Le centre d'hébergement collectif des Tattes, à Genève, accueille toutes les situations | © Jessica Da Silva Villacastin
Suisse

«L'AGORA s'occupe des personnes dont personne ne s'occupe.»

A quelques jours de la votation sur l’élargissement de Frontex et en pleine crise de réfugiés ukrainiens, qu’en est-il de l’accueil des personnes en détresse? Reportage au cœur de l’AGORA, l’aumônerie genevoise œcuménique, qui écoute et accompagne depuis 1988 les requérants d’asile et les réfugiés.

Bâtiment A. Au cœur du centre d’hébergement collectif des Tattes, entre Vernier-Village et la zone industrielle. Bienvenue à l’AGORA, dans un appartement sans chichis, où il suffit de pousser la porte pour prendre un café, suivre un cours ou obtenir des réponses aux tracas administratifs du domaine de l’asile.

Certaines chambres servent de bureau pour une association partenaire, Elisa-Asile. D’autres font office de bureaux pour la formation ou les entretiens, confidentialité oblige. Côté salon: une grande table, un coin canapé, quelques ordinateurs, des bibliothèques et une manne de dépliants et de brochures informatives.

Derrière les écrans, deux stagiaires composent le CV d’une requérante. Assis sur un canapé, un jeune adulte érythréen tient fermement quelques feuilles et son CV. Aujourd’hui, Michaël est venu faire un point sur ses recherches d’emploi avec l’aumônière catholique, Virginie Hours. Ce père de quatre enfants est dans une impasse que l’aumônière, juriste de métier, connaît bien: la spirale des stages sans embauche à la clé.

Une écoute sur le tarmac

Ministère œcuménique des Eglises catholique chrétienne, catholique romaine et protestante, l’AGORA est à l’écoute des requérants d’asile et des réfugiés depuis 1988. Au commencement était un mobile-home parqué aux abords de l’aéroport de Genève. Aujourd’hui, l’équipe des aumôniers et des bénévoles partagent leur quotidien entre les foyers d’hébergements, des visites chez les particuliers, les établissements de détention administrative et la zone de transit de l’aéroport.

C’est dans le bâtiment des «non admis», en bout de piste, que Virginie Hours a vécu ses plus beaux partages avec les requérants d’asile. «L’état d’esprit est différent, ils arrivent et ils savent qu’ils jouent une grosse partie de leur futur dans les jours qui viennent», explique-t-elle. Entre la tension du voyage, celle de leur vécu et la longue procédure qui s’ouvre dès leur arrivée, la présence de l’AGORA leur apporte un peu d’humanité et de dignité. «L’apostolat de l’écoute, je l’ai vécu de manière particulièrement forte à l’aéroport», assure l’aumônière catholique.

«L’apostolat de l’écoute, je l’ai vécu de manière particulièrement forte à l’aéroport.»

Virginie Hours, aumônière catholique à l’AGORA

Un amour inconditionnel

Sur le dépliant de l’AGORA, une phrase simple résume la double mission de l’aumônerie: «aider les requérants à mobiliser leurs propres ressources de vie et de foi». Sans jugement. Sans distinction. Sans catégorisation. Si la guerre en Ukraine a clairement impacté le centre d’hébergement collectif des Tattes, il n’en a pas été de même pour l’aumônerie genevoise œcuménique. «L’AGORA s’occupe des personnes dont personne ne s’occupe», simplifie Virginie Hours. Comprendre: en tout temps et surtout auprès des populations déboutées ou impactées par une décision de non-entrée en matière. Pas de tri aux portes de l’AGORA: la devise c’est de recevoir chaque personne avec un «amour inconditionnel».

L’AGORA fait partie de la fait partie de la Coordination genevoise qui défend le droit d’asile.

