Dante et la divine comédie, détail. Huile sur toile. Par Domenico di Francesco, 1465 | Domaine public
Dossier

Dante Alighieri, poète très chrétien et ennemi des papes 2/3

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Au début du XIVe siècle, Dante se trouve en exil hors de Florence, malheur dont il attribue notamment l’origine au pape Boniface VIII. Son successeur, Benoît XI, tente d’échafauder des plans de paix pour Florence, auxquels participe Dante dans un premier temps.

Par Camille Dalmas/I.Média

Le cardinal Da Prato, envoyé par le pape, est cependant violemment agressé dans la cité toscane et frappe à nouveau la ville d’interdit. Le conflit perdure, et l’exil du poète aussi. Benoît XI est, fait notable, l’unique pape épargné par Dante à cette époque. 

«Il Sommo Poeta” espère toujours obtenir un pardon synonyme de retour chez lui, mais rien ne bouge jusqu’en 1309. Le nouveau pape, le «Gascon» Clément V, décide de sacrer l’empereur Henri VII à Rome et de le faire «roi des Romains», afin de mettre fin au conflit.

Un nouveau Moïse

Lui-même part s’installer à Avignon, où la papauté restera jusqu’en 1378. Pour Dante, l’empereur est vu comme un sauveur, un «nouveau Moïse». Mais l’espoir est de courte durée, car le monarque germain est très mal accueilli en Italie, où les villes guelfes se soulèvent, en particulier les Guelfes noirs de Florence.

S’en est trop pour Dante, qui se met à l’ouvrage et commence à rédiger La Monarchie, un traité utopique inspiré par saint Thomas d’Aquin. Dans cet ouvrage, il déclare que le monde ne sera pas en paix tant qu’il ne sera dirigé par un seul pape et un seul roi. Dante insiste sur la nécessité pour le pape de se cantonner à la royauté spirituelle qui lui est accordée, et de confier le temporel à l’empereur germanique. Le livre sera accusé d’hérésie en 1329 et subira l’autodafé de rigueur.

«Pasteur sans loi»

L’échec d’Henri VII, qui meurt finalement de la malaria sans avoir pu accomplir les desseins que projetait sur lui Dante, génère beaucoup de rancœur de la part du poète, qui accuse Clément V, «pasteur sans loi», d’avoir trompé Henri VII et fomenté sa débâcle depuis Avignon. On devine d’ailleurs la présence du pape français dans la bolge des simoniaques: 

« Car après lui viendra le pape

Corrupteur, dissident, chargé

De crimes, recouvrir nos corps.

Comme Jason dont il est dit

Aux Macchabées qu’il corrompit 

Son roi, il le fit au Français ».

À la mort du pape français en 1314, Dante milite auprès des cardinaux pour qu’ils élisent un pontife italien et ramène le siège pontifical d’Avignon à Rome. C’est cependant le français Jean XXII, à son grand déplaisir, qui est élu. Il est le dernier pape que connut Dante avant d’aller se présenter devant le premier d’entre eux. Jean XXII eut sa place parmi les mauvais papes de la Divine Comédie. Il est cité dans le Paradis aux côtés de son prédécesseur:

« Clément et Jean, buveurs de sang !

Ô nobles débuts, fallait-il

Tomber si bas avec le temps ? »

Dante est enfin amnistié en 1315 et Florence accepte son retour contre une contribution financière, ce qu’il refuse, par sens de l’honneur. Guelfe devenu un «gibelin en fuite», selon les mots du poète romantique Ugo Foscolo, il séjourne à Vérone puis à Ravenne où il termine la Divine Comédie. Dans son chef d’œuvre, on constate que d’autres pontifes y subissent le courroux du poète. Dans le sixième cercle de l’Enfer, on trouve ainsi le pape du Ve siècle Anastase II parmi les épicuriens. Il l’accuse d’avoir suivi l’hérétique Photin:

« Je garde le pape Anastase, 

Que Photin dévia de sa tâche »

Dante Alighieri s’éteint en 1321, laissant en héritage son œuvre et par elle sa langue, qui deviendra par la suite celle de tout un pays. Rien d’étonnant qu’au XIXe, Dante ait pu servir de figure de référence dans l’entreprise d’unification du Royaume d’Italie contre les États pontificaux de Pie IX… (cath.ch/imedia/cd/bh)

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Dante et la divine comédie, détail. Huile sur toile. Par Domenico di Francesco, 1465 | Domaine public
28 mars 2021 | 17:03
par I.MEDIA

Le pape François, avec sa lettre encyclique Candor Lucis æternæ, se place dans la continuité de nombre de ses prédécesseurs qui, au 20e siècle, ont loué la grandeur chrétienne de la poésie de Dante Alighieri. Pourtant, 700 ans après sa mort à Ravenne, l’œuvre du grand poète du Moyen Âge sonne encore comme un réquisitoire impitoyable contre les pontifes de son temps.

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