Portrait de Dante (1495) par Sandro Botticelli | Domaien public
Dossier

Dante Alighieri, poète très chrétien et ennemi des papes 1/3

25 mars 2021 | 17:05
par I.MEDIA
Art (128), Dante (5), Histoire (81), Littérature (40), Papes (36)
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Dante naît en 1265, à Florence, alors que fait rage le grand conflit entre la papauté et le Saint-Empire romain germanique pour déterminer qui a souveraineté sur l’Italie. Sa société se partage alors en deux camps: les partisans du pontife, les Guelfes, et les partisans de l’empereur, les Gibelins. Issu d’une famille guelfe, et guelfe toute sa vie, Dante aurait dû théoriquement soutenir le pape, mais les choses furent beaucoup plus compliquées.

Par Camille Dalmas/I.Média

Le premier contact connu du jeune Dante avec le successeur de Pierre date de 1294. Lors de sa première mission de diplomate, il aurait en effet rencontré Célestin V à Naples. Ce pape, qui passe dans l’historiographie pour un pieux ermite détaché des réalités matérielles, Dante le place étonnement au milieu de la foule des âmes qui se presse au bord de l’Acheron, dans un des premiers chants de L’Enfer:

J’en reconnus certains d’entre eux

Surtout l’ombre de celui qui

Abandonna sa papauté

Avant Benoît XVI, Célestin V est connu pour être le seul pape à avoir renoncé au trône de Pierre, après à peine 5 mois de règne. Cette «fuite» inhabituelle a pu être mal interprétée, à l’époque. Il y a cependant fort à parier que Dante lui ait surtout reproché d’avoir cédé la place à son successeur, Boniface VIII (1295-1303), en qui il voit la source de tous ses malheurs, à commencer par son exil.

Entre Blancs et Noirs

Sa cité, Florence, a vu les Gibelins, d’abord vainqueurs, être finalement battus par les partisans de Rome. Cependant, une nouvelle fracture apparaît au sein des Guelfes à la fin du 13e siècle: sur un fond de guerre de clans, les partisans de la bourgeoisie, dits Guelfes blancs, s’opposent désormais aux aristocrates, dits Guelfes noirs. Le pape Boniface VIII intervient alors très largement dans le conflit en favorisant en sous-main le camp des guelfes noirs par l’intermédiaire du «pacificateur» qu’il a dépêché dans la ville, le cardinal Matteo d’Acquasparta.

Dante, bien que modéré, se range derrière les Guelfes blancs. Sa carrière politique prend son essor: en 1300, il est élu Prieur des Arts, c’est-à-dire un des six représentants des corporations des arts libéraux – commerce, médecine, etc. – qui dirigent alors la ville. Il paye ce succès: le conflit s’enflamme, attisé par le prélat envoyé par le pape Boniface VIII. Ce dernier excommunie notamment plusieurs proches de Dante et frappe la ville d’interdit – interdiction de célébrer tout sacrement.

Victime de ruse

Le Poète se rend à Rome, où il serait probablement venu demander au pape de lever la sanction. Il assiste alors à un événement historique: le premier Jubilé de l’histoire. L’événement ne lui laisse pas un bon souvenir. Dans L’Enfer, il compare une scène d’affluence sur le pont Saint-Ange aux malheureux qu’on trie dans le premier Cercle de la fournaise de l’Autre Monde :

Comme à Rome, par grand-foule,

Pour le Jubilé sur le pont

On divise commodément

Le flot d’un côté vers Saint-Ange,

Pour aller à Saint-Pierre et, l’autre

Vers le mont qui se dresse en face.

Épars sur sur les flancs du roc noir,

Je vis des démons cornus qui

Fouettaient leur dos cruellement.

En 1301, il est victime d’une ruse du pape, à qui il rend visite au sein d’une ambassade censée apaiser les tensions. Retenant Dante à Rome, le pontife en profite pour envoyer le prince français Charles de Valois prendre, par la ruse, la cité florentine. Les maisons et biens des Guelfes blancs – dont ceux des Alighieri – sont pillés pendant cinq jours par les Guelfes noirs.

Boniface dans le chaudron

Devenu persona non grata, Dante ne rentrera jamais chez lui. L’amertume du poète sera éternelle, et naturellement dirigée vers les mauvais pontifes, «ceux qui pensent que le Christ se vend», comme il l’affirme dans son Paradis. Boniface VIII récolte encore ce jugement implacable du Florentin: «Christ, en son pape, est captif».

Le pontife va finir par payer sa roublardise : ayant soutenu les intérêts de l’Église en France contre son ancien allié – le roi de France Philippe le Bel– il subit son courroux lors du fameux «attentat d’Agnani» en 1303. Selon la légende, l’émissaire français Guillaume de Nogaret lui aurait alors adressé une gifle si magistrale qu’elle aurait envoyé Boniface VIII dans l’autre monde quelques semaines plus tard.

Dans L’Enfer – qui se passe chronologiquement dans la jeunesse du poète – Dante prophétise l’arrivée du pontife dans les chaudrons infernaux. Il feint de le confondre un instant avec son prédécesseur Nicolas III qui rôtit lui aussi dans la troisième bolge (sous-cercle) du huitième cercle de l’enfer réservé aux simoniaques – ceux qui font commerce des biens spirituels:

Il s’écria: «Déjà ici?

Déjà ici, toi, Boniface?

(cath.ch/imedia/cd/rz)

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Portrait de Dante (1495) par Sandro Botticelli | Domaien public
25 mars 2021 | 17:05
par I.MEDIA

Le pape François, avec sa lettre encyclique Candor Lucis æternæ, se place dans la continuité de nombre de ses prédécesseurs qui, au 20e siècle, ont loué la grandeur chrétienne de la poésie de Dante Alighieri. Pourtant, 700 ans après sa mort à Ravenne, l’œuvre du grand poète du Moyen Âge sonne encore comme un réquisitoire impitoyable contre les pontifes de son temps.

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