Chine, course aux armes, abus sexuels…: la conférence de presse du pape de retour des pays baltes

Le pape François s’est exprimé et a répondu à quelques questions de journalistes pendant près d’une heure, le 25 septembre 2018, dans l’avion de retour de son voyage aux pays baltes. Le pontife est notamment revenu sur «l’accord provisoire» avec la Chine, certifiant que la nomination des évêques dans ce pays serait faite par le successeur de Pierre, après un «dialogue».

Sur l’accord «provisoire» signé avec la République populaire de Chine au sujet de la nomination des évêques:

Ceci est un processus [qui se déroule] depuis des années, un dialogue entre la commission vaticane et la commission chinoise pour organiser la nomination des évêques.

L’équipe vaticane a tant travaillé, j’aimerais citer quelques noms, Mgr [Claudio Maria] Celli qui avec quelle patience est allé dialoguer, est retourné (??)… des années, des années. Puis le Père Gianfranco Rota Graziosi, un humble membre de la Curie [chef de bureau à la 2nde section de la Secrétairerie d’Etat, ndlr], de 72 ans, qui aimerait être un prêtre dans une paroisse mais est resté au sein de la Curie pour aider dans ce processus. Et ensuite le secrétaire d’Etat qui est un homme très dévoué, le cardinal Parolin, mais c’est une dévotion spéciale de lenteur. Ils étudient tous les documents au point près, à la virgule, contextes. Et ceci me donne à moi une sécurité très grande. Et cette équipe, avec ces qualités, est allée de l’avant.

Vous savez que quand se fait un accord de paix ou une négociation, les deux parties perdent quelque chose. C’est la règle, les deux parties. Et on avance. Ceci est allé de l’avant, deux pas en avant, un en arrière, deux en avant, un en arrière, puis des mois ont passé sans se parler. C’est le temps de Dieu qui ressemble au temps chinois, lentement, ceci est la sagesse, la sagesse des Chinois.

Et les évêques qui étaient en difficulté ont été étudiés au cas par cas. Et les cas des évêques sont arrivés à la fin, les dossiers de chacun, sur mon bureau. C’est moi qui ai été le responsable à signer. Le cas des évêques. Ensuite le cas de l’accord est revenu, les avis sur mon bureau, on se parlait, je donnais mes idées, les autres discutaient et allaient de l’avant.

Je pense à la résistance, aux catholiques qui ont souffert, c’est vrai. Et ils souffriront. Il y a toujours de la souffrance dans un accord. Mais ils ont une grande foi, ils écrivent, font arriver des messages que ce que dit le Saint-Siège, ce qui dit Pierre, c’est ce que dit Jésus. La foi de martyr de ces gens aujourd’hui va de l’avant. Ce sont des grands.

L’accord, je l’ai signé moi. Au moins les lettres plénipotentiaires pour signer cet accord que j’avais signées. Je suis responsable. Les autres, cités, tous ont travaillé durant plus de dix ans. Ce n’est pas une improvisation, c’est un chemin, un vrai chemin.

Et puis, une anecdote simple et un fait historique. Quand il y a eu le fameux communiqué d’un ex-nonce apostolique [Mgr Carlo Maria Viganò, ndlr], les épiscopats du monde m’ont écrit, disant qu’ils se sentaient proches, priaient pour moi. Les fidèles chinois ont écrit et la signature de cet écrit était de l’évêque – disons ainsi – de ›l’Eglise traditionnelle catholique’ et l’évêque de ›l’Eglise patriotique’. Ensemble tous les deux et fidèles tous les deux. Cela a été pour moi un signal de Dieu.

La deuxième chose, une anecdote aussi. Nous oublions qu’en Amérique latine – Dieu merci nous avons dépassé ceci – nous oublions que pendant 350 ans, c’étaient les rois du Portugal et de l’Espagne qui ont nommé les évêques. Et le pape seulement donnait la juridiction. Nous oublions que le cas de l’empire austro-hongrois, [l’impératrice] Marie-Thérèse se fatiguait de signer les nominations d’évêques, le Vatican donnait la juridiction. Autres époques, grâce à Dieu, qu’elles ne se répètent pas.

Ceci n’est pas que des nominations, c’est un dialogue sur des éventuels candidats. La chose se fait par le dialogue. Mais c’est Rome qui nomme. C’est le pape qui nomme. Ceci est clair.

Et prions pour les souffrances de quelques-uns qui ne comprennent pas ou qui ont sur les épaules derrière eux tant d’années de clandestinité.

