«Plus de 19’000 gamins sont aujourd’hui séparés de leurs parents», déplore le Père Gabriel Romanelli, curé de Gaza (ici en novembre 2023 à Gaza) | © M. A. Beaulieu/Terre Sainte magazine
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Père Romanelli: «La majorité des victimes à Gaza sont des civils»

La voix tremble, les mots résonnent plus fortement, le ton devient plus incisif. Le Père Gabriel Romanelli prévient: «Ecrivez surtout que les victimes à Gaza sont d’abord des civils. La plupart sont des femmes et des enfants, pas des combattants, mais les otages d’une guerre horrible.» cath.ch a pu s’entretenir, au téléphone, avec le curé de Gaza qui évoque les chrétiens et les musulmans qui «ici partagent les mêmes deuils».

Luc Balbont, pour cath.ch

Né en Argentine comme le pape François, le Père Gabriel Romanelli, 54 ans, missionnaire dans l’âme, parfaitement arabisant, est arrivé au Moyen-Orient en 1995. Il avait auparavant servi en Egypte et en Jordanie, avant d’effectuer son apostolat à Gaza pour assister le Père Musallam, à la demande du Patriarche de Jérusalem, puis de le remplacer en 2019, comme curé de Gaza. Son témoignage est celui d’un homme habité par la Terre sainte. «C’est ici, dit-il, que le Christ est né, c’est de là que s’est transmis l’héritage et le message chrétien au monde.» Une parole d’amour et de paix, que le Père Romanelli, curé de la paroisse de la Sainte-Famille à Gaza, s’est donné pour mission de perpétuer. Une parole trahie depuis plus de cinq mois par la fureur des armes.

Deux tiers de chrétiens en moins en 15 ans

Lorsqu’en mai 2021, lors d’une énième opération militaire de l’armée israélienne contre Gaza, la troisième depuis 2014, il avait répondu aux questions de cath.ch, la petite Bande palestinienne, sous embargo et en constante liberté surveillée comptait alors 1017 chrétiens, dont 133 catholiques. Le Père se rappelle qu’il y a 15 ans, lors de sa première visite, le territoire en dénombrait 3500.

Si Gaza a toujours été une prison permanente sous surveillance israélienne, où il était impossible de mener une vie normale, d’étudier, de travailler, de voyager, d’avoir des projets et des rêves, la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée le 7 octobre dernier, a fait de l’enclave un véritable enfer. «Il est bien difficile aujourd’hui de donner une statistique fiable, reconnait le Père Romanelli, mais en cinq mois, Gaza présente un bilan de plus de 28’000 morts*. Côté chrétien, notre petite communauté, de catholiques et d’orthodoxes, a déjà perdu 29 paroissiens, et 70 fidèles ont pu quitter la Bande.»

70% des disparus sont des femmes et des enfants, «sans distinction de religions insiste le prêtre. Ici Chrétiens et musulmans partagent les mêmes deuils.» La plupart des familles n’ont plus de maisons, bombardées ou brûlées délibérément, et habitent dans des tentes de fortune. Un calvaire sans nom pour ces gens qui risquent leur vie en se déplaçant entre des ruines, affamés, étranglés par l’angoisse nuit et jour. L’aide alimentaire contrôlée par l’armée israélienne arrivent au compte-goutte, le lait est rare pour les nourrissons, pas de médicaments, des hôpitaux dépourvus de matériels et de médecins. A Gaza on meurt tous les jours de maladies bénignes, qui étaient soignées sans problème auparavant.  

19’000 enfants séparés de leurs parents

Dès le début de la guerre, les chrétiens, mais aussi un grand nombre de musulmans, se sont réfugiés dans les paroisses et les trois écoles chrétiennes, «qui sont devenus les seuls abris à peu près sécurisés de la Bande, confie tristement le prêtre: L’école de la Sainte-Famille, dans le quartier de Rimal, accueille de centaines personnes qui s’organisent comme elles le peuvent, dans une solidarité extraordinaire entre les deux religions. L’école du Rosaire a été bombardée et brûlée en partie. L’école paroissiale, elle, abrite 600 réfugiés, dont de nombreux enfants sous la protection des sœurs de Mère Teresa. L’église de la Sainte famille est devenue aujourd’hui un lieu ordinaire, où les gens mangent, dorment et prient. Les sœurs, aidées de quelques laïcs ont même commencé a donner des leçons aux enfants, afin de leur faire oublier la guerre. Plus de 19’000 gamins sont aujourd’hui séparés de leurs parents», déplore le curé, sans aucun moyen de leur venir en aide.

