Père Gregor Geiger, franciscain allemand enseignant l'hébreu biblique et les langues sémitiques au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, | © Jacques Berset
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Jérusalem: le P. Geiger s'inquiète des actes antichrétiens quotidiens

Les actes antichrétiens commis depuis des années par des extrémistes juifs à Jérusalem et en Israël sont en forte augmentation depuis le début 2023;  nombre de ces agressions restent impunies. «C’est heureusement le fait d’une minorité. Une ‘hotline’ mise sur pied par une organisation israélienne pour la paix travaille avec la nonciature pour documenter ces agressions», confie le Père franciscain Gregor Geiger, à Jérusalem depuis 1999.

Jacques Berset, pour AED/ACN

De passage en Suisse alémanique à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Église en Détresse (AED/ACN), le religieux allemand, qui a obtenu un doctorat en linguistique hébraïque à l’Université hébraïque de Jérusalem, déplore les attaques quasi quotidiennes visant la communauté chrétienne. Professeur d’hébreu biblique et de langues sémitiques, il enseigne au Studium Biblicum Franciscanum, un Institut sis dans le couvent de franciscain de la Flagellation et faisant partie intégrante de l’Université pontificale de Saint-Antoine, dont elle constitue la Faculté des sciences bibliques et archéologiques.

Discours haineux de plus en plus fréquents

Statue du Christ mutilé par un extrémiste juif dans l’église de la Flagellation, à Jérusalem | © Custodie de Terre Sainte

Vivant à l’entrée de la Via Dolorosa, le franciscain de 54 ans, originaire du Bade-Wurtemberg , est aux premières loges: le 2 février dernier, un extrémiste juif est entré dans l’église de la Flagellation, première étape de la Via Dolorosa, faisant tomber la statue du Christ et défigurant son visage à coup de gourdin.

«Ces agressions sont certes le fait d’une minorité, qui agit pour des motifs religieux et nationalistes, mais cette minorité extrémiste se sent encouragée par les discours haineux fréquents depuis l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement faisant la part belle à l’extrême droite», déplore le Père Geiger.

Des personnalités juives s’inquiètent de la montée de l’extrémisme

Le franciscain n’est pas le seul et il est rejoint par quelques personnalités juives qui s’inquiètent de la montée de l’extrémisme, comme Yisca Harani. Cette juive israélienne, spécialiste des relations avec les chrétiens, vient de créer le Centre de données pour la liberté religieuse qui permet de répertorier et documenter les actes de mépris envers la minorité chrétienne de Terre Sainte. Le harcèlement est quotidien, et vise notamment les religieux chrétiens en habit, plus identifiables, notamment victimes de menaces et de crachats de la part de jeunes colons extrémistes et de haredim, des ‘craignants Dieu’, à savoir des ultra-orthodoxes, dénonce-t-elle.

De son côté, le patriarche latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa, qui recevra la barrette cardinalice des mains du pape François le 30 septembre prochain, exprime, lui aussi, son inquiétude face à la multiplication des actions violentes visant les chrétiens. Il déplore les actes d’intimidation, les propos haineux, les menaces, les crachats contre les religieux et les violences à l’encontre des chrétiens de Terre Sainte.  

Une légitimation de la discrimination et de la violence

«Nous suivons avec inquiétude et condamnons fermement cette succession croissante d’actes graves de haine et de violence contre la communauté chrétienne en Israël», a-t-il déclaré sur le site Vatican News.  Le Patriarcat latin de Jérusalem déplore le climat d’extrême tension prévalant désormais en Israël avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement allié à l’extrême droite.

«Ce n’est pas un hasard si la légitimation de la discrimination et de la violence dans l’opinion publique et dans l’environnement politique israélien actuel se traduit également par des actes de haine et de violence contre la communauté chrétienne», déplore le futur cardinal Pizzaballa. Selon la communauté chrétienne, le discours ouvertement haineux et raciste véhiculé par l’extrême droite israélienne actuellement au pouvoir alimente ces violences.

