume du doute, les cartésiens sont rois. Il aura pourtant suffi d’une décoction verte pas du meilleur goût, contenue dans une tasse ingurgitée d’un trait, de cinq heures

d’une terrible purge et de 3 à 4 litres d’eau péniblement déglutie, de

quelques bouffées de fumée aux effets des plus nocifs. Et de quelques heures d’une grande fatigue…

La plante aux mille vertus

Objet de la curiosité des milieux médicaux péruviens, de scientiques européens et américains pour les propriétés anti-infectieuses et anti-virales

qu’on lui prête, mais aussi pour ses facultés à combattre les inflammations, l’»Uncaria Tomentosa», plus connue sous le nom de «Una de gato» – à

l’origine du symposium genevois de mai 1994 -, pousse dans les zones les

plus humides de l’Amazonie. Sorte de liane, plante ou plutôt arbustre fluvial, la «Una de gato» a été utilisée par les populations amazoniennes durant des siècles. Elle l’est maintenant par les populations urbaines pour,

disent-elles, guérir ou se prémunir d’une trentaine de maux et maladies.

Plante aux mille vertus? Son attrait avait éveillé notre intérêt. Suffisamment pour nous rendre là où croît en quantité cette liane, «domaine»

d’un guérisseur indien, à mi-chemin entre Pucallpa et Iquitos. Plus de deux

jours de «navigation» sur l’Ucayali, en décrue en cette période de l’année.

A la recherche de cette plante miraculeuse. Sur laquellle se penchent le

plus sérieusement du monde des scienfiques comme Fernando Cabieses, directeur de l’Institut national de médecine naturelle, du ministère péruvien de

la Santé, Eduardo Caceres Graziani, qui passe au Pérou pour l’une des figures de proue en matière de recherche sur le cancer, ou encore les professeurs italien Gianfranco Pelusso, médecin et chimiste de l’Université de

Salerne, et James Duke, du Département fédéral de l’agriculture, à Washington.

Le commencement du monde

Soixante heures de navigation qui relèvent de l’expédition, entrecoupées

d’arrêt pour passer la nuit sur le hamac du bateau amarré près de la berge,

à quelques mètres des cabanes des quelques villages côtiers de l’Ucayali,

seront nécessaires pour parvenir dans le domaine de «Pepe» Ramirez. L’Indio

grâce à qui une petite partie de la récolte de cette liane «miraculeuse»

arrive dans les foyers du pays.

L’endroit est à l’image du paysage croisé durant le voyage… une eau

brunâtre. Et des rives où seuls prédominent les cris d’une multitudes d’oiseaux, de singes parfois, et le vert d’une muraille végétale. Ajoutant à la

moiteur humide du lieu un aspect de bout du monde. De commencement plutôt.

L’»Uncaria Tomentosa», en pays conquis, s’y développe anarchiquement.

Encore et toujours malgré les atteintes faites par l’homme à l’Amazonie. Sa

découverte fait comprendre pourquoi les indigènes l’affublent du nom de

«Una de gato»: ses épines, qui accrochent solidement ses feuilles à la liane, font penser à des griffes de chat. Ses propriétés curatives sont immenses, assure Pepe… otite, artérite et arthrite, problèmes sanguins ou

intoxications, vomissements… «Et plus encore, si l’on considère que des

scientifiques lui prêtent la faculté de s’attaquer au cancer».

Et si la science….

«Les études de la plante ont décelé un taux élevé de tanin et d’alcaloïdes, qui explique en partie ses propriétés curatives», confirmera plus tard

à Lima le directeur de l’Institut national de médecine naturel, le professeur Cabieses. Selon lui, les expérimentations attestent d’une importante

activité cytologique, qui convertit la ’Una de gato’ en un inhibiteur des

cellules cancéreuses. En même temps, l’accroissement important de l’activité phagocytosique particulièrement immunocompétente fait que la plante intervient dans les processus immunitaires».

Langage d’universitaire! Que résume Pepe: la «Una de gato» est intéressante pour la recherche du cancer parce qu’elle contient des substances

molléculaires qui ralentissent ou arrêtent l’action de cellules cancéreuses, en même temps qu’elle s’avère intéressante dans la recherche sur le

sida dans la mesure où elle renforce et améliore l’immunité. Ce dont sont

précisément dépourvus les sidéens. Des tests ont d’ailleurs été réalisés

sur des personnes séropositives. Plus nuancé, le professeur Cabieses se

borne à espérer que les expériences faites en laboratoire à partir de la

plante contribueront à apporter une réponse à ce terrible problème.

Vrai… jusqu’à preuve du contraire

Mythe? Réalité? Autosuggestion? L’anthropologue canado-suisse Jeremy

Narby, auteur de plusieurs ouvrages après avoir passé plus de deux ans parmi les Indiens Ashaninca de l’Amazonie, confiait récemment à l’APIC avoir

lui-même été guéri par les indigènes pour un mal de dos chronique contre

lequel la Faculté avait été impuissante. «L’esprit rationnel et cartésien

du monde occidental a du mal à admettre ces connaissances indigènes. Les

scientifiques ont beau ne pas croire en ce savoir, il n’en demeure pas

moins que celui-ci a permis la chirurgie moderne avec la découverte du curare… utilisé depuis des millénaires par les Indiens».

Pour J. Narby, leur méthode de guérison – adoptée par une grande partie

de la population pauvre du Pérou, pour qui médecins et médicaments de la

faculté sont hors de prix – ne correspond pas à notre logique occidentale.

Il n’en demeure pas moins que le taux de guérison est incroyable. «Chiffrons-le, regardons-le par rapport aux maladies diagnostiquées. Aussi improbable que cela puisse paraître, c’est empiriquement vrai… jusqu’à

preuve du contraire». (apic/pr)

ENCADRE

Plantes et industries chimiques

Un médicament sur quatre a une origine tropicale pour ce qui est de sa

substance chimique active: analgésiques, antibiotiques, diurétiques, laxatifs, tranquillisants… et entre 60 et 70% des médicaments sur le marché

sont transformés à partir de plantes, de matières premières en provenance

d’Amazonie, de forêts tropicales. Des chiffres difficilements vérifiables,

certes, mais que n’est pas loin d’admettre Luis A. Salinas, conseiller

scientifique du bureau de Pharma Information, à Bâle, qui groupe les trois

grandes industries chimiques suisses, Ciba, Sandoz et Roche.

«La base de la plus grande partie des médicaments provient effectivement

des plantes, dont les principes actifs ont été synthétisés pour parvenir à

une plus grande production». En d’autres termes, les substances actives de

ces plantes ont été chimiquement reproduites artificiellement en laboratoire. «Les industries pharmaceutiques investissent aujourd’hui de gros capitaux pour trouver de nouvelles substances actives dans les forêts et mers

tropicales. Les recherches en la matière intéressent de plus en plus les

chercheurs des laboratoires américains, très présents dans les forêts

d’Amérique centrale et en Amazonie», indique encore L. Salinas.

«Que ce soit dans le secteur médical, agronomique ou cosmétologique, la

mode est aujourd’hui aux substances naturelles. Il faut espérer que la

science de l’écologie continue à en bénéficier, déclarait en janvier dernier Monique Bélin-Depoux, directrice du laboratoire de biologie végétale

tropicale de l’Université Paris-VI. (apic/pr)

20 novembre 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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