Des appels quotidiens du pape François

Les communications avec l’extérieur sont nulles. Gaza est coupé de tout, appels rares et absence de réseaux internet. Pourtant, le pape François parvient à appeler tous les jours afin de montrer aux assiégés, que Rome reste en lien, et qu’ils ne sont pas oubliés. C’est en espagnol, leur langue maternelle commune, que le Saint-Père échange avec le Père Romanelli sur la situation. Et c’est en italien que le pape s’entretient avec le Père Yusuf, le vicaire paroissial.

«Les chrétiens Gazaouis ont triomphé de tant d’épreuves au cours de ces dernières années, qu’ils sont persuadés que Dieu les sauvera une fois de plus.»

Même minime, la présence chrétienne est capitale. Dans les écoles à Gaza, sur plus de 2500 élèves, 90%des élèves sont musulmans. «Les parents connaissent la qualité de l’enseignement catholique,affirme le curé,ils nous confient leurs enfants, sachant que nous respecterons leurs croyances et leurs valeurs.» En plus des écoles, les latins continuent, non sans difficulté, d’animer des groupes de jeunes, de s’occuper comme ils le peuvent d’une maison pour les enfants handicapés, et d’une autre pour les personnes âgées. Pour toutes ces raisons, la communauté chrétienne est un témoin indispensable sur ce bout de Palestine.

La foi chevillée au cœur

«Les chrétiens de Gaza, blessés et éprouvés comme ils le sont aujourd’hui, ont la foi chevillée au cœur. Pour nous, martèle le prêtre, l’Eucharistie et la parole du Christ sont notre force, une parole de vie à préserver. Les chrétiens Gazaouis ont triomphé de tant d’épreuves au cours de ces dernières années, qu’ils sont persuadés que Dieu les sauvera une fois de plus, qu’il ne les laissera pas tomber.»

Actuellement coincé à Bethléem, le curé de Gaza n’a pas pu retourner dans sa paroisse. Il attend, et ronge son frein fiévreusement, suspendu à son téléphone, dans l’espoir que l’un de ses paroissiens, qui aurait pu miraculeusement recharger son téléphone lui annoncera une heureuse nouvelle, celle d’une trêve définitive, et la reprise de la vie.

«Pour nous, l’Eucharistie et la parole du Christ sont notre force»

Ne pas revenir à Gaza? L’idée ne l’a jamais traversé. Si je quittais cette ville, j’aurais le sentiment de me couper de mes racines et de trahir mon histoire» et de conclure: «N’est-ce pas à Gaza que Joseph, Marie et Jésus ont séjourné avant de se rendre en Egypte pour fuir le roi Hérode, puis de revenir en Palestine.» Alors comme la Sainte Famille, Gabriel reviendra à Gaza, dans cette ville palestinienne, qu’il j’aime tant, et où il a passé une grande partie de son existence. C’est là qu’il a ses attaches. (cath.ch/lb/bh)

* Chiffre donné par le ministère de la Santé du Hamas, mais que l’ONU ne conteste pas.

Pour aller plus loin: Chrétiens de Gaza de Christophe Oberlin, photos de Serge Nègre, éditions Erick Bonnier, 195 pages.

«Plus de 19’000 gamins sont aujourd’hui séparés de leurs parents», déplore le Père Gabriel Romanelli, curé de Gaza (ici en novembre 2023 à Gaza) | © M. A. Beaulieu/Terre Sainte magazine
19 février 2024 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 5 min.
Gabriel Romanelli (1), Gaza (87), guerre (419), Hamas (42), Israël (221)
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