Des églises et des cimetières vandalisés

Des extrémistes juifs ont en effet tenté d’occuper des églises dans la ville de Haïfa, des édifices ont été vandalisés, un cimetière anglican profané, dénoncent les médias du Vatican. «Bien qu’il s’agisse d’une petite minorité, qui ne représente, ni ne bénéficie du soutien de la majorité des Israéliens, ces extrémistes juifs risquent de provoquer une explosion de violence, contre laquelle s’élèvent déjà des voix de responsables religieux de Terre Sainte, chrétiens et non-chrétiens».

Des ‘haredim’, juifs ultra-orthodoxes en prière au Mont des Oliviers | depositphotos

Les problèmes ne sont pas récents, et la construction du mur israélien dès 2002, en partie sur des terres palestiniennes confisquées – que les Israéliens appellent des «terres sans maître» – a aggravé la situation. Le religieux relève que les Israéliens, dans les territoires palestiniens occupés, utilisent le droit ottoman, qui dispose que si un terrain n’est pas cultivé pendant 5 ans, il devient «sans maître», Mais ils empêchent les Palestiniens de les cultiver et s’en emparent pour créer des colonies.   

Le mur de séparation, un tournant dans les relations israélo-palestiniennes

«L’existence du mur, qui touche tous les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, marque un tournant: il a privé nombre de travailleurs de leur gagne-pain, séparé des paysans de leurs terres, des ouvriers ont perdu leur travail, les permis pour franchir le mur étant distribués au compte-goutte. Le mur a contribué à la séparation de familles, poussant nombre d’entre elles à émigrer… Des écoles chrétiennes, comme à Beit Jala, sont séparées d’élèves tout comme d’enseignants vivant au-delà du mur. Tout le monde ne reçoit pas des permis pour passer le mur! Et les permis sont suspendus quand il y a des fêtes juives ou musulmanes. Bethléem est à moins de 12 km du Saint-Sépulcre, mais la plupart des chrétiens ne peuvent plus s’y rendre, faute de permis…», constate le Père Geiger.

Et de regretter qu’avant la construction du mur, il y avait des contacts entre chrétiens, juifs et musulmans, mais maintenant ce sont des communautés qui, la plupart du temps, s’ignorent, chacun vivant dans son monde. «C’est interdit aux Israéliens de se rendre dans les territoires palestiniens, ils ont leurs propres routes qui relient les colonies en Cisjordanie… Un Israélien normal ne connaît aucun Palestinien, et les Palestiniens ne connaissent que les soldats!»

Punir les auteurs des actes antichrétiens

«Il est prioritaire que les autorités politiques et religieuses œuvrent, en fonction de la responsabilité de chacune, pour que la vie civile et religieuse de la ville retrouve une plus grande sérénité. Nous demandons à la police d’appliquer les sanctions adéquates aux auteurs de ces actes [antichrétiens, ndlr] afin d’éviter la répétition de tels violences insensées. Jérusalem doit rester la ville des croyants de toutes confessions et non l’otage de groupes radicaux», affirme pour sa part l’Assemblée des Ordinaires Catholiques de Terre Sainte. (cath.ch/ag/jb)

Guérir de la haine: conseils spirituels dans les situations de conflit
L’œuvre d’entraide «Aide à l’Église en Détresse (ACN)» a soutenu en 2022 des projets de l’Église catholique en Palestine pour un montant de CHF 250’000 et en Israël avec CHF 290’00.
Outre le soutien de monastères et de communautés religieuses, l’entretien d’églises et de zones pastorales, ACN apporte également, en Israël et dans les territoires palestiniens, un soutien au projet «Healing Hatred» – Guérir de la haine – , qui utilise des méthodes de conseil spirituel dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Les conflits persistants ont laissé de nombreuses plaies ouvertes des deux côtés et la peur alimente les antagonismes. Il faut donc trouver des moyens de surmonter les traumatismes, d’éliminer les préjugés et de trouver la réconciliation. Une centaine de chrétiens, de juifs et de musulmans de la région participent à un cours pour devenir des experts en résolution de conflits, pour encourager le dialogue et pour porter le message de l’amour du prochain et de la paix dans la société. JB

Père Gregor Geiger, franciscain allemand enseignant l'hébreu biblique et les langues sémitiques au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, | © Jacques Berset
21 septembre 2023 | 14:48
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
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