Premier comité de la Fédération romande des socialistes chrétiens, 1920. Au centre, sa présidente, Hélène Monastier, militante pacifiste. | © CGR
Suisse

Comment faire la guerre à la guerre en 2023

Les Chrétiens de gauche romands organisent, le 4 février 2023, une journée de réflexion autour du pacifisme et de l’action politique non-violente. Une gageure en ces temps où le mot «guerre» est sur toutes les lèvres, mais aussi une marque de fidélité à leur histoire marquée par un engagement en faveur de la non-violence, même au plus fort des deux Guerres mondiales.

C’est en France qu’il faut aller chercher les origines des Chrétiens de gauche romands (CGR), un mouvement qui regroupe principalement des protestants et qui a pris la relève de la Fédération romande des socialistes chrétiens (FRSC), fondée en 1914.

Dans La Fédération romande des socialistes chrétiens, évocation historique (un numéro spécial de la revue L’Espoir du Monde publié en 1997) Jean-François Martin, secrétaire des CGR, relate la croissance puis le déclin du mouvement, et son attachement aux valeurs chrétiennes de non-violence.

À la fin du 19e siècle, de plus en plus de protestants du mouvement chrétien-social se rapprochent du socialisme. Le théologien marquant de cette période est Wilfred Monod, qui s’exprime entre autres dans les Cahiers du christianisme social, une revue assez connue alors en Suisse romande.

Travailler au Royaume de Dieu sur terre

En 1908, les Français Paul Passy et Raoul Biville, deux intellectuels laïcs protestants, fondent l’Union des socialistes chrétiens (USC), et son cahier, L’Espoir du monde. Une revue encore publiée aujourd’hui. Leur but est de montrer que «le socialisme est l’expression économique normale de la vie chrétienne; de montrer aussi quelle puissance de moralité, de désintéressement et de dévouement les disciples de Jésus peuvent apporter dans la lutte économique» (article 2 des premiers statuts).

Ces chrétiens considèrent que la socialisation des moyens de production est une façon de réaliser, du moins partiellement, l’espérance du Royaume de Dieu. Très vite, l’USC compte des adhérents individuels en Suisse. Un premier groupe local voit le jour en 1910, à St-Imier et Sonvilier (Jura bernois). Il est suivi par ceux de Genève, Lausanne, La Chaux-de-Fonds (1911) et Neuchâtel (1912). Ce dernier est fondé par le pasteur Jules Humbert-Droz, qui occupera d’importantes fonctions dans l’Internationale communiste, avant de terminer sa carrière au Secrétariat central du Parti socialiste suisse.

Cette répartition géographique correspond aux régions où le socialisme a pris pied au début du 20e siècle. Peu industrialisées, les régions catholiques (Valais, Fribourg, Nord du Jura) restent en effet imperméables au socialisme.

Ces premiers groupes romands sont représentés à divers congrès internationaux, en France et en Belgique, et fondent en 1914 la Fédération romande des socialistes chrétiens, présidée par l’institutrice vaudoise Hélène Monastier.

14-18: scission du mouvement autour du pacifisme

Si la non-violence rassemble jusque-là socialistes chrétiens français et romands dans une même vision, la guerre de 14-18 balaye l’entente. «La plupart des adhérents d’Outre-Jura ont suivi la tendance du mouvement ouvrier français et se sont ralliés à la défense nationale (la guerre contre l’agresseur allemand étant juste selon eux) alors qu’ils avaient proclamé des sentiments antimilitaristes très marqués juste avant. Chez nous, on reste pacifistes, et de façon intransigeante. C’est la rupture avec Paul Passy», explique Jean-François Martin. «Ainsi le premier comité du mouvement se signale par une ligne non-violente, approuvant par exemple les grévistes de 1918 mais désapprouvant toute violence même verbale.»

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le pacifisme et la non-violence constituent le principal sujet de réflexion et de propagande des socialistes chrétiens romands. Quelques membres, comme Pierre Ceresole et Hélène Monastier, se rendent même célèbres par leurs activités dans le cadre du Service Civil International. Plusieurs membres sont «réfractaires», comme on nomme alors les objecteurs de conscience.

L’armement de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale atténue le pacifisme des socialistes suisses, mais la Fédération romande reste pour sa part très majoritairement attachée à son antimilitarisme, même en pleine guerre. En France, comme en 1914, la tendance est toute différente.

La non-violence dans la Charte actuelle

Depuis les années 60, seul le groupe de Lausanne survit. La Charte actuel des Chrétiens de gauche romands, adoptée le 30 janvier 2016, continue d’inscrire la non-violence au cœur de ses valeurs. Elle débute par cette profession de foi chrétienne: «Nous, Chrétiens de gauche romands, croyons en un Dieu qui prend parti pour les pauvres, les opprimés et les humiliés de tous les pays. Nous nous efforçons de répandre le message de justice, de paix, d’amour et de solidarité qu’a prêché Jésus.»

Les sujets pacifistes que le mouvement des CGR aborde restent fréquents, comme la lutte contre l’armement atomique de la Suisse. Aujourd’hui, c’est la guerre en Ukraine qui frappe les esprits et monopolise une part importante des médias. Le comité du CGR a donc décidé de poser, lors de sa journée annuelle de rencontre et débat, «la question, non pas de l’opportunité du pacifisme, mais de la forme qu’il doit prendre en 2023. Comment faire la guerre à la guerre?» (cath.ch/com./lb)

Pour quel pacifisme se battre?
La journée des Chrétiens de gauche romands aura lieu samedi 4 février 2023, à la Maison des Associations d’Yverdon-les-Bains, de 10h à 16h. Plus de détails ici. LB

Premier comité de la Fédération romande des socialistes chrétiens, 1920. Au centre, sa présidente, Hélène Monastier, militante pacifiste. | © CGR
1 février 2023 | 13:43
par Lucienne Bittar
Temps de lecture: env. 4 min.
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