Sur la course aux armes et les menaces sur les frontières:

La menace des armes. Aujourd’hui, les dépenses mondiales en armes sont scandaleuses. On me disait qu’avec ce qui se dépense en armes en un mois, on pourrait donner à manger à tous les affamés du monde pendant un an. Je ne sais pas si c’est vrai. C’est terrible. L’industrie et le commerce des armes, aussi la contrebande des armes, est une des corruptions les plus grandes. Et devant cela, c’est la logique de la défense. David a été capable de vaincre avec une fronde et cinq petites pierres. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de David.

Je crois que pour organiser un pays, il faut qu’il y ait une armée de défense raisonnable et non agressive. Raisonnable et non agressive. Ainsi, la défense est licite et aussi c’est un honneur de défendre la partie. Le problème est quand elle devient agressive, non raisonnable et qu’on fait les guerres de frontières. Sur les guerres de frontières, nous avons tant d’exemples, pas seulement en Europe vers l’est, aussi sur d’autres continents. On se dispute pour le pouvoir, pour coloniser un pays. Cela est à mon avis la réponse à votre question. L’industrie des armes est scandaleuse aujourd’hui, devant un monde affamé. Deuxièmement, il est licite et raisonnable d’avoir une armée pour défendre les frontières. Et cela va à l’honneur, comme il est licite d’avoir une clef pour la porte de la maison. La défense contre l’attaque.

Sur les abus sexuels:

Aujourd’hui la rencontre avec les jeunes: les jeunes se scandalisent de l’hypocrisie des grands, des guerres, de l’incohérence, de la corruption. Et dans la corruption entre ce dont vous parliez, les abus sexuels. Il est vrai qu’il y a une accusation contre l’Eglise, on le sait tous, on connaît les statistiques. Je ne les dirai pas. Mais si un seul prêtre a abusé d’un enfant, c’est monstrueux. Cet homme, choisi par Dieu pour emmener les enfants vers le Ciel. Je comprends que les jeunes se scandalisent de cette corruption si grande. Ils savent que cela a lieu partout [pas que dans l’Eglise, ndlr]. Mais dans l’Eglise, c’est plus scandaleux car elle doit conduire les enfant à Dieu et non les détruire. Les jeunes cherchent à se frayer un chemin avec l’expérience. Quand j’étais avec les jeunes aujourd’hui, c’était très clair : Ils veulent de l’écoute. Ils ne veulent pas de formules toutes faites, ils ne veulent pas d’un accompagnement directiviste.

La deuxième partie de cette question était que l’Eglise ne fait pas les choses comme elle devrait pour nettoyer cette corruption. Je prends le rapport de Pennsylvanie, comme exemple. Nous voyons que les premières 70 années, il y avait tant de prêtres qui sont tombés dans cette corruption. Puis dans les temps plus récents, cela a diminué car l’Eglise s’est rendue compte qu’elle devait lutter d’une autre manière.

Dans les temps anciens, on cachait ces choses. On les cachait aussi à la maison, quand les oncles violentaient la nièce, quand le papa violentait ses enfants. On les cachait, car c’était une grande honte. C’était la façon de penser des siècles passés, ou du siècle passé. Il y a un principe qui m’aide beaucoup pour interpréter l’histoire. Un fait historique s’interprète avec l’herméneutique de l’époque dans laquelle il a eu lieu. Pas avec une herméneutique d’aujourd’hui transposée. L’exemple de l’indigénisme. Tant d’injustices, de brutalité, mais on ne peut interpréter avec l’herméneutique d’aujourd’hui. Nous avons une autre conscience.

Dernier exemple, la peine de mort. Le Vatican, quand il était un Etat, les Etats pontificaux, avait la peine de mort. Le dernier a été décapité en 1870 et quelques. Un criminel, un homme. Puis la conscience morale grandit. La conscience morale grandit. Il est vrai qu’il y a toujours les lacunes, et des condamnations à mort en cachette: tu es vieux, tu me fatigues, je ne te donne plus de médicaments. C’est une condamnation à mort sociale d’aujourd’hui. Je crois qu’avec cela, j’ai répondu. L’Eglise… Prenez l’exemple de Pennsylvanie, regardez les proportions et voyez que quand l’Eglise a commencé à prendre conscience de cela, elle l’a fait. Dans les derniers temps, j’ai reçu tant, tant de condamnations faites par la Congrégation pour la doctrine de la foi et je dis: on y va, on y va. Jamais, jamais après une condamnation, je n’ai signé de demande de grâce. Là-dessus, on ne négocie pas.

