L'univers compterait des milliards de galaxies. | © Pixabay.
Vatican

L’Épiphanie selon le directeur de l’Observatoire du Vatican

«Un univers rempli d’étoiles est suffisamment grand pour contenir des choses intangibles comme la Vérité et la Beauté», selon le directeur de l’Observatoire astronomique du Vatican (Specola), le jésuite américain Guy Consolmagno, à l’occasion de l’Épiphanie, célébrée le 6 janvier 2024.

Anna Kurian, I.Media

Pour le frère Guy Consolmagno, qui relate à I.Media ses meilleurs souvenirs et évoque les spécificités de l’Observatoire du petit État catholique, la contemplation des étoiles «conduit naturellement à une prise de conscience imminente de l’existence de Dieu». Interview.

Le jésuite américain Guy Consolmagno est le directeur de l’Observatoire astronomique du Vatican depuis 2015 | © catt.ch

Dans l’imaginaire commun, le métier d’astronome reste mystérieux et fascinant. En quoi consiste le travail d’un astronome du Vatican? 
En fait, ma vie quotidienne peut sembler plutôt banale et ennuyeuse. Je passe très peu d’heures de travail à regarder les étoiles; la plupart du temps, je regarde des écrans d’ordinateur. En effet, la moitié des personnes travaillant à la Specola sont des théoriciens, qui cherchent à comprendre ce que les observateurs nous rapportent à l’aide de programmes informatiques détaillés.

Même ceux d’entre nous qui ont l’occasion d’utiliser le télescope ne sont sur la montagne que quelques semaines par an. Et ils ne regardent pas dans le télescope, mais des images générées par ordinateur à partir des caméras du télescope. Le reste de notre temps est consacré à la «réduction» des données, c’est-à-dire à l’élimination des défauts et des artefacts et à l’extraction des images pour obtenir la mesure exacte de la taille ou de la luminosité des objets que nous observons.

«La vraie joie dans notre travail vient du partage de ce que nous trouvons avec le reste de la communauté scientifique»

Ce que nous avons tous en commun, cependant, c’est que nous devons ensuite rédiger nos résultats dans des documents qui peuvent être présentés lors de réunions et publiés dans des revues. Et nous devons suivre les travaux de nos collègues. Le vrai travail – et la vraie joie dans notre travail –, vient du partage de ce que nous trouvons avec le reste de la communauté scientifique. En outre, certains d’entre nous qui ont le talent pour le faire sont également très impliqués dans la communication de ces résultats aux étudiants ou au grand public sous la forme de conférences et de livres.

Y a-t-il une leçon de vie que vous avez tirée de l’observation des astres?
La plupart d’entre nous – moi y compris – avons tendance à vivre dans un monde très petit et plat, où je suis au centre et où les autres endroits importants autour de moi sont le réfrigérateur et mon lit! Mais l’étude de l’univers – y compris le simple fait de sortir la nuit et de regarder les étoiles, avec le même émerveillement que lorsque nous étions enfants – nous rappelle que l’univers réel est bien plus grand que cela.

«En regardant dehors, on finit par se demander «pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien?»»

Un univers rempli d’étoiles est suffisamment grand pour contenir des choses intangibles comme la Vérité et la Beauté. En regardant dehors, encore et encore, on finit par se demander pourquoi tout cela existe, en reprenant les mots de Leibniz, «pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien?». Une telle contemplation conduit naturellement à une prise de conscience imminente de l’existence de Dieu.

Quel est votre souvenir le plus cher depuis le début de votre carrière d’astronome ?
Il y a tant de moments… la recherche de météorites en Antarctique, le fait de voir mon premier travail d’étudiant cité dans le magazine d’astronomie populaire Sky and Telescope, la première fois que j’ai vu la nébuleuse Eta Carina d’un observatoire de Nouvelle-Zélande… Mais il y a peut-être un moment particulier, celui où j’ai soudain réalisé que l’une de mes théories favorites, une idée que j’avais formulée dans un article en 1978 et qui est citée dans la littérature scientifique depuis des décennies, était en fait (probablement) erronée! Je me suis senti comme saint Paul sur le chemin de Damas.

