Un ange chasse un démon |  Cathédrale St-Nicolas de Fribourg | © Maurice Page
Suisse

«Croyez-vous au diable?»

Croyez-vous au diable? Pour l’exorciste Frédéric Le Gal, poser la question c’est y répondre. Dans un livre solidement documenté, le prêtre relate non seulement son expérience personnelle, mais offre un exposé précis de la foi de l’Eglise sur l’existence des démons et les moyens de lutter contre eux.

Comment êtes-vous devenu exorciste?
Frédéric Le Gal
: J’y suis arrivé par obéissance. Je ne connaissais absolument rien à ce ministère particulier. J’étais aumônier en hôpital psychiatrique quand l’évêque de Nice, Mgr Jean Bonfils, m’a sollicité. Il considérait que ce ministère d’aumônier et celui d’exorciste pouvait se conjuguer. Mais il ne faut pas les confondre. Ainsi je n’ai jamais pratiqué en tant qu’exorciste à l’hôpital. Si une demande arrivait d’un malade, elle était toujours traitée à l’extérieur, dans un lieu d’écoute et d’accueil spécifique.

Qu’est ce qui a motivé l’écriture de ce livre?
C’est d’abord le désir d’informer les confrères prêtres et le public sur ce ministère spécifique et souvent méconnu. Dans les médias et même au sein de l’Eglise, ce ministère de libération est mal compris et mal intégré à la pastorale. Ce sujet est toujours traité de manière un peu sensationnelle avec des images récurrentes liées à la peur, à l’angoisse ou à des figures moyenâgeuses.

«L’exorciste est un prêtre comme un autre qui a été nommé par l’évêque pour intervenir auprès d’une population vulnérable et fragile»

Ce livre est le fruit d’une expérience de longues années dans les diocèses de Nice puis de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) de 2014 à 2022. Il montre ce travail fait avec le concours des sciences humaines et d’équipes d’accompagnateurs. C’est un ministère ancré dans l’Eglise. Le premier exorciste est l’évêque qui transmet cette autorité sur les esprits malins à un de ses prêtres.

Dans la littérature et dans les films, l’exorciste apparaît souvent comme un personnage un peu étrange doté de pouvoirs extraordinaires. Vous ne donnez pas cette impression. 
Il s’agit de démythifier le personnage de l’exorciste. Non c’est un prêtre comme un autre qui a été nommé par l’évêque pour intervenir auprès d’une population vulnérable et fragile qui attend de l’aide.


Parfois, la croyance en l’existence du diable est niée ou tournée en dérision. Il ne serait qu’une invention humaine pour répondre a l’existence du mal.
Je suis frappé par l’insistance des papes sur cette question. Le pape François en parle très souvent comme avant lui Jean Paul II et Benoît XVI. Joseph Ratzinger utilisait le terme de ‘Unperson’ (non-personne) pour désigner le démon. C’est-à-dire dire qu’il ‘dé-personnalise’ l’être humain.

Vous expliquez qu’il y a ceux qui voient le diable partout et ceux qui ne le voient nulle part.
On le constate au sein même de l’Association internationale des exorcistes (AIE). Mon maître exorciste m’a vraiment appris cet équilibre au niveau de l’écoute et du discernement. Avec la centralité de la prière pour accueillir toutes ces personnes sous le regard de Dieu avec bienveillance, sans préjuger de ses connaissances médicales ou psychiatriques. Après avoir pris l’avis des médecins, le prêtre peut en conscience décider de pratiquer un exorcisme.

«La possession est le stade extrême de l’emprise diabolique. L’esprit malin s’empare d’un corps et peut s’exprimer à travers lui»

La distinction entre maladie psychique et manifestation diabolique est parfois difficile à faire.
Avoir été longtemps aumônier en hôpital psychiatrique m’a permis d’être familiarisé avec les troubles psychiques pour me permettre de discerner les demandes et d’interpréter les signes. Le prêtre exorciste effectue un discernement. Il a besoin pour cela d’une vision d’ensemble de la personne. Il y a donc un long temps d’écoute pour connaître sa situation de vie actuelle et passée afin d’évaluer au plus juste entre les faits naturels et l’éventuelle action du démon. Parfois, les personnes sont dans le déni de toute pathologie, mais à l’inverse en psychiatrisant tout, on risque d’évacuer la dimension spirituelle.

