Pauline Jaricot  figurée sur le 'mur des Lyonnais' | © Maurice Page
Dossier

Le grand plan de Pauline Jaricot: le Rosaire vivant 2/3

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Le grand plan de Pauline Jaricot, celui qui la fera vraiment connaître, est le Rosaire vivant développé à partir de 1826. Encore une fois, à partir d’une idée simple et d’un ‘marketing’ efficace, Pauline va susciter un vaste mouvement de prière qui s’étendra au-delà du pays et du continent.

Avec ses fenêtres à meneaux, ses grandes poutres et sa cheminée, la pièce principale de la maison de Lorette a gardé son caractère du XVIe siècle. C’est aujourd’hui un musée, mais il faut l’imaginer dans les années 1830 remplie de tonnes de brochures, d’images pieuses, de livres, de cartons de chapelets, de médailles, de crucifix qu’une quinzaine de jeunes femmes s’affairent à emballer et à expédier dans le monde entier. La pièce est le cœur battant du Rosaire vivant, le nouveau plan que Pauline Jaricot a échafaudé à partir de 1826. Cette activité va l’occuper à temps plein pendant une quinzaine d’années. Au mur dans un cadre, un carton imprimé témoigne modestement de son génie ‘marketing’.

Contre l’anti-cléricalisme et l’impiété

En 1825, lors de l’année jubilaire, le pape Léon XII a dénoncé la montée de l’anti-cléricalisme en Europe. Pauline entend alors prier et faire prier pour la conversion des pêcheurs. Son arme sera le Rosaire. Avec la Révolution et les années qui ont suivi, sa pratique est tombée en désuétude. «Cette dévotion était laissé aux dévotes de profession, encore à condition qu’elles fussent vieilles, ou qu’elles n’eussent rien à faire, ce qui était un préjugé très faux», écrira Pauline.

Son plan sera celui qui a fait ses preuves à la Propagation de la foi, au lieu des dizaines, elle invente des groupes de quinze personnes en l’honneur des quinze mystères du Rosaire. Chaque personne s’engage à réciter chaque jour une dizaine de chapelet en méditant un des mystères qui lui est attribué chaque mois par tirage au sort. Par cette méthode très simple, Pauline veut rendre accessible à tous la prière du Rosaire, la récitation et la médiation ne prennent que quelques minutes par jour, mais l’effet de la répétition quotidienne portera de bons fruits.

Carton du Rosaire vivant, chaque coeur porte la signature d’un membre de la ‘quinzaine’ | © OPM

Des assemblées mensuelles du groupe sont l’occasion d’une petite catéchèse et d’un partage. Elles permettent aussi de récolter la cotisation de quinze sous par an pour permettre la diffusion de l’œuvre et la distribution de bons livres et d’objets de piété.

Pour souder la quinzaine, Pauline crée un carton qui détermine visiblement la répartition et la rotation des mystères. Quinze pétales de rose entourent l’image de la Vierge et reçoivent les signatures de chaque associé. Ces cartons imprimés seront diffusés dans le monde entier. L’œuvre se diffusant largement dans les diocèses et les paroisses, Pauline établit dès 1832 un manuel qui définit les buts, les moyens et l’organisation. La centrale de Lyon est responsable de toute la correspondance de l’envoi de matériel et de la diffusion de quatre circulaires par an.

Une notoriété planétaire

En 1827, Pauline rencontre le nouveau nonce en France, le cardinal Lambruschini pour lui présenter son plan. Le prélat accepte d’en parler au pape Grégoire XVI qui par un bref de 1831 bénit cette «sainte pratique que la piété active et industrieuse vient de leur suggérer sous le titre de Rosaire vivant».

Au fur et à mesure que l’œuvre se répand en France et dans le monde par l’intermédiaire des missionnaires, la notoriété de Pauline Jaricot grandit. Outre ses qualités d’organisatrice, on lui reconnaît une véritable autorité spirituelle. Alors qu’elle n’a qu’une trentaine d’années, on l’appelle ‘mère’ ou ‘bonne mère’. Les visiteurs se pressent à la maison de Lorette pour un discernement, un conseil ou une aide spirituelle ou matérielle.