Sur l’importance des racines et de l’identité :

Moi, de l’Estonie et de la Lettonie, la Lituanie dans ma patrie je ne connaissais personne. Mais oui est très forte, relativement forte, une migration lituanienne. En Argentine, il y a tant. Et eux apportent là la culture, l’histoire. Ils sont fiers dans le double effort: de s’insérer dans le pays nouveau et aussi conserver l’identité. Dans leurs fêtes, il y a les habits traditionnels, les chants traditionnels. Et quand ils peuvent, ils rentrent dans la patrie pour visiter. Je crois que la lutte pour maintenir l’identité, il la faut très forte et vous avez cela, vous avez une identité forte. Une identité qui s’est faite dans la souffrance, dans la défense, dans le travail, dans la culture.

Que faire pour défendre l’identité ? Le recours aux racines, cela est important. C’est une chose ancienne, mais c’est une chose qui doit être transmise. L’identité s’inscrit dans l’appartenance à un peuple et l’appartenance à un peuple doit être transmise. Les racines doivent être transmises aux nouvelles générations. Et cela avec l’éducation et le dialogue, surtout entre vieux et jeunes, et [ainsi] on peut transmettre cela. Et vous devez le faire. Car votre identité est un trésor. Ainsi – chaque identité est un trésor – conçue comme un appartenance à un peuple.

Sur la torture, la cruauté et la prison:

Je voudrais vous dire quelques choses sur quelques points du voyage que j’ai vécu avec une force spéciale. Le fait de votre histoire, de l’histoire des pays baltes. Une histoire d’invasion, de dictatures, de crimes, de déportations. Quand j’ai visité le musée à Vilnius. Musée est un mot qui nous fait penser au Louvre. Ce musée est une prison, c’est la prison où les détenus pour raisons politiques ou religieuses étaient conduits. J’ai vu des cellules de la largeur de ce couloir. Où on pouvait rester seulement debout. Des cellules de torture. J’ai vu des lieux de torture où, avec le froid qu’il y a en Lituanie, il amenaient les prisonniers nus et leur jetaient de l’eau et ils restaient là pour des heures et des heures. Pour rompre la résistance.

Et puis, je suis entré dans la salle, la grande pièce des exécutions. Ils étaient conduits là par la force – les prisonniers – et simplement avec un coup dans la nuque. Puis ils tuaient. Avec un escalier mécanique vers un camion qui les jetaient dans la forêt. Plus ou moins, ils en assassinaient 40 par jours, plus ou moins. A la fin, ils ont été environ 15’000, ceux qui ont été assassinés là. Cela fait partie de l’histoire de la Lituanie et aussi des autres pays, mais ce que j’ai vu moi était en Lituanie.

Puis j’ai été à l’emplacement du grand ghetto, où ont été tués des milliers de Juifs. Puis, le même après-midi, j’ai été au monument de la mémoire des condamnés, assassinés, torturés, déportés. Ce jour, je vous dis la vérité, je suis resté détruit. Cela m’a fait réfléchir sur la cruauté. Mais je vous dis: avec l’information que nous avons aujourd’hui, la cruauté n’est pas finie. La même cruauté aujourd’hui se trouve dans tant de lieux de détention. Aujourd’hui, elle se trouve dans tant de prisons, aussi… la surpopulation d’une prison est un mode de torture, de ne pas vivre avec dignité. Une prison aujourd’hui qui est organisée sans donner au détenu la sortie de l’espérance est déjà une torture.

Puis, nous avons vu à la télévision les cruautés des terroristes de l’ISIS [l’organisation Etat islamique, ndlr], ce pilote jordanien brûlé vif. Ces chrétiens coptes exécutés sur la plages de Libye. Et tant d’autres. Aujourd’hui, la cruauté n’est pas finie. Dans le monde entier, on y a recours. Et ce message, je voudrais vous le donner à vous, en tant que journalistes. Cela est un grand scandale de notre culture, de notre société.

