La chape de Notre-Dame  est signée Alexandre Cingria et Marguerite Naville-Soret | © Jessica da Silva Villacastin | © JDSV
Dossier

Genève: la chatoyante chape de Notre-Dame

7 juillet 2022 | 17:00
par Jessica Da Silva
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Un vêtement liturgique d’exception est soigneusement conservé dans une armoire de la paroisse de la Basilique Notre-Dame à Genève: une chape brodée de couleurs vives. Elle porte la signature de deux artistes genevois de la première moitié du XXème siècle: Alexandre Cingria et Marguerite Naville-Soret, membres du Groupe de Saint-Luc, ce collectif qui a révolutionné l’art sacré en Suisse romande.

Par Jessica Da Silva

«Depuis 40 ans que je suis à la basilique, je n’ai jamais vu la chape portée! C’est très dommage, mais c’est trop lourd, et on ne fait plus les vêpres à Notre-Dame», explique Anne Roch-Delmas, conservatrice de la paroisse. Classée parmi les «ornements modernes de la sacristie» dans les archives de la paroisse, ce «grand ornement en drap d’or» est aujourd’hui un témoignage précieux de l’histoire du patrimoine artistique de Notre-Dame de Genève. Commandée à l’instigation du curé Dusseiller, ce vêtement liturgique sera achevé sous le sacerdoce du curé Vogt. Ses différentes pièces ont été montées à Saint-Maurice, en Valais. L’ornementation de ce vêtement -qui était réservé aux célébrations solennelles- devait servir à mettre en valeur les gestes du prêtre.

Une œuvre à quatre mains

Suivant la démarche du Groupe de Saint-Luc, attaché aux traditions, la chape de Notre-Dame a été «coupée en drap d’or d’après des modèles anciens». Les dessins qui ornent l’orfoi (ndlr: bandes décoratives sur les bords verticaux de la chape) sont l’œuvre d’Alexandre Cingria. Au total, il y a sept illustrations: six à l’avant de la chape et un grand écu sur la partie supérieure arrière, composé d’une mandorle de la Vierge au centre et d’un ange sur chaque côté, à hauteur d’épaules. Les dessins du «Prince de la couleur» ont été retranscrits en broderie de différentes laines par l’artiste Marguerite Naville-Soret. La modernité des «traits», la vivacité des couleurs et la polychromie de ces tableautins rectangulaires font de cette chape une pièce indémodable et résolument surprenante. 

Originellement, la chape comportait un mors (fermoir) réalisé par l’orfèvre genevois Maurice Feuillat

L’artiste Emilie-Marguerite Naville-Soret (1882-1969), également compagne d’Alexandre Cingria, a souvent été portraiturée par ce dernier. On retrouve notamment une ressemblance entre le visage de la Vierge de la chape et deux portraits de Marguerite Naville-Soret en tempéra (1923) et encre de Chine (vers 1920).

Portraits d’Emilie-Marguerite Naville-Soret par Alexandre Cingria | © Bibliothèque de Genève

Une chape liturgique moderne

«Là, comme ailleurs, la vague de laideur a sévi. Ridiculement étriqués par l’évolution des modes, les chasubles, les dalmatiques et les chapes ne conservent plus rien de la noblesse des anciens vêtements liturgiques.» Ces phrases sont issues du catalogue d’une exposition des œuvres du Groupe de Saint-Luc et de Saint-Maurice. Fondée en 1919 à Genève par Alexandre Cingria, cette société d’artistes-artisans s’est attelée au renouveau de la production de l’art sacré, tout en s’inspirant de la tradition du Moyen-Age. Dans une démarche de modernisation et de travail sur-mesure, qui devait mettre fin à la production de masse de «ces objets d’un goût populaire, le plus souvent fades et laids qu’on voit répétés à l’infini dans toutes les églises de la chrétienté». (cath.ch/jdsv)

Anne Roch-Delmas a répertorié l'ornement liturgique de la Basilique Notre-Dame de Genève | © Jessica da Silva Villacastin | © JDSV

Notre-Dame, chantier du renouveau de l’art sacré
En 1912, alors que l’Eglise Notre-Dame de Genève est redevenue catholique romaine, l’abbé Emile Dusseiller, nommé curé, décide d’entreprendre un vaste chantier de restauration et de décoration. C’est dans ce contexte que le Groupe de Saint-Luc s’illustrera, à travers ses différentes interventions artistiques pour la basilique. Les vitraux de son président, Alexandre Cingria, entameront ce grand chantier du renouveau de l’art sacré.  «Depuis les objets rituels du culte jusqu’aux rosaces des églises, il estimait que tout devait proclamer la gloire de Dieu dans les demeures qui lui étaient consacrées» (Alexandre Cingria. Un prince de la couleur dans la Genève du XXe siècle). JDSV

BIBLIOGRAPHIE
Catalogue illustré des travaux exécutés par les membres du Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, Genève: [s.n.], 1920.
Alexandre Cingria: un prince de la couleur dans la Genève du XXe siècle, Cingria, Hélène (créateur_trice), Editions générales, Genève, 1954.

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La chape de Notre-Dame est signée Alexandre Cingria et Marguerite Naville-Soret | © Jessica da Silva Villacastin | © JDSV
7 juillet 2022 | 17:00
par Jessica Da Silva

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