L'émotion des victimes lors de la conférence de presse qui annonçait la publication du rapport | © Keystone
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Etats-Unis: 300 «prêtres prédateurs» et des milliers d'enfants abusés

Des abus sexuels ont été perpétrés par plus de 300 «prêtres prédateurs» durant sept décennies dans six diocèses catholiques de l’Etat américain de Pennsylvanie. Un rapport de grande envergure, publié le 14 août 2018, se base sur l’étude de documents internes de l’Eglise pour dénoncer les faits.

Les victimes de ces «prêtres prédateurs», dont les cas sont prouvés et dont certaines avaient moins de dix ans, sont plus d’un millier, d’après les documents trouvés dans les diocèses. Elles pourraient être bien plus nombreuses. Le grand jury parle de la possibilité de plusieurs milliers, car des rapports ont été perdus et des victimes ne sont pas encore annoncées ou ont eu peur de le faire.

Un demi-million de pages de documents

Les témoignages recueillis montrent que nombre de victimes abusées dans leur enfance en ont gravement souffert durant toute leur vie. Le grand jury populaire a entendu des dizaines de témoignages et compilé près d’un demi-million de pages de documents internes des diocèses concernés.

«Des évêques et des prêtres restent davantage préoccupés par l’image de l’institution que par la souffrance des victimes». Jacques Nuoffer

Le long rapport final [pdf], rédigé par le grand jury chargé de l’enquête, a mené ses investigations sur des faits remontant à 1947, et cela dans six diocèses: Allentown, Erie, Greensburg, Harrisburg, Pittsburgh and Scranton. Les deux autres diocèses de Pennsylvanie, Philadelphie et Altoona-Johnstown, ont fait l’objet de rapports de grands jurys antérieurs, qui ont trouvé des informations tout aussi dommageables sur le clergé et les évêques de ces diocèses.

Quasiment tous prescrits

Le grand jury déplore que ces abus, dont quasiment tous sont prescrits et ne peuvent être poursuivis pénalement, ont été «couverts» par les responsables de l’Eglise. «Des prêtres violaient des petits garçons et des petites filles et leurs responsables n’ont rien fait. Durant des décennies», peut-on lire dans ce rapport.

Deux prêtres ont néanmoins été dénoncés par leur propre diocèse – un dans le diocèse d’Erie et un autre dans le diocèse de Greensburg – pour des agressions sexuelles répétées sur plusieurs enfants. Les abus les plus récents remontent à 2010, et ces deux inculpations montrent que «les abus d’enfants au sein de l’Eglise n’ont pas disparu». Le grand jury a publié les noms de dizaines d’hommes d’Eglise accusés de pédophilie par des éléments de l’enquête.

Des enfants pré-pubères

La plupart des victimes étaient des garçons, mais il y a eu aussi des filles. Certains étaient des adolescents; beaucoup étaient des enfants pré-pubères. Certains étaient manipulés avec de l’alcool ou de la pornographie, expliquent les enquêteurs, qui détaillent les pratiques sexuelles les plus glauques et les plus sordides de ces hommes d’Eglise. Mais tous ces «prêtres prédateurs» étaient écartés et envoyés dans d’autres régions de l’Etat «par des responsables d’Eglise qui préféraient avant tout protéger les agresseurs et leur institution».

Des évêques et des cardinaux concernés ont, pour l’essentiel, été protégés. «Pendant des décennies, des Monseigneurs, des évêques  auxiliaires, des évêques, des archevêques, des cardinaux, dont certains sont cités nommément dans le rapport, ont été promus» au sein de l’Eglise, note le grand jury dans son rapport. «Tant que cela ne change pas, nous pensons qu’il est trop tôt pour refermer le chapitre des scandales sexuels de l’Eglise catholique», peut-on lire.

Réaction de la conférence des évêques

Dans une première réaction suite à la publication du rapport du grand jury de Pennsylvanie, les responsables de la Conférence épiscopale des Etats-Unis (USCCB) ont salué «le courage des personnes qui ont contribué à l’enquête en partageant leurs histoires personnelles d’abus». En tant qu’ensemble des évêques, «nous sommes honteux et désolés pour les péchés et les omissions des prêtres et des évêques catholiques», peut-on lire sur le site de l’USCCB.