«La chose la plus excitante à entendre dans un laboratoire n’est pas «hourra, j’ai trouvé!» mais plutôt «hmm… c’est bizarre…»»

L’écrivain Isaac Asimov, lui-même scientifique, a fait remarquer un jour que la chose la plus excitante à entendre dans un laboratoire n’est pas «hourra, j’ai trouvé!» mais plutôt «hmm… c’est bizarre…». Réaliser que l’univers est plus étrange que nous ne le pensions – non seulement en général, mais aussi dans ce cas particulier, que je peux explorer plus en profondeur avec cette observation ou ce calcul –, c’est ouvrir une porte sur un tout nouveau monde de possibilités. Rien n’est plus excitant que cela!

Vous êtes astronome et jésuite. Votre foi et l’astronomie ont-elles un impact l’une sur l’autre?
Le fait d’être jésuite a certainement changé ma façon de faire de la science. Cela me rappelle que le but de mon travail n’est pas simplement de gagner de l’argent ou de la célébrité, ou de «montrer» à mes rivaux dans le domaine. Je le fais plutôt pour la joie que m’apporte l’astronomie, une joie que je reconnais comme une preuve de la présence de Dieu.

«La contemplation de l’univers me permet de comprendre pourquoi j’ai besoin de la foi»

De même, l’astronomie a enrichi ma foi; au lieu que ce soit la science qui me donne la foi – en fait, j’avais déjà la foi avant d’être un scientifique –, la science et la contemplation de l’univers me permettent de comprendre pourquoi j’ai besoin de la foi. Seule la foi peut donner un sens à la joie et à la beauté que je rencontre lorsque je parviens à comprendre l’univers et son fonctionnement.

L’observatoire du Vatican sur le mont Graham | © Jjstott / Wikimedia / CC BY-SA 3.0

Quelle est la place de l’Observatoire du Vatican sur la scène internationale?
Les membres de l’Observatoire du Vatican jouent un rôle très important dans le monde international de l’astronomie. Bien sûr, nous sommes de bons astronomes qui avons étudié dans les mêmes écoles et assisté aux mêmes réunions internationales que nos collègues. Dans nos rapports annuels, vous trouverez des centaines d’articles de recherche que nos membres publient chaque année dans des revues scientifiques. Dans pratiquement tous ces articles, nous collaborons avec des scientifiques laïcs dans des institutions du monde entier.

«En étant au Vatican, nous ne sommes pas en concurrence avec nos collègues»

Mais en étant au Vatican, nous ne sommes pas en concurrence avec nos collègues pour les mêmes financements gouvernementaux limités, et nous sommes encouragés par le Vatican à aider à l’organisation et à l’administration de réunions que d’autres scientifiques n’ont souvent pas le temps de faire.

Le Vatican est membre de l’Union astronomique internationale (UAI) et nos astronomes ont été élus à un certain nombre de postes, notamment comme présidents, vice-présidents et secrétaires de diverses divisions et commissions. Pour ne citer que deux exemples, le père Chris Corbally a fait partie du comité qui a rédigé la définition d’une planète qui a conféré à Pluton son nouveau statut, et je fais partie du groupe de travail qui nomme les caractéristiques telles que les cratères et les vallées à la surface des planètes. Outre l’UAI, j’ai également été élu président de la division des sciences planétaires de l’American Astronomical Society en 2006, et président de la Meteoritical Society (mandat débutant en 2025).

«Nous sommes souvent appelés à juger les propositions de nos collègues scientifiques»

Nous sommes également souvent appelés à faire partie de panels ou à jouer le rôle d’arbitre pour juger les propositions de nos collègues scientifiques qui sollicitent un financement de la recherche auprès de la NASA, de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et d’autres agences spatiales nationales de financement.

L’un des moyens uniques par lesquels nous avons eu un impact sur l’astronomie internationale est l’organisation de nos cours d’été biennaux. Depuis 1986, nous parrainons des rassemblements de quatre semaines réunissant 25 étudiants du monde entier pour une étude intensive d’un aspect de l’astrophysique moderne avec certains des meilleurs astronomes du monde, y compris des lauréats du prix Nobel. Les étudiants des écoles précédentes jouent aujourd’hui un rôle important dans l’astronomie contemporaine. (cath.ch/imedia/ak/gr)

L'univers compterait des milliards de galaxies. | © Pixabay.
5 janvier 2024 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture: env. 6 min.
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