L’apprentissage du français: une étape clé

A l’instar d’une grande famille, l’AGORA s’enrichit des parcours et des témoignages des requérants d’asile et réfugiés accueillis. Les cours de français proposés par l’aumônerie œcuménique créent un lien dans la durée. De nationalité ukrainienne, originaire d’Azerbaïdjan et arménienne, Kamalia est arrivée aux Tattes avec sa famille en 2018. L’appartement de l’AGORA est aujourd’hui sa deuxième maison et l’apprentissage du français est pour elle un symbole d’intégration et d’émancipation financière.

En Ukraine, elle a fait des études dans l’enseignement et l’économie qui ne sont pas reconnues ici, français oblige. Du haut de ses quarante-cinq ans et malgré ce parcours chahuté, elle dit être aujourd’hui confiante en son futur. Elle répète aussi plusieurs fois à quel point elle se sent redevable envers l’AGORA et la Suisse. Avec une petite larme d’émotion: peut-être pourra-t-elle un jour aussi aider d’autres personnes.

Pour décrire plus précisément ses émotions, Kamalia a utilisé un traducteur en ligne. 

De son côté, Omar, réfugié syrien de 53 ans, a noué des liens d’amitié avec Gilbert, professeur bénévole à l’AGORA. Arrivé en 2018 au Centre d’hébergement collectif des Tattes avec son épouse et ses trois enfants, ce n’est que cette année qu’ils ont pu obtenir leur propre logement. Parmi les difficultés rencontrées, une disparité de permis de séjour au sein des membres du même foyer et la difficulté à trouver une structure qui propose des cours de français de façon soutenue pour une intégration accélérée. Tout ceci, Omar l’exprime avec aisance en français, sous le regard bienveillant de son professeur. «Il y a une belle estime entre vous», a glissé délicatement Virginie Hours, dans un moment d’émotion.

Le bénévolat, pierre angulaire

Dans les locaux des Tattes, aucune journée ne se ressemble. Si la crise sanitaire a eu un impact sur l’affluence des requérants, les portes sont toujours ouvertes aux heures dédiées. Trois salariés, une vingtaine de bénévoles, quelques stagiaires et un civiliste font tourner l’AGORA, de l’appartement des Tattes au centre de détention de l’aéroport.

«Je voulais m’engager dans quelque chose de plus… engagé! Le premier jour, on m’a donné la clé!»

Isabelle, bénévole

La majorité des bénévoles étant composée des membres fondateurs, l’AGORA cherche aujourd’hui à accueillir de nouvelles forces vives qui adhèrent à l’esprit de cette aumônerie, dont la première mission est l’accueil. «Je voulais m’engager dans quelque chose de plus… engagé! Le premier jour, on m’a donné la clé!», s’exclame Isabelle, bénévole en charge de l’accueil des enfants non scolarisés.

Dans le sous-sol, la concentration est de mise pendant le cours d’informatique.

Il est passé 16h30. Deux jeunes hommes qui suivaient un cours d’informatique dans le sous-sol sont maintenant assis dans le coin salon, tasse et sous-tasse dans la paume de leurs mains. Ils boivent un thé et grignotent des biscuits et du chocolat aux noisettes en discutant tranquillement en tigrinya (langue officielle en Érythrée et parlée dans une partie de l’Éthiopie, ndlr). Dehors, une averse a tout rafraîchi. Ici, la convivialité les tient au chaud. (cath.ch/jds)

L’AGORA en bref
L’Aumônerie Genevoise Œcuménique auprès des Requérants d’Asile et des Réfugiés a été créée en 1988 par les trois Églises officielles du canton de Genève. Dans ses locaux des Tattes, elle tient une permanence 5 jours par semaine de 9h à 12h00 et de 14h à 17h00. Pour les enfants de 4 à 8 ans, un accueil est proposé le mercredi matin. Des cours d’informatique et de français complètent l’offre des Tattes. L’AGORA est également présente au temple de la Madeleine les mardis après-midi, pour poursuivre sa mission de sensibilisation sur la problématique de la migration. JDS

Le centre d'hébergement collectif des Tattes, à Genève, accueille toutes les situations | © Jessica Da Silva Villacastin
9 mai 2022 | 17:12
par Jessica Da Silva
Temps de lecture: env. 5 min.
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