Le président de la Conférence épiscopale des Etats-Unis (USCCB), le cardinal Daniel N. DiNardo, ainsi que le président de la commission de l’USCCB pour la protection des enfants et des jeunes, Mgr Timothy L. Doherty, reconnaissent les torts de l’Eglise dans ce scandale. «Le rapport du grand jury de Pennsylvanie illustre une fois de plus la douleur de ceux qui ont été victimes d’abus sexuels de la part de membres de notre clergé et de ceux qui ont protégé les agresseurs et ont ainsi facilité un mal qui s’est poursuivi pendant des années, voire des décennies».

L’Eglise avant les victimes

«Aux Etats-Unis, comme dans certains pays occidentaux, la société civile s’engage davantage pour lutter contre les abus sexuels commis en Eglise, explique Jacques Nuoffer, président du Groupe suisse de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse (SAPEC). Mais dans ces même pays, des évêques et des prêtres restent davantage préoccupés par l’image de l’institution que par la souffrance des victimes. Sans parler d’autres régions du monde où le prêtre est encore sur un piédestal social, investi d’une aura sacrée. Une femme du Burundi me confiait récemment que la dénonciation des prêtres pédophiles était impensable dans son pays».

L’enquête du grand jury de Pennsylvanie s’étend sur une période de 70 ans et que de nombreuses dénonciations d’abus ont été faites avant 2002, époque où les évêques américains ont adopté de nouvelles politiques en matière de protection des enfants et des  jeunes, relèvent le cardinal DiNardo et Mgr Doherty. En juin 2002, les évêques américains ont adopté une «Charte pour la protection des enfants et des jeunes», connue sous le nom de «Charte de Dallas», qui prévoit des sanctions radicales et immédiates à l’égard des prêtres accusés d’abus sexuels sur mineurs. Elle prescrit que tout prêtre responsable d’un seul acte d´abus soit immédiatement expulsé du ministère sacerdotal.

Cette charte, révisée et mise à jour en 2011 et en 2018, est considérée par nombre de prêtres et certains évêques américains comme insuffisante. Ainsi, interrogé par la revue jésuite étatsunienne America, l’évêque d’Albany, dans l’Etat de New York, Mgr Edward Scharfenberger, estime que «des évêques enquêtant seuls sur leurs homologues ne sont pas la solution», et que confier de telles enquêtes à des laïcs fidèles et respectés serait plus adéquat.

Le procureur a écrit au pape François

Le 25 juillet 2018, le procureur général de Pennsylvanie Josh Shapiro a écrit au pape François pour demander au pontife d’ordonner aux dirigeants de l’Eglise de mettre fin aux ” efforts pour faire taire les survivants».

Le grand jury formule plusieurs propositions de réforme, notamment une modification des textes de loi pour allonger le délai de prescription, tant sur le plan pénal que civil, et restreindre la possibilité de faire des accords de confidentialité avec les victimes. Selon l’enquête, l’Eglise catholique a eu fréquemment recours à de telles transactions. (cath.ch/pp/be)


Plus de 6’700 religieux accusés de pédophilie dans le pays

Selon l’organisation américaine Bishop Accountability, 6’721 prêtres ont été accusés d’abus sexuels aux Etats-Unis pour des faits présumés, dans la période allant de 1950 à 2016. La même association estime à 18’565 le nombre d’enfants victimes de ces agissements.

Fin juillet, le pape François a accepté la démission du célèbre cardinal Theodore McCarrick, accusé d’abus sexuels sur un adolescent. Plusieurs autres hauts prélats ont été contraints de démissionner pour avoir fermé les yeux, dont les cardinaux Roger Mahony (Los Angeles) et Bernard Law (Boston), décédé fin 2017.

L'émotion des victimes lors de la conférence de presse qui annonçait la publication du rapport | © Keystone
15 août 2018 | 10:51
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture: env. 5 min.
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