Rochus Rückel, comme Jésus, porte la croix | © Sebastian Schulte
Dossier

La Passion d’Oberammergau (2/2) : un contexte religieux en évolution

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Les 450’000 visiteurs de la Passion 2022 bénéficient, outre les représentations, d’une offre spirituelle menée par les paroisses d’Oberammergau ainsi que de multiples occasions de mieux découvrir une région attachante. Les Bavarois savent accueillir et partager leurs passions.

Bernard Litzler pour cath.ch

14 mai 2022. Sur la scène du Passionstheater d’Oberammergau trois évêques sont présents : le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et Freising, Heinrich Bedford-Strohm, président de l’Eglise luthérienne de Bavière, et Mgr Thabo Makgoba, évêque anglican sud-africain. La célébration œcuménique organisée avant les 42e Jeux de la Passion correspond à l’esprit de la manifestation : ouvert et en communion entre les Eglises.

Dépasser la violence

Le geste de paix entre représentants des Eglises est accompagné par un Schalom Aleichem hébreu chanté par le chœur de la Passion. Une manière de marquer le judaïsme des représentations, qui mettent en scène un Jésus à la kippa, qui partage le pain de la Cène devant une menora, le chandelier à sept branches.

Pour le cardinal Marx, «la Passion d’Oberammergau est un appel à dépasser la violence, à ne pas lui donner la dernière place dans l’histoire, mais une place provisoire».

Contraintes sécuritaires devant le théâtre de la Passion | © Bernard Litzler

De son côté, le pasteur Bedford-Ströhm a mis en lien le cri de Jésus sur la croix avec celui des mères dans les ruines de la maternité de Marioupol, dans les abris antiaériens de Kharkiv et dans les maisons des mères de soldats russes ayant reçu l’annonce de la mort de leurs fils au combat. «L’histoire de la Passion est à la fois ancienne et toujours si actuelle et elle peut nous aider à trouver la paix», a conclu le responsable protestant.

«La Passion influence le village»

Dans les rues d’Oberammergau, invitation au programme oecuménique | © Bernard Litzler

Autre ecclésiastique, présent à la célébration d’ouverture, l’abbé Thomas Gröner est curé d’Oberammergau depuis huit ans. Il assume donc pour la première fois la charge pastorale durant la Passion. «C’est un gros défi. En paroisse d’habitude, c’est surtout des moments comme la première communion qui représentent un pic. Ici, nous avons un programme spécial durant la Passion, en lien avec la paroisse luthérienne. C’est prenant, mais c’est aussi stimulant. Pour la première fois, on a engagé des collaborateurs pour cela».

«Car, ajoute-t-il, la Passion influence le village. Quand quelqu’un évoque son mariage, par exemple, il ne dit pas que c’était en 1975, mais cinq ans après la Passion de 1970 !».

Une carte à Dieu

Pour cueillir les fruits de l’entente œcuménique, il suffit de se promener dans le village. Au centre, un espace ouvert (Offener Raum). De grands panneaux disposés en cercle demandent, sans détours : «Suis-je aussi libre?», «De quelle mort dois-je mourir?», «Qui veut de la vie éternelle ?», etc. A chaque question correspond un verset biblique. Cerise sur le gâteau, il est possible d’adresser une carte à Dieu et de la déposer dans une boîte.

«ça marche mieux que nous ne le pensions, indique l’abbé Gröner qui y répond lui-même, en alternance avec le pasteur luthérien. Et ça nous donne du travail. Il y a des choses drôles, mais la plupart sont très sérieuses, avec des questions sur le suicide, par exemple».

Le curé d’Oberammergau Thomas Gröner avec les cartes adressées à Dieu | Bernard Litzler

Renommée aux Etats-Unis

Le programme œcuménique est baptisé «Vivre passionnément» («Leidenschaft leben»). Parmi les propositions, une introduction théologique organisée au Petit Théâtre du village. Ce matin-là, Angelika Winterer, assistante pastorale catholique, accueille une vingtaine de visiteurs. Elle lève le voile sur les liens entre le Oberammergau et la Passion, sur l’impact de la manifestation dans le village.

On la questionne sur la présence importante des visiteurs des Etats-Unis, qui représentent la moitié des spectateurs: «Ils viennent de génération en génération. Notre renommée est immense là-bas». Angelika insiste sur la valeur du témoignage quasi liturgique délivré par les acteurs de la Passion: «Contrairement au théâtre, à la fin du spectacle, ils ne viennent pas recueillir les applaudissements du public».

A Oberammergau, la sculpture sur bois est un art ancestral. | © Bernard Litzler

«Pas plus pieux»

Les liens entre les participants à la Passion et la paroisse catholique restent étroits, note Angelika Winterer. Elle y voit des avantages : «L’orchestre et le chœur sont aussi au service de l’église. Ils jouent plusieurs fois dans l’année pour nous, notamment aux Rameaux, à Pâques, à l’Ascension. A part ça, nous ne sommes pas plus pieux que d’autres. Mais nous connaissons mieux l’histoire de Jésus, c’est certain».

Elle note également combien le texte joué a évolué au cours des siècles, gommant notamment ses aspects antisémites. «A chaque édition, six mois avant les répétitions, Christian Stückl, le metteur en scène, emmène les acteurs importants faire un voyage en Israël, sur les pas du Christ, pour s’imprégner de nos racines juives».

La pandémie, un choc

Toutefois, note le curé Gröner, la pandémie a constitué un choc. L’arrivée attendue des spectateurs a été freinée brusquement : «On ne savait pas comment cela allait se terminer. Comme en 1633 avec la peste, c’était une question de survie existentielle. Car le village attendait beaucoup de cette édition 2020. Les commerces et les hôtels, les investissements consentis, tout cela pesait dans les esprits».

Aujourd’hui, juste retour des choses. 450’000 personnes sont attendues jusqu’au 2 octobre 2022, selon les estimations. Le profit est énorme pour le village, comme en témoignent l’organisation minutieuse mise en place par le conseil communal, en charge de la manifestation.

Markus Zwink, ici avec les partitions de la Passion, dirige également l’orchestre et le choeur paroissial | Bernard Litzler

Sculpture sur bois

Cependant, «c’est devenu plus difficile que par le passé», confie Christian Stückl, qui en est à sa quatrième mise en scène après 1990, 2000 et 2010. Il évoque les clôtures dressées autour du Passionstheater, sécurité oblige, la fouille corporelle des spectateurs, le scannage des badges pour tous les acteurs.

Rien ne semble pourtant arrêter la ferveur autour de l’événement. Les visiteurs d’un jour ou les amateurs de séjour plus long en profitent pour admirer les belles maisons peintes, faire un tour au Musée d’Oberammergau ou du shopping.

Par ailleurs, la région est réputée de longue date pour ses sculptures sur bois. Plusieurs artisans ont pignon sur rue, proposant statues, crucifix, crèches et autres objets d’inspiration religieuse ou profane. Une tradition assurée grâce au Centre de formation à la sculpture installé dans le village. La Bavière soigne ses racines. (cath.ch/bl)

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Rochus Rückel, comme Jésus, porte la croix | © Sebastian Schulte
10 juillet 2022 | 17:08
par Rédaction

Fidèle à un vœu prononcé en 1633, les habitants du village bavarois d’Oberammergau jouent la Passion du Christ chaque décennie.

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