On distingue divers types de manifestations diaboliques. La possession est la plus spectaculaire mais aussi la plus rare.
La possession est le stade extrême de l’emprise diabolique. L’esprit malin s’empare d’un corps et peut s’exprimer à travers lui par des paroles ou des manifestations corporelles étonnantes. Je cite quelques cas dans le livre. Les séances d’exorcismes peuvent être très impressionnantes. Il ne faut pas alors se laisser distraire par ce que l’on peut voir ou entendre, mais rester toujours ancrer dans la prière pour faire sortir le démon de ce corps.

L’obsession est le deuxième type de présence démoniaque.
L’obsession a un caractère essentiellement psychologique sous forme de pensées récurrentes, de cauchemars, de tentations suicidaires, d’images obscènes, de blasphème. Les personnes se plaignent d’entendre des voix, d’avoir des visions, de sentir des odeurs nauséabondes, d’être effleurées par une présence indéfinissable. Mais il est souvent difficile de distinguer cette forme d’obsession spirituelle de troubles obsessionnels liés à une pathologie psychique. Dans le cas d’obsession, les prières de délivrance peuvent aider.

L’activité démoniaque peut se manifester aussi dans des lieux, des objets ou des animaux.
On parle d’infestation. C’est le cas des maisons hantées par exemple. J’ai été ainsi appelé du côté de Fribourg pour des fermes et des troupeaux infestés. De nombreuses demandes sont liées à des difficultés perçues dans le lieu de vie: bruits, odeurs, impossibilité de dormir dans certaines pièces de la maison etc. Là encore il convient d’exercer un discernement minutieux entre ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas.

Dans quelle mesure une personne peut-elle être responsable de ces manifestations?
Par des pratiques occultes ou ésotériques, elle a permis l’entrée du démon dans sa vie. Elle peut aussi être victime de malédictions, de maléfices jetés par d’autres.

«Le démon cherche à nous faire peur, mais la foi me dit que Jésus-Christ l’a vaincu définitivement»

Dans quelques cas, vous avez assisté ou pratiqué l’exorcisme majeur, celui par lequel le prêtre chasse le démon.
Oui, ce sont des moments difficiles. La pratique veut que l’évêque soit informé de l’utilisation de ce rituel. C’est d’abord une ambiance de prière. Le prêtre revêt une aube et une étole et on officie généralement dans un lieu sacré. Le tout est encadré par le rituel, c’est important car il y a une progression dans la prière. Dans ce cadre, on peut considérer que le Seigneur ‘gère’ la situation. Je n’ai jamais été effrayé, comme je ne l’ai pas été en hôpital psychiatrique devant des personnes démentes. C’est surprenant, mais il faut rester centré sur le Christ quoi qu’il se passe. Le démon cherche à nous faire peur, mais la foi me dit que Jésus-Christ l’a vaincu définitivement.

Dans le diocèse de Lausanne Genève et Fribourg, l’évêque a mis en place le Service d’écoute et de délivrance spirituelle (SEDES).
Quand j’ai été nommé exorciste par Mgr Charles Morerod en 2014, le SEDES existait déjà. Un prêtre exorciste est entouré d’une petite équipe interdisciplinaire de laïcs. Nous nous sommes organisés pour pouvoir répondre aux demandes émanant de tous les cantons. En 2018, par exemple nous avons suivi 110 personnes. Comme dans une équipe médicale, nous faisons des études de cas pour déterminer la marche à suivre. Ce qui aboutit dans moins de 1% des cas à un exorcisme.

Les chiffres que vous citez montrent une augmentation des cas assez significative. Comment l’expliquez-vous?
Le fait d’être mieux connus a permis qu’un nombre supérieur de cas arrivent jusqu’à nous. Nous n’avons pas fait de publicité. Par contre nous avons donné des formations pour les agents pastoraux. Auparavant les situations étaient abordées au plan paroissial ou les demandes n’étaient simplement pas traitées. Comme nous avons reçu pas mal de monde, le bouche-à-oreille a certainement joué son rôle. Quant à parler d’une évolution générale c’est difficile. Les demandes ont toujours existé.

«Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David! Ma fille est tourmentée par un démon.» | © Evangile et peinture – Détail

Il reste que cette démarche répondait à une véritable attente.
Oui, les prêtres en paroisses sont souvent accaparés par de nombreuses activités et n’ont pas forcément la disponibilité pour répondre à ce genre de demandes parfois pressantes.

Comme l’indique le nom du service, l’écoute est le principal aspect de ce ministère.
Oui, elle est essentielle, mais je dirais aussi la prière. Il est important de ne pas laisser repartir ces personnes sans l’appui de la prière. D’ailleurs elles nous le demandent. Cette prière, parfois accompagnée du sacrement de la réconciliation ou du sacrement des malades, pourra apporter consolation et réconfort. L’Eglise offre plusieurs possibilités de thérapie spirituelle pour guérir de divers maux. Dans la foi, c’est Dieu qui agit.

«Faire des exorcismes sur des personnes homosexuelles pour les ‘libérer’ est un abus»

Existe-t-il un profil type des personnes qui sollicitent un exorcisme?
J’ai vu absolument de tout: jeunes et vieux, hommes et femmes, riches et pauvres, cadres supérieurs et ouvriers. Toutes les strates de la société sont représentées. Parfois même des parents ou des grand-parents sont venus accompagner des enfants. Il y a même des religieux ou des prêtres. Dans une situation d’extrême souffrance et une accumulation de difficultés, lorsque des situations dépassent leur entendement les personnes ont recours à l’exorciste. Parfois après avoir consulté les médecins ou toutes sortes de guérisseurs.

Le risque d’abus de l’exorcisme comme moyen de manipulation ou d’emprise existe aussi.
Oui, c’est pourquoi l’exorciste s’entoure d’une équipe afin d’éviter l’emprise personnelle. Pour moi j’avais toujours un accompagnement spirituel et une supervision psychiatrique. Utiliser l’exorcisme pour chasser des doutes sur sa foi ou sa vocation ou contraindre à l’obéissance, comme cela s’est vu dans certaines communautés nouvelles, n’est pas du tout adéquat. Au même titre que faire des exorcismes sur des personnes homosexuelles pour les ‘libérer’. C’est un abus. Il ne faut pas dévoyer la fonction de ce ministère. Dans certains milieux évangéliques, des séances d’exorcisme se déroulent ›en live’ dans des assemblées. Cela n’est pas du tout approprié non plus. (cath.ch/mp)

‘L’exorciste’ est un film culte

L’exégèse de l’Exorciste
Sorti en 1973, le film l’Exorciste, de William Friedkin, a marqué des générations de spectateurs. Aujourd’hui encore, il dicte pour l’opinion publique la vision de l’exorcisme. Devenu une oeuvre culte, le film est inspiré du livre de William Peter Blatty paru deux ans plus tôt. Frédéric Le Gal en en livre une exégèse approfondie sur une vingtaine de pages, en démêlant le vrai du faux.
«L’Exorciste est une œuvre littéraire fascinante. A mon sens le livre est beaucoup plus effrayant que le film. Il est beaucoup plus subtil, explique Frédéric Le Gal. L’auteur a une connaissance assez fine de ce ministère. Sa mise en scène m’a touché, parfois bouleversé. Il m’a renvoyé aux années de ma propre expérience. Finalement, ce livre est très ‘inspiré’. Ses situations sont bien celles que j’ai connues.»  MP

Frédéric Le Gal
Frédéric Le Gal, Tessinois né à Paris, est prêtre et docteur en théologie. Après avoir été aumônier à Nice en milieu psychiatrique et carcéral, il a exercé de 2009 à 2022 ce ministère au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en particulier dans les services de psychiatrie et de gériatrie. En septembre 2014, il a été nommé exorciste du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg par Monseigneur Charles Morerod. Il a eu cette charge jusqu’en décembre 2022. Membre de l’Association internationale des exorcistes, il est également l’auteur de La folie saine et de Délires et sérénité aux Editions du Cerf. MP

Un ange chasse un démon | Cathédrale St-Nicolas de Fribourg | © Maurice Page
12 novembre 2023 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 8 min.
diable (23), Exorcisme (23), Exorciste (6)
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