«L’Eglise joue un rôle de pédagogue plus que de gendarme»

Fribourg: Interview décontractée de Thierry Collaud, nouveau professeur de morale à l’Université

Fribourg, 11 février 2012 (Apic) Sexualité, manipulations génétiques, Exit… Le nouveau professeur de morale de l’Université de Fribourg, Thierry Collaud, aborde ces questions brûlantes. Interview à bâtons rompus avec ce médecin, théologien, bioéthicien, président de la Commission de bioéthique de la Conférence des évêques suisses (CES).

Front large, yeux rieurs cachés derrière des lunettes, cheveux grisonnants, Thierry Collaud incarne une certaine sagesse. Le discours est réfléchi. Les mots sont pesés. Sa barbe fournie, à mi-chemin entre celle d’Hippocrate et du Christ, sied à ce médecin et théologien. Ses multiples «casquettes» ont séduit le Conseil d’Etat du Canton de Fribourg qui l’a nommé, le 1er février 2012, professeur associé au Département de théologie morale et d’éthique de l’Université. Interview d’un intellectuel passionné et simple, qui aime vulgariser.

Apic: Que penser du préservatif?

Thierry Collaud: Comme objet, je n’en pense rien. Par contre, j’ai une idée de comment la sexualité peut se vivre de manière épanouissante. Rester au niveau des normes, c’est se piéger. Cela revient à dire: l’Eglise est pour ou contre le préservatif. Il faut parcourir le chemin inverse. L’Eglise a une parole sur la sexualité et sur la manière de la vivre. La norme exprime cette valeur de la conjugalité et de la fidélité. En cela, l’Eglise joue un rôle de pédagogue plus que de gendarme.

Apic: Et de l’abstinence?

Thierry Collaud: La société contemporaine nous dit: on ne peut pas vivre bien si notre génitalité n’est pas active. Or, la sexualité s’intègre dans le tout de l’existence. Elle peut être provisoirement mise de côté dans un couple ou chez un célibataire si cela permet de développer d’autres dimensions. La notion de privation devient alors relative.

Apic: Qu’en est-il de la cohabitation avant le mariage?

Thierry Collaud: Pour l’Eglise, la sexualité et la vie conjugale trouvent leur véritable signification dans le mariage. Le fait de coucher ensemble implique plus que le moment présent et l’acte sexuel. Cette norme renvoie à une «relationalité» qui doit s’inscrire dans la durée.

Apic: Et de la fécondation in vitro?

Thierry Collaud: La «procréation artificielle» fait intervenir cette volonté de pouvoir de l’humain, qui croit s’emparer des choses et maîtriser le monde. Mais ce n’est pas parce que l’on peut faire quelque chose, qu’il faut le faire. Dès le départ et avec sagesse, l’Eglise a mis en garde contre la dissociation de la procréation et de la sexualité conjugale. D’abord, on ne fait pas des enfants. On les accueille dans un couple comme un don. Or en manipulant la procréation, on glisse vers la prétention de fabriquer des enfants parce que nous y aurions droit.

Apic: Et du suicide?

Thierry Collaud: Question délicate car chaque cas est porteur d’une grande souffrance. Le suicide est toujours un drame pour le suicidé et pour ses proches. La communauté entière est ébranlée. Il ne s’agit pas de savoir si on est pour ou contre, mais d’attester de la valeur de chaque vie au milieu des difficultés. Quand tout semble noir, une possibilité s’offre toujours. Prenez Etty Hillesum qui arrive à s’émerveiller d’un coin de ciel bleu dans l’horreur d’un camp de concentration.

Apic: Exit, un progrès pour l’homme contemporain?

Thierry Collaud: Non, une régression. Le discours d’Exit est très dangereux. Il entretient l’idée que des vies ne valent plus la peine et que nous devons maîtriser la souffrance et la mort. Or, la vraie humanité, c’est de nous aider à faire notre chemin malgré la souffrance et la mort.

Apic: Le handicapé ou le malade d’Alzheimer sont-ils des personnes à part entière?

Thierry Collaud: Qui suis-je pour dire que cette personne avec des caractéristiques boiteuses ou manquantes est moins frère que moi? Une personne, c’est quelqu’un à qui Dieu s’adresse et manifeste sa tendresse. Sous son regard, toutes nos différences humaines tombent.

Apic: Vous êtes professeur laïc en théologie, dans une faculté à forte tradition dominicaine. Un signe de «progrès», 50 ans après l’ouverture du Concile Vatican II?

Thierry Collaud: Je me méfie de la notion de «progrès». La redéfinition de la place des laïcs après Vatican II a été une grande richesse pour l’Eglise. Un professeur laïc collaborant avec des dominicains participe à ce mouvement de recomposition et de rééquilibrage dans la communauté ecclésiale. Il permet aussi de créer d’autres liens entre la faculté de théologie et la cité. (apic/ggc)

«Les théologiens, d’aimables rigolos tenant un discours obscur et sectaire?»

Médecin généraliste, marié à une pasteur réformée et père de trois enfants, Thierry Collaud a choisi de fermer son cabinet début 2010. Une mise entre parenthèse pour se consacrer à l’enseignement et à la recherche.

Apic: Pourquoi avoir quitté la médecine pour la théologie?

Thierry Collaud: J’ai toujours pratiqué la médecine et la théologie ensemble. C’était un complément pour moi et non un basculement. Quand j’ai soutenu ma thèse en théologie sur la personne souffrant de maladie d’Alzheimer, les choses se sont enchaînées. Le côté enseignement a pris plus d’importance.

Apic: Il ne vous reste plus que 10 ans d’enseignement à l’Université, quelle empreinte comptez-vous laisser?

Thierry Collaud: Laisser une empreinte n’est pas mon but premier. Mon souhait serait de participer à une réflexion commune sur la place du théologien chrétien dans une société sécularisée qui valorise l’individu. Comment rendre compréhensible le discours de l’Eglise? Comment parler de théologie sans effrayer, ni abandonner le théologique? Trop souvent les gens ferment leurs oreilles quand on leur dit «morale chrétienne», alors qu’ils trouveraient le contenu intéressant dans un autre contexte.

Je souhaite aussi contribuer à maintenir la place de la théologie dans l’ensemble des réflexions de l’Université. Que les théologiens soient un peu moins considérés comme d’aimables rigolos, tenant un discours obscur et sectaire.

Apic: Votre morale repose-t-elle sur une éthique humaine ou est-elle plus spécifiquement évangélique?

Thierry Collaud: Il n’y a pas de séparation. La morale évangélique n’est pas une fuite hors de l’humain mais un appel à être pleinement hommes et femmes dans le monde. (apic/ggc)

Note aux médias: Des photos de Thierry Collaud peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix pour diffusion: 80 frs la première, 60 frs les suivantes.

10 février 2012 | 17:29
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 4 min.
CES (341), Fribourg (591), Thierry Collaud (21), Université (81)
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