Sur la haine de la foi et la transmission:

Une autre chose que j’ai vue dans ces trois pays c’est la haine envers la religion, quelle qu’elle soit. La haine. J’ai vu un évêque jésuite en Lituanie ou en Lettonie – je ne me souviens pas bien – qui a été déporté en Sibérie pendant dix ans puis dans un autre centre de concentration puis…. Tant d’hommes et de femmes pour défendre leur foi qui était leur identité ont été torturés, déportés en Sibérie, ne sont pas revenus, ou ont été tués. La foi de ces trois pays est grande, c’est une foi qui nait du martyre, c’est une chose que vous avez peut-être vue en parlant avec les gens comme vous faites, vous les journalistes, pour avoir des informations sur le pays. Et puis cette expérience de foi si importante a créé un phénomène particulier dans ces pays: une vie œcuménique qui n’existe pas ailleurs, à ce point généralisée. Il existe un vrai œcuménisme entre luthériens, baptistes, anglicans, et aussi orthodoxes. Dans la cathédrale hier du côté œcuménique letton à Riga nous l’avons vu. Une grande chose. Des frères, si proches. L’œcuménisme a des racines.

Et puis il y a un autre phénomène dans ces pays qu’il est intéressant d’étudier et peut-être que vous pourrez faire tant de bonnes choses dans votre métier en l’étudiant: le phénomène de la transmission de la culture, de l’identité et de la foi. D’ordinaire la transmission a été faite par les grands-parents parce que les parents devaient travailler et devaient être inscrits au parti dans le cas soviétique ou suivre la ligne du nazisme. Et ils étaient aussi éduqués athées. Mais les grands-parents ont su transmettre la foi et la culture à une époque où en Lituanie l’usage du lituanien était interdit. Il a été retiré des écoles ; quand ils allaient au service religieux, ils leur prenaient leurs livres de prière pour vérifier s’ils étaient en langue lituanienne, russe ou allemande. Et tant de gens de cette génération ont appris la langue par leurs grands-parents qui enseignaient la lecture et l’écriture de la langue maternelle.

Ce serait bien des articles ou des reportages télévisés sur la foi, la transmission de la culture, de la langue, de l’art, de la foi, dans des périodes de dictature et de persécutions. On ne pouvait pas penser différemment parce que tous les moyens de communication à cette époque et ils étaient peu nombreux – la radio … – étaient maîtrisés par l’Etat. Quand un gouvernement veut devenir dictatorial, il prend en main les moyens de communication. C’est ça que j’ai voulu souligner.

Sur les migrants et l’ouverture:

Le message sur l’ouverture aux migrants est assez avancé dans votre peuple [un des pays baltes, ndlr]. Il n’y a pas de forts populistes, que cela soit en Estonie ou Lituanie. Ce sont des peuples ouverts qui ont la volonté d’intégrer les migrants, pas massivement parce qu’on ne peut pas [le faire]… Intégrer avec la prudence du gouvernement. Nous avons parlé de cela avec deux chefs d’Etat. Et vous verrez que dans les discours des chefs d’Etat que le mot ›accueil’, ›ouverture’ est fréquent. Ce qui indique que la volonté d’universalité, dans la mesure que l’on puisse – espace, travail,… dans la mesure qu’ils s’intègrent – ceci est très important -, dans la mesure où il n’y ait pas une menace contre sa propre identité. Ce sont les trois choses que j’ai comprises sur la migration. Ceci m’a beaucoup touché: ouverture, prudence, bien pensée.

Sur ce que signifie ›faire des ponts’:

Evidemment que vous [les pays baltes, ndlr] faîtes partie politiquement, aujourd’hui, de l’Occident, de l’Union européenne. Vous avez tant fait pour entrer dans l’Union européenne. Après l’indépendance, immédiatement, vous avez tout fait, tous les pas qui n’étaient pas faciles. Vous avez réussi à entrer dans l’Union européenne. C’est-à-dire une appartenance à l’Occident. Aussi, vous avez des rapports avec l’Otan. Vous appartenez à l’Otan, ce qui veut dire à l’Occident. Si vous voulez regarder à l’Orient, c’est votre histoire. Une histoire dure. Une partie aussi de l’histoire tragique est venue de l’Occident, des Allemands, des Polonais, mais surtout des nazis. Cela venait de l’Occident. De l’Orient, c’était l’Empire russe.

Faire des ponts, suppose, exige de la force. De la force, pas seulement d’appartenance, qui donne sa force à l’Occident, mais de sa propre identité. Je suis bien conscient que la situation des trois pays baltes est toujours en danger. Toujours. La peur de l’invasion… L’histoire elle-même rappelle cela. Vous avez raison quand vous dites que ce n’est pas facile, mais c’est un jeu qui se joue chaque jour, pas à pas, avec la culture et le dialogue, mais ce n’est pas facile, je crois que notre obligation à tous est de vous aider en cela. Pas seulement vous aider: vous être proches.» (cath.ch/imedia/xln/rz)

26 septembre 2018 | 08:38
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 12 min.
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