Lettre autographe de Pauline Jaricot | © Maurice Page

Pauline, sainte Philomène et le pape

Fraichement rénovée, dans des tons ocres, la chapelle Sainte-Philomène est comme une maquette du sanctuaire de Mignano, près de Naples. Construite par Pauline en 1839, au contrebas du jardin de la maison de Lorette, cet oratoire est étroitement lié à sa vie et à sa dévotion personnelle.

En 1802, l’exploration de la catacombe de Priscille à Rome a mis au jours une pierre tombale portant l’inscription que l’on déchiffre comme Pax tecum Filumena (la paix soit avec toi Philomène). Cela suffit à faire d’elle une martyre dont la réputation miraculeuse se répand en Italie. Un sanctuaire lui est consacrée à Mugnano, près de Naples.

Coupole de la chapelle Ste-Philomène, de la maison de Lorette | © Maurice Page

Très malade à fin 1834, Pauline, que beaucoup pensent à l’article de la mort, décide de s’y rendre en pèlerinage. Elle demande à son médecin l’autorisation d’aller à Paray-le-Monial. Ce dernier y consent tout en avertissant ses proches: «Elle ne passera pas la Saône» (à 500 mètres en contrebas de chez elle, ndlr). Etendue dans une chaise de poste, accompagnée d’une amie, d’un abbé et d’un domestique, elle passe la Saône, puis le Rhône. Parvenue à Paray-le-Monial, toujours en vie elle décide, sans prévenir sa famille, de pousser jusqu’à Rome et à Mugnano. Ce sera Chambéry, le Mont Cenis, Lorette puis Rome, où elle est reçue à la Trinité des Monts.

Le pape vient voir Melle Jaricot

Apprenant sa présence et son état désespéré, le pape Grégoire XVI s’y déplace pour la voir. Il se recommande à ses prières dès qu’elle «sera arrivée au ciel». Pauline qui décidément ne perd pas le nord, lui demande en retour, que, si elle revient de Mugnano, il procède sans retard à la canonisation définitive de Philomène. «Ce serait un grand miracle» lui répond le pape… qui ne sait pas à quoi il s’avance.

Pauline arrive à Mugnano le 8 août 1835. Portée sur le tombeau de la sainte, elle éprouve de grandes souffrances et semble morte, mais elle ressent au fond d’elle-même sa guérison. Le lendemain, elle fait quelques pas dans l’église puis remonte sans aide dans sa chambre. La nouvelle du miracle de sa guérison se répand dans le village. Les habitants l’obligent à défiler dans la rue précédée de la musique et accompagnée de militaires. Elle quitte Mugnano en emportant des reliques de sainte Philomène et en y laissant son fauteuil en ex-voto.

Chapelle Sainte-Philomène, un tableau a désormais remplacé les reliques de la sainte | © Maurice Page

Guérison miraculeuse

De retour à Rome, le pape est plus que surpris de la voir. Il la fait marcher devant lui en long et en large. Pauline lui demande alors de pouvoir ériger une chapelle à sainte Philomène, ce qu’il ne peut lui refuser. En 1837, il autorisera officiellement son culte.

Grégoire XVI retient alors Pauline à Rome pendant près d’un an, la rencontrant à plusieurs reprises pour discuter de la situation de l’Eglise.

De retour à Lyon à l’été 1836, Pauline fait construire la chapelle sainte Philomène et remet une partie des reliques à son ami le curé d’Ars qui en développe le culte dans sa paroisse, tout heureux de pouvoir ›détourner’ sur elle les dons de thaumaturge qu’on lui attribue.

L’ironie de l’histoire veut que Philomène, dont le martyre et l’existence historique sont trop faiblement attestés, soit rayée du catalogue des saints en 1961. Les reliques de Philomène ont elles étés retirées de la chapelle puis perdues dans les années 1970. (cath.ch/mp)

A suivre: L’échec du plan de l’usine modèle 3/3

Suite
Pauline Jaricot figurée sur le 'mur des Lyonnais' | © Maurice Page
16 mai 2022 | 17:00
par Maurice Page

Vénérée de son vivant, avant d’être méprisée puis presque oubliée, Pauline Jaricot revient dans l’actualité ecclésiale à l’occasion de sa béatification le 22 mai 2022 à Lyon.

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